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Histoire secrète de la reine Zarah/Traduction d’une lettre

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TRADUCTION D’UNE Lettre écrite à Madame la Ducheſſe de Marlborough le 10 : Octobre 1711.

MADAME,

Tous mes ſoins & ceux des Milords… chargez de vos inſtructions, & dont les interêts avoient tant de rapport aux nôtres, n’ont ſervi qu’à avancer nôtre perte commune. Je ſuis le plus malheureux & la plus à plaindre de la Famille, puiſque vous ſçavez, Madame, qu’il n’a tenu qu’à moi de conſerver mes Emplois, & même de parvenir à de plus grands, ſi j’avois tant ſoit peu voulu m’écarter des interêts des perſonnes qui ſont ſi cheres à mon Epouſe ; vous n’aprouvâtes pas le plan que je vous envoyai il y a quelque tems ; vous me marquâtes ſeulement, ,, que Milord Duc s’étoit acquis un merite & une reputation dans liEurope., dont il n’étoit redevable qu’à Dieu ; que rien ne ſeroit capable de le détruire, puiſque la grande alliance ne pouvoit ſe paſſer d’un homme, dont elle connoiſſoit la valeur & dont elle venoit de ſaire une nouvelle experience dans ce qui s’étoit paſſé à la vûë de Bouchain. Vous ajoûtiez, Madame, qu’il convenoit à ſa gloire & à la vôtre, rendre nôtre ſortune abſolument dépendante de la réputation de ce grand General, qui ſçauroit nous proteger & nous ſaire rendre juſtice, en abbaiſſant quelque jour le parti qui vous étoit oppoſé ; que vous aviez en main des moyens, ( dont vous ne pouviez pas vous expliquer,) qui renverſeroient bien-tôt toutes les conſpirations ſaites contre votre autorité, & que nous verrions ramper auprés de vous, ceux dont une ſotte vanité rendoient trop orgueilleux, & qu’une fortune précipitée avoit trop tôt élevé pour pouvoir ſe bien connoître eux-mêmes.

Si vous aviez été pour lors à la Cour, je crois, Madame, que vous auriez changé de ſentiment, ſur tout ſi vous aviez donné quelque attention aux diſcours envenimez que chacun tenoit ſur vôtre compte, & du peu de cas qu’on faiſoit des ſervices de Milord Duc ; Bien loin de lui ſçavoir quelque gré de ce qu’il avoit ſi ſouvent exposé la vie pour la gloire de la Nation & pour la liberté de l’Europe, on lui impute (de même qu’à vous & à Milord G…) d’avoir été les principaux inſtrumens de la Guerre, qui a comme épuisé la Grande Bretagne : On vous a accuſé en particulier „ d’avoir ſi fort broüillé les principales Familles de l’Etat, qu’on ne voyoit par tout que diſſentions, haines Page:Manley - Histoire secrete de la reine Zarah.djvu/295 Page:Manley - Histoire secrete de la reine Zarah.djvu/296 Page:Manley - Histoire secrete de la reine Zarah.djvu/297 Page:Manley - Histoire secrete de la reine Zarah.djvu/298 Page:Manley - Histoire secrete de la reine Zarah.djvu/299 lui. C’eſt le ſeul de nos Generaux, pour qui la victoire n’a point ſait paroître d’inconſtance ; lors qu’elle a paru vouloir l’abandonner, ce n’a été que pouſ le couronner d’une plus grande gloire : mais enſin tout eſt ſujet à la viciſſitude, lors que la tempête eſt trop irritée, les meilleurs Notonniers ne ſont pas difficulté de plier leurs voiles.

Comme les Hollandois ont refuſé de conſentir à une nouvelle expedition aprés la priſe de Bouchain, il paroît que par cette glorieuſe conquête, Milord Duc aura terminé ſa campagne. Je ne doute pas qu’avant ſon retour il ne paſſe à la Haye, & qu’il ne ſaſſe connoître aux Etats Generaux, l’interêt qu’ils ont de ne pas donner les mains à la concluſion de la Paix, juſques à ce qu’on ait chaſſé les François & les Eſpagnols de l’Amerique. Cet objet doit les flâter plusque tout autre avantage ; s’ils demeurent fermes là-deſſus, j’eſpere. que Milord Duic reſtera à la tête de l’Armée, & peut-être que par quelque heureuſe revolution, nous verrons, Madame, changer la ſace des aſſaires en ce Royaume qui tourneront à vôtre ſatisfaction, & à l’avantage de vôtre famille. Quoi-qu’il arrive, je chercherai toûjours à vous prouver, dans l’adverſité comme dans la proſperité, que perſonne n’eſt plus veritablement que moi, MADAME, Vôtre, &c.