Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/04

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Chapitre III.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre III.

Chapitre V.


CHAPITRE IV

LES ARMÉES ET LES FLOTTES

(thermidor an II à ventôse an III — juillet 1794 à mars 1795.)

Le 9 thermidor, le territoire français était reconquis sur l’ennemi qui, à cette date, n’occupait plus dans le nord de la France, Landrecies venant de se rendre (29 messidor-17 juillet), que Le Quesnoy, Valenciennes et Condé. Le Quesnoy tombait entre les mains de nos troupes commandées par Scherer, le 28 thermidor (15 août) — la reddition de cette ville était connue à Paris une heure après ; ce fut la première nouvelle transmise par le télégraphe de Chappe tout récemment installé, — Valenciennes capitulait le 10 fructidor (27 août) et Condé le 13 (30 août). La mollesse de Pichegru avait empêché la jonction de l’armée du Nord et de l’armée de Sambre-et-Meuse (22 messidor-10 juillet) d’avoir le résultat qu’on pouvait en attendre ; au lieu de profiter de leur réunion pour chercher à avoir successivement raison des Anglais et des Autrichiens, les deux armées se séparèrent et, d’autre part, furent, quelque temps, arrêtées dans leurs opérations par les trois sièges mentionnés plus haut.


VOUS FERIEZ MIEUX D’ALLER À L’ARMÉE.
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


Mais l’armée de la Moselle qu’étaient venues (9 thermidor-27 juillet) renforcer des troupes tirées de la Vendée, avait reçu l’ordre, afin de faciliter les opérations de Jourdan et de Pichegru, de marcher sur Trêves, tout en contenant la garnison autrichienne de Luxembourg. Sous les ordres du général René Moreaux, qu’il ne faut pas confondre avec le général Victor Moreau, elle s’emparait, le 21 thermidor (8 août), des positions de Pellingen et, le 22 (9 août), entrait à Trêves ; si on excepte deux ou trois petits combats, elle restait inactive dans les environs jusqu’au début de vendémiaire (fin septembre), ayant à ses côtés des armées prussiennes et autrichiennes quatre fois plus nombreuses qu’elle.

L’armée du Nord, qu’avait rejointe la division de Moreau rendue libre par la capitulation de l’Écluse (8 fructidor-25 août), se trouvait peu de jours après à Turnhout. Pichegru, qui la commandait, avait en face de lui l’armée anglaise et l’armée hollandaise en mouvement de retraite continuel. Pour le moment, le duc d’York, commandant de la première, campait sous Bois-le-Duc, et le prince d’Orange, chef de la seconde, n’allait pas tarder à établir son quartier général à Gorkura ou Gorinchem. Vers la fin de fructidor (début de septembre), l’armée du Nord atteignait Tilburg, remportait, le 28 (14 septembre), un succès à Boxtel, à 10 kilomètres au sud de Bois-le-Duc, à la suite duquel le duc d’York passait le lendemain la Meuse à Grave et se retirait entre Grave et Nimègue. Continuant sa marche, l’armée du Nord investissait Bois-le-Duc ; dès le 8 vendémiaire an III (29 septembre 1794), le commandant du fort Crèvecœur, un peu au nord de Bois-le-Duc, se rendait honteusement et, le 19 (10 octobre), les troupes françaises prenaient possession de Bois-le-Duc où elles trouvaient artillerie et provisions en quantité considérable. Le 27 (18 octobre), elles franchissaient la Meuse, refoulant l’ennemi dans le camp retranché de Nimègue en vue duquel elles arrivaient le 3 brumaire (24 octobre). Le gros de l’armée du Nord se rassemblait devant Nimègue et cette place était prise le 18 (8 novembre). D’autre part, le 5 (26 octobre), avait eu lieu la reddition de Venlo, et Moreau se dirigeait vers Trêves où il joignait la gauche de l’armée de Sambre-et-Meuse.

