Histoire politique des États-Unis/Tome 1/Leçon 8

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Charpentier (1p. 179-208).
HUITIÈME LEÇON.
suite de l’histoire des colonies de la nouvelle-angleterre.
2. massachussets (suite).
Messieurs,

Nous avons laissé le Massachussets au moment où grâce à l’esprit de religion et à l’esprit de liberté qui les animait, les émigrants avaient achevé de fonder une église nationale et un gouvernement populaire, en se montrant jaloux au même degré de quiconque ne professait pas leur culte, et de quiconque osait restreindre leurs droits politiques.

La religion, c’était le roc sur lequel reposait l’État qu’ils avaient établi ; c’était le lien qui avait rassemblé et réuni les émigrants en nation : aussi poussaient-ils à l’extrême l’intolérance religieuse, croyant défendre ainsi leur patrie non moins que leur foi. Pour eux la contradiction n’était point la simple profession d’une opinion différente, c’était la menace, c’était l’invasion d’un ennemi. S’ils avaient fui en Amérique, c’était pour y trouver la terre promise aux seuls fidèles, et y fonder la nouvelle Jérusalem ; c’était pour jouir en paix de ce culte qui faisait leur vie ; c’était pour fuir l’infidèle et le dissident. Leur société était moins un État qu’une congrégation close à quiconque n’était point reconnu pour un frère. Il n’y avait point de place pour l’étranger[1].

Mais ces hommes qui n’admettaient d’autre communion que la leur, ces hommes si sévères, si cruels pour les opinions d’autrui, étaient pour eux-mêmes, pour ce qui concernait leurs droits, d’une jalousie, d’une exigence excessive, et si leurs idées religieuses n’étaient point en avance de leur siècle, leurs idées politiques, on peut le dire, dépassaient en hardiesse nos théories de 1789.

Nous avons vu qu’en 1634, six ans après le premier départ, les émigrants laissant de côté la charte de la compagnie comme une écorce impuissante à contenir cette sève nouvelle qui éclatait de toute part, avaient constitué un gouvernement représentatif, et que dès 1644 ils avaient, sous le nom de gouverneur, d’assistants et de députés, organisé les pouvoirs exécutif et législatif, et partagé le pouvoir législatif, avec une sagesse qu’on n’a point encore dépassée. Ils ne se montrèrent pas moins jaloux d’assurer l’obéissance des magistrats, et de maintenir l’égalité civile.

C’est ainsi que dès 1639 on voit établir le principe de la courte durée des fonctions publiques, ce qu’on a nommé en Amérique la rotation des offices. Empêcher le magistrat de se perpétuer dans ses fonctions, de crainte qu’il ne tourne contre le peuple l’autorité même que le peuple lui a confiée, c’est une idée toute républicaine, et qui a toujours été populaire aux Etats-Unis. Quand, avec l’autorité attachée à son titre, un des anciens proposa de donner à vie la place de gouverneur (et il avait en vue Winthrop, le directeur et le père de la colonie), les députés décidèrent à l’instant qu’aucune magistrature ne pouvait durer plus d’un an ; et ce principe reconnu, ils remplacèrent aussitôt leur ancien et cher gouverneur comme à Rome on eût fait d’un consul.

L’égalité civile ne leur était pas moins chère que la liberté. Quand lord Say et Seal, et lord Brook, tous deux amis des puritains, et concessionnaires d’une partie de la Nouvelle-Angleterre, songèrent à passer en Amérique avec leur fortune, ils demandèrent l’institution d’une chambre haute dans la colonie et le privilège héréditaire d’y siéger. Les ministres, les chefs de la plantation, très-disposés à accueillir de pareils alliés, leur offrirent des avantages viagers, mais quant à une dignité héréditaire, ils la refusèrent par la voix de Cotton Mather, et maintinrent l’égalité au nom de la religion.

« Quand Dieu, disait Cotton, bénit une branche de quelque noble et généreuse famille en lui donnant l’esprit et les qualités nécessaires au gouvernement, ce serait prendre le nom de Dieu en vain que de tenir un tel talent sous le boisseau ; ce serait un péché contre l’honneur de la magistrature que de négliger de tels hommes dans nos élections politiques. Mais s’il plaît à Dieu de ne pas douer leurs enfants des qualités nécessaires au magistrat, nous les exposerions, et l’État avec eux, aux reproches et aux dangers, plutôt que nous ne les honorerions, en les appelant à l’autorité quand Dieu ne le veut pas[2]. » Et sur ce principe on repoussa l’établissement de tout privilège héréditaire.

Du reste ces hommes, si jaloux de l’égalité et de la liberté, ne comprenaient pas moins quelles sont les conditions d’un gouvernement ; et nulle part il n’y avait plus d’amour de l’ordre et plus de respect pour la loi. Winthrop, qu’on accusait d’outrepasser son pouvoir parce qu’il refusait de mettre en liberté sous caution des perturbateurs de la paix publique, pouvait prononcer, aux applaudissements publics, les nobles paroles que voici :

« Les questions qui, dans ces derniers temps, ont troublé le pays, touchent à l’autorité des magistrats et à la liberté du peuple. Les magistrats sont certainement une institution de Dieu, et je vous engage à considérer que vous les choisissez parmi vous, qu’ils sont hommes, et sujets aux mêmes passions que vous. Nous jurons de vous gouverner suivant les lois de Dieu et les vôtres, au mieux de notre talent ; si nous commettons des fautes involontairement, par manque de capacité, vous devez les supporter avec nous.

