Histoire politique des États-Unis/Tome 1/Leçon 7

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Charpentier (1p. 150-178).
SEPTIÈME LEÇON.
suite de l’histoire des colonies de la nouvelle-angleterre.
1. new-plymouth. (suite.)
Messieurs,

Nous avons vu dans la dernière leçon, comment l’Eglise anglicane, effrayée des principes républicains du puritanisme, avait essayé de se débarrasser par la persécution de ces terribles niveleurs, et je vous ai dit comment les sectaires les plus ardents, les brownistes, fatigués de leur exil en Hollande, s’étaient décidés à partir pour l’Amérique, sur l’assurance assez imparfaite que le roi Jacques ignorerait leur existence et ne les persécuterait pas.

Ce fut en 1620, le 17 septembre, après un jeûne solennel, que ces émigrants, les pèlerins, les pères, (father pilgrims), comme les nomme le pieux respect de la postérité, partirent, au nombre de cent personnes, sur le vaisseau la Fleur-de-Mai (May Flower), plus célèbre aujourd’hui dans les annales de l’Amérique que le navire Argo ne l’a jamais été chez les Grecs.

Leur destination était aux bords de la rivière d’Hudson, c’est-à-dire dans le site admirable où plus tard fut établi New-York. Mais le capitaine du vaisseau, gagné, dit-on, par les Hollandais qui projetaient un établissement sur ce beau fleuve, les porta beaucoup plus à l’est, et, après quatre mois d’une pénible navigation, les fit aborder au cap Cod, sur un territoire qui n’était même plus celui de la Virginie ; car il se trouvait dans la concession faite à la compagnie du Nord.

Les rigueurs de la saison (on était au 22 décembre), les fatigues et les maladies de la mer forcèrent les pèlerins à prendre terre. Après avoir exploré la côte, ils choisirent pour s’établir un lieu appelé Patuxet par les Indiens, et qu’ils nommèrent le Nouveau-Plymouth, en souvenir du dernier point de l’Angleterre qu’ils avaient quitté. New-Plymouth est resté célèbre comme le plus ancien établissement de la Nouvelle-Angleterre, et encore aujourd’hui on garde et l’on montre avec respect le rocher où les pèlerins mirent le pied en prenant possession de ce continent, qu’ils devaient peupler de leur race et animer de leurs idées.

Quelque temps avant de débarquer, comme on craignait l’anarchie, d’autant plus que visiblement on allait descendre sur une terre où l’on n’avait ni droit de propriété ni juridiction, les pèlerins se lièrent par un contrat écrit qui nous est resté, et dont voici la teneur :

« Au nom de Dieu, ainsi soit-il. Nous, soussignés, les fidèles sujets de notre redoutable seigneur le roi Jacques, par la grâce de Dieu, roi d’Angleterre, d’Ecosse, etc., ayant entrepris, pour la gloire de Dieu, l’avancement de la foi chrétienne, l’honneur de notre roi et de notre patrie, un voyage à l’effet de fonder la première colonie dans le nord de la Virginie, reconnaissons solennellement et mutuellement, en présence de Dieu, et l’un en présence de l’autre, que, par cet acte, nous nous réunissons en un corps politique et civil pour maintenir entre nous le bon ordre et parvenir au but que nous nous proposons. Et en vertu dudit acte, nous ferons et établirons telles justes et équitables lois, telles ordonnances, actes, constitutions, et tels officiers qu’il nous conviendra, suivant que nous le jugerons opportun et utile pour le bien général de la colonie. Moyennant quoi, nous promettons toute due soumission et obéissance. En foi de quoi, nous avons signé ci-dessous, l’an du Seigneur 1620, le 11 novembre (vieux style).

Cet acte est resté célèbre dans les fastes de l’Amérique, qui, du reste, en offre plus d’un exemple, car les émigrants qui créèrent l’État de Rhode-Island, ceux qui s’établirent à New-Haven, les premiers habitants du Connecticut, et les fondateurs de Providence commencèrent également par rédiger un contrat qui fut soumis à l’approbation de tous les intéressés. Les historiens et les jurisconsultes américains exaltent à l’envi cette déclaration comme un événement inouï et qui marque une ère nouvelle dans l’histoire du monde.

