Aller au contenu

Histoire universelle de l’Église (Alzog)/Période 1/Époque 1/Partie 2/Chapitre 02

La bibliothèque libre.

CHAPITRE II

LES HÉRÉSIES.

§ 71. — Le Gnosticisme, son origine, ses caractères généraux.
La gnose enfle, la charité édifie.
I Cor. VIII, 1.
Sources. — Iren. Contra hær., lib. V, ed. Massuet. Paris., 1710. Tertull.. Contra Marcion. lib. V, de Præscript. hæreticor. ; adv. Valentin. (Contra Gnosticos) Scorpiace. Epiphan. Adv. Hær. (éd. Petav. Paris., 1622). Colon. 1682. Je cite d’après cette dernière édition. Theodoret. Hæret. Fabb. Clem. Alexand., Orig. Passim. Récemment découvert Origenis (?), ou plutôt Hippolyte φιλοσοφούμενα κατὰ πασῶν αἱρέσεων ἔλεγχος e codice Parisino nunc primum ed. Emm. Miller. Oxon. 1851. Cf. Rev. trim. de Tub., 1852, p. 299 sq., 416 sq. Dœllinger, Hippolytus et Callistus. Ratisb., 1853. Plotinus Πρὸς τοὺς γνωστικούς (Ennead. II, lib. IX), ed. Heigl. Ratisb., 1832.
Travaux sur les Sources : Massuet Diss. præv. dans son ed. Opp. Iren. Lewald, de Doctr. gnostica. Heidelb., 1818. Néander, Développ. des principaux systèmes gnostiques. Berlin, 1818 ; Hist. ecclesiast., t. I, P. 2. Matter, Hist. crit. du Gnosticisme. Paris, 1828, 3 vol. Gieseler, Hist. ecclésiast., t. I, et dans les Études et crit. théol., 1830, P. 2, sur Matter et Schmidt. Mœhler, Essai sur le Gnosticisme. Tüb., 1831. Baur, Hist. de la Gnose. Tüb., 1835, Hilgers, Expos. crit. des hérésies, t. I, P. I, p. 124. Staudenmaier, Philosophie du christ., t. I, p. 489-93. Hildebrandt, Philosophiæ gnosticæ origines. Berlin, 1839, Ritter, Hist. de la philos. chrét., t. I, p. 111 et 285-345.

Une lutte peut-être plus dangereuse que celle que l’Église soutint contre la puissance romaine fut celle qu’elle livra à ses propre membres, lorsque ceux-ci, poussant jusqu’aux dernières extrémités les spéculations théologiques de Simon le Magicien ou plutôt de Cérinthe, les produisirent sous la forme du gnosticisme syriaque et égyptien.

Le Nouveau Testament désigne, en opposition avec le mot πίστις et prædicatio Ecclesiæ, sous le nom de γνῶσις, une science approfondie des Écritures[1], qui ne se contente pas des faits historiques et de la simple exposition des dogmes, mais qui développe les idées, remonte aux principes et cherche à sonder la philosophie du Christianisme.

Mais bientôt, à l’imitation de Philon, les partisans du gnosticisme se considérèrent comme les seuls savants (γνῶρίζοντες) ; possédant la sagesse plus haute cachée sous la lettre, et inabordable à la multitude (ἀπολλοί). De une lutte vive entre ceux qui admettaient simplement le Christianisme historique et traditionnel, et ceux qui, prétendant à une science plus profonde, mêlaient à la parole révélée des idées humaines, tirées la plupart de la théosophie orientale, et voulaient constituer, dans le sein de l’Église chrétienne, une espèce de doctrine mystérieuse ou ésotérique, qui ne devait pas troubler d’ailleurs, dans leur foi en l’autorité, la multitude de ceux qu’ils appelaient les psychiques. Et dès lors se montra le caractère de l’hérésie, toujours variable et changeante dans ses opinions, tandis que la doctrine transmise par les apôtres, et conservée par l’Esprit saint dans l’Église catholique est immuable dans son unité. Le gnosticisme ne s’occupe pas seulement comme on le pense d’ordinaire, de l’origine du monde et du mal, mais encore de la lutte du bien et du mal dans l’univers, de la puissance extraordinaire du principe non divin, combattu et définitivement dompté par l’invisible puissance du divin. Il montre partout le parallélisme du monde supérieur des esprits et du monde inférieur des corps, qui n’est qu’une image défigurée du premier[2], et le but qu’il assigne à la création et à toutes les manifestations divines est la destruction du mal moral par l’affranchissement de l’esprit des liens terrestres et par son retour vers le monde supérieur.

Les gnostiques opposaient à la doctrine de l’Église catholique, qui enseigne, d’une part, que ce monde fini et matériel a été créé de rien par un acte de la toute-puissance divine, et, de l’autre, que le mal, le péché, est né de l’abus de la liberté, un double système, plus fantastique que logique, plein d’images et d’allégories à la façon orientale, pauvre des déductions abstraites et sévères usitées en Occident. À côté de l’idée de Philon, d’un Être invisible et suprême, inaccessible et sans rapport immédiat avec le monde matériel, sphère du mal, ils admettaient la doctrine de l’émanation. Au moyen de cette émanation, devenant de plus en plus sensible et palpable, le Dieu suprême, idéal de toute perfection et source de toute vie, devait s’être manifesté par une longue série d’esprits divins de plus en plus imparfaits (αἰῶνες)[3]. Un de ces esprits subordonnés (δημιουργός) avait crée le monde et les hommes, dont la nature était plus ou moins spirituelle, psychique ou matérielle (πνευματιϰοί, ψυχιϰοί, ὑλιϰοί). Cependant bien des gnostiques ne voyaient pas comment, même de ces émanations successivement dégradées de l’Être suprême et saint, pouvaient naître le mal et le monde. Pour en expliquer l’origine, ils avaient recours au dualisme, admettant un principe du mal opposé au souverain bien. Ce n’était qu’une traduction des idées orientales et surtout de la doctrine persique d’Ahriman, l’esprit des ténèbres et du mal, qui, en attaquant la sphère lumineuse d’Ormuzd, avait mêlé la lumière aux ténèbres, le divin à la matière. Arrivés là, les gnostiques n’étaient pas loin de l’idée de la Rédemption. Aussi, disaient-ils, c’est un æon supérieur qui doit délivrer l’esprit de ses chaînes terrestres, dégager l’esprit divin de la matière (ὕλη). Mais les efforts de l’homme doivent correspondre à cette action libératrice de l’æon. Les gnostiques prétendaient tirer ces conclusions des rapports du judaïsme avec le Christianisme et de sa doctrine de la Rédemption. Seulement, l’Église, soutenaient-ils, avait avec la suite des temps altéré la vérité, et y avait substitué la foi en son autorité et en son enseignement oral, tandis que les gnostiques ne puisaient leur défense que dans l’Écriture sainte, et la doctrine secrète que les apôtres avaient transmise à quelques élus. Quant à l’Écriture sainte elle-même, ils en rejetaient tantôt des livres entiers, tantôt des passages qui ne s’accommodaient point à leur doctrine, et y substituaient de faux évangiles, des actes des apôtres apocryphes[4]. Leur exégèse allégorique était si merveilleusement arbitraire et si dévergondée, que saint Irénée[5]) remarque qu’ils étaient capables de faire, de la description la plus brillante d’un roi de ta terre, l’image d’un chien ou d’un renard, en soutenant toujours que c’était la véritable image d’un roi.