Au début de thermidor an II (fin juillet 1794), l’armée de Sambre-et-Meuse campait au-dessus et au-dessous de Liège où elle était entrée le 9 (27 juillet). Attendant la fin des opérations de siège du Quesnoy, de Valenciennes et de Condé, elle avait en face d’elle les Autrichiens à la tête desquels Clerfayt remplaçait, le 28 août, le prince de Cobourg. Rejointe, après la capitulation de Condé, par Scherer qui, avec des renforts, arriva à Huy le 28 fructidor (14 septembre), l’armée de Sambre-et-Meuse était sous les ordres de Jourdan. Kleber en commandait l’aile gauche. Son aile droite, dont Scherer devait prendre le commandement dès son arrivée, avait passé la Meuse à Huy et à Namur et forcé, le 27(13 septembre), le passage de l’Ourthe. Cinq jours après, elle battait les Autrichiens qui se retiraient d’abord vers Aix-la-Chapelle, où elle entrait le 2 vendémiaire an III (23 septembre 1794), puis derrière la Roer ; ils avaient leur centre à Aldenhoven protégé par la place de Juliers, leur gauche à Dunron et leur droite dans la direction de Roermond, quand Jourdan décida de les attaquer. Le 11 (2 octobre), la bataille s’engageait ; nos soldats, n’ayant pas la patience d’attendre la construction d’un pont, traversaient la Roer à la nage et enlevaient à la baïonnette les retranchements ennemis. À minuit, les Autrichiens que l’artillerie de Juliers avait sauvés de la déroute, battaient en retraite ; le 12 (3 octobre), Jourdan, qui s’apprêtait à bombarder Juliers, trouvait cette plaine évacuée. L’armée impériale poursuivie repassa le Rhin dans la soirée du 14 (5 octobre) et les troupes républicaines entrèrent le 15 (6 octobre) à Cologne. Tandis que la gauche de l’armée de Sambre-et-Meuse rejoignait l’armée du Nord par Wesel et Clèves, une division de droite sous les ordres de Marceau se dirigeait vers Coblenz et, le 2 brumaire (23 octobre), avait lieu sa jonction avec les deux divisions de gauche de l’armée de la Moselle. Kleber était resté en arrière pour bloquer Maastricht où le prince de Hesse-Gassel capitulait, le 14 (4 novembre), livrant 330 canons et d’immenses approvisionnements.

L’armée du Rhin, dont le général en chef était Michaud, avait, à la fin de messidor (juillet), dans des opérations combinées avec l’armée de la Moselle, réussi à séparer les Prussiens des Autrichiens. Depuis la marche de Moreaux sur Trêves, elle gardait la défensive, mais elle fut attaquée par l’armée prussienne ; si celle-ci écrasait, le 3e jour sans-culottide (19 septembre), la division Meynier à Kaiserslautern, elle était chassée de cette ville le 10 vendémiaire (1er octobre) grâce à un renfort expédié par Moreaux. Néanmoins tous ces combats n’aboutissaient à rien de décisif, lorsque la bataille de la Roer et la retraite de Clerfayt sur la rive droite du Rhin vinrent changer la face des choses en contraignant l’ennemi à rétrograder. Pendant que l’aile droite, sous Desaix, entrait, le 17 (8 octobre), dans Frankenthal — par elle évacué le 21 (12 octobre), mais repris le 24 (15 octobre), — le 27 18 octobre) dans Worms, le 1er brumaire (22 octobre) dans Oppenheim, l’aile gauche, sous Gouvion Saint-Cyr, était, le 20 vendémiaire (11 octobre) à Lauterecken où elle rencontrait la droite de l’année de la Moselle, le 24 (15 octobre) à Ober-Moschel, le 1er brumaire (22 octobre) à Alzey, et l’armée prussienne de Mœllendorf, qui s’était repliée sous Mayence, passait à son tour le Rhin comme, nous venons de le voir, l’armée impériale l’avait fait deux semaines avant. En brumaire (novembre), le général Michaud recevait l’ordre de s’emparer de la tête du pont de Mannheim et d’assiéger Mayence que deux de ses divisions, réunies à trois divisions de l’armée de la Moselle, bloquaient sur la rive gauche du Rhin depuis la fin d’octobre. Avec l’aide d’une division de l’armée de la Moselle, Michaud faisait capituler le fort, tête du pont de Mannheim, le 5 nivôse (25 décembre). Kleber, détaché à son grand regret de l’armée de Sambre-et-Meuse et chargé de la direction des travaux pour Mayence, devant laquelle il arrivait le 10 frimaire (30 novembre), montra dans un mémoire très détaillé adressé le 4 nivôse an III (24 décembre 1794) au comité de salut public (Révolution française, revue, t. XLI, p. 490), toutes les difficultés d’un siège, en hiver, sans l’artillerie et les approvisionnements nécessaires, alors que la place était sous la garde de 20 000 Autrichiens appuyés par deux armées de plus de 150 000 hommes. N’ayant pas été écouté, il songea très sagement à garantir surtout ses troupes et, malgré les sorties de la garnison et les attaques dont la plus sérieuse avait été celle du 11 frimaire (1er décembre), il réussit à exécuter, sur la rive gauche du Rhin, une ligne de circonvallation. Dégoûté de l’obstination du comité de salut public et des représentants en mission à imposer aux troupes, pendant un hiver exceptionnellement rigoureux, des souffrances qui devaient être inutiles tant que les communications de la ville avec la rive droite subsisteraient, Kleber se décida, le 23 pluviôse (11 février), à quitter son commandement ; il fut remplacé par le général Schaal.