« Avant de débarquer, dit Story[1], les pèlerins rédigèrent et signèrent volontairement un contrat de gouvernement, qui forme, sinon le premier exemple, au moins le plus authentique qu’on puisse trouver dans les annales du monde, d’un contrat social originaire ayant pour objet l’établissement d’une nation. Les philosophes et les jurisconsultes recourent perpétuellement à l’hypothèse d’un contrat semblable pour y trouver la mesure des droits et des devoirs qui incombent aux gouvernements et aux sujets ; mais la plupart du temps on voit dans cette hypothèse un effort d’imagination que ne soutient pas l’histoire ou la pratique des nations, et qui est loin de fournir une base solide pour les besoins actuels de la vie. On songeait peu que l’Amérique en fournirait un exemple dans toute sa primitive et patriarcale simplicité. »

J’en demande pardon à l’enthousiasme de Story, mais son patriotisme l’a emporté un peu loin, et, dans cet acte, rédigé entre les passagers d’un vaisseau, je ne vois rien moins qu’un contrat social, c’est-à-dire (comme l’entendait Rousseau) un acte par lequel un certain nombre d’hommes, vivant dans un prétendu état de nature, parfaitement indépendants, sans droits et sans devoirs mutuels, conviennent de se réunir et créent des droits et des devoirs, en d’autres termes, le juste et l’injuste, par leur seul consentement. Cette convention qui fait naître la société d’un contrat, c’est là ce qui n’a jamais existé, et ce dont on ne trouvera pas un exemple, car la société est née avec la première famille ; c’est un fait naturel, primitif, comme le langage, un fait que la science prend comme point de départ mais qu’elle n’explique pas. L’homme vit en société parce qu’il est né sociable, et non parce qu’il lui a pris fantaisie de se rapprocher de ses semblables, fantaisie qu’il pourrait abandonner pour un désir contraire et qui le ramènerait au fond des bois ; et c’est parce que l’homme est né sociable, parce que sa nature veut qu’il vive en communauté, parce que c’est là seulement qu’il trouve la satisfaction de ses besoins physiques, moraux, intellectuels, la perfection de ses instincts et de ses idées, qu’il a dans la société des devoirs auxquels il ne peut se soustraire, et des droits qu’il a raison de réclamer.

L’acte rédigé sur la Fleur-de-Mai n’est donc rien moins que la formule authentique d’un contrat social. C’est tout simplement une charte, comme il y en a beaucoup, par laquelle une société toute constituée, une compagnie d’hommes, vivant ensemble sous l’empire de coutumes et de lois reconnues, convient d’établir une autorité assez forte pour faire respecter les lois, sous la protection desquelles on continuera de vivre. Les pèlerins n’avaient rien de plus cher que les coutumes de la patrie, qu’ils ont conservées jusqu’à ce jour, et ce qu’ils constituaient, ce n’était pas une société, mais un gouvernement.

Les commencements de la plantation furent très-pénibles ; la saison était meurtrière, car le froid, en Amérique, est infiniment plus rigoureux qu’en Europe sous la même latitude, et par exemple, Québec, au Canada, qui a les étés de Paris, a un hiver de six mois aussi rude qu’à Saint-Pétersbourg ; tandis que New-York, sous la latitude de Naples, a les étés de Rome et les hivers de Copenhague.

« Les pèlerins avaient passé le vaste Océan, dit l’historien de la colonie, ils arrivaient au but de leur voyage, mais ils ne voyaient point d’amis pour les recevoir, point d’habitation pour leur offrir un abri. On était au milieu de l’hiver, et ceux qui connaissent notre climat savent combien les hivers sont rudes, et quels furieux ouragans désolent alors nos côtes. Dans cette saison, il est difficile de traverser des lieux connus, et à plus forte raison de s’établir sur des rivages nouveaux. Autour d’eux n’apparaissait qu’un pays hideux et désolé, plein d’animaux et d’hommes sauvages, dont ils ignoraient le degré de férocité et le nombre. La terre était glacée ; le sol était couvert de forêts et de buissons. Tout avait un aspect barbare. Derrière eux, ils n’apercevaient que l’immense Océan qui les séparait du monde civilisé. Pour trouver un peu de paix et d’espoir, ils ne pouvaient tourner leurs regards qu’au ciel[2]. »

À tous ces maux du climat, l’imprévoyance joignit une cause de ruine qui faillit perdre la colonie. On imagina, comme en Virginie, d’établir le travail en commun, la propriété commune. Le résultat de cette erreur ne fut pas moins désastreux au nord qu’au midi, et peu s’en fallut que la première émigration ne pérît de misère et de faim.

Quelle raison avait décidé les exilés à établir ce régime rigoureux et stérile ? Suivant Bancroft, c’était un engagement avec la compagnie de Londres, intéressée dans les bénéfices de la plantation. Si l’on en croit Robertson, c’était une pensée religieuse, le désir d’imiter les premiers chrétiens. Mais quel que fût le motif, et quelle que fût l’ardeur des colons, il devint bientôt évident à New-Plymouth comme en Virginie, que la communauté fait violence à la nature humaine, en lui demandant à la fois deux choses qui s’excluent : une abnégation complète de tout intérêt personnel et un zèle infatigable pour l’intérêt d’autrui.