« Ne vous méprenez pas non plus sur votre liberté. Il y a une liberté de faire ce qui nous plaît sans égard à la loi et à la justice ; cette liberté est incompatible avec l’autorité. La liberté civile, la liberté morale, la liberté politique consiste pour chaque citoyen dans la jouissance de sa propriété, dans la protection des lois de son pays ; c’est cette liberté que vous devez défendre au hasard même de votre vie ; mais elle s’accorde parfaitement avec l’obéissance que vous devez au magistrat et avec le respect que commande le caractère dont il est revêtu.[3] »

« La propre fin de l’autorité, disait-il encore, c’est la protection de cette liberté qui a pour objet le bon, le juste et l’honnête. Tout ce qui entrave cette liberté, ce n’est plus autorité, c’est abus[4]. »

Nobles paroles, qui depuis deux siècles n’ont rien perdu de leur gravité, et qui nous disent clairement combien cette poignée de puritains était avancée dans la pratique du libre gouvernement. Qui donc en Europe, au début du règne de Louis XIV, eût compris cette définition si juste de l’autorité : la protection, la garantie de la liberté ?

3. providence, rhode-island[5].

Nous avons vu que les persécutions de l’Angleterre avaient amené la fondation des colonies de New-Plymouth et de Massachussets. À son tour la persécution puritaine en Amérique allait donner un résultat semblable, et le petit État de Rhode-Island lui doit son établissement.

En 1631, c’est-à-dire au début de la colonie de Massachussets, un jeune ministre de Salem, Roger Williams, réclama la liberté religieuse sous le titre de la sainteté de la conscience[6]. Au magistrat civil, suivant lui, il appartenait d’empêcher le crime, mais jamais de contrôler l’opinion ; à lui de punir les fautes, mais non de violer la liberté de l’âme. Et, pour donner à ces principes la sanction de sa conduite, Roger Williams refusa de rester en communion avec l’intolérance, car, disait-il, la doctrine de la persécution pour cause d’opinion est visiblement et tristement contraire à la doctrine de Jésus-Christ.

Contraindre un homme à s’unir avec des gens d’une croyance différente, c’était, aux yeux de Roger Williams, une violation manifeste d’une liberté ou d’un droit naturel ; traîner à l’église celui qui ne croit pas, ou celui qui ne veut pas venir, c’est imposer l’hypocrisie. Personne ne doit suivre ou soutenir un culte contre sa volonté. « Quoi ! s’écrièrent les magistrats étonnés de cette hardiesse d’idées qui devançait de si loin le siècle, est-ce que l’ouvrier ne mérite pas son salaire ? — Sans doute, répondait Roger Williams, mais celui-là seul doit le salaire qui a employé l’ouvrier. »

Par une conséquence nécessaire de la grande et simple vérité qu’il proclamait avec tant de courage, le jeune ministre en venait à demander la séparation complète de l’Église et de l’État, de la croyance et de l’autorité. « Pourquoi, disait-il, choisir exclusivement les magistrats parmi les membres de l’Église. Autant vaudrait choisir un médecin ou un pilote à cause de ses connaissances théologiques, et de son assiduité au service divin ? »

En vain on lui objectait que pour le magistrat c’est un devoir que de garantir de la corruption l’esprit du peuple, c’est un droit que d’arrêter et de punir l’erreur et l’hérésie. Le nouvel apôtre montrait en deux mots que cet argument n’était qu’un sophisme. « Les magistrats, disait-il, ne sont que les agents du peuple, les dépositaires de son autorité ; on ne peut leur conférer une autorité spirituelle, car la conscience appartient à l’individu et non point à l’État ; le magistrat civil ne peut pas même intervenir pour préserver une église de l’apostasie ou de l’hérésie ; son pouvoir ne s’étend qu’aux corps, aux biens, aux actes extérieurs des individus.

« Écarter des âmes ce joug qui les opprime, ajoutait-il avec une assurance prophétique, que l’avenir n’a pas démentie, c’est non-seulement faire un acte de justice et de charité, c’est encore développer une force puissante, c’est engager tous les intérêts, toutes les consciences à conserver la paix et la liberté communes[7]. »

Les idées de Roger Williams sont aujourd’hui le patrimoine de l’Amérique, et c’est là sa gloire, mais à l’époque où il vivait, les puritains infatués de leur doctrine, ne virent dans le nouvel apôtre qu’un homme d’un esprit mal assis et dangereux, car sa doctrine allait à substituer le suffrage universel au gouvernement de l’Eglise privilégiée. Roger, proscrit et menacé, s’enfuit chez les Indiens Narragansets ; il fut accueilli comme un fils par les deux Sachems Miantonomy et Canonicus. Pour eux ce n’était pas un visiteur ordinaire, car, dès son arrivée en Amérique, Roger s’était montré leur défenseur et leur ami ; il avait même écrit en leur faveur, et soutenu avec un esprit de justice peu commun, que la concession du roi d’Angleterre n’avait pu invalider le droit de propriété des premiers habitants.