De même que pour l’armée du Rhin, la bataille de la Roer et le passage du Rhin par les troupes de Clerfayt eurent un heureux résultat pour l’armée de la Moselle, en obligeant les troupes qui surveillaient celle-ci à Trêves, à se replier. Le 16 vendémiaire (7 octobre), Moreaux quittait ses positions devant Trêves ; sa droite, sous les ordres du général Ambert, marcha par Birkenfeld, Oberstein et Kirn sur Kreuznach ; elle joignit, on vient de le voir, l’aile gauche de l’armée du Rhin le 20 (11 octobre) et occupa Kreuznach le 25 (16 octobre) ; le centre se dirigea sur Simmern et entra, le 29 (20 octobre), dans Bingen ; la gauche se porta par Trarbach, Kochem et Mayen sur Coblenz où, avec la division Marceau de l’armée de Sambre-et-Meuse, elle entra, le 2 brumaire (23 octobre). Le 12 (2 novembre), l’armée de la Moselle s’emparait de Rheinfels, près de Saint-Goar, au sud de Coblenz ; Maastricht, on se le rappelle, capitulait le 14 (4 novembre), de sorte qu’il ne restait plus aux armées de la coalition, sur la rive gauche du Rhin, que Mayence et Luxembourg, où tenaient les Autrichiens. Tandis que trois divisions de l’armée de la Moselle participaient au siège de Mayence, trois autres divisions de cette armée investissaient Luxembourg. Pendant ce blocus que l’hiver rendit très pénible, le général René Moreaux mourut le 21 pluviôse an III (9 février 1795). D’abord le général Ambert par intérim, puis le général Hatry, lui succédèrent à la tête de l’armée d’investissement.

Après la prise de Maastricht et de Nimègue, l’invasion de la Hollande était inévitable. Alors que Pichegru avait établi les troupes dans leurs cantonnements pour la mauvaise saison, le comité de salut public ordonnait une campagne d’hiver qui, malgré les souffrances du froid s’ajoutant au dénûment des troupes, n’en offrait pas moins des avantages par la gelée des cours d’eau dont la multiplicité sur un sol spongieux contribuait, dans les autres saisons, à rendre la guerre particulièrement difficile. Pichegru (Mémoires sur Carnot par son fils, t. Ier, p. 480-481) fit des objections ; quoiqu’il fut très bien vu — trop bien vu — à Paris, les représentants l’obligèrent à obéir.

