Histoire universelle/Tome IV/IV

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Société de l’Histoire universelle (Tome IVp. 46-54).

LA GUERRE DE TRENTE ANS
ET LA PAIX DE WESTPHALIE

Le ministère du cardinal de Richelieu (1624-1642) sert de préambule au règne de Louis XIV. On ne saurait trop s’en souvenir si l’on veut apprécier avec quelque équité les actes du « grand roi ».

Né en 1585 Richelieu n’accéda pas aisément au pouvoir mais il était de ceux dont l’ambition sait attendre, de ceux aussi chez qui elle ne s’embarrasse de remords ni de scrupules. La « raison d’État » enveloppa sa conscience dans les plis d’un ample manteau. Formule inquiétante certes, et dont il convient de se méfier, qu’il est même légitime de condamner si l’on évoque tous les crimes commis en son nom depuis lors. Chez Richelieu pourtant, elle exige un peu plus qu’une condamnation sommaire. Cet homme dont le cerveau était puissamment organisé n’eut guère d’attachement pour son souverain ; par contre il fut entièrement dévoué à l’État. Une telle distinction constituait alors une nouveauté. Plus d’un régime antérieur avait consacré l’idée de l’État soit de façon anonyme comme naguère à Carthage ou à Venise, soit en identifiant l’État avec la personne souveraine. La conception de Richelieu différa des précédentes. Il entrevit une machinerie ingénieuse et obéissante dont les rouages joueraient sur une simple pression de la main dirigeante — et très efficacement pour autant que cette impulsion fut donnée conformément aux bonnes règles politiques et administratives. C’est cette conception qui, utilisée par Louis XIV, reprise par la Révolution, déformée par Napoléon produisit la cristallisation bureaucratique dont la France et une partie de l’Europe devaient avoir fort à souffrir.

Richelieu était-il tenu par les circonstances de suivre une telle voie ? On l’a cru et il a été en conséquence exonéré de tout reproche. En ce faisant, n’obéissait-il pas bien plutôt à un penchant de son intelligence et de son tempérament ? Ce que nous savons de lui incite à le faire croire. Quand l’évêque de Luçon récemment pourvu d’un chapeau de cardinal prit place au conseil du roi, il y avait déjà douze ans qu’Henri IV était mort. Louis XIII régnait, prince « jaloux de son pouvoir et paresseux à l’exercer ». Autour du trône les intrigues pullulaient. Le roi et sa mère avaient été tour à tour les jouets de favoris peu respectables. Un aventurier italien, Concini puis un petit gentilhomme provençal, d’Albert de Luynes créés l’un maréchal et l’autre connétable avaient joui et abusé d’un crédit surprenant. Sous couleur de religion les grands seigneurs étaient sans cesse en lutte les uns contre les autres. Prépondérante à la cour, l’influence des femmes ajoutait au désordre. La fameuse duchesse de Chevreuse y employait ses charmes et l’« hôtel de Rambouillet » centralisait les commérages pernicieux d’où sortaient volontiers des duels, des haines et des trahisons. De tout cela la France semblait absente. Où était-elle ? Sans doute aux côtés de ce bon prêtre dont l’Église a fait un saint, Vincent de Paul, le fondateur des sœurs de la Charité, de l’œuvre des enfants trouvés, de l’hospice des incurables, le créateur de tant d’institutions humanitaires… et aussi du médecin novateur, Théophraste Renaudot qui non content d’inaugurer les consultations gratuites, ouvrit un bureau de placement, imagina le Mont de piété et par surcroît fit paraître la Gazette, le premier-né des journaux politiques réguliers.