Les sources du gnosticisme sont à la foi psychologiques, historiques et matérielles. Sous le point de vue psychologique, le gnosticisme est né de l’orgueil de l’esprit humain qui, dans la recherche de la vérité, n’a pas le courage de renoncer à lui-même, à ses vues propres, à ses idées et à ses spéculations particulières, dès qu’elles sont contraires à la révélation divine. Historiquement, les semences de la gnose se trouvent dans la philosophie religieuse de Philon, dont la parenté avec le gnosticisme n’est pas difficile à établir[6]. Quant aux éléments matériels étrangers au Christianisme et qui s’y sont mêlés, pour former la gnose, ils sont fournis par le platonisme de Philon d’Alexandrie[7], la doctrine de Zoroastre et la système de Bouddha. C’est par la connaissance de ces trois systèmes que se complète et s’explique la gnose.

Quant à sa rapide propagation, elle est probablement due, suivant les vues de Mœhler[8], au travail général des esprits et à la fermentation des opinions religieuses excitée par l’apparition du Christianisme. C’est surtout en Syrie et en Égypte, où cette fermentation existait depuis longtemps, qu’elle se propagea, en prenant la forme systématique prédominante dans ces régions, celle de l’émanation et du platonisme en Égypte, celle du dualisme et du docétisme[9] en Syrie.

Nous trouvons déjà tes germes du docétisme dans les idées de Philon, dont le dieu suprême, comme le dieu secondaire, purs esprits, ne peuvent se manifester dans le monde qu’en prenant, non une forme réelle et substantielle, mais une apparence vide et fantastique. On peut encore diviser les systèmes gnostiques selon la prédominance de l’idée païenne, judaïque ou chrétienne sur la Divinité. D’après cela, la première forme principale du gnosticisme est celle où le Christianisme est, à la vérité, considéré comme la Religion absolue, mais sans opposition radicale entre lui, le judaïsme et le paganisme, qu’on envisage, au contraire, comme les degrés nécessaires d’un même développement progressif (tel est le gnosticisme de Basilide, Valentin, Saturnin et Bardesane). Dans la deuxième forme, le Christianisme se sépare rigoureusement du judaïsme et du paganisme, et son Dieu est tout différent du Dieu des autres (telle est la doctrine de Marcion). La troisième forme, enfin, résulte d’un mélange de Christianisme et de paganisme, opposé au judaïsme (p. ex. chez Carpocrate), ou bien d’une décomposition des idées chrétiennes par les idées judaïques et opposées, dans ce sens restreint, aux notions païennes (comme chez les Clémentiniens)[10].

§ 72. — Caractères et principales formes du gnosticisme.
AxxxForme judéo-hellénique de la gnose. Gnostiques égyptiens.
1.xxxcarpocrate.
Iren. I, 25. Clem. Alexand. Strom. III, 2. Euseb. Hist. ecclesiast., IV, 7. Epiph. Hær. 27. (Opp., t. I, p. 102 sq.) ; Hær. 32, c. 3 (t. I, p. 210). Theodoret. Hær. Fab. I, 5. Les Philosophumena, p. 255-56. Tillemont, t. II, p. 253 sq.
On compte ordinairement parmi les gnostiques Carpocrate, Alexandrin, qui vécut du temps de l’empereur Adrien. Il n’était cependant qu’un platonicien : à peine appartient-il aux sectes chrétiennes. Le Saint-Esprit, selon lui, s’est révélé κατ’ ἐξυχήν avant le Christ, après le Christ, tout comme en lui. La doctrine du Christ n’est que l’hellénisme bien entendu, le pythagorisme et le platonisme accommodés à un nouveau mode de révélation ; le Christianisme traditionnel et vulgaire n’est pas plus la vraie religion que tout autre système philosophique, ou toute autre religion populaire qui ne s’appuie pas sur la science : le Christ est un philosophe comme Pythagore ou Platon. La Divinité, selon le système religieux de Carpocrate ἡ μόνας, ne se manifeste pas dans le monde des sens, œuvre des esprits déchus (ἄγγελοι κοσμοποιοί). L’esprit dégagé de toute influence terrestre peut seul s’élever à la science de Dieu (γνῶσις μοναδική). Éviter tout contact avec les choses de la terre, renoncer à la religion et à la morale vulgaires, qui ne produisent qu’une simple légalité, mais qui ne justifient ni ne purifient, telles sont les conditions pour revenir à l’union divine, par l’essor de la libéré et les efforts d’une vertu vraiment morale (θεῖα δικαιοσύνη). Peu d’hommes arrivent à ce terme, comme Pythagore, Platon et le Christ, dont les âmes, même durant leur apparition terrestre, étaient dans un rapport intime avec Dieu. Une vertu divine avait réveillé en eux la réminiscence de leur vie antérieure, et les avait rendus capables de s’élever au-dessus de l’horizon borné de la vie commune et d’arriver à l’adoration du vrai Dieu. Tous les hommes, du reste, ont la même destination.

Malgré le spiritualisme de cette théorie religieuse, Carpocrate favorisa la corruption des mœurs les plus dissolues, et se fit par là de nombreux partisans en Égypte et à Rome. Son fils naturel Épiphane propagea sa doctrine immorale dans l’île de Céphalonie, enseignant, ainsi que Platon, la communauté des femmes et des biens, comme le vrai moyen d’honorer la Divinité, et terminant d’ordinaire la solennité des agapes de la secte par les plus abominables excès (concubitus promiscuos)[11].

2.xxxbasilide.
Iren. I, 24. Clem. Alexand. Strom. Euseb. IV, 7. Epiph. Hær. 24 (Opp., t. I, p. 68 sq.). Theodoret. Hæretic. Fab. I, 2, 4, p. 584. Les Philosophumena, p. 225-244. Cf. Tillemont, t. II, p. 219 sq. Dict. des hérésies par Pluquet, art. Basilide, Édit. Migne, 1847.

Basilide, d’après saint Épiphane, venu de Syrie en Égypte dans la première partie du IIe siècle, y dogmatisa avec zèle, aidé puissamment par son fils Isidore. Son système repose sur une tradition secrète, originaire de Cham, fils de Noé, transmise aux sages orientaux Barkoph et Barchor, et parvenue, depuis la venue du Christ, par Glaukias, l’herméneute de Pierre, et par l’apôtre Mathias, jusqu’à lui et son fils Isidore. Ce système rappelle les doctrines de la Perse et présente les caractères principaux du manichéisme. Il est d’ailleurs démontré historiquement qu’il propagea sa doctrine en Perse avant l’apparition de Manès.

