Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/11-9

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Chapitre XI-S8.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre XI-S9.

Chapitre XII.


§ 9. — Agriculture.

Le morcellement du sol qui avait commencé sous l’ancien régime, continué sous la Révolution et qu’augmentèrent plus tard les opérations des spéculateurs englobés sous le nom de « bande noire », n’a jamais correspondu à la répartition de la propriété ; à n’importe quelle époque, on a vu comme maintenant plusieurs parcelles appartenir au même propriétaire et le nombre des propriétaires être moindre que le nombre des parts de propriété. Si la Révolution a cependant élevé le nombre des paysans propriétaires — il y eut fréquemment, dans les achats des biens nationaux, rivalité entre acquéreurs bourgeois et paysans ; les premiers ont dû être moins nombreux que les seconds, mais leurs lots, principalement près des villes, ont été beaucoup plus considérables que ceux des autres — elle les a surtout affranchis des charges qui, avant elle, pesaient sur leurs propriétés. Cette division et cette libération du sol contribuèrent à accroître encore le nombre de ceux qui se livraient à l’agriculture et le prestige de la propriété foncière. Celle-ci prit une importance telle que l’intérêt de ses détenteurs eut une action prépondérante sur le régime politique et social. C’est eux que le gouvernement s’efforça avant tout de rassurer et de protéger ; nous avons dit dans le chapitre précédent que l’article 374 de la Constitution de l’an III leur avait garanti l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux. Ils se prononcèrent de leur côté pour les gouvernants qu’ils jugeaient capables de les défendre le mieux contre les velléités de retour à l’ancien ordre des choses ; la conservation de l’ordre économique établi par la Révolution, quels que pussent être les sacrifices à subir par ailleurs, resta leur inébranlable règle de conduite : parlant des acquéreurs des biens nationaux dans un rapport de l’an IX (1801) sur la Seine et les départements environnants, le général Lacuée disait : « leurs plus grands ennemis sont les prêtres » (Rocquain, État de la France au 18 brumaire, p. 255), constatant par là implicitement et la politique faite par les prêtres et la répudiation de cette politique par le paysan.

La possibilité de garder désormais pour eux tout le produit de leur propriété, poussa les paysans à vouloir grossir ce produit, à étendre leurs cultures habituelles et, en particulier, la plus importante, celle des céréales (Décade philosophique du 20 frimaire an IV-11 décembre 1795, t. VII) ; « jamais on n’avait cultivé et ensemencé une si grande étendue de terre », disait, à la fin de l’an II, Robert Lindet dans un rapport cité plus haut (début du paragraphe 7). Mais les paysans agirent sans la moindre méthode. Les bras manquant pour tous leurs travaux, ils avaient appelé les ouvriers des villes, au point que le comité de salut publie crut devoir intervenir à l’égard des ouvriers employés aux ateliers de l’artillerie et des armes : instruit que plusieurs d’entre eux, « cédant à l’appât du gain qui leur est offert par les habitants des campagnes, abandonnent leurs travaux pour se livrer à l’agriculture », le comité décida, par arrêté du 12 thermidor an III-30 juillet 1795 (Moniteur du 21 thermidor-8 août 1795), qu’ils ne pourraient dorénavant les abandonner qu’après avoir obtenu de leur directeur un congé visé par la Commission des armes et poudres, et que les particuliers ne pourraient les employer sans ce congé.

La Décade philosophique du 10 prairial et du 10 fructidor an 11-29 mai et 27 août 1794 (t. Ier, p. 211 et t. 11, p. 201,), nous apprend que, malgré la campagne entreprise depuis quelques années en faveur de la pratique des prairies artificielles, le moyen le plus usité de rendre au sol sa fertilité, l’amendement par excellence, était toujours l’usage de la jachère absolue, c’est-à-dire du repos absolu de la terre laissée improductive pendant un an. Dans certaines régions arriérées, par exemple dans le Gers, la plupart des terres n’étaient semées qu’une année sur deux ; quelques rares étaient « tiercées », c’est-à-dire cultivées comme il va être dit (bulletin du 23 pluviôse an VII-11 février 1799, de la Société libre d’agriculture du Gers). Le mode de culture le plus habituel à l’époque que nous étudions, consistait à diviser, dans chaque exploitation, les terres labourables en trois portions à peu près égales ; chacune d’elles était à tour de rôle ensemencée, une année en blé ou en seigle, l’année suivante en grains d’une autre espèce, en avoine, par exemple, ou en orge, et restait, la troisième année, inoccupée (Bibliothèque physico-économique de Parmentier et Deyeux, volume de 1794, p. 30). Il en était ainsi dans le Cher qui n’était cependant pas un département mal cultivé, (Journal des arts et manufactures, t. III, p. 482). Les Annales de l’agriculture, de Tessier et Rougier-Labergerie, admettaient (t. III, p. 36) qu’il y avait « un tiers des terres en repos ». D’après de Pradt (De l’état de la culture en France, 1802, t. 1er, p. 139), trop communes en France, les jachères absolues « règnent sur presque toute son étendue » ; elles tenaient un peu plus du tiers des terres labourables (Ibidem, p. 170). De la sorte, tous les ans un tiers de chaque exploitation en moyenne ne portait que de mauvaises herbes, les deux autres tiers — et chaque tiers pendant deux années consécutives — des céréales. Cet arrangement se reproduisait sans la plus légère variété, « l’ordre des trois soles est le sujet d’une condition qui se met presque toujours dans les baux de terres labourables » (Nouveau cours complet d’agriculture, d’après Rozier, par les membres de la section d’agriculture de l’Institut de France, 1809, t. II, p, 172). Quoiqu’on recommandât alors (voir toutes les publications ci-dessus), à la place de ce procédé détestable, de ne pas semer deux années de suite dans la même terre des plantes de même nature, de renoncer à la jachère et d’alterner la culture des céréales avec celle de la pomme de terre, du turnep ou des légumineuses telles que le trèfle, la luzerne, le sainfoin et le lupin, François (de Neufchâteau), ministre de l’Intérieur, écrivait, le 2 thermidor an VI (20 juillet 1798), dans une circulaire : « Le trèfle est encore inconnu dans une partie de la France. Les funestes jachères stérilisent encore un tiers de ce grand territoire » (Moniteur, du 23 thermidor-10 août 1798). Sauf dans le Nord et une partie de la Normandie, la prairie artificielie est une exception, et la culture des légumineuses est plus rare que celle des prairies artificielles (de Pradt, Ibidem, t. Ier, p. 146).

