Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XIV/Chapitre 7

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VII. Les Anglois s’établiſſent à la Barbade. Grande proſpérité de cette iſle.

La Barbade étoit une des poſſeſſions Britanniques qui fourniſſoient le plus de cette denrée. Cette iſle, ſituée au vent de toutes les autres, ne paroiſſoit pas avoir été habitée, même par des ſauvages, lorſqu’en 1627 quelques familles Angloiſes s’y tranſportèrent, mais ſans aucune influence de l’autorité publique. Ce ne fut que deux ans après qu’il s’y forma une colonie régulière aux dépens & par les ſoins du comte de Carliſle, qui, à la mort tragique de Charles I, perdit une propriété que ce foible prince lui avoit imprudemment accordée. On la trouva couverte d’arbres ſi gros & ſi durs, qu’il falloit pour les abattre, un caractère, une patience, & des beſoins peu communs. La terre fut bientôt libre de ce fardeau, ou dépouillée de cet ornement ; car il eſt douteux, ſi la nature n’embellit pas mieux ſon ouvrage que la main de l’homme qui change tout pour lui ſeul. Des citoyens, las de voir couler le ſang de leur patrie, ſe hâtèrent de peupler ce séjour étranger. Tandis que les autres colonies étoient plutôt dévaſtées que cultivées, par des vagabonds que la misère & le libertinage avoient bannis de leurs foyers, la Barbade recevoit tous les jours de nouveaux habitans, qui lui apportoient avec des capitaux, du goût pour l’occupation, du courage, de l’activité, de l’ambition ; ces vices & ces vertus qui ſont le fruit des guerres civiles.

Avec ces moyens, une iſle qui n’a que ſept lieues de longueur, depuis deux juſqu’à cinq de largeur, & dix-huit lieues de circonférence, s’éleva en moins de quarante ans à une population de plus de cent mille âmes, à un commerce qui occupoit quatre cens navires de cent cinquante tonneaux chacun. Jamais peut-être le globe n’avoit vu ſe former un ſi grand nombre de cultivateurs dans un eſpace ſi reſſerré, ni créer de ſi riches productions en ſi peu de tems. Les travaux, dirigés par des Européens, étoient ſupportés par des malheureux achetés ſur les plages Africaines, ou même volés en Amérique. Cette dernière eſpèce de barbarie étoit un appui ruineux pour un nouvel édifice. Elle faillit en cauſer le renverſement.