Dieu est l’être primordial, incompréhensible, ineffable (θεός ἄρρητος) ; de son sein se déploient sept puissances (δυνάμεις), savoir νοῦς, λόγος, φρόνησις, σοφία, δύναμις, δικαιοσύνη, εἶρήνη, qui forment le premier ciel ou le royaume des esprits. De celui-ci émane un second, un troisième, et jusqu’à trois cent soixante-cinq royaumes de plus en plus imparfaits, désignés dans leur ensemble par le nom mystique (Ἄβραξας)[12], dont les lettres, considérées comme chiffres, forment le nombre 365[13]. Le premier ange (ὁ ἄρχων) d’entre les sept de la dernière série est le Dieu des Juifs, le Créateur du monde imparfait des sens et de la matière. Pour délivrer les hommes des liens de ce monde impur, L’Être suprême envoya sur la terre l’æon premier né (νοῦς), qui apprend aux hommes à connaître de vrai Dieu, et les ramène au royaume de la lumière (ἀποκατάστασις). Cet esprit s’unit à l’homme Jésus, au baptême de ce dernier ; que les Basilidiens célèbrent avec solennité (ἐπιφάνεια). Dans sa passion, Jésus, abandonné par le νοῦς, souffrit seul. Dès lors, reconnaître et confesser le Crucifié, c’est rester esclave du Créateur du monde ; mais reconnaître et proclamer le Libérateur[14], c’est s’élever au-dessus des puissances et des anges ; et pourvu que la doctrine du libérateur soit crue et conservée dans le cœur, on peut sans danger la renier au dehors, dans la persécution. Cette doctrine, que peu d’élus comprennent, consiste dans le dépouillement de tout ce qui est physique et corporel, afin que l’âme s’élève, dans la contemplation immédiate, à l’évidence divine, et que la volonté libre et dégagée fasse le bien sans contrainte de la loi extérieure (κατάληψις νοητική). Mais on n’arrive à cette pureté parfaite dans le royaume de la lumière que par une série de métempsycoses. La morale des Basilidiens fut d’abord un ascétisme d’une sévérité extrême, qui se relâcha dans la suite et dégénéra parmi les sectaires de l’Occident, en un antinomisme impudent. Il est question des Basilidiens jusqu’au IVe siècle.


3.xxxvalentin.
Principal objet de la controv. dans Iren. Contra hœr., et Tertull. de Præscr. hæret. adv. Vatentinian. Clem. Alexand. Strom. passim. Epiph. Hær. 31 (Opp. t. I. p. 163-207). Theodoret. Hær. Fab. I, 7. Les Philosophumena, p. 90. 177 sq. Cf. Tillemont. t. II, p. 257 sq. et p. 603 sq. Rossel, Syst. du Gnost. Valentin, Écrits théol. publ. par Néander. Berl., 1847, p. 280.

Contemporain de Basilide, l’Égyptien Valentin vint à Rome en 140 et mourut en 160 à Chypre. Analogue au système de Basilide, mais plus travaillée, plus fantastique encore, sa doctrine fut celle qui eut le plus de partisans. Au sommet des êtres, dit-elle, est l’être primordial (βυθός, προπάτωρ, προαρχή). La vie, cachée dans l’être primordial, se manifeste par une série de dualités unies entre elles (σύζυγοι). L’union de ces principes actifs et passifs est le prototype du mariage. Valentin en admet quinze, qui, avec trente æons, se partagent en ὀγδοάς, δεκάς et δωδεκάς. Celui qui est de toute éternité, le Père, dont la conscience n’est pas révélée (ἔννοια, σιγή), engendra avec ἔννοια l’unique, le μονογενὴς ou νοῦς, et ἀλήθεια, la vérité ; de l’union de ces derniers provinrent λόγος et ζωή, d’où à leur tour ἄνθρωπος et Ἐκκλησία, ou l’homme idéal réalisé dans l’idée de l’Église. Tous ensemble forment l’ὀγδοάς, racine de l’univers. C’est de la même manière qu’émanent successivement les esprits des δεκάς et δωδεκάς suivantes, pour former ensemble la πλήρωμα, opposée au chaos ou néant (κένωμα). L’æon ὅρος, limite de la sphère spirituelle, retient par un lien commun chacun des æons dans sa sphère. Cependant, σοφία, le dernier des æons, enflammé du désir ardent, insensé, de s’unir à l’être primordial (βυθός) et méprisant sa compagne θέλητος, sortit des limites de sa sphère. De son désir non satisfait naquit un être informe, Achamoth (ἀχαμώθ, הָחָכִמוּת, c’est-à-dire la sagesse d’en bas, ἡ κάτω σοφία). Celle-ci planait autour et en dehors du royaume de la lumière. La crainte et la tristesse, nées de la séparation de la sagesse supérieure, (ἡ ἄνω σοφία), communiquèrent au chaos des germes de vie et engendrèrent les corps, tandis que le désir de l’union divine donna naissance aux âmes. Ainsi le démiurge (δημιουργός), né d’Achamoth, créa le monde des corps et des âmes, auquel l’æon ὅρος apporta un pur élément spirituel pour l’unir aux âmes des hommes. Mais cette assimilation ne réussit pas complétement, et les âmes ne parvinrent point à s’élever entièrement au-dessus de l’élément matériel. Alors, pour rétablir l’harmonie de la divine πλήρωμα, de νοῦς émane une nouvelle paire d’æons (Χριστός et Πνεῦμα ἅγιον), et de tous les æons réunis provint Jésus (σωτήρ), futur époux (σύζυγος) d’Achamoth. L’æon Jésus s’unit au baptême avec le Messie psychique promis par le démiurge et arracha les hommes psychiques à la puissance de la matière, les pneumatiques à la domination du démiurge et aux observances judaïques. La lettre de la doctrine de Jésus et ses miracles opèrent, dans les hommes psychiques, la foi au Messie psychique. Les pneumatiques seuls, intérieurement vivifiés par la vérité et reconnaissant le libérateur, reviennent à la plérôma. À la fin du monde se fera une restauration suprême de toutes choses, ἀποκατάστασις. Les pneumatiques, dépouillant âme et corps, rentreront dans la plérôma avec Soter et Achamoth. Les psychiques resteront dans une sphère intermédiaire entre le monde des corps et la plérôma (μεσότης), les somatiques rentreront dans le néant de la matière (ὕλη).

Les disciples de Valentin, qui modifièrent ce système de diverses façons, furent Héractéon[15], Ptolémée[16], Secundus[17], Colorbasus[18] et surtout Marcus[19].

Observation. C’est surtout dans les ouvrages de saint Irénée[20] et de Tertullien[21] qu’il faut chercher les explications et les détails sur ce système des Valentiniens, qui forme une véritable mythologie chrétienne, dans laquelle, sous des images sensibles, il y a évidemment des idées spéculatives.

4.xxxles ophites.
Iren. I, 30. Orig. Cont. Cels. VI, 3. Les Phîlosophumena, p. 277. Epiph. Hær. 37 (Opp., t. I, p. 267). Theodoret. Hæret. Fab. I, 14 Augustin. de Hæresib., c. 17. Cf. Tillemont, t. II, p. 288 sq.