Aux États-généraux de 1614 une situation nouvelle s’était révélée. La noblesse et le clergé s’y étaient rencontrés avec un tiers-état qui, de l’ancien Tiers n’avait plus que le nom. Au lieu de comprendre comme cinquante ans plus tôt, « l’ensemble du peuple », il se composait uniquement de bourgeois enrichis. Nous avons noté comment s’était produit le déplacement de la richesse. On en voyait maintenant s’affirmer les conséquences. De l’esprit démocratique tant de fois manifesté aux précédentes réunions des États-généraux, il restait bien quelques traces mais cet esprit se satisfaisait en discours isolés et n’avait plus la puissance suffisante pour inspirer un ensemble de réformes cohérent et vivant. L’assemblée de 1614 qui devait être la dernière avant la révolution témoigna de l’effritement profond de la société française. Il n’y avait plus trois ordres dans l’État mais quatre. Le quatrième — le peuple — privé de tous droits de contrôle et tenu à l’écart n’allait plus avoir pour se protéger contre la tyrannie des trois autres que la ressource d’aider le roi à rendre son pouvoir de plus en plus absolu. Richelieu eût pu barrer la route à ces tendances et remettre la France d’aplomb en restaurant les anciennes institutions ; elles pouvaient encore revivre. Mais à défaut de conviction démocratique, il eût fallu que l’indéniable clairvoyance de Richelieu s’appuyât sur une absence de préjugés. Or le cardinal n’en était point exempt. Orgueilleux de sa noblesse, il se plut à la grandir en se faisant attribuer le titre de duc. L’idée d’employer des roturiers à l’exécution de ses desseins ne lui répugnait pas mais l’idée d’appuyer son gouvernement sur une représentation nationale élue par les intéressés ne dut même pas lui venir. Dès lors il ne lui restait d’autre parti à prendre que de chercher à constituer un fonctionnarisme pourvu d’autorité et de prestige dont il se servirait pour imposer aux Français l’ordre et l’obéissance tandis qu’au dehors, par la diplomatie et au besoin par la guerre, il s’efforcerait « d’abaisser la maison d’Autriche ».

Cette maison d’Autriche, c’étaient les descendants de Charles-Quint : famille turbulente dont l’aigle héraldique avec ses deux têtes couronnées symbolisait la vanité et les appétits. Au moment où Richelieu accéda au pouvoir, on pouvait craindre que l’empereur Ferdinand II (1619-1637) ne reprit à son compte le plan de monarchie universelle élaboré par Charles-Quint. Philippe II y avait échoué mais non sans avoir « troublé par ses intrigues, corrompu par son or ou désolé par la guerre civile » nombre d’États européens. L’initiative maintenant ne pouvait plus partir d’Espagne mais l’Allemagne redevenait inquiétante. De graves revirements s’y étaient produits. Au temps du concile de Trente, ce pays avait semblé presque perdu pour le catholicisme. Rétrospectivement l’abdication de Charles-Quint prenait l’aspect d’un aveu de défaite. Il ne restait plus que deux des « villes impériales », Cologne et Aix-la-Chapelle qui fussent officiellement catholiques. Toute l’Allemagne du nord appartenait aux protestants. Au sud, des partis réformateurs puissants agissaient en Bohême et même en Bavière. Il apparut néanmoins que les destins ne se fixeraient pas ainsi. Les Jésuites préparaient de toute évidence une génération de « revanchards » et le concile de Trente leur apportait un corps de doctrines homogène et précis très propre à faciliter leur tâche. Dans le camp adverse il y avait lutte ardente des calvinistes étroits et sectaires contre les luthériens plus maniables. On était loin alors d’y avoir pris son parti de ces divergences jugées affaiblissantes[1]. Beaucoup de causes secondaires parmi lesquelles les ambitions des petits princes émancipés, leurs budgets endettés, les souffrances matérielles des populations opprimées… contribuaient à préparer une ère de violences.

Les protestants de Bohême précipitèrent le cours des événements. La démolition d’un temple qu’on venait d’ouvrir (1617) et la « défenestration.» de Prague furent le signal de la guerre. Ce n’était pas la première fois que dans ce pays on témoignait ainsi de l’énergie de ses convictions en jetant par la fenêtre ceux qui ne les partageaient pas. L’acte cette fois eut un grand retentissement. La guerre qui débutait allait durer environ trente ans. Des historiens didactiques se sont plus à la découper en périodes dites danoise, suédoise, française, etc… La vérité est plus simple et plus terrible. La guerre de Trente ans mit constamment toute l’Europe en branle. Le duc de Savoie, le roi d’Espagne, le pape, l’Angleterre, la France, le Danemark, la Suède s’en mêlèrent spontanément où s’y trouvèrent mêlés. L’Allemagne d’alors servit de champ clos à d’extraordinaires batailleurs : Mansfeld, Tilly, Bethlen Gabor, Wallenstein Mansfeld était un bâtard, contrefait, arriviste forcené ; Bethlen Gabor, un ivrogne formidable qui réussit à se faire élire prince de Transylvanie et parvint ainsi jusqu’au trône de Hongrie ; Wallenstein (ou Waldstein) un homme d’affaires tout puissant dont on ne saurait dire s’il était plus roué qu’audacieux ou plus audacieux que roué. Ces aventuriers poussèrent leur chance à travers le pillage et le sang, n’ayant point de souci des causes qu’ils servaient ni de pitié pour les ruines qu’ils causaient : ruines effrayantes et qui expliquent le mot de Descartes témoin de ces horreurs : « J’ai bien de la peiner à ranger le métier de la guerre parmi les professions honorables ».