Dans une intéressante réponse (Archives nationales F11, 1173) à une circulaire du 5 vendémiaire an V (26 septembre 1796) adressée par le ministre de l’Intérieur aux administrateurs du département de l’Eure, un citoyen Chanoine s’occupait de la situation agricole. Il signalait l’insuffisance, comme moyen de féconder la terre, de la pratique des très nombreux labours préparatoires et des jachères, toujours en vigueur dans l’Eure et dans les départements environnants ; il préconisait l’emploi des marnes et des engrais, surtout l’enfouissement d’herbages verts pratiqué dans le pays de Caux, la culture alternée des grains, des « plantes qui fournissent des prés artificiels, et des légumes surtout les espèces à graine ronde », et l’augmentation du bétail. À ses yeux, le mal résidait principalement dans l’esprit d’économie mal entendue des propriétaires se refusant à dépenser pour dessécher les terres trop humides, pour arroser celles qui ne le sont pas et qui pourraient l’être, pour corriger les vices des terres trop légères ou trop fortes par des mélanges convenables, dans la brièveté des baux de neuf ans, dans le droit de parcours sur les terres dépouillées de leurs récoltes ou en jachère, dans le morcellement trop grand des propriétés. Il se hâtait d’ajouter, d’ailleurs, qu’il n’était pas également facile de remédier à ces maux et que, par exemple pour le droit de parcours, « des usages qui touchent de si près la partie la moins aisée des habitants de la campagne, ne pourraient se détruire sans une commotion dangereuse ; il y aurait même de l’imprudence à retrancher ces abus ». Ce qu’il fallait, d’après lui, c’était rallier l’opinion aux idées justes, c’étaient « des règlements plus instructifs que prohibitifs ».

Au lieu d’opérer l’extension, par lui poursuivie, de sa culture en supprimant les jachères, le paysan la réalisait en défrichant des parties boisées ou en transformant des prairies naturelles en terres de labour ; et ce mouvement fut, tout au moins au début de notre période, favorisé par de nombreuses administrations municipales qui, en cela, obéissaient au préjugé courant. À la consommation abusive du bois, à son gaspillage, qui résulta de la liberté donnée au propriétaire par la loi du 15 septembre 1791 (art. 6) de disposer de ses bois à son gré, ajouta le déboisement qui sacrifiait de la manière la plus imprévoyante l’avenir à la convoitise d’un gain immédiat. L’administration, du reste, donnait l’exemple au point que, quoiqu’il y eût un arrêté du Directoire (8 thermidor an IV-26 juillet 1796) interdisant les coupes extraordinaires sans autorisation spéciale, Rougier-Labergerie (Annales de l’agriculture, t. Ier, p. 54) regrettait de voir les forêts nationales dans les attributions du ministre des Finances « que les besoins d’argent assiègent sans cesse ». On critiquait aussi le manque de clôtures (de Pradt, ibidem, t. 1er, p. 190) ; et le « discours préliminaire », dû à la plume de Parmentier, du Nouveau cours complet d’agriculture cité tout à l’heure, se terminait ainsi (t. Ier, p. xxviii) : « Bordez de haies vives la lisière de vos héritages ; vos moissons seront plus en sûreté contre la fureur des vents et la voracité des animaux. Indépendamment des avantages qui résulteront pour vos récoltes, vous y trouverez le bois nécessaire à votre chauffage, aux réparations de vos bâtiments

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)
ou à faire des instruments aratoires : construisez peu, mais plantez, plantez toujours ; les fruits augmenteront vos ressources et les feuilles serviront ou de nourriture pour les troupeaux pendant l’hiver, ou d’engrais pour les terres. N’oubliez jamais que les clôtures sont, de tous les perfectionnements que puisse recevoir l’agriculture, celui qui est le plus favorable à sa prospérité ; qu’elles sont tout à la fois l’ornement des champs et l’une des sources les plus fécondes des améliorations dont le sol est susceptible ». Au contraire, Lange, dont a parlé Jaurès, voulait arracher les haies (Histoire socialiste, t. IV, p. 1658).