Ce fut hors du territoire de la colonie de Massachussets, dans le district des Indiens Narragansets, et sur un sol qu’il devait à la générosité des deux Sachems, que Roger Williams, plein de confiance dans la protection de Dieu, fonda en 1636 la ville de Providence, abri destiné à toutes les consciences persécutées et dans lequel s’établirent immédiatement un certain nombre d’habitants de Salem, restés fidèles à leur pasteur[8].

Qu’on ne s’étonne pas de voir des hommes qui n’avaient échappé à la persécution que par l’exil, se faire aussitôt persécuteurs ; c’est l’éternelle histoire de tous les partis en politique comme en religion. Ce n’est que d’hier que nous comprenons la tolérance ; nous n’en sommes pas encore à l’égalité des cultes. En Amérique c’est un fait acquis, une idée passée dans les mœurs, mais il a fallu un siècle pour que les principes séditieux de Roger Williams fussent trouvés raisonnables. À des vérités nouvelles il faut des générations nouvelles, c’est ce que n’entend jamais l’impatience des réformateurs.

À l’époque où parut Roger William, écrivait en 1739 le premier historien de Rhode-Island[9], les vrais principes de la liberté de conscience n’étaient ni connus, ni adoptés par aucune secte chrétienne. Tous les partis pensaient qu’étant seuls en possession de la vérité, ils avaient seuls le droit, dès qu’ils étaient les plus forts, d’étouffer ce qu’ils appelaient l’erreur ou l’hérésie, c’est-à-dire toute opinion qui n’était pas la leur ; c’est seulement quand ils étaient les plus faibles qu’ils demandaient la liberté de conscience. Du reste, en même temps qu’ils écrasaient leurs adversaires, tous les partis repoussaient l’idée de contraindre les consciences, chose si injuste et si absurde, si cruelle et si impie, que tous les hommes rougissent d’une pareille accusation. Le prétexte de la paix publique, la nécessité de préserver de l’infection l’Église du Christ, l’obstination des hérétiques, tels étaient les motifs allégués pour excuser et justifier une conduite que les lumières naturelles et les lois de Jésus-Christ condamnent de la façon la plus solennelle. Roger Williams et John Clark, les deux pères de la colonie, furent les premiers qui affirmèrent publiquement que Jésus-Christ est roi dans son royaume, et que personne autre n’a d’autorité sur ses sujets dans les affaires de la conscience et du salut éternel. Ce n’était donc pas chose particulière au peuple du Massachussets que de se croire obligé en conscience à tirer l’épée du magistrat pour forcer l’intelligence des hérétiques, et à chasser de l’État les infidèles pour qu’ils n’infectassent pas l’Église et ne troublassent pas la paix publique. Ce n’était pas le seul peuple qui s’imaginât servir Dieu, en écrasant ses frères. Toutes les autres sectes agissaient de même, bien convaincues qu’on ne pouvait mieux honorer Dieu, et que c’était le meilleur moyen de répandre l’Évangile de paix et de se montrer les vrais et sincères disciples de Jésus-Christ ; — de Jésus-Christ qui a déclaré que son royaume n’est pas de ce monde, qui a commandé à ses disciples de ne donner à personne ici-bas le nom de maître, qui leur a défendu d’user d’autorité sur la conscience d’autrui, qui leur a ordonné de laisser l’ivraie pousser avec le blé jusqu’à la moisson, et qui enfin nous a donné comme gage et signe de sa religion l’amour mutuel, la paix, la patience et la douceur[10].

L’année même de la fondation de Providence, la colonie de Massachussets fut agitée par des troubles plus sérieux que ceux qu’avait involontairement soulevés le pieux Roger Williams. L’agitation était causée par une femme, Anne Hutchinson, que soutenait le jeune Henri Vane, gouverneur de la colonie, celui-là même qui joua plus tard un grand rôle dans la révolution d’Angleterre, et à la Restauration mourut sur l’échafaud. Anne Hutchinson appartenait à la secte des Antinomiens ; c’étaient des espèces de quiétistes qui poussaient à l’extrême le principe calviniste que la foi seule justifie. En d’autres termes, suivant eux, la sainteté de la vie n’était pas un témoignage qu’on fût en état de grâce avec Dieu ; les œuvres en elles-mêmes ne prouvaient rien ; c’est Dieu qui choisissait lui-même les vases d’élection, et qui par des impressions et des révélations intérieures leur découvrait sa divine volonté. Au premier abord une pareille discussion nous semble oiseuse et bien peu faite pour troubler un État ; mais à une époque où la politique aussi bien que la philosophie prenaient le masque de la théologie, la doctrine des sectaires cachait une attaque des plus dangereuses contre le parti des puritains. Si la foi seule justifie, à quoi bon toutes les formalités, toutes les cérémonies d’une Église établie ? Si l’esprit saint habite dans chaque croyant, si la révélation de l’esprit est supérieure au ministère, tout aboutit en dernier ressort au jugement individuel. Cette opinion était donc la négation du ministère, par conséquent la destruction d’une influence alors toute puissante dans l’État. La colonie fut mise en feu par ces questions qui aujourd’hui nous paraissent puériles, comme paraîtront à nos successeurs plus d’une des questions qui partagent aujourd’hui les assemblées ; la politique a sa scolastique comme la religion, et c’est une mousse parasite qui étouffe aussi fatalement l’une que l’autre.