Après la bataille de la Montagne-blanche livrée près de Prague (1620), la Bohême se trouva exposée sans défense à la colère des Habsbourg qui ne lui pardonnaient point d’avoir à plusieurs reprises contrecarré leurs espoirs. Maximilien II, Rodolphe II, Mathias qui s’étaient succédé de 1564 à 1619 n’avaient point eu la possibilité de s’en prendre à elle. Ferdinand ii saisit l’occasion qui s’offrait. La terreur régna. Il y eut pour un milliard et demi de biens confisqués. La pratique du culte réformé fut interdite. Près de quarante mille familles quittèrent leur patrie tandis que s’y installaient en maîtres des enrichis de la guerre, des moines fanatiques et les premiers représentants de cette noblesse dite « habsbourgeoise » formée d’aventuriers de différentes races uniquement attachés à la fortune de la dynastie.

L’Autriche triomphait. Conquérant le Palatinat, elle se retrouverait en contact avec les troupes espagnoles qui tenaient garnison aux Pays-bas. D’autre part, il lui suffirait d’occuper les vallées qui aboutissaient au lac de Côme pour pouvoir par le Tyrol, communiquer directement avec le Milanais. Cette région appelée la Valteline dépendait des petites républiques des Grisons qui au xvme siècle étaient devenues indépendantes et avaient fait alliance avec les cantons suisses. Les troupes autrichiennes occupèrent l’Engadine et forcèrent leur faible adversaire à livrer passage.

La France intervint aussitôt. C’était pour elle une question vitale. Sinon l’encerclement la menacerait de nouveau et dans des conditions pires, peut-être, que du temps de François ier. Richelieu eût souhaité faire davantage. Il sentait que la partie jouée en Allemagne aurait des conséquences très graves. Il ne pouvait suffire de combattre les Habsbourg en Italie ; il aurait fallu s’opposer à eux sur le sol allemand lui-même. L’état intérieur de la France ne le permettait point. Le cardinal voyait se dresser devant lui non seulement des seigneurs rebelles mais tout un parti protestant dans les affaires duquel l’Angleterre avait la main. Il lui fallut assiéger et prendre la ville de la Rochelle où les rebelles s’étaient retranchés et conduire ensuite une campagne dans les Cévennes et le Languedoc. Quand Montauban se fut rendue, Richelieu se sentit les coudées plus franches ; mais pas encore au point de pouvoir entrer en scène. Il y avait alors poussé le Danemark ; or voilà que le roi de Danemark venait de se réconcilier avec l’empereur. En Allemagne la condition des protestants empirait. Richelieu les avait combattus en France en tant qu’ennemis de l’État qu’ils cherchaient à désagréger mais il les soutenait en Allemagne où ils constituaient le seul contrepoids à la puissance autrichienne grandissante. Par l’Édit de restitution, l’empereur (1629) leur réclamait tous les biens sécularisés depuis soixante-dix ans. Il voulait leur imposer le régime subi par la Bohême. Les protestants allemands s’adressèrent à leur coreligionnaire le roi de Suède, Gustave Adolphe ; et la France les appuya de toute son influence.