Toute l’activité déployée en faveur des céréales et une série de bonnes années aboutirent à ce phénomène de la production capitaliste basée sur le profit au lieu de l’être sur l’utilité, la misère de producteurs résultant de la trop grande abondance des produits et de l’avilissement de leur prix. Alors que le prix des grains avait été élevé à la fin de 1795 (Annales citées, t. Ier, p. 11), d’un rapport sur les prévisions budgétaires de l’an VII (Moniteur du 2e jour complémentaire de l’an VI-18 septembre 1798), il résulte que « la baisse dans le prix des produits agricoles » provenait notamment « de l’abondance de plusieurs récoltes », et que les 100 kilos de blé, qui valaient avant 1789 de 20 à 21 francs, ne valaient pas au delà de 15 à 16 francs « dans la très grande majorité des départements dont la richesse consiste en grains » ; le rapporteur Arnould ajoutait qu’il fallait aussi compter « un cinquième au moins d’augmentation dans les frais de culture », ce qui prouve une amélioration dans les salaires des travailleurs agricoles : tout bien pesé, ceux-ci, comme les ouvriers industriels — nous l’avons vu dans le paragraphe précédent — virent leurs conditions de travail améliorées durant la période révolutionnaire : « Les journées des ouvriers sont à un prix fou », écrit, au début de l’an VI (fin 1797), Dufort de Cheverny qui habitait près de Blois (Mémoires… t. II, p. 368) ; il ajoute un an après (Idem, p. 386) : « pour les journaliers le vin est à trois sols, le pain à deux, les journées à trente ou quarante ».

Voici, sur les prix de vente et de revient, quelques renseignements fournis, en prairial an V (milieu de 1797), par les Annales de l’agriculture. Des chiffres donnés (t. Ier, p. 150) il résulte que les 100 kilos de froment valaient : en 1790, 17 fr. 50 — en 1795, 31 fr. 25 — en 1796, 26 fr. 65. Pour les gages et salaires agricoles (Idem, p. 156), « les prix de 1795 sont à ceux de 1790 comme 39 à 22 », soit une augmentation d’un peu plus des trois quarts ; « l’augmentation de 1796 comparée à 1790 est des trois quarts, car elle est dans le rapport de 38 à 22… Cette augmentation a été d’un seizième au delà de celle du prix du froment en le prenant sur le pied de » 31 fr. 25, « prix le plus haut des deux années de renchérissement… Dans ce moment même, où le froment ne vaut que » 22 francs en moyenne, « c’est-à-dire où il n’est plus augmenté que d’un quart sur 1790, non seulement les domestiques, les journaliers et les ouvriers ne veulent pas servir au prix de 1796, mais ils demandent encore une augmentation… En réunissant les prix, tant des gages et salaires, que ceux de l’entretien des chevaux et voitures et de la valeur des ustensiles et instruments dans les années 1790 et 1796, l’augmentation totale n’est pas tout à fait de moitié en sus ; car elle est dans le rapport de 91 à 52. C’est donc à cela que se borne l’augmentation réelle depuis cinq ans » (id., p. 156-158). Un peu avant, dans son n° 6, du 30 vendémiaire an V-21 octobre 1796 (t. Ier, p. 283), le Journal d’économie publique, de morale et de politique, de Rœderer, disait : « on est content de retirer des terres un produit de deux et demi à trois pour cent ».

Enfin, « d’après un tableau officiel… dressé par le ministère de l’agriculture et du commerce » (Biollay, Les prix en 1790, p. 86), le prix moyen de l’hectolitre de froment pour la fin de notre période était de 16 fr. 48 en 1797 ; 17 fr. 07 en 1798 ; 16 fr. 20 en 1799 ; 20 fr. 34 en 1800. En augmentant d’un tiers chacun de ces prix, on aura le prix moyen un peu forcé des 100 kilos suivant ce document.

Souffrirent surtout de cette situation les tout petits propriétaires que leur lambeau de propriété laissa sans ressources ; décrivant l’état de l’agriculture en l’an V (mai 1797), Rougier-Labergerie (Annales de l’agriculture, t. Ier, p. 13) constatait que le morcellement avait été poussé trop loin : « ce principe a reçu une si grande extension dans l’opinion et dans les lois qu’il est devenu un mal positif ».

D’après les Cours de l’École de Mars (chap. xi) dont il a été question au début du paragraphe 8, un hectare de prés rapportait, année commune, 38 quintaux métriques et un tiers de foin ; les terres de blé moyennes rapportaient, par hectare, 15 quintaux métriques 3/4 de paille et 15 hectolitres 1/4 de grains. Le rendement des bonnes terres était, suivant les mêmes Annales, de l’an VI (t. III, p. 36 à 44), de 15 à 16 hectolitres de froment à l’hectare, l’hectolitre pesant en moyenne 75 kilos un quart, et tout près des hectolitres et demi ayant été employés par hectare pour la semence, ce qui, finalement, faisait un rapport de six à sept contre un là où la terre était bien cultivée ; ce même rapport n’était que de quatre contre un dans le Gers (bulletin de la Société d’agriculture déjà cité).

Admis à la barre de la Convention le 30 germinal an III (19 avril 1795), François (de Neufchâteau), alors membre du tribunal de cassation, parlant du blé, s’exprima ainsi au sujet des meilleures espèces à cultiver :

« On a déjà quelques données sur cet objet intéressant.

« L’auteur des Observations sur le ci-devant Angoumois dit que le blé de Guiesce est le plus productif et le meilleur de tous et qu’il est cultivé principalement dans les environs de Nérac et près de Montmoreau.

« Les Mémoires d’agriculture d’un citoyen du ci-devant Languedoc nous apprennent que les froments du voisinage de Narbonne, département de l’Aude, sont plus fins que tous ceux du reste du pays et des pays environnants ; que les grains en ont plus de poids et sont plus savoureux.

