Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 28

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Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 156_Ch28-159_Ch29).

XXVIII. Les grains de l’Europe ont été cultivés dans l’Amérique Septentrionale.

Cependant, il y a des analogies de climat qui modifient la loi généralement portée contre la tranſplantation des animaux & des plantes. Lorſque les Anglois abordèrent dans l’Amérique Septentrionale, les habitans vagabonds de ces contrées ſolitaires ne cultivoient qu’à regret un peu de maïs, plante qui a le port du roſeau. Ses feuilles, aſſez larges & fort longues, entourent à leur baſe la tige qui eſt ronde & noueuſe par intervalles. Une panicule de fleurs mâles la termine. Chacun des paquets, dont elle eſt composée, a deux fleurs recouvertes par deux écailles communes, & chaque fleur a trois étamines, renfermées entre deux écailles propres. À l’aiſſelle des feuilles inférieures ſe trouvent les fleurs femelles, diſposées en épi très-ſerré ſur un axe épais & charnu, caché ſous pluſieurs enveloppes. Le piſtil de ces fleurs, entouré de quelques petites écailles & ſurmonté d’un long ſtyle, devient une graine farineuſe, preſque ſphérique, enfoncée à moitié dans l’axe commun.

Sa maturité eſt annoncée par ſa couleur & par l’écartement des enveloppes qui laiſſent apercevoir l’épi.

Cette eſpèce de bled, que l’Europe ignoroit alors, étoit la ſeule qui fût connue dans le Nouveau-Monde, La culture en étoit facile. Les ſauvages ſe contentoient de lever du gazon, de faire des trous dans la terre avec un bâton & de jeter dans chacun un grain de maïs qui en produiſoit deux cens cinquante ou trois cens autres. Les préparations pour s’en nourrir n’étoient pas plus compliquées. On le piloit dans un mortier de bois ou de pierre ; & réduit en pâte, il étoit cuit ſous la cendre. Souvent même, grillé ſeulement, il étoit mangé.

Le maïs retrait bien des avantages. Sa feuille eſt très-favorable à la nourriture des beſtiaux ; avantage infiniment précieux dans les contrées où les prairies ne ſont pas communes. Un terrein maigre, léger & ſablonneux, eſt celui qui convient le mieux à cette plante. Sa ſemence peut être gelée au printems, même à deux ou trois repriſes, ſans que les récoltes ſoient moins abondantes. Enfin, c’eſt de tous les grains, celui qui peut ſoutenir le plus long-tems la séchereſſe & l’humidité.

Ces raiſons, qui ont fait adopter la culture du maïs dans une partie du globe, déterminèrent les Anglois à le conſerver, à le multiplier dans leurs établiſſemens. Ils le vendirent au midi de l’Europe, dans les Indes Occidentales, & s’en ſervirent pour leur propre uſage. Cependant ils ne négligèrent pas d’enrichir leurs plantations des grains d’Europe, qui réuſſirent tous, quoique moins parfaitement que dans le lieu de leur origine. Du ſuperflu de ces récoltes, du produit de leurs troupeaux, & de l’exploitation des forêts du pays, ces colons formèrent un commerce, qui embraſſoit les contrées les plus riches & les plus peuplées du Nouveau-Monde.

La métropole voyant que ſes colonies ſeptentrionales lui enlevoient l’approviſionnement des établiſſemens qu’elle avoit au midi de l’Amérique, & craignant de les avoir bientôt pour rivales en Europe même, dans tous les marchés des ſalaiſons & des bleds, réſolut de tourner leur activité vers des objets qui lui fuſſent plus utiles. L’occaſion ne tarda pas de ſe préſenter.