Histoire posthume de Voltaire/Pièce 36

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Garnier
éd. Louis Moland

XXXVI.

PROCÈS-VERBAL
de replacement
DES SARCOPHAGES DE VOLTAIRE ET DE ROUSSEAU.

L’an mil huit cent trente, le quatre septembre, à quatre heures de relevée,

Nous, Dauphin-Louis-Victor Raffeneau, commissaire de police de la ville de Paris, quartier Saint-Jacques, officier de police judiciaire, auxiliaire de monsieur le procureur du roi ;

En exécution des instructions en date du 26 août dernier, par lesquelles monsieur le conseiller d’État, préfet de police, nous charge de nous concerter avec messieurs les délégués de monsieur le directeur des travaux publics de Paris, pour rétablir, conformément aux intentions du ministre de l’intérieur, à la place qu’ils occupaient précédemment dans la nef souterraine du Panthéon, les sarcophages de Voltaire et de Rousseau, qui, en 1821, ont été enlevés et transférés dans les caveaux situés sous le porche de ce monument, nous sommes transportés au Panthéon, où, ayant trouvé M. Baltard, architecte de ce monument, spécialement délégué à cet effet par monsieur le directeur des travaux publics de Paris, nous sommes descendus, accompagnés du sieur Boucault, inspecteur, dans les galeries souterraines, et y avons vu deux sarcophages, l’un contenant le cercueil de Rousseau, placé à la seconde travée de la galerie du nord, et l’autre contenant le cercueil de Voltaire, placé vis-à-vis, à la deuxième travée de la galerie du midi.

M. Baltard nous ayant dit que, d’après les intentions de monsieur le directeur des travaux publics, ces deux sarcophages ont été, il y a peu de jours, retirés des caveaux où ils pourrissaient, et transférés au lieu où ils sont actuellement, et qui est celui où ils étaient antérieurement à 1821.

Nous avons procédé à leur examen, et avons constaté ce qui suit :

Le cercueil renfermant les cendres de Rousseau est en plomb, parfaitement soudé, si ce n’est au centre de l’arête supérieure, du côté du nord, une légère crevasse qui provient évidemment d’une rupture faite dans le transport, et ne présente aucune effraction.

Sur la plaque supérieure est gravée en creux l’inscription suivante :

Hic jacent ossa Joannis-Jacobi Rousseau,
anno 1778.

Ledit cercueil est enclavé dans un sarcophage en bois peint et sculpté, mais dans un tel état de dégradation que la moitié du couvercle est tombée en morceaux lors du transport ; l’autre moitié, qui fait face au midi, est dans le plus grand état de délabrement, ainsi que tout le reste de ce monument, aujourd’hui couvert d’une mousse moisie, produite par l’humidité excessive et perpétuelle du caveau dans lequel il est resté si longtemps.

Sur chacun des deux grands côtés du parallélogramme on aperçoit encore quelques traces de cette inscription :

Ici repose l’homme
de la nature et de la vérité.

Le cercueil renfermant les cendres de Voltaire est extérieurement en bois de chêne, parfaitement intact ; deux bandes de scellés que M. Boucault déclare y avoir été apposées en 1821 existent encore, ainsi que les cachets ; seulement la bande placée du côté du midi est légèrement endommagée, mais sans qu’il y ait aucune trace d’effraction.

Le sarcophage, également en bois, est aussi très-dégradé, mais beaucoup moins cependant que celui de Rousseau, parce qu’il était déposé dans un caveau au midi, où les infiltrations sont moins abondantes, et l’humidité moins permanente.

Le couvercle est surmonté d’une boule et d’une lyre ; presque tous les ornements sont brisés, et tombent de vétusté.

On lit encore sur les côtés de ce sarcophage les inscriptions ci-après, savoir :

Sur le petit côté, vers l’est :

aux mânes de voltaire,
l’assemblée
nationale
a décrété, le 30 mai

1791, qu’il avait mérité
les honneurs dus aux
grands hommes.

Sur celui de l’ouest :

il défendit
calas, sirven,
de la barre,
montbailly, etc.

Sur le grand côté vers le nord :

poëte, historien,
philosophe, il
agrandit l’esprit
humain, et lui
apprit qu’il
devait être libre.

Sur celui du midi :

il combattit les
athées et les fanatiques
il inspira la tolérance.
il réclama les droits
de l’homme contre la servitude
de la féodalité.

Ensuite dudit examen, nous avons été conduits dans les caveaux où les deux sarcophages avaient été déposés en 1821, et nous sommes assurés que c’est seulement à leur humidité et au défaut d’air que doit être attribué l’état de dégradation desdits sarcophages.

À cinq heures moins un quart, les jour et an que dessus, a été clos le présent procès-verbal, qui a été dressé en double original, dont l’un sera envoyé à monsieur le conseiller d’État, préfet de police, et l’autre à monsieur le directeur des travaux publics de Paris ; et nous avons signé, ainsi que messieurs Baltard et Boucault.

Ainsi signé : Raffeneau, Baltard, Boucault.

Pour copie conforme,
Le conseiller d’État, directeur des bâtiments civils,
Hély d’Oissel.


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