Les Ophites ont de grands rapports avec les Valentiniens, Quels ont été les premiers ? ceux-là peut-être, si l’on en juge d’après la plus grande simplicité de leur doctrine. De (βυθός, disent-ils, émanent d’abord ὁ πρῶτος ὁ δεύτερος ἄνθρωπος ou (υἱὸς ἀνθρώπου ; de leur union, πνεῦμα ἅγιον, mère de toute vie. De l’union de celle-ci avec les deux premiers naquirent l’imparfaite (σοφία ἀχαμώθ et (ὁ ἄνω Χριστός, principe de la création et de la libération. Impuissante dans son effort vers Dieu, Sophia partagea sa vertu divine avec la matière et donna l’existence à l’esprit Jaldabaoth, יַלדָאבָהוֹה, fils du Chaos. Celui-ci produisit six esprits, et uni à eux, il devint le créateur des planètes, du monde, des corps et de l’homme, et en même temps le Dieu des Juifs. Mais plus il se manifesta et s’extériora, en communiquant sa vertu déjà affaiblie au monde des esprits et des corps, plus il se perdit dans la matière, ὕλη. Alors, dans sa colère et son impuissance, il plongea un regard furieux vers l’abîme des mers, et créa un esprit-serpent, absolument mauvais, ὀφιόμορφος, ennemi de tout ce qui lui est supérieur, même de Jaldabaoth et des hommes créés par ce dernier, et qu’il chercha à en détourner. Mais Achamoth parut et entreprit de délivrer les hommes. Elle parvint à gagner le serpent et le porta à détourner les hommes de la loi de Jaldabaoth, qui leur avait arbitrairement défendu de manger du fruit de l’arbre de la science, cette défense les entravant dans leur développement et leur tendance primitive vers les choses supérieures.

Achamoth, néanmoins, ne réussit à développer cette conscience supérieure, fruit de l’infraction de la loi, que dans un très-petit nombre d’hommes. Les autres restèrent ou retombèrent sous la violente domination du créateur irrité et du serpent trompé. Enfin, le Christ céleste s’unit à Jésus, Messie de Jaldabaoth, et quoique crucifié par la haine du Dieu des Juifs, il délivra les hommes à la fois de ce Dieu et du serpent (du judaïsme et du paganisme).

La consommation de toutes choses se fera par le retour de la Sophia et des hommes spirituels, dégagés de la matière, dans la Plérôma, et par la chute de Jaldabaoth, qui, dépouillé de presque toute sa puissance, sera précipité dans le chaos.

Quelques-uns de ces sectaires honoraient le serpent, d’où vient leur nom d’Ophites[22]. D’autres vivaient dans un austère ascétisme et le célibat ; d’autres encore, par esprit d’opposition aux lois du Dieu des Juifs, se livraient à toutes leurs passions ; d’autres enfin, en Égypte par exemple selon Origène, faisaient maudire le Christ aux hommes initiés. Les Sethianites[23] appartiennent à ces sectes gnostiques ; ils honoraient dans Seth le père et le chef des pneumatiques, apparu de nouveau dans Jésus, d’après le désir de Sophia. Les Caïnites vénéraient comme leurs modèles Caïn, Cham, les sodomites, tous les personnages marqués d’infamie dans les Écritures, jusqu’à Judas Iscariote, qui trahit Jésus, parce qu’il savait que par sa mort, le règne du Dieu des Juifs serait détruit. eurs mœurs étaient tout ce qu’il y avait de plus opposé à la loi (antinomistes).

BxxxForme judéo-persique de la gnose. Ghostiques syriens.
5xxxsaturnin.
Iren. I, 24. Epiph. Hær. 23 (t. I, p. 62 sq.). Theodoret. 1. cit., I, 3. Les Philosephumena, p. 244-246.

Saturnin ou Saturnilus, contemporain de Basilide, dogmatisa sous le règne d’Adrien, à Antioche. Voici les points principaux de sa doctrine, qu’il rattacha au système de Simon le Magicien et de son disciple Ménandre[24].

L’Être primordial (πατὴρ ἄγνωστος) créa des hiérarchies d’anges et d’archanges (δυνάμεις ἀρχαί et ἔξουσίαι). Les anges tombèrent de cette haute puissance, et au plus bas degré de la chute se trouvèrent les esprits des sept planètes (ἄγγελοι κοσμοκράτορες). Ceux-ci créèrent le monde et l’homme, à l’instar d’une forme spirituelle qui leur était apparue un instant pour s’évanouir bientôt après, et dont l’image s’était conservée dans leur souvenir. L’homme, ainsi formé, était sans langage ; il marchait incliné vers la terre. Le père suprême en eut pitié et l’anima d’une étincelle de vie divine. Parmi ces anges créateurs fut le Dieu des Juifs. Pour affranchir les hommes de sa domination et empêcher que l’étincelle divine ne s’éteignit en eux, le Père envoya le premier des æons, le Christ (νοῦς) incréé, incorporel, avec l’apparence de la forme humaine. Les alliés de Dieu, les fils de la lumière, les Saturniniens surtout son destinés à la délivrance ; les natures humaines hyliques n’en sont pas susceptibles. Au Dieu inconnu est opposé le mauvais principe (ὁ Σατανᾶς), qui à la race des hommes de la lumière oppose une race ténébreuse, faite à sa ressemblance. Pour éviter tout rapport avec ce mauvais principe, les Saturniniens s’abstenaient du mariage et de la viande, produits tous deux de Satan.

6.xxxbardesane.
Fragment de son livre Περὶ εἱμαρμένης dans Euseb. Praep. evang. VI, 10. Epiph. Hær. 56 (t. I, p. 476 sq.). Theodoret. Haeretic. Fab. I, 22. Cf. Tillemont, t. I, p. 454 sq.

Bardesane naquit vers 154, on le trouve en 172 à Édesse. Saint Jérôme parlait encore, d’après les traditions connues, de son éloquence et de son talent poétique. Épiphane, Eusèbe et Théodoret rapportent différemment la manière dont il abandonna la vraie foi pour embrasser le gnosticisme. Les propositions gnostiques dont on l’accuse se trouvent dans son écrit Dialogus de recta in Deum fide. Satan, dit-il ne peut venir de Dieu. Il est né du mauvais principe, de l’éternelle matière, car il a toujours existé un bon et un mauvais principe, auquel correspondent dans le monde physique et moral la lumière et les ténèbres. Les corps, prison de l’âme, ne peuvent ressusciter. Le Christ avait revêtu un corps céleste. C’est par le charme de leurs hymnes que Bardesane et son fils Harmonius attirent et gagnèrent de nombreux adhérents[25]. Au IVe siècle Éphraïm le Syrien se vit encore obligé de composer pour le peuple des hymnes orthodoxes, afin de les opposer à ceux de Bardesane.

7.xxxtatien.
Iren. I, 26. Epiph. Hær. 46 (t. I p. 390). Theodoret. Hæreticor. Fab. I, 20. Philosophumena, p. 273. Cf. Tillemont, t. II, p. 410-18. Daniel, Tatien. Halle, 1837.