Les philosophes peuvent imaginer des communautés prospères, mais l’expérience et la raison démontrent qu’il n’y a là qu’un rêve, et non point un rêve trop beau, un idéal trop grand pour notre pauvre nature humaine (ce serait déjà un grand défaut qu’une théorie sans application possible et faite pour des anges), mais une méconnaissance complète de l’homme et de la liberté qui fait sa grandeur. Sans la propriété individuelle, l’homme n’a pas la pleine possession de lui-même ; il n’est qu’une brute ou un esclave dans la dépendance de la main qui le nourrit. La propriété est la condition première de la liberté, et elle est tellement dans la nature de l’homme, que le pays le plus éclairé, le plus heureux, le mieux constitué est toujours celui qui compte le plus grand nombre de propriétaires. L’Amérique, au besoin, serait la démonstration éclatante de cette vérité.

Du reste, à New-Plymouth comme en Virginie, le partage du sol rendit aussitôt le courage aux émigrants et ranima leur activité. Dès qu’on cultiva pour soi, les femmes et les enfants même se mirent à l’œuvre, et en peu d’années la plantation, où, sous le régime de la communauté, on était mort de faim, fit un commerce de grains assez considérable pour nourrir ses voisins.

Revenons au gouvernement de la colonie. Ce gouvernement, établi entre quarante chefs de famille (c’est le nombre des signataires de l’acte), tous frères par la foi et la souffrance, égaux de condition et de fortune, que pouvait-il être, sinon une pure démocratie ? Il n’y avait pas là un chef guerrier partageant la terre entre ses compagnons d’armes, suivant leur mérite et leurs exploits. Il n’y avait pas davantage un noble seigneur payant de ses deniers la terre qu’il distribue, à des conditions diverses, aux colons qu’il agrée. L’égalité était absolue entre les pèlerins ; ils l’avaient payée au prix de la persécution, de la pauvreté et des misères de l’exil. Nulle distinction de rang, d’origine, de richesse ; presque tous sortaient de la classe moyenne. C’est ainsi que la démocratie s’échappait du milieu de la société féodale, et que la liberté politique triomphait à côté de la liberté religieuse. Ces deux grands principes des temps modernes étaient proclamés en même temps, et commençaient la prodigieuse fortune de l’Amérique.

Un gouvernement nommé par le suffrage universel, et assisté d’un conseil de cinq membres, une assemblée où se réunissaient tous les planteurs mâles et majeurs, telle fut la forme primitive de la constitution de New-Plymouth ; la représentation n’y fut introduite que plus tard, en 1639, quand la population fut disséminée sur un territoire trop étendu pour qu’on pût aisément se réunir. Alors des élections annuelles désignèrent les délégués qui formeraient l’assemblée de la colonie.

Les émigrants, installés sur un sol qui ne leur appartenait à aucun titre, sentirent le besoin de faire reconnaître leur établissement par les propriétaires du territoire et par la couronne. En 1629, ils obtinrent une patente du conseil de Plymouth, autorisant le concessionnaire William Bradford et ses associés à s’établir en corporation, sous un nom convenable, et à jouir de tous les privilèges des compagnies. C’était dans la forme une simple concession commerciale, au fond c’était le droit de libre gouvernement qu’on leur reconnaissait, et ils l’exercèrent sans contrainte et sans difficulté.

Cette patente, accordée par une compagnie à une autre et moindre société, et qui constituait un État, aurait eu besoin, ce semble, d’être au moins confirmée par le roi, car la souveraineté et la juridiction ne se délèguent pas ; mais il ne paraît point qu’on se soit occupé de la colonie naissante jusqu’à Charles II, qui contesta la validité de la concession. Les planteurs essayèrent alors d’obtenir l’agrément du roi ; mais la question n’était point encore décidée, lorsqu’en 1684 Jacques II fit annuler les chartes coloniales. New-Plymouth fut soumis au gouvernement arbitraire jusqu’en 1690, où la colonie fut incorporée dans la province de Massachussets par la charte de Guillaume et Marie. Dès ce moment elle cessa d’avoir une existence et une histoire particulière.

Il doit paraître singulier, qu’à l’exemple des historiens américains, nous attachions tant d’importance à l’établissement d’une poignée d’hommes qui ne joua jamais un rôle considérable ; mais ce qui rend la mémoire des pèlerins impérissable, c’est moins leurs actions que l’esprit nouveau qu’ils apportèrent sur le continent, car c’est cet esprit qui a fait la grandeur des États-Unis.

« Les principes de la Nouvelle-Angleterre, a dit éloquemment M. de Tocqueville[3], se sont d’abord répandus sur les États voisins ; ils ont ensuite gagné de proche en proche les plus éloignés, et ont fini, si je puis m’exprimer ainsi, par pénétrer la confédération entière. Ils exercent maintenant leur influence au delà de ces limites sur tout le monde américain. La civilisation de la Nouvelle-Angleterre a été comme ces feux allumés sur les hauteurs, qui, après avoir répandu la chaleur autour d’eux, teignent encore de leur clarté les confins de l’horizon. »

Une seule idée avait conduit ces émigrants dans le nouveau monde, celle de fonder une pure Église, et cette seule idée leur a suffi pour établir une colonie au milieu d’obstacles qui eussent glacé l’âme d’hommes ordinaires, malgré la faim, le froid, la maladie, les Indiens, les bêtes sauvages. S’ils ont conquis ce sol ingrat, s’ils ont ouvert la voie à ce vaste courant d’émigration qui ne s’est point arrêté depuis plus de deux siècles, c’est que la foi les a soutenus au milieu des périls et des ennuis de la solitude, et leur a donné cette force qui transporte les montagnes et féconde les déserts.