« Duhamel, dans les six volumes de son Traité de la culture des terres, le répertoire le plus riche de faits agronomiques qui existe en aucune langue, Duhamel cite plusieurs blés qu’il recommande à divers titres :

« 1° Le blé de Smyrne qui produit deux fois plus que l’autre, mais qui demande à être enterré plus profondément et recueilli avant sa parfaite maturité ;

« 2° Un froment connu à Genève sous le nom de blé d’abondance, et qui n’est pas le blé de Smyrne ou de miracle dont je viens de parler ;

« 3° Un blé d’Espagne à grains très durs, aussi transparent que le riz et qui a peu de son ;

« 4° Un blé locar peu délicat sur la nature du terrain, dont les épis donnent des grains plus pesants et en plus grand nombre, cultivé avec avantage auprès de Villers-Cotterets, département de l’Aisne.

« On voit dans les Mémoires de la ci-devant Société d’agriculture de Rouen qu’on y a essayé une espèce de blé venu de Silésie, qui n’est point sujet à la nielle, qui verse moins que l’autre et qui produit plus de farine.

« Suivant le Socrate rustique, la Société de Zurich, après plusieurs essais, a connu que les grains les plus avantageux à cultiver dans les montagnes sont deux sortes d’épeautre (Veinkorn et le mehrkorn) qu’à l’exemple des Suisses on a commencé à semer en France aux bords du Rhône.

« Dans un très bon éloge, qu’on vient de publier par ordre du gouvernement, du citoyen Mareschal, cultivateur, mort président du district de Breteuil, département de l’Oise, on a eu soin de remarquer que c’est à ses essais, à ses soins redoublés, qu’on doit, dans son canton, l’heureux succès de la culture du blé-froment de Flandre et que ce fut à ses dépens qu’il en fit arriver la première semence à la ferme de Mauregard.

« Enfin, le trimestre d’automne 1787 (vieux style) des Mémoires d’agriculture publiés à Paris par la Société qui s’occupait de cet objet, annonce un essai de culture dans le ci-devant Boulonais, du blé de grâce ou à six côtes, dont la paille est très médiocre, mais qui produit en grains souvent un tiers de plus que le blé ordinaire et qui devrait être par là le grain particulier du pauvre. »

Quatre mois avant, dans un rapport lu à la Convention le 21 frimaire an III (11 décembre 1794), Thibaudeau signalait que le Muséum d’histoire naturelle avait reçu de Pologne « une espèce de blé qui fournit une récolte dans trois mois et demi et peut se semer en avril ».

Au début de l’an VI (octobre 1797) Tessier publiait, dans les Annales de l’agriculture (t. II, p. 407), une étude où il recommandait un froment qui lui avait été envoyé d’Angleterre, qu’il appelle « froment à épis rouges, sans barbes, grains blancs, tige creuse ». « Le froment dont il s’agit, dit-il, m’a été envoyé du Nord et particulièrement de l’Angleterre. D’abord je l’ai semé à Rambouillet au milieu d’un grand nombre d’autres », d’où « les noms de blé d’Angleterre, blé de Rambouillet, qui ne leur conviennent pas mieux que celui de blé de tout autre pays ».

Un peu plus tard, en nivôse an VI (décembre 1797), la Feuille du cultivateur (t. VII, n° 27) annonçait que, « dans la ci-devant Bresse et aux environs de Lyon », on cultivait « le blé dit godelle », froment barbu, introduit depuis vingt-cinq à trente ans, qui « n’est pas sujet à la carie, surtout la variété rouge, pas sujet au noir ».

La superficie des terres de labour, comparée à celle de tout le pâturage « de quelque nature qu’il soit, prairies naturelles, artificielles, plantes légumineuses ou autres », était, dit de Pradt, dans la proportion de trois et demi de labourage contre un (De l’état de la culture en France, t. Ier, p. 133).

D’après le même auteur, plus de la moitié de ces terres de labour était ensemencée non en froment, mais en seigle ou même en grains de qualité inférieure au seigle (Idem, p. 132) ; celui-ci était fréquemment mélangé au froment dans la même terre et le résultat de ce mélange était appelé, suivant sa proportion, blé ramé ou méteil (Dictionnaire universel de commerce, de Buisson, t. Ier, p. 298) ; de plus, les cultivateurs, on vient de le voir et tous les témoignages s’accordent sur ce point, avaient l’habitude de semer trop abondamment, espérant de la sorte récolter davantage. Dans le commerce (Idem, t. Ier, p. 630), on considérait qu’il fallait 235 kilos de blé pour produire le sac de farine de 159 kilos, ce qui donnait un rendement de 65 % ; le produit était, en fait, un peu moins faible et le rendement un peu plus élevé. Ainsi qu’aujourd’hui on obtenait, en moyenne, un kilo de pain par kilo de blé. Selon les Cours de l’École de Mars (chapitre supplémentaire), le pain de l’an II était « fait de farine de froment dont on a ôté 15 livres de son par quintal » de 100 livres.

Au moins « dans le sud, l’est et l’ouest », constatait à la Convention Penières, parlant au nom du comité d’agriculture dans la séance du 16 vendémiaire an III (7 octobre 1794), « on est encore assujetti aux antiques méthodes, les outils aratoires n’y ont été ni changés, ni perfectionnés ». Comme charrue, on se servait d’une façon générale, dans le Midi, de l’araire ou charrue simple et, dans le Nord, de la charrue de Brie, charrue à avant-train ; une expérience fut faite, à la fin de 1796, dans le Cher où l’araire était employé ; elle démontra la supériorité de la charrue de Brie (Feuille du cultivateur du 27 pluviôse an V-15 février 1797, t. VII, p. 70-72).