Contemporain de Bardesane, disciple de Justin le Martyr, Tatien fut d’abord un chaud défenseur du Christianisme. On trouve déjà dans son apologie des traces de la doctrine platonicienne sur la matière, et l’esprit de vie allié de la matière, opposé à la raison, et formant les esprits physiques. Dans la suite il forma un parti gnostique à Antioche. Sa théorie des æons ressemble à celle de Valentin. Il s’arrêta beaucoup sur les prétendues oppositions de l’Ancien et du Nouveau Testament. La parole créatrice, Fiat lux, n’était, selon lui, qu’un vœu du démiurge plongé dans les ténèbres. Il insistait sur la nécessité des abstinences les plus sévères : il montrait dans le Christ l’idéal de la vie virginale et condamnait le mariage comme une impureté, en s’appuyant sur le texte de saint Paul[26]. Ses partisans sont nommés Encratites, Hydroparastates, Aquariens, Sevériens. Ils ne se servaient que d’eau même à la messe, ainsi que les gnostiques. Cette altération de l’Eucharistie telle que l’administre l’Église leur était commune avec tous les gnostiques. D’après leurs idées sur la matière, dont leur docétisme était une conséquence, ils s’abstenaient de l’Eucharistie, au rapport de saint Ignace[27] : ils l’accommodèrent plus tard à leur système.

8.xxxmarcion.
Iren. Contra hær., I, 27. I. Contra Marc., lib. V. Clem. Alexand. Strom. διάλογος περί τῆς είς θεὸν όρθῆς πίστεως, ed. Wetstenius. Bas., 1674 ; parfois faussement attribué à Origène (Orig. Opp., ed. De la Rue, t. I). Les Philosophumena, p. 246-55. Epiph. Hær. 42 (Opp., t. I. p. 303 sq.). Cf. Tillemont. t. II, p. 266 sq.

Marcion, fils d’un évêque de Sinope, formula la gnose d’une manière toute particulière. Rejeté par l’Église de Sinope, il vint vers 150 à Rome, s’attacha au gnostique syrien Cerdon, et, d’accord avec lui, forma son système, d’après lequel la révélation divine, sans antécédent et sans aucun rapport avec ce qui précède dans l’histoire du monde, ne commence qu’avec le Christianisme et s’y manifeste tout aussitôt dans sa perfection. Il ne part point, comme d’autres gnostiques, des spéculations d’une métaphysique naturelle ou d’une philosophie de la nature, mais d’un point de vue moral, qu’il rattache à certains passages de saint Paul sur la liberté de la grâce en J.-C. qu’il interprète de la manière la plus fausse et la plus arbitraire, mal compris selon lui. Il distingue trois principes indépendants les uns des autres (ἀργαἱ) : θεὂς άγαθός, — δημιονργὸς δίϰαιος, — ὒλη, avec ὁπονηρός ou διάβολος. Pour justifier son opinion sur l’absence de toute révélation préparatoire du bon principe, il montre la grande distance qui sépare le Dieu du Christianisme et le Dieu des Juifs, créateur du monde, tels que leurs caractères ressortent des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament : l’un miséricordieux, fondateur de la vraie moralité, partant d’une volonté libre ; l’autre rigoureux, auteur d’une justice stricte et légale[28].

Pour délivrer l’humanité de cet état de dégradation et de cette domination arbitraire et cruelle du Dieu des Juifs, le θεὂς άγαθός, le Dieu bon, mais inconnu, se manifesta par le Christ, descendu à Capharnaüm dans un corps apparent. D’abord il se fit prudemment passer pour le Messie du démiurge ; mais, ayant voulu faire connaître aux hommes le Dieu bon et caché, il fut crucifié par les Juifs, d’après les instigations de leur Dieu. Quiconque croit au Christ et pratique la vérité a part au royaume de Dieu : l’infidèle reste sous le joug du Dieu des Juifs. Marcion imposait aux croyants, qu’il n’admettait qu’après un long et sévère catéchuménat, une conduite morale très-sévère, l’abstinence du mariage, de tout plaisir, de toute joie, de tout aliment non indispensable, en se fondant sur un évangile altéré de saint Luc et sur dix fausses lettres de l’apôtre Paul (ὀ άπόσολος). Contrairement aux autres gnostiques, il rejetait toute doctrine secrète, la théorie de l’émanation et les commentaires allégoriques. Sentant la nécessité du culte, niée par les gnostiques, il chercha à simplifier les formes du culte catholique et permettait aux catéchumènes (catechumeni), de participer aux mystères sacrés avec les initiés (etecti). L’Église catholique, d’après lui, était déjà retombée dans le judaïsme[29]. Cependant au moment de sa mort, il manifesta, dit-on, le désir de rentrer dans le sein de l’Église, ce qu’il ne put obtenir. Les disciples les plus importants de Marcion sont Marc et Apelles, qui remplirent les lacunes de son système par des propositions tirées d’autres gnostiques. De là les formes multiples de ce système, dont plusieurs s’étant organisées d’une manière quasi ecclésiastique, durèrent jusqu’au VIe siècle.

Hermogènes, combattu par Tertullien (adversus Hermogenem liber), se rattache aux gnostiques. Partant de la doctrine platonicienne sur la matière (ῡλη) il prétend : Au commencement étaient deux principes, Dieu le principe créateur, actif ; la Matière, le principe concevant, passif. Dieu donna une forme à la matière : celle-ci résista ; cette résistance est la source de tout mal. Hermogènes combat en même temps la doctrine catholique qui fait sortir la création du néant, et le système des émanations gnostiques, comme renfermant des idées indignes de Dieu. (Conf. Bœhmer, Hermogenes Africanus. Sundiæ, 1832.)

§ 73. — Le Manichéisme.
Sources. — Archelai, episc. Cascharor. [v. 278], Acta disputat. c. Manete (Galland. Bibl. PP. t. III, p. 569-610), et dans Mansi, t. I, p. 1129 sq. — Routh, Reliq. sacr., t. IV. — Tit. Bostrens. [vers 360], 1. IV, ϰατὰ τῶν Μανιχαίων (Canis. Lect. ant., ed. Basnage, t. I). — Alexander, Lycopolit. adv., Manich. placita (Galland. Biblioth. PP., t. IX, p. 73-88). — Epiph. Hær. 66 (Opp., t. I, p. 657 sq.). — Augustin. Contra epist. Manich. fundam. ; Fortunat. ; Adimant. ; Faust. ; de actis cont. Felic. Manich., etc. (t. VIII, ed. Bened.). — Augustin de Mor. ecclesiast. cath. et mor. Manich. (t. I). Fragment, dans Fabric. Biblioth. gr., t. V, p. 284 sq. Cf. Tillemont, t. IV, p. 367 sq.
Travaux sur les sources. Beausobre, Hist. crit. de Manès et du Manichéisme. Amst., 1734 sq., 2 t. in-4. — Alticotii, S. J. Dissert. hist. crit. de antiq. novisque Manichæis. Romæ, 1763. Walch, Hist. des hérésies, t. I, p. 685 sq. Baur, Syst. relig. des Manich. Tüb., 1831. Colditz, Syst. relig. des manich. Leipzig, 1838. Staudenmaier, Philos. du christ., p. 504. Baur démontre la parenté du bouddhisme et du manichéisme, ce qu’avant lui avait fait déjà Aug. Ant. Georgi, Alphabetum Tibetanum. Romæ, 1762, p. 398 sq. V. Dœllinger, Man. de l’hist. ecclés., t. I, p. 244.