Ce sont eux, qui, sous le nom de religion, ont porté en Amérique, ont planté, fécondé ce germe de démocratie qui doit couvrir le monde de ses rameaux. Ils ont dû leur courage et leur vertu à la pensée qu’en usant leur vie sur ces rochers, ils travaillaient pour Dieu et pour la chrétienté.

« De grandes choses, disait Bradford, un des premiers gouverneurs, de grandes choses sont sorties de faibles commencements, et comme un petit flambeau en peut allumer des milliers d’autres, ainsi la lumière qui part d’ici luira pour un grand nombre d’hommes, et peut-être pour toute notre nation. »

« Frères, écrivaient aux pèlerins si rudement éprouvés les puritains qui étaient restés en Angleterre ; frères, ne vous affligez pas d’avoir été des instruments pour rompre la glace devant les autres. L’honneur sera vôtre jusqu’à la fin du monde. » Et ils avaient raison. Tant que les États Unis n’auront pas perdu la mémoire de leur origine, ils entoureront d’un respect filial le souvenir de ces apôtres de la civilisation, de ces héros chrétiens à qui leur patrie d’adoption doit sa prodigieuse fortune. Ce sont eux qui, au prix de mille souffrances, ont enraciné sur une terre ingrate des croyances sérieuses, des mœurs sévères, véritables fondements, conditions essentielles de la liberté et de la démocratie, car sans ces deux ancres modératrices, la liberté tourne à la licence, et le gouvernement populaire, dénaturé par les passions mauvaises, s’abîme enfin dans l’anarchie.
2. colonie de massachussets.

La seconde colonie puritaine qui vint peupler la Nouvelle-Angleterre, fut celle qui s’établit autour de la baie de Massachussets. C’est de toutes la plus importante ; celle qui, dès l’origine, a pris la direction du mouvement politique et religieux aux États-Unis, et qui encore aujourd’hui y tient le premier rang. Il y a des villes qui font un plus grand commerce que Boston, par exemple, New-York et la Nouvelle-Orléans ; mais il n’y en a point qui pèse autant sur l’opinion. Aussi depuis l’origine, Boston, fidèle au vieil esprit puritain, a-t-il toujours été la ville la plus considérable de l’Amérique, par les lumières, la moralité, l’énergie, la piété de ses enfants. C’est Boston qui a commencé la guerre de l’indépendance, et aujourd’hui on retrouve cette influence au fond de toutes les questions qui agitent les esprits, notamment dans la grande question de l’esclavage.

Le Massachussets est donc de toutes les colonies de l’Est celle dont l’histoire nous touche le plus, car les autres n’ont été que des satellites, toujours entraînées dans le mouvement parti de Boston. C’est partout la même vie, ce sont les mêmes lois, les mêmes mœurs, les mêmes usages ; nous pourrons donc passer vite sur des annales sans grands événements ; l’histoire du Massachussets sera celle de la Nouvelle-Angleterre.

À peu près vers l’époque où, les pèlerins achevaient leur voyage, Jacques Ier, voyant que la compagnie du Nord ne donnait point suite à ses projets de colonisation, accorda, le 3 novembre 1620, une charte nouvelle au duc de Lennox, au marquis de Buckingham et à quelques autres personnages de distinction. Cette charte était imitée de la concession première, mais elle étendait le territoire accordé. Le roi donnait à la compagnie, qui prit le titre de Grand conseil de Plymouth, tout le pays compris entre le 40e et le 48e degré de latitude nord, et s’étendant en profondeur d’une mer à l’autre, réserve faite des possessions qui se trouveraient appartenir à quelque autre puissance : on songeait sans doute à nos établissements du Canada.

Cette concession, malgré son étendue, n’amena point d’expédition sérieuse ; la compagnie dans laquelle figurait un certain nombre de courtisans intéressés, s’occupa de vendre des terres plutôt que de coloniser, et la Nouvelle-Angleterre serait restée longtemps inhabitée, si les causes qui avaient amené l’exil des brownistes, n’avaient déterminé une émigration de puritains beaucoup plus considérable.

Les Indépendants, dont le nombre et le zèle augmentaient chaque jour, malgré ou plutôt à cause de la persécution, désespérant d’obtenir dans leur patrie un relâchement des lois qui les frappaient sans pitié, encouragés d’ailleurs par les récits qui représentaient la colonie de New-Plymouth comme l’asile et le sanctuaire de leurs croyances, résolurent de chercher, eux aussi, par delà les mers, une patrie nouvelle, où leurs opinions ne seraient point inquiétées, où la persécution n’atteindrait ni leurs femmes ni leurs enfants[4].