Le 22 frimaire (12 décembre) avait eu lieu une tentative infructueuse contre l’île de Bommel ; les fleuves charriaient, on attendit qu’ils fussent pris. Enfin la Meuse étant complètement gelée fut franchie le 7 nivôse (27 décembre) par 17 degrés au-dessous de zéro, et les Hollandais de Bommel mis en déroute se retirèrent à Gorkum. Le lendemain, Grave bloqué depuis quelque temps se rendait ; mais il fallut rester dans l’île de Bommel, la glace n’étant pas encore suffisamment solide sur le Waal. Les soldats républicains, plus enthousiastes que leur général en chef, « attendant, d’après Jomini (Histoire critique et militaire des campagnes de la Révolution, t. VI, p. 191), le froid avec autant d’impatience que d’autres troupes désirent la belle saison, soupiraient après le moment où la gelée serait assez forte ». Du 19 au 21 nivôse (8 au 10 janvier), ils pouvaient enfin commencer sérieusement à traverser le Waal ; l’armée anglaise, dont le duc d’York, parti le 2 décembre pour l’Angleterre, avait laissé le commandement au général Walmoden, reculait derrière le Rhin. Le 25 (14 janvier), Heusden, bien que sa garnison fût plus nombreuse que les assiégeants, capitulait. Les Anglais, qui étaient entre Wageningen et Arnhem, se portaient sur l’Ijssel d’Arnhem à Zutphen ; à leur suite, l’armée française entrait le 27 (16 janvier) à Wageningen, le 28 (17 janvier) à Utrecht et à Arnhem.

Abandonné par Walmoden, le stathouder Guillaume V se présentait le 17 janvier devant les États pour leur communiquer sa résolution de s’éloigner, puis allait s’embarquer à Scheveningen. Les États de Hollande décidaient aussitôt que les troupes hollandaises n’opposeraient aucune résistance et que des commissaires se rendraient immédiatement au quartier général de Pichegru ; le 1er pluviôse (20 janvier), les représentants en mission entraient, aux acclamations de la foule, dans Amsterdam occupé la veille. Voici ce que Jomini (t. VI, p. 214) dit de l’attitude des soldats à cette occasion : « L’histoire racontera avec quelle résignation de paisibles citoyens arrachés de leurs foyers, transformés en soldats par une loi, après avoir bivouaqué un mois entier dans le terrible hiver de 1794, sans bas, sans souliers, privés même des vêtements les plus indispensables et forcés de couvrir leur nudité avec quelques tresses de paille, franchirent les fleuves glacés et pénétrèrent enfin dans Amsterdam, sans commettre le moindre désordre ».

Le 1er pluviôse (20 janvier), on prenait possession de Dordrecht, le 2 (21 janvier), de Rotterdam, le 3 (22 janvier), de la Haye ; la province de Zélande devait se soumettre le 15 (3 février). Le 4 (23 janvier), se produisait un des plus étonnants incidents de cette extraordinaire campagne : la reddition d’une partie de la flotte hollandaise que la glace immobilisait dans le port du Heider, en face de l’Île de Texel, était obtenue par le 3e bataillon de tirailleurs de la 131e demi-brigade, les 700 cavaliers du 5e hussards et deux batteries du 8e régiment d’artillerie, sous les ordres du chef de bataillon Lahure (Bonnal, La guerre de Hollande et l’affaire du Texel). Les Anglais ayant évacué Kampen et Zwolle dès l’arrivée à Harderwijk de l’avant-garde de Pichegru, celui-ci marcha tout de suite sur l’Ijssel. L’armée de Sambre-et-Meuse, rendue libre par la retraite de l’ennemi, avait remplacé l’armée du Nord aux alentours de Clèves ; sa division de gauche reçut l’ordre d’occuper Doesborgh et de garder l’Ijssel et le Rhin à l’est d’Arnhem. Cette division, une seconde de l’armée de Sanbre-et-Meuse et celle de Moreau constituèrent sur la rive droite du Rhin un corps d’observation d’Emmerich à Enschede, tandis que la division Macdonald, de l’armée du Nord, pénétrait dans la province de Groningue dont les Anglais tenaient encore une partie. Ceux-ci avaient évacué Coevorden où entrait, le 23 pluviôse (11 février), un bataillon de grenadiers qui avait fait, le dégel étant venu, près de deux lieues dans l’eau jusqu’à la ceinture. Le 1er ventôse (19 février), les Français étaient à Groningue et atteignaient ensuite l’Ems où le dégel les arrêtait. Pendant ce temps, Moreau expulsait l’ennemi du comté de Bentheim et la forteresse de ce nom tombait entre ses mains. Le territoire des Provinces-Unies se trouvait dégagé ; les Français étaient maîtres de toute la rive gauche du Rhin, de la Suisse à la mer du Nord.