Dans le Cher comme dans le Midi, la charrue était tirée par les bœufs, dans le Nord par les chevaux. Pour séparer le grain de l’épi on avait recours au fléau, ou au foulage, ou à ces deux opérations combinées. On battait au fléau, soit aussitôt la moisson faite, soit en grange l’hiver, et c’était le cas pour les départements où le système d’agriculture était le moins vicieux. Les départements méridionaux faisaient fouler les gerbes par des chevaux ou des mules, c’est ce qui s’appelle dépiquer ; la paille et le grain sont par cette méthode salis et froissés. La Décade philosophique du 10 fructidor an III-27 août 1795 (t. VI, p. 396) qui m’a fourni ces détails, ajoutait qu’un batteur pouvait battre 90 gerbes de froment ou 108 d’avoine en 11 heures de travail, et qu’un cheval pouvait dépiquer par jour de 5 à 600 kilos de blé ; presque partout on nettoyait le grain en le jetant contre le vent avec une pelle de bois. La même revue (t. V) mentionnait, le 20 germinal an III (9 avril 1795), une machine à battre inventée par Cardinet à qui, disait-elle, on devait déjà une brouette à moissonner, et (t. XX), le 20 pluviôse an VII (8 février 1799), un épurateur inventé par Fouquet-Desroches et perfectionné par Molard ; mais ces machines agricoles et diverses autres, telles que semoir, hache-paille, étaient alors, en dehors même de tout esprit de routine, généralement jugées trop imparfaites et trop coûteuses.

La pomme de terre s’implanta durant notre période dans le Midi où elle n’était guère utilisée auparavant (de Pradt, De l’état de la culture en France t. Ier, p. 74). Le vin était très médiocre dans beaucoup de régions qui cultivaient la vigne, et la culture de celle-ci se développa par suite de l’augmentation du prix des vins (bulletin souvent cité déjà de la Société libre d’agriculture du Gers). L’huile dont il était fait une grande consommation, provenait dans le Midi de l’olive, dans le Nord du pavot et du colza. Les plants de mûrier que le Midi soignait assez bien pour les vers à soie, auraient pu être plus abondants. Partout la production des fruits, du lin et du chanvre aurait pu être beaucoup plus étendue de Pradt, ibid., p. 164 et-165).

Les prairies naturelles étaient en mauvais état parce qu’on ne les labourait jamais, alors que, dit de Pradt (t. Ier, p. 142), « toute prairie qui n’est pas dans un très bon fonds ou susceptible d’arrosements réguliers, doit, pour se soutenir en bon rapport, être retournée tous les douze ans », et parce qu’on ne savait pas les irriguer, les unes recevant trop d’eau et les autres pas assez. Généralement la culture était meilleure au Nord qu’au Midi, la plus mauvaise était dans le Centre ; ce qui sauvait le Midi, c’était l’olivier, le mûrier et la vigne.

Il ne restait plus guère, à cette époque, de ces grandes fermes de 250 hectares pour lesquelles, suivant Rozier (Cours d’agriculture, t. II, p. 121), « les avances du fermier doivent être de 16 à 17 000 livres, sans compter ce qu’il doit dépenser avant de toucher un grain de la première récolte, et ses dépenses montent à plus de 2 000 livres ». Les fermiers de cette catégorie ne tenaient pas la charrue, ils prévoyaient les travaux à faire, en surveillaient l’exécution, s’occupaient de l’achat des choses nécessaires et de la vente des produits. Après la Révolution, « des fermes de 200, 300, 400 arpents (environ 100, 150, 200 hectares) exploitées chacune par un fermier, ont été divisées en 20, 30, 40 et 60 corps de fermes » (Annales de l’agriculture, t. Ier, p. 13). L’étendue des fermes dépassait rarement 100 hectares ; les plus nombreuses allaient de 20 à 25 (Sagnac, La législation civile de la Révolution française, p. 241, note). En l’an V (1797), d’après le Journal des arts et manufactures (t. III, p. 483), il y avait dans le Cher des métairies de 50 à 170 hectares. Le maximum le plus ordinaire de la durée des baux était de neuf années (Décade philosophique, t. II, p. 205 ; Annales de l’agriculture, t. III, p. 283 ; de Pradt, t. Ier, p. 174 et Nouveau cours complet d’agriculture, d’après Rozier, t. II, p. 177). La baisse des assignats avait été, pour les fermiers payant le prix de leur fermage avec cette monnaie dépréciée, une source de profits inespérés ; ce fut au point qu’on vit des fermiers payer leur fermage avec le papier que leur rapportait « la vente d’un porc ou d’un bœuf » (Sagnac, Ibid., p. 211 et 212, note). Aussi la loi du 2 thermidor an III (20 juillet 1795), déjà citée à propos de la contribution foncière (§1er), décida (art. 10) que les fermiers « à prix d’argent » des biens ruraux payeraient la moitié du prix du bail avec la quantité de grains (froment, seigle, orge ou avoine) que cette moitié représentait en 1790 ; cette obligation fut supprimée par l’art. 1er (voir chap. xv) de la loi du 18 fructidor an IV 4 septembre 1796). Pour les baux postérieurs à la loi du 4 nivôse an III (24 décembre 1794) qui abrogeait le maximum, une loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) avait expliqué que la quantité exigible en grains était celle qui représentait la moitié du fermage à l’époque du bail et non en 1790. La baisse des assignats fut cause, d’autre part, lors de nouveaux baux, que certains propriétaires, du Centre notamment, préférèrent au revenu fixe, mais plus ou moins payé en monnaie courante par le fermier, le revenu variable, mais en nature, du métayage ; habituellement le propriétaire louait aux métayers « soit à moitié grains en leur rendant les pailles, soit au tiers franc en ne faisant point cette réserve » (Nouveau cours complet d’agriculture, t. II, p. 173) ; dans le Gers, le métayer ou « bordier » recevait la moitié franche (bulletin de la Société d’agriculture précédemment cité).