Ce fut dans cette intention qu’on ouvrit avec le grand conseil de Plymouth une négociation qui, en 1627, aboutit à une concession considérable, car elle comprenait le territoire de l’État actuel de Massachussets, le Connecticut, New-Hampshire, Rhode-Island et le Maine.

Les premiers concessionnaires n’étaient ni assez riches, ni assez nombreux pour entreprendre avec leurs seules ressources une aussi lourde entreprise que la colonisation d’un pays lointain ; ils cherchèrent donc des associés parmi leurs coreligionnaires, et en trouvèrent bientôt un assez grand nombre parmi des marchands ou des personnes aisées, qui en public ou en secret professaient les opinions puritaines. Mais ces derniers, en hommes habitués aux affaires, ne voulurent point tenir leur titre d’une compagnie qui pouvait bien leur concéder la propriété du sol, mais non pas la juridiction et l’administration. Ils s’adressèrent donc au roi, à qui seul il appartenait d’accorder cet attribut de la souveraineté.

Charles Ier consentit à leur demande avec une facilité qui étonne, quand on sait quelle était la sévérité du roi en matière de non-conformité. Le 4 mars 1629, il constitua les concessionnaires en corporation, sous le nom de Gouvernement et compagnie de la baie de Massachussets dans la Nouvelle-Angleterre, et leur donna une charte toute semblable à celle que Jacques Ier avait accordée au grand conseil de Plymoutb.

Cette charte, qui porte la signature de Charles Ier, et qui, pendant plus d’un demi-siècle fut chérie comme le plus précieux des privilèges, constituait, non point un État (il ne faut pas s’y tromper), mais simplement une corporation, dont le siège était en Angleterre, et qui était organisée comme toutes les grandes compagnies commerciales que l’esprit de la monarchie avait alors multipliées par tout le pays.

L’administration était confiée, suivant l’usage, à un gouverneur, secondé par un député ou lieutenant gouverneur, et à un conseil d’administration, composé de dix-huit assistants qui devaient être annuellement élus par les freemen, nous dirions les actionnaires de la compagnie.

Quatre fois par an, ou plus souvent si on le jugeait nécessaire, on devait tenir en Angleterre, au siège de la compagnie, une assemblée générale des freemen, et c’est dans cette assemblée, où figuraient aussi le gouverneur et les assistants, qu’on nommait les officiers de la plantation, et qu’on faisait en toute liberté les règlements nécessaires pour la colonie, à la seule condition de ne rien établir de contraire aux lois du rovaume.

Aucun article de la charte n’exige le consentement du roi pour la validité de ces règlements. Et en effet ce n’était qu’une compagnie de commerce qu’on avait autorisée et point du tout un gouvernement. Les actes de cette corporation étaient considérés comme aussi indifférents à l’Etat que ceux de toute autre société commerciale, et si on lui reconnaissait une certaine juridiction en Amérique, c’était simplement à cause de la nature des affaires dans lesquelles les actionnaires étaient engagés.

C’est grâce à cette organisation, dont l’apparence commerciale écartait l’action directe du gouvernement, que les plantations de la Nouvelle-Angleterre jouirent de plus de liberté intérieure et de plus d’indépendance politique que les colonies des autres peuples. Cet oubli de la couronne, cette liberté parfaite fut la cause principale de leur fortune, et c’est ce que nous ne devrions jamais oublier.

La charte n’accordait point aux émigrants la liberté de religion (comme on l’a quelquefois supposé) ; au contraire, le roi chargeait le gouverneur de faire prêter aux colons les serments de suprématie et de fidélité. Il était loin de prévoir quelle puissance l’émigration donnerait à ce puritanisme qu’il abhorrait. Mais par la force des choses, le puritanisme devait régner en maître dans la Nouvelle-Angleterre, car lui seul fuyait devant l’oppression ; les membres de l’Église anglicane, que rien n’inquiétait, n’étaient nullement attirés vers un pays que ne recommandait ni sa fertilité ni son commerce. Le privilège religieux des puritains ne reposait donc point sur une concession légale, mais il résultait si clairement des faits, qu’en 1662 le roi d’Angleterre, probablement à la prière de Clarendon, déclarait que le principe et le fondement de la charte du Massachussets, c’était la liberté de conscience.

Aussitôt la patente obtenue, une première expédition de cinq navires emmena trois cents émigrants vers leur nouvelle patrie. C’étaient, pour la plupart, d’ardents puritains qui quittaient la terre natale, non par ambition, non par avarice, mais uniquement parce qu’il leur semblait, comme le dit Milton, que rien ne pouvait les défendre de la furie des évêques que le vaste Océan et les solitudes sauvages de l’Amérique[5]. Des ministres éminents dans le parti non conformiste accompagnaient cette colonie qui ne ressemblait à aucune de celles qu’avait connues l’histoire, colonie non point d’aventuriers, mais de chefs de famille qui se rendaient au désert, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, pour y porter le flambeau de l’Évangile, pour y prier Dieu en liberté. Aussi selon le récit d’un contemporain, qui donne à juger d’un mot de l’esprit des émigrants, c’était au moyen de trois longs sermons par jour qu’on charmait les ennuis de la traversée.