Sur les Alpes, ils étaient maîtres de la chaîne depuis la Méditerranée jusqu’au mont Blanc. Après le départ pour Paris de Robespierre jeune (début de messidor-fin juin) avec un plan d’opérations combinées des armées des Alpes et d’Italie, l’armée des Alpes, dont le général Petit Guillaume avait, le 16 messidor (4 juillet), reçu du général Dumas le commandement en chef par intérim — le général Moulin devait être nommé à ce poste le 17 vendémiaire an III (8 octobre 1794) et prendre le commandement le 11 frimaire (1er décembre) — se préparait à assiéger Exilles et à marcher, conjointement avec l’armée d’Italie commandée par le général Du Merbion, sur Coni ; comprenant le danger, l’archiduc Ferdinand, gouverneur de la Lombardie, se décidait enfin à soutenir les Sardes, et un corps autrichien s’avança en Piémont. Les troupes républicaines étaient déjà arrivées à Boves, quand elles reçurent (20 thermidor-7 août) l’ordre de se replier sur le col de Tende. Trois jours avant s’était produit un incident dont j’emprunte le récit textuel à Jomini (t. VI, p. 104) :

Le duc de Monferrat « se présenta, le 4 août, en ordre processionnel, sous la bannière de la Vierge, avec dix à douze mille paysans soutenus de quelques bataillons de ligne, devant Garessio. Les éclaireurs de la 46e brigade, étonnés de ce spectacle nouveau, dans une saillie de valeur folle, caractéristique de l’esprit du temps, passèrent leurs fusils en bandoulière, et marchèrent en dansant à la rencontre de ces ennemis de nouvelle espèce. Le combat ne fut ni long ni sanglant : les soldats de la Vierge prirent la fuite, après quelques décharges mal ajustées. Les républicains, dédaignant de tels prisonniers, se contentèrent de rapporter, en guise de trophée, la bannière de la patronne qui les avait si mal protégés ».

Le comité de salut public craignant, après la chute de Robespierre, des insurrections comme après la chute des Girondins, avait, par arrêté du 10 thermidor (28 juillet) parvenu le 18 (5 août), prescrit d’arrêter toutes les opérations. C’est ainsi qu’à l’offensive prise depuis floréal (avril), succéda un mouvement général de retraite qui, les généraux piémontais s’efforçant de le troubler, donna lieu, le long de la chaîne des Alpes, à des engagements incessants dans lesquels les avantages se balanceront sans grande importance. Alors même qu’on avait ordre de rester sur la défensive, on était dans la nécessité de refouler l’ennemi pour fournir aux troupes les moyens d’existence. Aussi, le 1er vendémiaire an III (22 septembre 1794), à la suite de plusieurs combats, l’armée des Alpes occupait Cairo et Dego, tandis que Du Merbion s’avançait jusqu’à Vado. Effrayé, l’archiduc Ferdinand rappelait précipitamment les troupes autrichiennes à Alexandrie. L’hiver, long dans cette région montagneuse, fut calme sous le rapport des hostilités ; mais nos soldats dépourvus de tout et malades souffrirent beaucoup. Scherer avait été, le 13 brumaire (3 novembre), nommé au commandement de l’armée d’Italie en remplacement de Du Merbion qui obtenait sa retraite ; mais, désigné le 13 ventôse (3 mars 1795) pour commander l’armée des Pyrénées orientales, il remettait, le 16 floréal (5 mai), le commandement à Kellermann replacé à la tête des armées des Alpes et d’Italie par le même décret ; celui-ci avait été acquitté par le tribunal révolutionnaire le 18 brumaire an III (8 novembre 1794).

Dans les Pyrénées orientales, où le général en chef était Dugommier, les Espagnols avaient été, dès messidor (début de juillet 1794), chassés de partout, sauf du fort de Bellegarde qui domine le Perthus et se trouvait bloqué. Le 24 thermidor (11 août), pour répondre à la lettre par laquelle le général en chef espagnol La Union avait refusé de ratifier la capitulation de Collioure, signée le 7 prairial (26 mai) par le général Navarro, et de remettre en liberté les prisonniers français, la Convention avait pour la seconde fois rendu un décret de guerre à mort. Mais, tandis que, dans le décret du 7 prairial an II (26 mai 1794), elle s’était bornée à dire trop durement et trop sommairement : « Il ne sera fait aucun prisonnier anglais ou hanovrien », dans celui du 24 thermidor elle s’efforçait d’établir qu’il n’y avait de sa part que représailles, et voici comment elle s’exprimait à oe sujet :

« Art. 5. — À défaut par le général en chef de l’armée espagnole d’exécuter sur-le-champ la capitulation de Collioure en restituant les prisonniers français, la Convention nationale décrète qu’il ne sera plus fait de prisonniers espagnols, et que les prêtres et les nobles espagnols seront pris en otage dans tous les lieux où se porteront les armées des Pyrénées orientales et occidentales.