Rien n’était moins idéaliste que la manière dont la Réforme avait pris possession de la Suède. Après le règne du sanguinaire Christian II (1513-1533), les Suédois qui n’avaient jamais accepté de bon gré l’union scandinave s’étaient groupés derrière un chef de leur sang, Gustave Eriksson (dit Vasa de la gerbe qui figurait sur ses armoiries). La Dalecarlie protégée par ses marais avait vu se former des bandes résolues à émanciper le pays du joug danois. Dès 1523 Gustave proclamé roi s’était trouvé en face de « toute une Suède à refaire ». Il n’y avait plus d’industries ni de mines en exploitation. Le service des douanes ne fonctionnait plus. Stockholm renfermait quatre fois moins d’habitants qu’en 1500. Seul le clergé était demeuré riche. Les deux tiers du sol national se trouvaient entre ses mains. Aussi la Réforme prêchée vers 1518 fut-elle accueillie avec grande sympathie par les nobles et le souverain car elle ouvrait la porte aux sécularisations. Nul ne se souciait du dogme ni de la liturgie hormis le bas peuple qui résista quelque peu. En 1527 la révolution se trouva accomplie. La hiérarchie ecclésiastique disparut ; il ne resta que l’archevêque d’Upsal comme chef de la nouvelle Église. En 1544 Gustave faisait reconnaître par la diète de Vesteräs l’ordre de succession dans sa famille. C’était un roi singulièrement réaliste, traitant la politique par « doit et avoir » comme un relevé financier et préoccupé de signer de bonnes ententes commerciales et de ne faire la guerre qu’en vue d’un profit tangible. Ses successeurs ne manquèrent pas de compromettre une large part des heureux résultats de son règne et la seconde partie du xvime siècle s’écoula pour la Suède en discordes intérieures et en querelles dynastiques. C’est alors qu’apparut Gustave-Adolphe. Grand homme de guerre et zélé protestant, il se décida contre l’avis de ses conseillers à mettre sa force militaire au service de sa foi. À quoi la France dut son salut et l’Europe son équilibre ; la Suède n’y récolta finalement qu’un beau capital de gloire.

La carrière continentale du héros fut brève puisque, débarqué en Allemagne en 1630, il devait être tué à la bataille de Lützen en 1632. Ses premiers succès furent rapides et « torrentueux ». Rien ne semblait lui devoir résister ; au point que ses alliés s’alarmèrent. L’ivresse de la victoire n’allait-elle pas l’égarer et le jeter hors des justes voies ? Il advint au contraire que sa mort prématurée laissa leur fortune encore indécise. La France dut à son tour entrer dans la mêlée. Elle le fit (1635) après une habile campagne de préparation diplomatique menée par Richelieu et son fameux aide de camp, le père Joseph[2]. Ce qui manquait c’était une armée adéquate. Depuis Henri II, les Français ne s’étaient guère battus qu’entr’eux : mauvaise école. Les troupes manquaient de cohésion et leur armement était désuet et insuffisant. Heureusement Gustave-Adolphe avait été observé et compris. Il laissait des élèves qui seraient Condé et Turenne. On a dit qu’il en devait avoir un plus grand encore, Napoléon. Il y a dans ce propos beaucoup d’exagération, mais il est exact que par sa façon de concevoir et de réaliser la flexibilité des rouages militaires, le roi de Suède créa un instrument léger à la manœuvre et d’une grande rapidité d’évolution ; il fut par cette innovation le précurseur de toute la stratégie moderne.

Un péril passager pesa sur la France lorsque les Espagnols des Pays-bas alliés aux impériaux envahirent la Picardie et tentèrent de marcher sur Paris. Ce péril détermina un grand élan patriotique : soixante mille volontaires se présentèrent et d’autres suivirent. On vit alors que le peuple français était derrière Richelieu en lequel son instinct lui découvrait l’homme du salut public et qu’il ne se laissait pas ébranler par les incessantes cabales de l’aristocratie et de la cour. Quand le cardinal mourut (1642) bientôt suivi par Louis XIII, la situation était assez redressée pour que l’on put entrevoir la possibilité prochaine d’une paix définitive. À vrai dire des pourparlers étaient déjà engagés çà et là mais ils traînaient par le mauvais vouloir de plusieurs belligérants. En Espagne la guerre profitait à des individus haut placés ; dans l’état de dégénérescence où apparaissait la chose publique, le gouvernement redoutait, la paix rétablie, d’avoir à rendre des comptes. En Suède une vague d’impérialisme passait. La guerre était devenue une institution en même temps qu’une industrie lucrative. Les troupes suédoises en Allemagne se livraient volontiers au pillage ; en Gustave-Adolphe elles avaient perdu la conscience supérieure qui servait de frein aux passions brutales. Beaucoup de Tchèques se battaient d’ailleurs dans leurs rangs et ceux-là aspiraient à une émancipation complète de la Bohême. On en était encore loin. Seul le nouvel empereur Ferdinand III (1637-1658) marquait un sincère désir de paix et se montrait prêt à des concessions raisonnables. Les négociations véritables s’ouvrirent en Westphalie : à Munster pour les puissances protestantes et à Osnabruck pour les puissances catholiques. Mazarin désigné par Richelieu lui avait succédé. L’Europe se trouvait dans un état de grande agitation. On se battait partout. Les Suédois étaient maintenant en guerre avec le Danemark, Venise avec les Ottomans. La révolution anglaise prenait corps grâce à Olivier Cromwell. Paris voyait s’aggraver les troubles de la « fronde », ce qui n’empêchait pas les armées françaises au dehors de cueillir des lauriers fameux. Quant à l’Allemagne, son état d’épuisement défiait l’imagination. D’immenses étendues de pays devenues incultes et désertes, des villes ruinées, des villages abandonnés, une régression formidable du savoir et de la morale il fallait en finir.