Un des systèmes qui se rapprochent le plus du gnosticisme fut le Manichéisme, qui, après la chute de la gnose, chercha à succéder à son autorité sur les esprits. On le fait remonter au Persan Mani (Manès, Manichæus), issu d’une famille distinguée de Mages, qui le fit élever d’une manière à la fois artistique et scientifique. Cependant, d’après les traditions occidentales, ce Manès était un esclave, que la veuve d’un certain Térébinthe, nommé aussi Bouddha, mit en possession des livres du marchand sarrasin Scythianus, qui, dans ses nombreux voyages, avait acquis des ouvrages de la philosophie grecque et orientale. C’est là que Manès doit avoir puisé son système, vers le milieu du IIIe siècle. À cette époque l’empire des Perses avait été délivré, par les Sassanides, de la domination des Parthes, et la nouvelle dynastie avait résolu d’asseoir sa puissance sur une base solide, en travaillant à l’amélioration religieuse du peuple. À cet effet, elle s’efforça de remettre en honneur la religion de Zoroastre, qui, sous les Arsacides, était devenue un grossier dualisme, un culte tout extérieur, sans élévation, sans esprit. Les Magusiens, partisans de cette forme dégradée, furent dispersés. Manès paraît s’être attaché à ce mouvement religieux. Cependant, poursuivant sa propre voie, il crut trouver de l’affinité entre la religion persane et le Christianisme gnostique (de Basilide), le bouddhisme et le culte de Mithra, et il conçut la pensée hardie de faire de la religion populaire une religion universelle. Cette ambition lui suscita des haines et des persécutions de la part des mages, des rois persans et des chrétiens, auxquels il se donnait pour le Paraclet promis. Il finit par mourir dans les tortures, sous Baharam, qui, après l’avoir fait comparaître dans une discussion publique, le condamna comme corrupteur de la religion [vers 277].

Manès admet deux êtres éternels, la lumière et les ténèbres, et formule ainsi, d’une manière positive et toute différente des gnostiques, le dualisme persan.

Les deux principes se manifestent par des générations successives, dans des sphères diverses, qui ont chacune leur maître. Le bon principe (correspondant à l’Ormuzd persan) remplit toutes choses de sa lumière, comme le soleil dans le système planétaire. Le mauvais principe (l’Arihman persan) n’est que matière, ténèbres et perversité. Existant de toute éternité, les deux royaumes de la lumière et des ténèbres sont dans une guerre perpétuelle. Pour combattre les puissances ténébreuses, le bon principe forma, de son propre être, l’homme primitif qui, comme le Logos de Philon, est à la fois l’âme du monde et la source de toute vie (ψυχή ἁπάντων, μήτηρ τῆς ζωῆς.).

Dans la lutte que l’homme primitif, uni aux cinq éléments les plus purs (lumière, feu, air, eau, terre), soutint contre les ténèbres, les puissances démoniaques lui enlevèrent une partie de la lumière, et l’auraient même complétement subjugé si le bon principe, invoqué durant le combat, n’eût envoyé une émanation nouvelle de sa puissance, l’esprit vivant (ζῶν πνεῦμα, spiritus potens). Celui-ci, mêlant à la matière le rayon lumineux dérobé à sa source, forma le monde visible, dans lequel chaque existence a un rang proportionné aux éléments qui prédominent en elle ; il plaça au haut du ciel les parties les plus nobles de l’homme primitif, comme soleil et comme lune ; fixa le corps des démons, dérobés aux parties lumineuses, comme étoiles au firmament, et avec les parties lumineuses les plus captives de la matière, il forma les créatures de la nature terrestre. Ainsi se répandit et s’épandit dans toute la nature, jusqu’aux plantes et aux pierres, la matière lumineuse et vivificatrice (Jesus patibilis). L’homme, comme les autres créatures, est un composé de matière et d’esprit, tirant son origine du royaume de la lumière. L’Archon des ténèbres engendra, avec sa femme (Nebrod), le premier homme, Adam, type du Dieu solaire (du Christ) quant à son âme, et du prince des ténèbres quant à son corps. Ce premier homme, foyer dans lequel toutes les forces du monde visible se concentrent, est par conséquent composé de deux natures et ainsi de deux âmes, la ψυχὴ λογική formée de parties lumineuses et la ψυχὴ ἄλογος formée de la matière de l’ὕλη sublimée, pleine de désirs terrestres et de convoitises sensibles. Mais pour empêcher l’homme, acquérant la conscience de son origine céleste, d’essayer de se relever vers sa patrie véritable, l’esprit des ténèbres lui associa une compagne : et l’homme, déjà soumis à l’instinct animal devint de plus l’esclave de la volupté, dont Ève fit naître le désir dans son cœur : et de là naquirent des enfants de plus en plus captifs des liens de la matière. Cependant il fallait que la race humaine fût délivrée, que la lumière fût dégagée des ténèbres, que l’esprit échappât au joug de la matière, puisque le monde, tel qu’il était, n’était qu’un résultat de la lutte des deux principes et d’un premier triomphe du bien. Et de là la libération physique et morale seconde donnée capitale du système manichéen. Pour opérer cette libération, le Christ, Dieu solaire, transforme les plus nobles puissances du soleil et de la lune en jeunes filles éblouissantes de beautés, en jeunes hommes non moins ravissants : il les fait apparaître aux démons des deux sexes, et cette vue les enflamme de désirs et d’ardentes passions ; mais bientôt les génies s’évanouissent ; les démons entrent dans une agitation terrible ; dans leur impuissante fureur, les vapeurs légères qui s’exhalent de leur sein enveloppent les semences lumineuses répandues dans le monde, et leur font prendre un rapide essor vers l’éther où les attire le soleil, dont le désir s’accomplit avec le succès de sa ruse. Cependant les hommes ne sont délivrés et rachetés que par le Christ (υἱός τοῦ αἰδίου φωτός, δεξιὰ τοῦ φωτός, υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου, fils de l’homme primitif), qui, sous le règne de Tibère, se montre en Judée dans un corps apparent. Il souffre, mais sa Passion aussi n’est qu’apparente. Le vrai but de sa mission, c’est l’instruction des hommes. Il leur apprend à triompher des désirs du corps, à se purifier de plus en plus, pour arriver à la vraie justification, qui ne s’opère que par la séparation de l’esprit et du corps, à la mort. Ce n’est que par une série de métempsycoses que la plupart des âmes arrivent à leur terme, au plus pur éther (ἀὴρ τέλειος). Déjà les apôtres comprennent mal et interprètent d’une manière judaïque la doctrine du Christ ; et c’est pourquoi le Paraclet était nécessaire pour donner aux hommes l’intelligence de la vérité, et il parut dans la personne de Manès. Selon Manès, les livres de l’Ancien Testament sont l’œuvre des démons : il faut les rejeter, de même que la plupart des livres du Nouveau Testament ; il n’y a pas jusqu’aux épîtres, d’ailleurs estimables, de saint Paul, qui ne soient entachées de judaïsme[30]. La vérité ne se trouve que dans la doctrine de Manès[31]. La Triade divine qu’admet le manichéisme semble le rattacher au Christianisme. Mais, quand on l’examine de près, on voit que, sous cette doctrine de la Trinité, il n’y a que les formules abstraites d’une vague philosophie de la nature : le Christ et l’Esprit saint ne sont que des émanations divines, destinées à combattre le mal dans le monde ; plus tard c’est du Sabellianisme, que Faustus formule en disant : Il faut honorer Dieu sous trois noms : comme Père dans la lumière suprême, comme Christ dans la lumière visible (force dans le soleil, sagesse dans la lune), comme Esprit dans l’éther pur. Ainsi devait s’opérer la libération définitive de la lumière, dont le triomphe sur les ténèbres serait le signal de la fin du monde.