On essaya de conférences amiables, on fixa des jours de jeûne et d’humiliation, un synode général fut convoqué, et enfin, après des dissensions qui menacèrent la colonie d’une dissolution complète, en 1638 Anne Hutchinson fut exilée et ses opinions proscrites.

Elle partit pour le sud avec un grand nombre de sectaires qui restaient attachés à sa fortune ; l’intention de ces nouveaux émigrants était d’établir une plantation à Long-Island ou sur la baie de la Delaware. Mais Roger Williams les retint dans son voisinage, en leur faisant accorder par Miantonomy, le chef indien des Narragansets, l’île charmante qu’ils nommèrent Rhode-Island.

La colonie s’établit aussitôt sur le nouveau territoire, après avoir dressé un contrat de gouvernement comme avaient fait les pèlerins de New-Plymouth. Quant aux formes de l’administration on les prit dans l’Ancien-Testament. William Coddington, un des partisans les plus ardents de la prophétesse, fut élu juge du nouvel Israël, et on lui donna trois anciens pour l’assister.

Deux ans plus tard, la colonie ayant prospéré, il devint nécessaire d’établir une constitution ; il fut donc décidé et unanimement agréé par tous les propriétaires réunis en corps :

« Que le gouvernement serait une démocratie (le mot est dans l’original), ou gouvernement populaire, c’est-à-dire qu’il serait au pouvoir du corps des planteurs (freemen), régulièrement assemblés, ou de la majorité, de faire et constituer les justes lois par lesquelles ils entendent être régis, et de choisir parmi eux des ministres qui les fissent exécuter fidèlement d’homme à homme. »

On ordonna de plus que personne ne serait inquiété pour sa croyance ; la loi de la liberté de conscience fut déclarée perpétuelle, et enfin, en signe de la charité chrétienne qu’ils professaient, et en laquelle seule ils espéraient le triomphe de leur doctrine, les colons prirent pour armes de l’État un faisceau de dards avec la devise : Amor vincit omnia.

Telles furent les lois établies par le parti d’Anne Hutchinson. Comme un même esprit animait les deux émigrations, l’union des deux colonies était inévitable, et se fit bientôt sous le nom commun de Rhode-Island. Mais les puritains du Massachussets n’entendaient pas supporter le dangereux voisinage de la liberté religieuse ; ils inquiétèrent des plantations pacifiques sur lesquelles ils n’avaient aucun droit. Anne, effrayée par les ministres ses ennemis qui l’accusaient de sorcellerie (c’était une menace de mort), se sauva sur le territoire de la Nouvelle-Belgique, où elle fut tuée par les sauvages ; quant à Roger Williams, il partit pour solliciter la protection de la mère-patrie : c’était en 1643.

Roger fut accueilli comme un saint missionnaire. Henri Vane, qui était revenu en Angleterre, lui obtint du parlement (Charles I était alors exilé de sa capitale) une charte qui assurait à la colonie un gouvernement libre et indépendant ; et cet acte, qui mettait Rhode-Island à l’abri de ses dangereux voisins, fut renouvelé et étendu en 1663, au début de la restauration. Charles II fut toujours favorable aux colonies démembrées du Massachussets, province trop chérie des puritains pour être bien venue des Stuarts.

Je n’entre point dans le détail de cette charte, c’est toujours la même distribution des pouvoirs publics ; l’autorité exécutive confiée à un gouverneur et dix assistants ; le pouvoir législatif remis à une assemblée unique, qui est composée du gouverneur, des assistants et des députés, et qui, dans un temps donné, se divise en deux chambres (pour Rhode-Island, c’est en 1696 que se fit cet inévitable changement) ; je veux seulement extraire de cet acte ce qui concerne la liberté de religion, car c’est là qu’est la gloire de Rhode-Island, et si chaque colonie était prise pour la personnification d’un principe, Rhode-Island partagerait cet honneur avec le catholique Maryland, d’avoir inauguré et représenté dans le nouveau monde la tolérance religieuse. C’est assez pour rendre à jamais immortel le plus petit État de l’Union.

La charte commence par reproduire la pétition de Roger Williams et des autres demandeurs en concession d’une patente royale.