Les traités qui composent la paix dite de Westphalie furent signés lentement, l’un après l’autre, au cours de l’année 1648, au bruit des canons de Turenne et de Condé qui appuyaient ainsi par d’ultimes victoires l’action des plénipotentiaires français. Il est difficile de s’exagérer l’importance des décisions prises. Et d’abord deux nations libres étaient reconnues : la Hollande et la Suisse ; par là triomphait le droit des peuples à vivre indépendants, principe nouveau contenant en germe une transformation de la morale politique européenne. Ensuite les trois religions catholique, luthérienne et calviniste étaient admises dans l’empire à égalité de traitement ; ce n’était pas encore la liberté de conscience avec ses conséquences complètes ; bien des étapes resteraient à franchir avant d’y atteindre ; mais on s’engageait dans une voie y conduisant fatalement. De plus, par le système d’échanges et de compensations adopté comme base de négociations par les divers gouvernements en cause se trouvait proclamée la nécessité d’un équilibre international pour garantir la paix ; et cela aussi constituait une bienfaisante nouveauté. Un tel équilibre ne se trouverait pas immédiatement réalisé assurément. Parmi les cessions consenties, celle de l’Alsace à la France s’appuyait sur des raisons géographiques, historiques et même ethniques ; celle d’une partie de la Poméranie, de la ville de Brême, de l’île de Rugen et des bouches de l’Oder à la Suède se légitimait moins aisément. La doctrine de l’équilibre en acquérait quand même une force féconde apte à se développer dans les esprits. Enfin par la substitution d’une organisation fédérale des États de l’empire au régime incohérent dont l’Allemagne avait failli périr s’introduisait l’idée de la collaboration possible de souverainetés superposées mais distinctes, point de départ du fédéralisme moderne.

Le refus de l’Espagne d’adhérer à une paix ainsi construite et la véhémente protestation du Saint-siège contre les principes qui en inspiraient le dessin soulignèrent ce qu’elle renfermait de révolutionnaire. Sans doute parmi les consentants beaucoup n’aperçurent point ce caractère, du moins au degré où il s’affirmait. D’ailleurs des réactions se produiraient dans la suite qui en atténueraient ou en neutraliseraient les conséquences. Les traités de Westphalie n’en créèrent pas moins une Europe nouvelle ; leur esprit durant plusieurs siècles devait animer la diplomatie et inspirer les gouvernements jusqu’à ce que, sous l’influence de Napoléon III, le principe dit des nationalités vienne modifier profondément les conditions de la politique européenne.

  1. Ce n’est qu’après la publication du célèbre livre de Bossuet, Histoire des variations de l’Église protestante, en 1688, que l’exposé de l’auteur paraissant irréfutable même à beaucoup de réformés, ceux-ci s’accoutumèrent à l’idée d’une unité impossible et furent amenés à considérer cette impossibilité comme la marque de la supériorité individualiste de leur confession.
  2. Joseph Leclerc du Tremblay plus connu sous le nom de père Joseph, entré en 1599 dans l’ordre des Franciscains alors que de belles carrières militaires ou civiles semblaient s’ouvrir devant lui fut pour Richelieu un admirable collaborateur. Parfaitement équilibré, enthousiaste, ardent patriote, diplomate habile et connaissant fort bien les rouages européens, la plupart des historiens ne lui ont pas rendu la justice qui lui était due.