Manès, comme plusieurs gnostiques, distingue les initiés ou parfaits perfecti electi, des catéchumènes, auditores, qu’un enseignement à la fois religieux et philosophique, mystique et allégorique, préparait longtemps d’avance. Les manichéens avaient aussi une hiérarchie marquée et complète : c’étaient douze maîtres avec un chef, soixante-douze évêques, des prêtres et des diacres. Le culte exotérique était tout à fait spirituel, sans autels ni cérémonies, et devait faire contraste avec celui des catholiques (semi-chrétiens). Ils jeûnaient le dimanche et célébraient le jour anniversaire de la mort de Manès comme une grande fête ecclésiastique (βῆμα). Le culte ésotérique était entièrement secret et mystérieux. Il consistait dans le baptême et la cène. On baptisait vraisemblablement avec de l’huile, on célébrait la cène sans vin.

Quant à la morale, Manès posait comme but principal la libération aussi complète que possible de la matière, et il exigeait des élus de sanctifier les trois sceaux de la bouche des mains et du cœur (signaculum oris, manuum et sinus). Le premier de ces sceaux défendait tout blasphème, surtout contre le Paraclet, l’usage de la viande et des boissons enivrantes. Le sceau de la main défendait le meurtre, les mauvais traitements des bêtes et des plantes, ainsi que l’exécution de travaux vulgaires. Le sceau du cœur prohibait tout désir sexuel et toute cohabitation conjugale. Les catéchumènes veillaient à l’entretien des parfaits, qui se nourrissaient en grande partie d’olives et d’autres végétaux. Les catéchumènes n’étaient pas tenus à toutes ces privations : ils pouvaient cultiver la terre et professer des métiers. Ils obtenaient facilement la rémission des fautes commises dans ces occupations, et qui ne pouvaient atteindre l’âme, susceptible de honte et de remords, mais incapable du mal lui-même. Et c’est pourquoi, comme s’en plaignit Éphraïm le Syrien, ils ne voulaient pas même qu’on songeât à se repentir ou à faire pénitence du mal, parce qu’on ne faisait, disaient-ils, que l’entretenir par là[32].

Effrayés par les malheurs de leur chef, les manichéens s’étaient répandus en Judée, dans la Chine, dans l’Asie Mineure, en Égypte, au nord de l’Afrique et dans d’autres contrées de l’empire romain. Dioclétien les condamna au feu, à la décapitation, à l’exil, comme des sectaires dangereux [296]. Les brillantes promesses qu’ils faisaient de résoudre tous les mystères de la nature et leurs pratiques ascétiques attirèrent à leur doctrine et fascinèrent même de grands esprits, tel qu’Augustin. Seulement les penseurs moins solides que le fils de Monique restaient plus longtemps captifs de ces séduisantes erreurs. Le manichéisme n’avait de commun avec le Christianisme que certains noms.

Observation. — Cette secte, qui, sous plusieurs rapports, menaçait les bases de la société, fut sévèrement proscrite par les empereurs romains. Valentinien Ier interdit les réunions des manichéens. Théodose Ier les persécuta jusqu’à leur ôter tout droit civil. Au commencement du Ve siècle, saint Augustin les combattit d’autant plus efficacement, qu’il les avait connus par expérience. Valentinien III fit contre eux des lois plus sévères encore, ainsi que Léon le Grand, au nom de l’Église, de sorte que la plupart des manichéens finirent par entrer dans l’Église catholique. Il en resta toujours un noyau mystérieux, qu’on retrouve en Occident, dans le moyen âge.

§ 74. — Les Montanistes. — Les Aloges.
Tertull. de Pudicit. ; de Fuga in persec. ; de Jejun. ; de Monogam. ; de Cult. femin. ; de Virginib. veland. ; de Exhort. castitat. — Euseb. Hist eccles., V, 3, 14-19. Epiph. Hær. 48. — Sur les Aloges, voyez Iren. III. 11 ; Epiph. Hær. 51. Cf. Tillemont, t. III, p. 212-213 ; Kirchner, de Montanistis specimen. I. Jen., 1832. — Schwegler (le Montanisme et l’Église chrét. du ixe siècle. Tub. 1841) prétend ôter au montanisme toute base historique et y substituer une base mythique et idéale ! Rischl, Orig. de l’Église cathol., p. 476 sq. Héfélé, Montan et les montanistes dans le Dict. ecclés. de Frib., t. VII, p. 252-269. Dict. des hérésies, par Pluquet, art. Montan.