« Dans leur humble adresse, dit le roi Charles II[11], ils ont franchement déclaré qu’ils ont à cœur de prouver par une expérience éclatante, qu’un État très-florissant peut exister et se maintenir parfaitement parmi les Anglais nos sujets, avec une pleine liberté en matière de religion, et que la vraie piété fondée sur les principes de l’Évangile, donnera à la royauté la meilleure et la plus grande des sécurités, et mettra dans le cœur des hommes les plus fortes obligations de la véritable loyauté ;

« Nous donc, désireux d’encourager l’entreprise féconde de nos bien-aimés et loyaux sujets, voulant leur assurer le libre exercice et la libre jouissance de leurs droits civils et religieux, et leur conserver cette liberté de foi et de culte qu’ils ont poursuivie avec tant de peines, de douceur et de loyauté ;

« Et tenant compte de ce que dans la colonie il y a des personnes, qui dans leur opinion ne peuvent se conformer à l’exercice de la religion suivant la liturgie, la forme et les cérémonies de l’Église d’Angleterre, ni prêter, ni souscrire les serments et articles faits et établis à ce sujet ;

« Songeant en outre (ceci est curieux comme accusant l’absurdité de ce mélange adultère de la politique et de la religion), qu’en raison du grand éloignement il n’est pas à craindre que cette exception fasse brèche à l’uniformité établie et maintenue dans notre royaume ;

« Nous ordonnons,

« Que personne dans ladite colonie ne soit à l’avenir molesté, puni ou recherché pour différence d’opinions en matière de religion, mais qu’au contraire chacun ait pleine et entière liberté de conscience et de jugement en ce point, pourvu qu’il se comporte paisiblement, et qu’il ne tourne pas cette liberté en licence ou profanation, en injures ou trouble à autrui. »

Certes c’est là une noble déclaration et dont il serait difficile de trouver un second exemplaire dans le xviie siècle ; mais il est triste de voir combien cet acte est peu d’accord avec les persécutions domestiques autorisées par le même monarque dans son règne dissolu ; il n’est pas moins triste de penser combien cet esprit de tolérance a trouvé peu d’imitateurs parmi les autres colonies de la Nouvelle-Angleterre.

Du reste, comme il arrive toujours quand on a sur les yeux les écailles qu’y met l’esprit de parti, les colons et surtout les ministres du Massachussets ne comprenaient rien au progrès de cette plantation qui pendant quarante ans eut le bonheur de jouir des conseils et de l’exemple du bon et pieux Williams. « Cette colonie, écrivait en 1695 le fougueux et intolérant Cotton Mather, est un ramas d’antinomiens, de familistes, d’anabaptistes, d’arminiens, d’antisabbatistes, de sociniens, de quakers, de convulsionnaires, en un mot de tout excepté de vrais chrétiens ; si un homme perdait sa croyance il serait sûr de la retrouver dans quelque village de Rhode-Island : Bona terra, mala gens[12]. »

On en jugeait autrement dans la colonie, et cette petite démocratie qui se réunissait au son du tambour, ou à la voix du crieur, sous quelque vieux chêne ou sur le rivage de la mer, pour discuter ses lois et choisir ses magistrats, avait bien plus que la grande plantation de Massachussets, la conscience de sa mission, le sentiment de la vérité sur laquelle son fondateur l’avait assise.

« Notre État populaire, disent les registres publics, ne tournera pas, comme quelques personnes le conjecturent, à l’anarchie, ce qui serait la tyrannie commune, car nous avons le plus vif désir de conserver chacun de nous dans sa personne, son honneur et ses biens[13]. »

Jacques II, en attaquant les chartes coloniales, ne respecta pas celle que son frère avait accordée à Rhode-Island ; la colonie rendit son privilège en 1686, mais pour le reprendre aussitôt après la révolution de 1688 ; elle le conserva jusqu’en 1776.

Bien plus, à ce moment, quand tous les États, en pleine possession de la souveraineté, rédigèrent des constitutions nouvelles, ou du moins réformèrent leurs anciennes chartes, Rhode-Island conserva la patente de Charles II ; elle l’a gardée jusqu’en 1842. C’est le dernier État de l’Union qui ait modifié sa constitution ; et dans le fait qu’y pouvait-on changer ? Il y avait deux siècles que Roger Williams lui avait donné pour base le suffrage universel, et la séparation absolue de l’Église et de l’État ; la philosophie et la politique n’ont pas encore été plus loin.

4. connecticut et new-haven.

C’est aussi à une émigration du Massachussets que le Connecticut doit sa naissance. Suivant Robertson, dont l’opinion est, il est vrai, combattue par Bancroft, la rivalité des deux principaux ministres de la colonie puritaine, Gotton et Hooker, décida ce dernier à émigrer en 1636 avec ses adhérents dans la fertile vallée du Connecticut, où déjà étaient entrés quelques pionniers hollandais de Manhattan (aujourd’hui New-York).

Pour s’établir il fallut lutter contre les Indiens Pequod, et faire une guerre sanglante qui ne finit que par l’extermination des sauvages. Maîtres enfin de ce domaine qui appartenait en partie au Massachussets, et en partie à lord Warwick, les émigrants, sans trop s’inquiéter du titre primitif, s’organisèrent comme la colonie de Plymouth et de Rhode-Island, par une association volontaire, et un contrat de gouvernement.

Cette constitution fut toute puritaine et toute démocratique ; l’esprit de religion et l’esprit de liberté s’y déployèrent jusqu’à l’extrême.

Le droit électoral fut donné à tous les citoyens qui avaient prêté serment de fidélité à l’État. Les magistrats et la législature furent choisis annuellement au scrutin, et les représentants furent partagés entre les districts (towns) proportionnellement à la population.