Ayant eu l’occasion de jeter un coup d’œil sur les minutes d’une étude de notaire du Sud-Ouest, de la fin de l’an III au milieu de l’an VII, j’ai trouvé dans cette période vingt-six baux à ferme, 1 de un an, 2 de trois ans, 3 de vingt-neuf ans et 20 de six ans. En l’an III et en l’an IV, on contracte généralement à moitié fruits avec obligation de ne semer la même pièce de terre que deux années consécutives sur trois. Ensuite, la clause sur la jachère disparaît et on trouve fréquemment que le payement consiste en la livraison d’un sac de froment par journal de terre et par an : en ce pays le journal valait 22 ares 43 centiares et demi, et le sac 83 litres 24 ; dans les mêmes conditions, il est parfois demandé, suivant les terres, plus d’un sac et parfois moins, la nature du grain à livrer varie aussi. En l’an VII, j’ai trouvé 40 francs par journal et par an comme prix fixé.

Le bétail était rare et médiocre, sinon mauvais. Son utilité pour l’engrais et sa valeur comme viande de boucherie étaient, dit de Pradt (t. Ier, p. 148), presque partout méconnues ; la première erreur nuisait à sa quantité et la seconde à sa qualité. On ne lui demandait guère de fournir que des bêtes de somme dont la nourriture était toute l’année le fourrage ordinaire vert ou sec ; dans les régions où on ne faisait pas travailler les bœufs, on les tuait, entre trois et quatre ans. Un des motifs allégués pour le maintien des jachères était la nécessité d’avoir un pacage pour suppléer au manque de fourrage pendant les mois stériles de l’année, comme si les prairies artificielles et l’usage des légumineuses n’auraient pas mieux atteint ce but. Pour expliquer une diminution du bétail à cette époque, la Décade philosophique du 20 frimaire an IV-11 décembre 1795 (t. VII) disait que ce qui l’avait fait disparaître, « ce n’est ni le partage, ni le défrichement des communaux, c’est uniquement le mauvais usage qu’on a fait des portions défrichées. On s’est empressé de les cultiver en blé ». Grêle et mal conformé dans le Nord, le bétail était, dans le Midi, d’une taille et d’une forme supérieures ; le plus beau était celui de l’Agenois et du Bordelais (de Pradt, t. Ier, p. 152).

En revanche, les chevaux étaient meilleurs dans le Nord que dans le Midi. Malgré les pertes importantes subies par suite, au début de la Révolution, des ventes aux Anglais et de l’émigration des nobles, bêtes et cavaliers, et, plus tard, des réquisitions militaires imposées par la guerre, la Normandie restait la partie de la France la plus recommandable pour l’élève du cheval de luxe et de guerre (Dictionnaire universel de commerce, de Buisson, t. Ier, p. 422). Venaient ensuite, pour le cheval de trait, la Bretagne, le Bourbonnais et la Franche-Comté (Idem, p. 423-426). Mais, dans notre période, beaucoup de chevaux dits normands sortaient d’Allemagne et les bourbonnais de Belgique (de Pradt, t. Ier, p.l54 et l55). Les meilleurs chevaux de selle provenaient du Limousin (Dictionnaire cité plus haut, id., p. 424) ; presque tous étaient le produit d’un croisement avec les chevaux anglais. Le Poitou, élevant surtout le mulet, avait été très atteint par la guerre qui lui avait fait perdre ses débouchés d’Espagne et des colonies. Le Sud-Ouest possédait une race à laquelle sa vigueur, sa souplesse et sa vivacité avaient valu une réputation méritée ; excellente pour la cavalerie légère, mais négligée par le gouvernement, elle était tombée dans un état de dégénération presque totale. Dans les vallées des Pyrénées, on s’était mis à spéculer sur la production des mulets, inférieurs à ceux du Poitou, pour les vendre aux Espagnols (Ibid., p. 423-424).

Le mouton, grand au Nord (de Pradt, t. Ier, p. 152), était de petite espèce au Midi et à l’Est ; le mouton du Berri qui, pour la laine, était le premier de France, en était peut-être le dernier pour la taille (Ibid., p. 153). Rougier-Labergerie, membre du Conseil d’agriculture, comptait, en 1796, pour le territoire de la France actuelle, 24 millions de bêtes à laine (Décade philosophique du 10 messidor an V-28 juin 1797, t. XIV).