À leur arrivée, le 29 juin 1629, les colons trouvèrent le reste misérable d’une première émigration partie l’année précédente, sous la conduite d’un enthousiaste nommé Endicott, et établie dans un lieu que le gouverneur, avec l’affectation du temps, avait nommé Salem, du nom de la ville sainte[6].

Les émigrants qui avaient suivi Endicott, et les nouveaux arrivants avaient les mêmes principes religieux ; c’étaient des puritains de l’espèce la plus rigide, et pour des hommes de ce caractère, l’établissement d’une église était un intérêt qui devait effacer tous les autres. Aussi, dès le premier jour, et sans égard pour la charte qui leur imposait la conformité, ils organisèrent leur Église suivant leurs doctrines.

Ils s’unirent tous en société religieuse, par acte solennel fait en présence de Dieu, et en présence l’un de l’autre (on reconnaît le premier contrat des colons de New-Plymouth). Puis, en se conformant strictement aux règles de l’Écriture, telle qu’ils l’entendaient, ils élurent un pasteur, un docteur ou prédicateur, et un ancien qu’ils élevèrent à ces fonctions par l’imposition des mains de tous les frères.

Tous ceux qui, ce jour-là, furent admis comme membres de l’Église, déclarèrent accepter une confession de foi rédigée par le prédicateur, et rendirent compte du fondement de leurs espérances comme chrétiens ; il fut en outre déclaré que désormais personne ne serait reçu dans la communion qu’il n’eût satisfait l’Eglise au sujet de sa foi et de sa justification.

Quant au culte public qu’on institua, il était d’une simplicité plus que calviniste : point de liturgie, pas de communion ; tout se bornait à la prédication. Du reste, cette première discipline a toujours été entourée d’une vénération particulière, et elle est restée la règle des églises réformées de la Nouvelle-Angleterre.

Ce fut avec passion que les puritains, libres de leurs mouvements pour la première fois, constituèrent cette pure Église qu’ils avaient rêvée si longtemps. Cependant quelques émigrants, effrayés de cette brusque rupture avec l’Église anglicane, s’assemblèrent séparément pour honorer Dieu suivant le rite de la métropole. Exclusifs comme tous les partis qui sortent de la persécution, les colons déclarèrent qu’ils ne supporteraient point l’épiscopat. Craignant toujours une invasion de leurs droits, ils regardaient les partisans de l’Église établie comme des espions dans leur camp ; la religion qui les avait fait souffrir, ils la repoussaient moins encore comme une secte que comme une tyrannie. « Vous êtes des séparatistes, disaient leurs adversaires, et vous serez bientôt des anabaptistes. — Nous nous séparons, répondaient les ministres, non pas de l’Église d’Angleterre, mais de ses corruptions. Pour fuir la liturgie et les cérémonies anglicanes, nous avons quitté notre patrie où nous avons beaucoup souffert à cause de la non-conformité : dans ce lieu de liberté, nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas admettre l’idolâtrie. Ce serait violer de façon coupable le culte de Dieu. » En d’autres termes, les bénédictions de la terre promise devaient être réservées pour les seuls puritains[7]. On ne s’en tint pas aux paroles, et les persécutés de la veille, devenant persécuteurs à leur tour, ce qui est aussi commun en religion qu’en politique, on traita comme des ennemis publics les deux principaux mécontents qui, au nom même de la charte, revendiquaient la liberté du culte, et on les embarqua aussitôt pour l’Angleterre sur les vaisseaux mêmes qui les avaient amenés. Ce n’était là que le prélude des persécutions que devait soulever l’intolérance puritaine, et en en verra bientôt de plus cruels exemples.

Cependant, les directeurs de la compagnie en Angleterre travaillaient à renforcer la colonie, et comme on était au moment où l’esprit intolérant de l’archevêque Laud dominait dans le conseil du roi, le nombre était grand de ceux qui se résignaient à chercher un abri dans la Nouvelle-Angleterre. Parmi eux, se trouvaient des gens d’une condition plus relevée, d’une fortune plus grande que celle des premiers émigrants.

Mais des hommes qui voulaient risquer leurs biens et hasarder leur vie à fonder un grand établissement dans un monde nouveau, ne pouvaient accepter ce gouvernement à distance, que nous nous obstinons à conserver pour l’Algérie, et qui a toujours été la ruine de nos colonies. Des Anglais habitués dès lors à la pratique de la liberté, n’entendaient pas devenir les serviteurs d’une corporation placée à Londres et ils refusaient d’accepter des lois faites sans leur aveu, et rédigées par un conseil que l’éloignement condamnait à ne jamais connaître qu’imparfaitement la société qu’il prétendait régir.