C’était, comme on voit, une parfaite démocratie ; aussi le Connecticut, comme Rhode-Island, a-t-il attendu près de deux siècles avant de changer sa constitution, et encore les altérations qu’on y a introduites n’ont guère touché que la liberté religieuse ; quant à la liberté politique, elle était trop complète pour qu’on y pût rien ajouter.

Pour ce qui concerne l’organisation religieuse de la plantation, et la sévérité toute puritaine des mœurs et des idées du temps, les lois de la colonie de New-Haven, établie à la même époque et dans le même pays, en diront plus que toutes les réflexions.

En 1638 une émigration puritaine alla fonder New-Haven sous la conduite de son pasteur John Davenport, et de l’excellent Théophile Eaton, qui pendant vingt ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, fut chaque année élu gouverneur par le respect de ses administrés.

Les colons tinrent leur première réunion sous un chêne, et Davenport leur fit un long sermon pour leur dire que comme le Fils de l’homme, ils étaient conduits dans le désert pour y être tentés. Après un jour de jeûne et de prière, ils établirent la première forme de gouvernement par cette simple convention : qu’ils seraient gouvernés par les règles de l’Écriture. La charte du Connecticut portait également que le gouverneur et les assistants administreraient la justice suivant les lois établies dans la colonie, et à défaut de lois établies, suivant la règle instituée par la parole de Dieu[14].

Quand un an plus tard la colonie voulut se donner une constitution plus complète, les fidèles serviteurs de celui qui était né dans une étable s’assemblèrent dans une grange ; là, par l’influence du ministre Davenport, il fut solennellement reconnu que l’Écriture était la règle parfaite d’un État ; que la pureté de la foi et le maintien de la discipline étaient la grande fin de l’ordre civil, et que par conséquent les membres de l’Église pouvaient seuls avoir le droit de cité.

On élut ensuite un comité de douze membres pour choisir sept personnes chargées d’organiser le gouvernement ; Eaton, Davenport et cinq autres furent élus et nommés les sept piliers de la nouvelle maison de sagesse dans le désert.

En août 1639, les sept piliers, ayant achevé leur œuvre, convoquèrent en assemblée générale tous les membres de l’Église, expliquèrent d’après les sacrés oracles quel était le caractère des magistrats civils et ordonnèrent des élections annuelles. La parole de Dieu fut de nouveau proclamée la seule règle des affaires publiques. C’est ainsi que New-Haven fît son code de la Bible, et prit les saints pour électeurs.

Les villes qui s’établirent dans le voisinage s’organisèrent sur le même plan ; chacune d’elles fut une maison de sagesse, reposant sur ses sept piliers, et aspirant à être éclairée par la lumière éternelle. Les planteurs se préparaient pour la seconde venue du Messie qu’ils attendaient avec confiance, tout en étendant la colonisation dans le fertile pays où rien ne troublait leur progrès.

Cette organisation empruntée de la Bible et qui nous transporte à tant de siècles en arrière, est plus sensible dans la colonie naissante de New-Haven que dans l’État de Massachussets ; mais à Boston, comme à Hartford, comme à New-Haven, c’est le même esprit, le même sentiment religieux.

Dans les trois colonies, par exemple, on avait admis l’égale succession des fils, suivant la coutume anglaise des terres tenues en commun socage ou roturièrement, mais on donnait double part à l’aîné, non point par une idée aristocratique, mais parce que la loi juive l’ordonnait ainsi.

En Massachussets, comme à New-Haven, le droit criminel était emprunté littéralement du Lévitique et de l’Exode.

L’idolâtrie, la sorcellerie, le blasphème, la trahison, le meurtre, le faux témoignage, l’adultère, la révolte du fils en certains cas, étaient punis de mort, parce que Moïse l’avait ainsi ordonné ; quant au vol, les lois de Massachussets refusent de le considérer comme un crime capital, malgré les prescriptions des lois anglaises, par cette raison, est-il dit, que nous lisons autrement dans les saintes Écritures.

Dans une société où la Bible était la loi de l’État, où le magistrat et le prêtre se confondaient, c’était une conséquence toute naturelle que la morale, qu’on ne séparait point du culte, fût dans les attributions de l’autorité. De là une suite de règlements touchant la vie privée qui nous étonnent par leur sévérité, et dont les plus curieux sont restés célèbres sous le nom de Lois bleues.

Il n’est point de péché que dans la Nouvelle-Angleterre on ne punît de la main du magistrat ; on a vu que l’adultère emportait la mort. Ce châtiment, ce n’était pas seulement, comme dans nos lois, la vengeance de l’époux outragé, c’était encore la punition du péché. L’historien de Massachussets, Hutchinson, nous rapporte, à la date de l’année 1643, un exemple singulier de cette confusion de la morale et du droit[15].

Une femme mariée avait eu des relations avec un jeune homme ; devenue veuve elle l’épousa. Plusieurs années se passèrent d’une union tranquille, quand on vint à soupçonner l’intimité qui avait jadis régné entre les deux amants devenus paisibles époux ; ils furent poursuivis criminellement, mis en prison, et peu s’en fallut qu’on ne les condamnât à mort pour une faute qui assurément méritait d’être couverte par l’oubli.