« Art. 6. — La Convention nationale dénonce à tous les peuples le général espagnol comme violateur du droit des gens et de la foi des traités. »

Parler avec respect du droit des gens est bien, concevoir ce droit avec plus d’humanité eût été mieux, et il faut reconnaître que rien n’aurait justifié de telles représailles, si elles avaient été exercées ; heureusement, nous allons le voir, il n’en fut rien. Sachant les assiégés de Bellegarde aux abois, La Union tenta un effort pour les sauver ; mais, le 26 thermidor (13 août), grâce surtout au général Mirabel qui y perdit la vie, il fut vaincu à San Lorenzo de la Muga, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Figueras, et, le 2e jour sans-culottide de l’an II (18 septembre 1794), Bellegarde capitulait : malgré le décret du 24 thermidor, Dugommier, avec l’autorisation des représentants en mission, fit grâce à la garnison et la Convention eut le bon esprit de ne pas le désavouer. Bien mieux, le 10 nivôse an III (30 décembre 1794), elle rapporta les deux décrets du 7 prairial et du 24 thermidor. Le 5e jour sans-culottide (21 septembre), La Union reprenait l’offensive et était de nouveau battu. Pendant ce temps, le général Charlet avait raison des insurgés en Cerdagne et réussissait en brumaire (octobre) à pacifier cette région, du moins pour quelques mois. Cependant l’armée française ne tardait pas à être dans la plus pénible situation, sans vivres ni possibilité d’en obtenir ; elle en était arrivée au point de devoir ou rentrer en France et disputer aux habitants le peu qu’ils avaient, ou vaincre pour conquérir les moyens de vie, lorsque des négociations entamées depuis le 4 vendémiaire an III (25 septembre 1794) aboutissaient, le 26 brumaire (16 novembre) à des propositions définitives de paix. Découragée par les échecs et voyant dans le 9 thermidor le prélude d’une restauration monarchique, la cour de Madrid était, en effet, disposée à traiter. Mais, malgré cet état d’esprit, le point d’honneur des Espagnols de ne jamais avouer une infériorité, amena le roi Charles IV à poser des conditions absolument folles ; la France, demandait-il, « rendra au fils de Louis XVI les provinces limitrophes de l’Espagne dans lesquelles il régnera souverainement et gouvernera seul en roi ».

Ce fut considéré comme un outrageant défi et ce n’était pas de nature à retenir l’armée républicaine déjà portée à marcher de l’avant par la nécessité de conquérir les moyens de subsistance qui lui faisaient défaut. Dans la matinée du 27 brumaire (17 novembre), elle se mettait en mouvement pour attaquer les lignes fortifiées établies entre la Muga et Figueras. La lutte d’abord indécise tournait déjà à son avantage, quand Dugommier tomba mortellement frappé par un éclat d’obus. Après quarante-huit heures de répit pour se préparer à ses nouvelles fonctions, Pérignon, qui le remplaça, recommençait l’attaque le 30 (20 novembre). La Union était tué, quatre-vingt redoutes prises et le camp espagnol enlevé. Le 2 frimaire (22 novembre), Rosas et Figueras étaient menacées ; le 7 (27 novembre), cette dernière place capitulait sans lutte et l’officier qui en commandait la forteresse la remettait le lendemain avec ses magasins encombrés de munitions et d’approvisionnements de toute espèce. À propos de cette reddition, Jomini, reconnaissant

