Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 27

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XXVII. Sol, population, commerce de la colonie.

Cette province, dont les limites n’ont été réglées qu’après les diſcuſſions les plus longues, les plus vives, les plus opiniâtres avec la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-Jerſey & la Penſylvanie, forme aujourd’hui dix comtés. Elle n’a que peu d’étendue au bord de la mer ; mais en profondeur ſon territoire s’étend juſqu’au lac George ou Saint-Sacrement, & juſqu’au lac Ontario. Des montagnes ſituées entre ces deux lacs, ſort la rivière d’Hudſon, qui ne reçoit que de foibles canots durant ſoixante-cinq milles ; encore cette navigation eſt-elle interrompue par deux caſcades qui obligent à deux portages d’environ deux cens toiſes chacun. Mais d’Albani à l’océan, c’eſt-à-dire dans l’eſpace de cent cinquante milles, on voit voguer ſur ce magnifique canal, avec la marée, jour & nuit, durant toutes les ſaiſons, ſans crainte d’aucun accident, des bâtimens de quarante à cinquante tonneaux qui entretiennent une circulation continuelle & rapide dans la colonie.

La partie de ce grand établiſſement que les navigateurs trouvent d’abord, c’eſt l’iſle Longue, séparée du continent par un canal étroit. Elle a cent vingt milles de long, ſur douze de large, divisés en trois comtés. Les ſauvages, qui occupoient ce grand eſpace, s’éloignèrent ou périrent ſucceſſivement. Leurs oppreſſeurs dûrent leur première aiſance à la pêche de la baleine & du loup-marin. À meſure que ces races qui cherchent les côtes déſertes diſparurent, on s’occupa de la multiplication des troupeaux, ſur-tout des chevaux. Quelques cultures ſe ſont depuis établies ſur ce ſol trop ſablonneux.

Le terrein eſt plus inégal dans le continent : mais il devient plus uni & plus productif à meſure qu’on approche des lacs & du Canada. Si jamais les marais qui couvrent encore cette extrémité de la colonie ſont deſſéchés ; ſi les rivières qui l’arroſent ſont un jour reſſerrées dans leur lit, cette contrée ſera la plus fertile de la colonie.

Suivant les derniers calculs, la province compte deux cens cinquante mille habitans de diverſes nations, de ſectes diverſes. Les riches pelleteries qu’ils tirent des ſauvages, & celles de leurs productions qu’ils ne conſomment pas, ſont conduites au marché général. C’eſt une ville importante, aujourd’hui déſignée, comme la colonie entière, ſous le titre de Nouvelle-York. Elle fut autrefois bâtie par les Hollandois dans l’iſle de Manahatan, longue de quatorze milles, & d’un mille dans ſa plus grande largeur.

Le commerce y a raſſemblé, ſous un climat très-ſain, dix-huit ou vingt mille habitans, dans un eſpace, partie bas & partie élevé. Les rues ſont fort irrégulières, mais très-propres. Les maiſons bâties de brique & couvertes de tuile, offrent plus de commodités que d’élégance. Les vivres ſont abondans, d’excellente qualité & à bon marché. L’aiſance eſt univerſelle. La dernière claſſe du peuple a une reſſource aſſurée dans les huîtres, dont la pêche ſeule occupe deux cens bateaux.

La ville, placée à deux milles de l’embouchure de la rivière d’Hudſon, n’a proprement ni port, ni baſſin : mais elle n’en a pas beſoin. Sa rade, ouverte dans toutes les ſaiſons, acceſſible aux plus grands vaiſſeaux, à l’abri de tous les orages, doit lui ſuffire. De-là ſortent les nombreux navires, qu’on expédie pour différens parages. Les denrées ou marchandiſes qui furent expédiées en 1769, montèrent à 4 352 446 liv. 17 ſols 9 den. Depuis cette époque, les productions de la colonie ont augmenté ſenſiblement ; & elles doivent encore beaucoup croître, puiſque la moitié des terres n’eſt pas en valeur, & que celles qu’on a défrichées ne ſont pas auſſi bien cultivées qu’elles le ſeront, lorſque la population ſera devenue plus conſidérable.