Nous avons vu que dans une situation pareille, la Virginie s’était fait concéder une espèce de charte, et qu’elle n’avait été vraiment libre qu’après la chute de la compagnie. Les colons qui se présentaient pour la Nouvelle-Angleterre, prirent une mesure plus simple et plus énergique, et qui leur permettait de se passer de la royauté. Ils demandèrent à la corporation de se transporter, en quelque façon, d’Angleterre en Amérique, en remettant tous les pouvoirs, tout le gouvernement de la colonie aux mains de ceux des membres de l’association qui s’établiraient dans le nouveau monde.

La compagnie hésita, doutant de la légalité de cette mesure, qui, en apparence, semblait ne changer que le siège de la société, qui, en fait, transformait une corporation commerciale en un gouvernement provincial indépendant ; elle se décida cependant, en présence des offres brillantes des nouveaux colons, qui emmenaient plus de huit cents personnes à leur suite. L’élection des officiers de la plantation se fit parmi ceux des concessionnaires qui émigraient. John Winthrop, protestant zélé, dont l’intégrité et la capacité étaient célèbres, fut choisi pour gouverneur. L’administration et la patente furent ainsi portées outre mer, et ce qui n’était que la charte d’une compagnie devint la loi d’un État.

La compagnie avait-elle le droit de transporter ainsi son siège en Amérique ? Malgré l’avis favorable donné par quelques légistes d’Europe[8], il est permis d’en douter avec le plus grand jurisconsulte des États-Unis, le juge Story. Mais comme le remarque Robertson, peu favorable, il est vrai, aux émigrants : dès le premier jour, les planteurs du Massachussets ont été pris de l’esprit d’innovation en politique aussi bien qu’en religion, et l’habitude de rejeter les usages établis dans un cas, les avait préparés à s’en écarter dans un autre. Et si en Angleterre, ils avaient agi comme une compagnie de commerce qui a besoin d’une charte royale pour confirmer ses possessions, à peine débarqués en Amérique, ils se considérèrent comme des individus unis par une association volontaire, et ayant de droit naturel le choix du gouvernement, et des lois qui leur convenaient le mieux.

C’est d’après ce principe, c’est comme ayant le droit de juger et d’agir par eux-mêmes, que sans égard à leur charte, sans égard aux institutions anglaises, ils avaient organisé leur Église sur un modèle tout différent de l’Église établie, c’est avec la même indépendance qu’ils constituèrent leur gouvernement. Dès le premier jour, ce penchant fut visible. « Ce n’est pas à une nouvelle discipline, c’est à la souveraineté que prétendent les colons, écrivait-on à Laud, dès l’an 1634 ; parler d’appel au roi dans la cour générale (c’est le nom qu’on donnait alors et qu’on donne encore aujourd’hui, dans la Nouvelle-Angleterre, au pouvoir législatif) est réputé trahison. » En d’autres temps Charles Ier n’eût point toléré cette usurpation, mais alors il était trop occupé, trop embarrassé de ses querelles avec le parlement pour prendre souci de ces premiers essais de république, qui avaient lieu dans une colonie lointaine et ignorée.

Ce nouvel État avait, du reste, un caractère particulier, et qui n’était rien moins que démocratique. Les émigrants, on l’a vu, étaient bien moins une société politique qu’une église plantée dans le désert. Conserver la foi, n’admettre que des hommes purs, était le but principal de la communauté ; aussi se constitua-t-elle comme une théocratie. Une loi de 1631 décida que personne autre qu’un membre de l’Église ne pourrait prendre part au gouvernement, être élu magistrat, faire fonction de juré. En d’autres termes quiconque ne professait pas les opinions reçues en fait de dogme et de discipline, était dépouillé de ses droits de citoyen, et mis au ban, de la société. C’est Dieu lui-même qui devait gouverner par ses saints, disait-on. Et comme les ministres et les chefs de chaque congrégation, avaient sans appel et sans contrôle, le droit d’accorder ou de refuser l’entrée dans la communion, il en résultait que le titre même de citoyen dépendait d’une qualité purement religieuse[9]. La suprême influence se trouvait ainsi entre les mains des ministres élus par le suffrage du peuple, c’est-à-dire entre les mains des plus exagérés parmi des enthousiastes et des fanatiques. Chacun dès lors prit pour leur plaire cette austérité apparente, cet extérieur formaliste, ces manières cérémonieuses qui sont restées longtemps dans les habitudes de la Nouvelle-Angleterre, et lui ont donné un aspect d’hypocrite sévérité qui répugne à la vivacité et à la franchise toute méridionale de nos mœurs.

Mais il ne faut pas s’y tromper, sous cet extérieur austère, sous ce fanatisme rigide il y avait un amour ardent de la liberté, et on s’en aperçut dès le premier jour.

Dans les premières années du transport de la charte en Amérique, on avait procédé comme le voulait l’acte royal ; le gouverneur et les assistants étaient choisis dans la cour générale formée par la réunion de tous les propriétaires (freemen). C’est également dans cette assemblée que, d’un commun accord, on arrêtait toutes les mesures qui intéressaient la plantation.