Prise de la flotte hollandaise.
(D’après une sépia originale de l’époque, Bibliothèque nationale).
que l’idée défendue par des combattants est une force, dit (t. VI, p. 139) que des personnes « affirment que cet événement fut le résultat des progrès que les maximes démocratiques avaient faits parmi les troupes espagnoles ». Malheureusement les troupes françaises dénuées de tout, tombant dans un pays où tout était en abondance, se livrèrent à des excès qu’on ne saurait trop flétrir. Entamé dès le lendemain de la bataille de la Muga, l’investissement de Rosas était achevé le 4 frimaire (24 novembre) ; après un siège très pénible, pour lequel il fallut hisser des canons sur des hauteurs escarpées, Rosas capitula le 15 pluviôse (3 février), sans que, pendant les soixante-dix jours de siège, l’armée espagnole, abattue, risquât la moindre tentative pour le faire lever. Et, comme réponse à Charles IV, le lendemain de l’entrée à Rosas, les soldats républicains y fêtaient l’anniversaire ajourné du 21 janvier. Un décret du 13 ventôse (3 mars) attribua le commandement en chef à Scherer ; et Pérignon qui, à ce propos, écrivait à un ami : « À quelque part que je sois employé, ma place fût-elle la dernière, je serai toujours content et je m’efforcerai qu’on le soit de moi », (Campagnes de la Révolution française dans les Pyrénées orientales, par Fervel, t. II, p. 296), attendit sans rancune l’arrivée de son remplaçant.

À l’autre extrémité des Pyrénées, au 9 thermidor, l’armée des Pyrénées occidentales, dont Moncey commandait la gauche et Frégeville la droite, sous les ordres du général Muller, était sur le territoire espagnol. Le jour même du 9 thermidor (27 juillet), Moncey traversait la Bidassoa ; le 14 (1er août), un camp espagnol, établi entre cette rivière et Hernani, était enlevé sans grande résistance, les troupes espagnoles se retiraient en désordre dans cette dernière ville et, le soir même, Fontarabie capitulait. Le lendemain, les soldats français prenaient Renteria, Pasajes, et arrivaient à Saint-Sébastien. Un parlementaire, le capitaine La Tour d’Auvergne, était aussitôt envoyé au gouverneur qui, dès le 17 (4 août), signait la capitulation et les vainqueurs étaient reçus avec enthousiasme par les habitants. D’autre part, les hauteurs d’Hernani évacuées par les Espagnols étaient occupées et, le 22 (9 août), Tolosa était prise. En attendant des renforts qui, envoyés de l’armée de l’Ouest, rejoignirent vers la fin de fructidor (milieu de septembre), il y eut dans les opérations un temps d’arrêt. Moncey, devenu général en chef, le 14 fructidor (31 août), à la place de Muller admis à la retraite, en profita pour établir un camp retranché à Saint-Sébastien. Ensuite, à gauche, on délogea les Espagnols de la vallée de Roncevaux encore en leur pouvoir et on s’empara d’une partie de la Navarre (brumaire-octobre) ; à droite, le général Antoine Marbot, après quelques opérations (début de frimaire-fin de novembre), installa solidement les troupes dans leurs quartiers d’hiver. Celles-ci étaient fatiguées, mal nourries et victimes d’une terrible épidémie de typhus. Les adversaires restèrent dans l’inaction jusqu’en ventôse (mars), l’armée française étant dévorée par une effroyable mortalité, et le général espagnol Colomera jugeant préférable de laisser la maladie faire son œuvre.

Sur mer, après la bataille du 13 prairial (1er juin) entre la flotte de Villaret-Joyeuse et celle de l’amiral anglais Howe où sept de nos vaisseaux furent perdue et cinq démâtés, les rencontres furent moins graves, mais non dépourvues d’intérêt. Le 6 fructidor (23 août), la frégate la Volontaire et la corvette l’Espion firent preuve de vaillance pendant les combats inégaux qui eurent lieu à peu de distance l’un de l’autre dans la baie d’Audierne. Le 2 brumaire (23 octobre), le contre-amiral Nielly partait de Brest pour croiser dans la Manche et, le l6 (6 novembre), il capturait l'Alexander avec lequel il rentrait à Brest. En frimaire (décembre), était réunie dans ce dernier port une armée navale comptant 34 vaisseaux de ligne, 13 frégates et 16 corvettes. On eut le tort, malgré l’avis, il faut le dire, de Villaret-Joyeuse, de vouloir mettre à la voile dans cette saison, sous prétexte de croiser dans le golfe de Gascogne et de protéger le passage dans la Méditerranée de 6 vaisseaux sous les ordres du contre-amiral Renaudin. Un appareillage, le 3 nivôse (23 décembre), n’eut d’autre résultat que le naufrage du Républicain ; cinq jours après, on prenait la mer ; mais, le 10 pluviôse an III (29 janvier 1795), une épouvantable tempête engloutissait cinq vaisseaux et en mettait deux hors de service. La flotte, y compris la division de Renaudin, revint à Brest d’où ce dernier repartit en ventôse (fin de février) ; par suite de mauvais temps ; il n’arrivait à Toulon que le 14 germinal (3 avril).