Sur les habitations rurales, nous avons le témoignage de Penières qui, dans le discours à la Convention cité plus haut, disait : « En parcourant les campagnes de quelques régions de la République, on y voit les habitations des citoyens si mal bâties, si mal distribuées, si peu aérées et si malpropres que le passant croit apercevoir la plus profonde misère, là où n’existent réellement que le mauvais goût et la pénurie d’ouvriers exercés et instruits de leur métier. Les moulins, les pressoirs, les étables, les granges et autres usines se ressentent nécessairement de l’ignorance des constructeurs qui souvent savent à peine se servir du niveau et de l’à plomb. Dans quelques pays on trouve quelquefois sous ie même chaume, et sans aucune séparation, le lit du propriétaire et, à ses pieds, la crèche de la vache et le petit parc de la chèvre ». Nous voyons enfin de Pradt écrire (t. Ier, p. 135-136), à la fin de notre période, qu’au-dessous de la Loire les maisons des paysans sont de vraies chaumières, aux murs nus, sans meubles ni propreté, munies de quelques rares ustensiles grossiers, ce qu’étaient encore davantage les aliments et les vêtements.

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)

Il me reste à mentionner les efforts que firent, pour améliorer l’agriculture, une minorité éclairée et le gouvernement. Les sociétés d’agriculture avaient disparu avec la Révolution. D’après les Annales de l’agriculture française (t. Ier, p. 80) la première société qui se constitua après cette disparition, fut celle de Meillant dans le Cher ; formée, d’après le Magasin encyclopédique (t. XIV, p. 121), dès l’an III, elle n’était en pleine activité que depuis le 16 brumaire an V (6 novembre 1796). Par une lettre insérée dans la Décade philosophique du 10 pluviôse an V-29 janvier 1797 (t. XII), nous apprenons que ce « bureau d’agriculture et d’économie rurale » englobant six cantons du Cher parmi lesquels Saint-Amand, se réunissait une fois par mois ; le bureau central tenait ses séances une fois par décade à Meillant où une ferme modèle était exploitée sous les yeux de la société, ainsi qu’un enclos de 12 grands arpents — un peu plus de 6 hectares — qu’elle appelait son « champ d’expériences ». C’est là qu’eut lieu l’expérience des charrues signalée plus haut. Le 24 thermidor an V (il août 1797), était réorganisée la société libre d’agriculture du Gers ; puis vinrent les sociétés de Châlons-sur-Marne, de Bourges (la seconde du département du Cher qui était le seul dans ce cas), etc. Le 19 prairial an VI (7 juin 1798), d’anciens membres de la société de Paris se réunirent et se formèrent en Société libre d’agriculture ; le 16 pluviôse an VII (4 février 1799). fut arrêté le règlement. Le Rédacteur du 13 floréal an VII (2 mai 1799) comptait en tout 40 de ces sociétés, dont 35 pour le territoire actuel de la France.

Les diverses parties de l’agriculture furent l’objet de la sollicitude du gouvernement. La loi du 12 fructidor an II (29 août 1794) permit « à tous particuliers d’aller ramasser les glands, les faînes et autres fruits sauvages dans les forêts et bois qui appartiennent à la nation ». Furent, aussi sous la Convention, rédigées et répandues en l’an III (1795), par les soins de la commission de l’agriculture et des arts, des instructions sur la culture de la betterave, de la carotte, des choux, de l’œillette, du navet, du panais, sur la conservation et l’usage de la pomme de terre, sur la culture et les avantages des légumineuses, sur les moyens de reconnaître la bonne qualité des graines les plus utiles, etc. La loi du 20 messidor au III (8 juillet 1795), augmenta le nombre des gardes champêtres, décidant qu’il y en aurait au moins un par commune rurale. La loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), sur l’organisation de l’instruction publique, dans son titre v, confiait à l’Institut le soin de nommer « tous les ans au concours vingt citoyens chargés de voyager et de faire des observations relatives à l’agriculture », et, dans son titre vi, établissait, le 10 messidor (fin juin), la fête annuelle de l’Agriculture dont l’arrêté du 24 prairial an IV (12 juin 1796) et surtout la circulaire du 21 ventôse an VII (11 mars 1799) firent une sorte de concours agricole. Par la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795), qui organisait les ministères conformément à la Constitution de l’an III, l’agriculture, le commerce et l’industrie étaient, avec les travaux publics et l’instruction publique, placés dans les attributions du ministre de l’Intérieur ; celui-ci organisa trois conseils consultatifs, l’un pour l’agriculture, l’autre pour les arts et manufactures et le troisième pour le commerce. Comme sous la Convention, des instructions furent publiées, notamment sur la culture du maïs et du blé, sur le vertige du cheval et la clavelée des moutons. Nous trouvons des circulaires ministérielles, le 24 pluviôse an IV (13 février 1796) et le 13 floréal an V (2 mai 1797) de Benezech, le 20 ventôse an VII (10 mars 1799) de François (de Neufchâteau), pour l’échenillage et la destruction des hannetons et des vers blancs ; le 9 fructidor an V (26 août 1797) de François (de Neufchâteau) sur les précautions à prendre contre la morve et autres maladies contagieuses ; le 22 fructidor an V (8 septembre 1797) et le 25 vendémiaire an VII (16 octobre 1798) de François (de Neufchâteau) faisant valoir l’influence du reboisement sur l’amélioration de l’agriculture, engageant les administrations départementales à veiller à la reproduction des arbres et promettant des primes et des médailles pour les plantations d’une certaine importance. En outre, la loi du 3 frimaire an VII (23 novembre 1798), relative à la contribution foncière, accorda aux reboiseurs des dégrèvements allant (art. 116) jusqu’aux trois quarts de l’impôt.