Les lois du Connecticut sont remplies de ces mesures où l’intervention indirecte du magistrat nuit infiniment plus à la société que le désordre qu’on entend réprimer.

Le simple commerce entre gens non mariés était un crime que le magistrat avait le droit de punir de trois façons, de l’amende, du fouet ou du mariage. Dans un livre curieux intitulé les Antiquités de New-Haven, on voit qu’une femme coupable d’avoir cédé à son amant, est condamnée au fouet d’abord, et ensuite à épouser son complice[16] ; à la date de 1660 une jeune fille accusée d’avoir prononcé quelques paroles légères et de s’être laissé prendre un baiser, est condamnée à la réprimande et à l’amende. Vers la même époque, à Boston, une respectable matrone, coupable d’une intempérance de langage, était bâillonnée, attachée à sa porte et donnée ainsi en spectacle pour lui apprendre à être plus réservée à l’avenir. Une autre était excommuniée pour avoir critiqué le prix d’un ouvrage d’ébénisterie.

La paresse et l’ivrognerie n’étaient pas moins surveillées. Quand un étranger entre dans l’une des deux hôtelleries de Boston, nous dit un écrivain du xviie siècle, il est suivi par un homme qui a cette charge spéciale, et qui se joint à lui sans invitation. Si l’étranger demande à boire plus qu’il n’en peut sobrement porter au jugement de l’officier public, ce dernier contremandera la boisson demandée et n’en laissera pas donner une goutte de plus que la quantité qu’il aura jugé convenable. Sancho n’était pas mieux gardé dans son gouvernement de Barataria.

Dans cette voie de réglementation, il n’y a pas de limites, surtout quand l’opinion pousse les magistrats. Au dernier siècle les philosophes ne pouvaient assez tourner en ridicule les prescriptions auxquelles les jésuites avaient soumis les Indiens du Paraguay. Mais assurément elles étaient raisonnables en comparaison des ordonnances puritaines.

L’assemblée générale de 1624 à Boston s’occupa de l’habillement des deux sexes, et ordonna entre autres choses que nulle personne, homme ou femme, ne pût porter de vêtements qui eussent plus d’un crevé à chaque manche ; les ceintures d’or et d’argent, les chapeaux de castor furent défendus comme un luxe coupable. Quelques années après, en 1639, on défendit de porter des toasts, sous peine de douze deniers par chaque offense. On rendit en même temps une nouvelle loi somptuaire par laquelle il était défendu de porter de la dentelle ou du point. Il était défendu aussi de faire des manches courtes découvrant les bras, et elles ne devaient pas avoir plus d’une demi-aune dans leur plus grande largeur[17].

Enfin, on appelait la réforme des hauts-de-chausse de largeur immodérée, des rubans, des nœuds d’épaule, des collerettes et des manchettes, et les esprits avancés de l’époque, les purs, formaient à Boston une association pour prévenir le luxe des longs cheveux.

On entre dans ces détails, non pas pour jeter quelque variété sur l’exposé un peu aride de l’histoire coloniale (ce qui après tout serait permis), mais parce que cette peinture de mœurs fera mieux saisir le caractère formaliste des puritains, et permettra de comprendre comment au xviie siècle, en Amérique comme en Hollande, on pouvait prendre pour principe de gouvernement la liberté politique la plus grande, sans que la société fût troublée un seul instant. C’est que la sévérité des mœurs, la régularité des habitudes, la rigidité de la morale religieuse, ne laissaient à la liberté qu’un champ des plus limités, et en la modérant la rendaient bienfaisante et sans danger.

Certes, rien n’est plus ridicule qu’une loi qui proscrit les perruques et les longs cheveux, défend l’usage du tabac comme une impureté, ou s’occupe d’autres détails non moins puérils. Rien n’est plus bizarre que cette mascarade juive où le gouverneur de Connecticut devient le juge du Nouvel-Israël, où les magistrats de New-Haven sont les sept piliers de la maison de sagesse ; mais ce n’est là que l’apparence, la forme extérieure, le vêtement de la secte puritaine. Sous ce vêtement, dont la coupe antique et surannée fait rire l’observateur superficiel, se cachait un véritable esprit de liberté. Ce sont, on le répète, ces manières formalistes qui, en déteignant sur les mœurs, en donnant aux habitudes de la vie une austérité particulière, en proscrivant le relâchement et le luxe, en désarmant en quelque sorte l’ambition, ont permis tous les excès de la liberté politique, car les mœurs y faisaient un perpétuel contre-poids qui empêchait la balance de perdre l’équilibre.

Mœurs ou lois, il faut que l’esprit humain soit contenu. L’homme n’a plus besoin d’autorité quand il est sorti de l’enfance, parce qu’il est à lui-même sa règle et son autorité. Ainsi en est-il du corps politique ; la liberté et la moralité se tiennent, et l’une est d’autant plus grande que l’autre est plus étroite. Politiquement parlant, les mœurs n’ont qu’un intérêt secondaire dans une monarchie constituée comme était celle de Louis XIV ; elles sont tout dans une république.