Mais quand les colons se furent répandus au loin, une réunion générale de tous les propriétaires devint impossible, et dès 1634, les planteurs choisirent, de leur propre mouvement, des délégués pour les représenter dans l’assemblée.

Ces délégués, par une décision hardie, transformèrent en une démocratie représentative ce qui n’était encore qu’une assemblée d’actionnaires. Ils déclarèrent dès le début que, réunis avec le gouverneur et les assistants, ils se considéraient comme le suprême pouvoir législatif de la colonie ; que la cour générale serait tenue de s’assembler quatre fois par an ; qu’elle serait convoquée à l’avenir par le gouverneur, sans pouvoir être dissoute que du consentement de la majorité de ses membres ; qu’aucune loi ne serait établie, aucune taxe imposée, aucun officier public élu que dans l’assemblée générale ; qu’à elle seule également appartenait la disposition des terres publiques. C’était la charte d’une république.

Dans l’origine il n’y avait qu’une seule chambre ; les assistants et les délégués siégeaient ensemble, mais les premiers réclamaient un droit de veto sur les décisions de l’assemblée. Les disputes qui s’élevèrent à ce sujet durèrent longtemps, et plus d’un judicieux sermon fait par les anciens sauva la prérogative des assistants. « Si le peuple gouverne, disait Cotton Mather, qui donc sera gouverné ? » Mais enfin il fallut céder ; et en 1644 on décida que la cour générale serait partagée en deux chambres distinctes et indépendantes, ayant chacune droit de veto. Ce système de gouvernement dura jusqu’à la révocation de la charte en 1684.

Telle fut la constitution que se donna le peuple de la nouvelle Angleterre. Les colonies de Rhode-Island, Connecticut et New-Hamsphire tirèrent leur origine du Massachussets, et en suivirent l’exemple.

On voit que moins de six ans après son établissement, la compagnie du Massachussets était parvenue à effectuer un projet qui dès le premier jour était dans l’esprit des émigrants. La colonie, dès ce moment, doit être considérée, non plus comme une corporation dont les pouvoirs sont définis et l’action réglée par l’acte de société, mais bien comme un État indépendant qui, de son propre mouvement, s’est choisi une constitution modelée sur celle de l’Angleterre.

Ainsi, en Amérique, la liberté politique est de même date que l’émigration, et, à bien considérer les choses, ces républiques de la Nouvelle-Angleterre, qui sont la force et la gloire de l’Union, ont, non pas soixante-dix ans, mais deux siècles d’existence. Il est vrai que dès le premier jour on annonça que la démocratie ne vivrait guère. « Ces élections ne peuvent durer, » disait un légiste du temps[10]. Avis à ceux qui pensent que les États-Unis ne tiendront pas et qui en prophétisent la ruine.


  1. Tome I, § 54.
  2. Tocqueville, I, 55. New Englands mémorial de Nalhaniel Horion.
  3. De la Démocratie en Amérique, I, p. 60.
  4. On peut juger des rigueurs de la persécution par un seul exemple. Dans le procès fait à l’évêque Wren, on lui reprocha que pendant les deux années et demie qu’il avait administré le diocèse de Norwich, il avait déposé cinquante ministres pour n’avoir point observé les cérémonies prescrites, et forcé trois mille personnes à sortir du royaume. Everett, Orations and speeches, t. I. p. 222.
  5. J. Milton. Of Reformation in England ; édit. de Fletcher, t. I, p. 14.
  6. Salem est encore aujourd’hui une des villes principales de l’État de Massachussets, et fait un commerce considérable avec les Indes.
  7. Bancroft, I, 349.
  8. Everett, Orations, t. I, p. 228.
  9. Ce n’était point, du reste, chose aisée que de devenir membre de l’Église. En Angleterre, dans la Boutique aux scrupules d’Oxford, le point le plus difficile à fixer, c’était l’heure de la renaissance, de la régénération, c’est-à-dire le moment précis où Dieu avait révélé ou montré aux fidèles leur nom inscrit parmi les prédestinés. Qui ne pouvait indiquer ce moment n’avait aucun droit au litre de saint. En Amérique il fallait fournir la même preuve aux réunions du jeudi, établies aussitôt après l’arrivée. Pour devenir non-seulement un saint, mais un citoyen, il fallait fixer le moment exact de la justification. Il y avait en outre d’autres conditions, telles qu’un discours d’une heure devant l’assemblée. « Ici, dit un contemporain (Lechford, Plain Dealing or Newesfrom New England), on exige de telles professions et confessions publiques et privées des hommes et des femmes avant de les admettre dans l’église, que les trois quarts du pays restent en dehors, si bien qu’en peu de temps, si l’on continue, la plupart du peuple vivra sans baptême. » (North American Review oct. 1840, p. 485.)
  10. Bancroft, I, 366.