Dans la séance du 7 frimaire an III (27 novembre 1794), la Convention avait renvoyé aux comités réunis du commerce, des finances et de l’agriculture, une proposition portant que « les cultivateurs du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme et de l’Aisne, qui se livreront à la culture du lin et du chanvre, seront exempts, pendant quatre années, d’impositions territoriales ». Cependant cela ne semble pas avoir abouti ; on lit dans un rapport de Ramel, du 1er prairial an VII (20 mai 1799) sur les dépenses des ministères : « le département de la marine obtiendrait une diminution importante dans sa dépense, si l’on accordait des primes d’encouragement à ceux qui cultiveraient en France les chanvres et les lins ». Il y avait encore plus de 600 000 hectares de marais (séance du Conseil des Anciens du 4 pluviôse an VI-23 janvier 1798) ; une loi portant cette même date autorisa les propriétaires à se syndiquer pour l’entretien des dessèchements et défrichements opérés. Les animaux destructeurs tels que les loups étaient très nombreux et en voie d’augmentation, la loi du 11 ventôse an III (1er mars 1795) institua une prime pour chacun de ces animaux tué ; la loi du 10 messidor an V (28 juin 1797) augmenta la prime et décida que les fonds accordés à cet effet aux administrations départementales seraient désormais alloués au ministre de l’Intérieur. En l’an V (1796-97), avant cette dernière loi, il avait été tué 1 689 bêtes ; on en tua 5 351, après cette loi (Décade philosophique, 30 floréal an VI-19 mai 1798, t. XVII). Le 26 ventôse an IV (16 mars 1796), avait été votée une loi ordonnant l’échenillage des arbres sous peine d’amende ; mais on eut le tort de ne pas songer à assurer la protection des oiseaux insectivores ; un arrêté du Directoire du 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796) interdisant aux particuliers la chasse dans les forêts nationales, fut déterminé par d’autres considérations et eût été, d’ailleurs, tout à fait insuffisant à ce point de vue.

Il y avait à Rambouillet, depuis octobre 1786, un troupeau de moutons de race mérinos provenant d’Espagne. En vertu d’articles secrets du traité de paix signé le 4 thermidor an III (22 juillet 1795) à Bâle par l’Espagne et la France, celle-ci obtenait le droit de tirer d’Espagne, chaque année, pendant cinq ans, 50 étalons andalous, 150 juments, 100 béliers et 1000 brebis mérinos. Ces achats, par suite du manque de fonds, ne commencèrent qu’en l’an VI. En germinal an III (mars 1795), avait eu lieu à Rambouillet la première vente publique ; en l’an IV (1796), le prix moyen fut 64 francs par bélier et 52 francs par brebis ; en prairial an V (mai 1797), 193 bêtes étaient vendues au prix moyen de 71 francs par bélier et de 107 francs par brebis. Le troupeau restait composé à ce moment de 546 animaux et on estimait à 4 000 ou 5 000 le nombre de ceux de race pure mérinos existant en France chez divers cultivateurs (Décade philosophique, 10 thermidor an V-28 juillet 1797, t. XIV). À la vente de l’an VII (1799), qui « a peu différé des prix de l’année précédente », le bélier alla de 50 francs à 105 et la brebis de 60 à 110, alors que, pour les espèces indigènes, il était rare que le prix par tête dépassât 20 francs (Annales de l’agriculture, L. V, p. 338).

Une loi du 2 germinal an III (22 mars 1795) avait décidé l’établissement de sept dépôts d’étalons ; en l’an VI (1798), il n’existait encore que deux véritables haras avec étalons et juments, celui de Rosières, près de Nancy, et celui de Pompadour dans la Corrèze, et quatre dépôts d’étalons, au Pin (Orne), à Bayeux, à Versailles et à Angers (Annales de l’agriculture, t. Ier, p. 40). Un projet de réorganisation des haras fut présenté, le 28 fructidor an VI (14 septembre 1798), aux Cinq-Cents par Eschasseriaux jeune.

Par un arrêté du 27 messidor an V (15 juillet 1797), était prescrite l’exécution de mesures destinées à prévenir la contagion des maladies épizootiques ; on ordonnait notamment la déclaration des cas de maladie et la désinfection des étables. Enfin, la loi du 19 vendémiaire an VI (10 octobre 1797), en déterminant le mode de distribution des secours et indemnités à accorder à raison des pertes occasionnées par la guerre et autres accidents imprévus, tels que grêle, incendie, inondations, épizooties — fonds provenant d’une loi du 10 prairial an V (29 mai 1797), et partie des centimes additionnels de la contribution foncière qu’une loi du 9 germinal an V (29 mars 1797) avait affectée à cet usage — fut le point de départ d’un nouveau système d’assistance.

Pour l’agriculture comme pour les divers sujets traités dans ce chapitre, j’ai, en poursuivant ce travail, acquis la conviction qui deviendra, je le crois, celle de tout lecteur impartial, que la période de 1794 à 1800 fut, à tous les points de vue, une période d’élaboration, réagissant souvent contre les principes de la Révolution, mais ayant, en fin de compte, contribué dans une très large mesure à l’organisation de la société capitaliste et préparé tout ce dont on fait habituellement honneur à Bonaparte. À celui-ci, la période de 1789 à 1799 laissait « le plus magnifique ensemble de documents qui aient jamais été à la disposition d’un législateur » (Émile Acollas, Manuel de droit civil, t. Ier. p. xxxvii, note) ; il devait uniquement, en utilisant ces matériaux, les dénaturer et aggraver encore l’œuvre commencée de réaction contre les idées de la grande période révolutionnaire.