Ce formalisme subsiste encore dans la Nouvelle-Angleterre, et lui conserve son caractère. Tandis que dans le sud l’esclavage altère les mœurs, le nord a jusqu’à ce jour défendu ses usages ; aussi est-il resté le pilier de la démocratie. Le respect de la religion, la sanctification du dimanche, la lecture de la Bible, donnent encore aujourd’hui aux mœurs une sévérité qui, dans l’habitant de Boston, permet de reconnaître l’ancien puritain, et c’est ainsi qu’en empêchant jusqu’à l’apparence du luxe et du désordre, la tradition maintient l’esprit d’égalité sans lequel il n’y a pas de république possible.

C’est ce qu’on oublie trop dans des pays où des habitudes moins austères font du pouvoir une proie plus désirable, en y attachant de plus dangereuses séductions. On sent bien qu’une république n’est point possible sans l’égalité ; on comprend moins que ce sont les mœurs bien plus que les lois qui la donnent. L’égalité devant la loi, il y a soixante ans que nous l’avons ; mais la sévérité de la morale publique, nous l’attendons encore. Nous en approchons, je le crois, et le moment n’est pas loin où l’opinion, sans être aussi exigeante que dans la Nouvelle-Angleterre, sera cependant bien plus rigide que par le passé. C’est ce qu’il est facile d’observer au théâtre et dans la société. L’ivrognerie, le jeu, le duel, l’adultère ont cessé d’être de bonne compagnie ; le luxe des dernières années de la monarchie a contribué à sa chute ; évidemment nous en arrivons, sinon à la sévérité, du moins à la jalousie puritaine ; la moralité publique n’y gagne, dit-on, qu’en apparence, mais l’apparence, soutenue par l’opinion, finit bientôt par devenir la vérité, et c’est toujours une excellente chose que l’intérêt et la vertu soient d’accord.


  1. Ramsay, American révolution, I, p. 9.
  2. Bancroft, I, 385.
  3. Wynne, British Empire in America, I, p. 69.
  4. Bancroft, I, 436.
  5. John Callender, an historical discourse on the civil and religions affairs of the Colony of Rhode-Island, dans le 4e volume des Collections of the Rhode-Island historical society. Providence, 1838.
  6. Voyez l’exposé des idées de R. Williams dans les Collections of the Rhode-Island historical Society, t. IV, p. 190 et suiv.
  7. Bancroft, I, 371.
  8. Bancroft, I, 379.
  9. John Callender. Je ne crois pas qu’en toute l’Europe, à la même date, on eût trouvé une déclaration de principes aussi libérale et aussi chrétienne.
  10. Franklin a écrit contre la persécution une parabole, où il a imité avec son esprit ordinaire le langage de l’Écriture. Elle a été publiée par lord Kaimes, dans ses Essais sur l’histoire de l’homme, t. II, p. 492. La voici ; elle est ici fort à sa place et n’a pas moins d’à-propos qu’au premier jour :

    « Et il arriva après cela qu’Abraham était assis à la porte de sa tente, vers le coucher du soleil.

    « Et voici qu’un homme courbé par l’âge, venait du chemin du désert, appuyé sur un bâton.

    « Et Abraham se leva et alla au-devant de lui et lui dit : « Entrez, je vous prie, et lavez vos pieds, et reposez-vous cette nuit ; et vous vous lèverez demain de bonne heure pour continuer votre chemin. »

    « Et l’homme dit : « Non, je me tiendrai sous cet arbre. » Mais Abraham le pressa vivement, si bien qu’il céda, et ils entrèrent dans la tente, et Abraham prépara du pain sans levain, et ils mangèrent.

    « Et quand Abraham vit que l’homme ne bénissait pas Dieu, il lui dit : « Pourquoi n’adorez-vous pas le Dieu suprême, créateur du ciel et de la terre ? »

    « Et l’homme répondit : « Je n’adore pas votre Dieu et je n’invoque pas son nom, car je me suis fait à moi-même un dieu qui se tient toujours dans ma maison, et me fournit de toutes choses. »

    « Et le zèle d’Abraham fut enflammé contre cet homme, et il se leva, et, se jetant sur lui, il le chassa dans le désert à force de coups.

    « Et Dieu appela Abraham, disant : « Abraham, où est l’étranger ? »

    « Et Abraham répondit : « Seigneur, il ne voulait pas vous adorer ni invoquer votre nom ; c’est pourquoi je l’ai chassé loin de ma face dans le désert. »

    « Et Dieu dit : « L’ai-je supporté depuis trois cent quatre-vingt-dix-huit ans, l’ai-je nourri et habillé, malgré sa rébellion contre moi, pour que toi, un pécheur, tu ne puisses le supporter une seule nuit ? » (Political, Miscellaneous and Philosophical pièces, written by B. Franklin. In-4, London, 1779, p. 72.)

  11. Voy. cette charte dans le tome IV des Collections, etc., p. 241 et suiv.
  12. Warden, Description des États-Unis, t. I, p. 519.
  13. Bancroft, I, 427.
  14. Story, I, 73.
  15. Tocqueville, I, 61.
  16. Tocqueville, I, 61.
  17. North Am. Review, oct. 1849.