Dans la Méditerranée, le contre-amiral Martin, avec sept vaisseaux, défia, de la fin de prairial au début de brumaire (16 juin au 1er novembre), l’escadre anglaise de l’amiral Hood forte de 14 vaisseaux et à laquelle s’était bientôt jointe une escadre de 15 vaisseaux espagnols. Martin trouva à sa rentrée, le 11 brumaire (1er novembre), huit nouveaux vaisseaux armés à Toulon, où il passa l’hiver. Avec ces 15 vaisseaux il appareillait, le 13 ventôse (3 mars), afin de seconder les opérations de transport et de débarquement d’un corps de 6 000 hommes dans l’île de Corse, tout entière aux mains des Anglais, Calvi ayant dû capituler le 14 thermidor an II (1er août 1794). Le 17 ventôse (7 mars), l'Alceste s’emparait du Berwick ; mais, le 25 (15-mars), entre Noli et Alassio, le Ça ira, démâté par accident, et le Censeur, qui le remorquait, séparés du reste de la flotte, étaient, après une héroïque résistance, pris par l’escadre anglaise du vice-amiral Hotham. Martin regagna avec les transports le golfe Jouan, puis la rade de Toulon où se trouvait Renaudin. Quelques incidents sans grande importance avaient eu lieu dans la mer du Nord, à Tunis, dans la mer de l’Archipel où une petite division prit une corvette anglaise (4 frimaire an III-24 novembre 1794), mais se fit bloquer dans le port de Smyrne. Ce qui continuait à faire le plus de mal à l’Angleterre, c’étaient les « corsairiens », comme on disait alors, les vaillants marins qui, n’étant pas pris par le service de l’État, couraient sus aux bâtiments de commerce ennemis.

Au 9 thermidor, la France avait, sauf la Guyane, le Sénégal, l’île de France ou Maurice et l’île Bourbon ou de la Réunion, à peu près perdu toutes ses colonies. Le 14 prairial an II (2 juin 1794), les deux commissaires envoyés par la Convention, Victor Hughes et Chrétien, débarquaient à la Guadeloupe ; le dernier ne devait pas tarder à mourir ; mais Victor Hugues, après des alternatives de revers et de succès, s’était finalement déjà rendu maître de la Guadeloupe (nivôse-fin décembre) quand, le 17 nivôse an III (6 janvier 1795), lui arrivèrent 1 500 hommes de renfort.

On a vu tout à l’heure que la Convention avait, le 10 nivôse an III (30 décembre 1794), rapporté les articles des deux décrets prescrivant de ne plus faire de prisonniers anglais, hanovriens et espagnols. Quatre jours après, elle rapportait également une mesure de rigueur prise contre les biens des étrangers originaires des pays avec lesquels la France était en guerre. Par décision, en effet, du 18 messidor an 11 (6 juillet 1794), l’agence des domaines avait dû prendre possession des meubles et immeubles leur appartenant et les administrer comme les autres biens nationaux ; de plus, il avait été ordonné à ceux qui avaient en mains des fonds ou effets appartenant à des habitants des pays ennemis, de les déposer contre récépissé dans les caisses publiques ; or la loi du 14 nivôse an III (3 janvier 1795) mit fin à ce séquestre. En conséquence, les biens des étrangers séquestrés, à l’exception de ceux des « princes étrangers » et des « corps, communautés et bénéficiers ecclésiastiques », furent, avec leurs produits, rendus à leurs propriétaires, et les fonds qui avaient été versés dans les caisses publiques remboursés aux personnes qui les avaient déposés.