Cependant une doctrine tout opposée au gnosticisme et aussi outrée que lui se formulait dans le Montanisme. En effet, comme le gnosticisme avait substitué aux faits historiques et aux idées révélées de l’Évangile l’arbitraire de la pensée et les fantaisies de l’imagination, cherchant à enlever au Christianisme toute réalité objective, ainsi le montanisme prétendit que l’objectivité du Christianisme devait absorber complétement l’individu, avec sa pensée et sa volonté. L’inspiration seule pouvait donner à l’homme une certitude personnelle et véritable. De là le caractère extérieur de cette secte, qui menaçait de transformer le Christianisme en un monachisme exagéré, comme le gnosticisme en avait fait une théosophie mystique. Montan, son fondateur, né à Pépuse, en Phrygie [vers 170], d’abord vraisemblablement prêtre de Cybèle, fut à peine reçu dans le sein du Christianisme qu’il se fit passer comme particulièrement inspiré par le Saint-Esprit, comme l’organe le plus puissant du Paraclet qui eût jamais paru, et menaça des jugements les plus sévères et les plus prochains ceux qui s’élevèrent contre lui et le persécutèrent. L’inspiration dont il se prétendait doué n’était que momentanée : c’étaient des ravissements passagers qui lui enlevaient toute réflexion et toute conscience de lui-même, disait-il. « Voici le Dieu, voici le Saint-Esprit qui parle, » s’écriait Montan, dans ses extases prophétiques (necesse est excidat sensu). Mais la conduite du prétendu prophète était loin de ressembler à la vie pure et céleste de ceux qui, dans les temps apostoliques, recevaient les dons de vision et de prophétie. Ses révélations avaient principalement pour objet des préceptes moraux très-rigoureux, et dont la réalisation devait amener l’Église à sa maturité, à l’âge viril. Il fallait renoncer à toute activité scientifique, fuir toutes les joies terrestres, rechercher le martyre. L’impureté, le meurtre, les secondes noces excluaient à jamais de l’Église. L’esprit de prophétie devait être permanent dans la vraie Église du Nouveau Testament, comme il l’avait été dans l’Ancien Testament ; et les disciples de Montan en étaient, en effet, les dépositaires et les organes. Des apôtres ce don avait passé à Agabus, Judas, Silas, aux filles de l’apôtre Philippe à Hiérapolis ; à Ananie de Philadelphie ; à Quadratus, à Montan et aux deux saintes femmes Priscille et Maximille. Tout en prétendant conserver la doctrine de l’Église catholique[33], Montan disait : La morale doit se perfectionner ; elle doit devenir plus rigoureuse ; Dieu même a prouvé et montré d’avance cette gradation en passant de l’Ancien au Nouveau Testament à travers les institutions et les moyens de salut progressifs de l’un et l’autre Testament. Les évêques catholiques, réunis en divers synodes, s’opposèrent à cet esprit d’illusion et de mensonge, à ce rigorisme moral. Ils déclarèrent Montan et les deux femmes « faux prophètes, égarés, possédés » et voulurent les soumettre aux exorcismes ecclésiastiques. Alors Montan et ses adhérents se séparèrent de l’Église catholique, et les Montanistes, Pépusiens ou Cataphrygiens (οἱ κατὰ Φρύγας), constituèrent une Église propre en Asie, et de la Phrygie, leur siége principal, se répandirent dans l’Occident. On vit en Afrique le sévère Tertullien [vers 205] se laisser séduire par l’austérité de ces principes moraux, exposer plus nettement ce que Montan entrevoyait dans son imagination fantastique, et faire positivement connaître l’erreur dogmatique du montanisme, qui méconnaissait la coopération du Saint-Esprit dans l’œuvre de Jésus-Christ[34]. Jésus-Christ, consolant les apôtres par la promesse de la descente du Saint-Esprit, ne voulait certes point faire entendre par là que la révélation n’était point complète en lui et par lui, puisqu’il dit positivement : « Il recevra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera[35] ; il « rendra témoignage de moi et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit ; » c’est-à-dire que l’Esprit saint devait expliquer, développer, approprier au monde ce que déjà le Christ avait enseigné. Mais Tertullien, méconnaissant ce rapport, et interprétant mal les paroles du Christ : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant[36]. » prétendait que le temps où le Christ prenait en considération la faiblesse humaine était passé, que le Saint-Esprit s’était pleinement communiqué par Montan et les deux prophètes, qu’il avait parfait la révélation antérieure pour élever la vie chrétienne à sa perfection ; qu’ainsi c’était un devoir impérieux pour les fidèles d’observer consciencieusement les nouveaux commandements du Saint-Esprit[37]. Les catholiques se montrèrent peu disposés à embrasser cette erreur, déjà condamnée par plusieurs synodes tenus en Asie-Mineure depuis les temps apostoliques ; aussi les Montanistes les nommèrent-ils les charnels (ψυχιϰοί), tandis qu’ils s’appelaient les spirituels (πνευματιϰοί). Ils en appelèrent à Rome, appuyés qu’ils étaient par les recommandations des confesseurs de Lyon et de Vienne. Déjà le pape abusé (Éleuthère ou Victor ?) se montrait favorable à leur égard, lorsque le confesseur Praxeas, se rendant en toute hâte à Rome, dévoila leurs erreurs et les fit rejeter. Alors leur polémique ne connut plus de bornes et ils allèrent jusqu’à repousser parfois complétement l’autorité doctrinale de l’Église catholique[38].

Le gnostique égyptien Hiéracas[39] développa des principes d’un rigorisme et d’une sévérité encore plus outrée que ceux des Montanistes, avec lesquels il avait d’ailleurs beaucoup d’affinité.

Une secte toute contraire à l’illuminisme des Montanistes naquit de la polémique passionnée qu’ils avaient excitée. Cette secte nouvelle, moins nombreuse, non-seulement niait le don de prophétie des Montanistes, mais encore tout don de l’esprit en général ; et superficielle dans sa doctrine, comme elle était exagérée dans sa réaction, elle rejeta l’Évangile et l’Apocalypse de saint Jean, parce que les Montanistes s’en servaient pour étayer leur doctrine du Saint-Esprit et leur chiliasme ; elle alla même jusqu’à combattre la divinité du Christ et les rapports du Verbe divin (Logos) avec la nature humaine, ce qui leur fit donner, par Épiphane, le surnom ironique d’Aloges[40]. C’étaient des antimontanistes, mais avant tout des ennemis de la divinité du Verbe.

§ 72. — Hérétiques rationalistes : Antitrinitaires ou Monarchiens.
Tillemont, t. II et III ; Mœlher, Athanase le Grand et l’Église de son temps, Ire part., 2e édit., p. 62 ; Staudenmaier, Philosoph. du Christ., Ire part., p. 469 sq. Dorner, Hist. du développ. de la doctrine de la personne du Christ ; 2e éd. P. I, p. 497 sq.

La raison humaine avait reçu de mortelles atteintes dans les doctrines fantastiques du gnosticisme et du montanisme, dictées par l’imagination la plus dévergondée. Par une réaction naturelle, la raison, reprenant ses droits, dédaignant ou repoussant les rêveries de la gnose, se jeta du côté opposé, voulut tout juger à sa mesure, tout apprécier suivant ses règles mesquines, tout expliquer suivant ses conceptions étroites, et se mit d’un côté à critiquer, à son point de vue borné, les expressions des saintes Écritures concernant la personne du Christ, désigné comme Fils de Dieu, Logos, et la Trinité de la Divinité marquée par les noms de Père, Fils et Esprit saint ; de l’autre côté, s’attachant au point de vue judaïque, à insister sur l’unité abstraite de Dieu (μοναρχία) en nommant, avec Philon, la Divinité une pure Monas. Ainsi la doctrine de la Trinité sainte, essence du Christianisme, était doublement attaquée et comprise de différentes manières ; car :

1o Les uns niaient toute espèce de rapport de Jésus avec la Divinité et le considéraient comme un pur homme.

2o Les autres, tenant à la divinité de Jésus-Christ, ne distinguaient plus les trois personnes de la Trinité, et prétendaient que Dieu s’était absolument manifesté dans le Christ, était devenu homme et avait souffert (patripassionistes).

3o D’autres, enfin, niaient la divinité du Christ, mais admettaient encore certains rapports entre la Divinité et Jésus, considérant le Fils et l’Esprit saint comme deux puissances divines, comme deux modes de manifestation.

À la première classe appartenaient, outre les Ébionites déjà cités et les Aloges, Théodote, corroyeur de Byzance [vers 192]. Il avait, disait-on, renié le Christ dans une persécution, et avait répondu pour se justifier : « Ce n’est pas un Dieu, mais un homme que j’ai renié. — Quel homme ? lui demandait-on. — Le Christ, » reprit-il. Il reconnaissait cependant dans le Christ le Messie annoncé par l’Ancien Testament, et sa naissance miraculeuse de la Vierge Marie. Excommunié par le pontife romain Victor, il devint le chef d’un parti hérétique qui s’occupait surtout de mathématiques et de dialectique péripatéticienne, et qui, considérant l’Écriture sainte comme tout autre ouvrage profane, la falsifiait en beaucoup d’endroits : il y eut même un moment un évêque dans ce parti : ce fut Natalis, confesseur séduit. Artémon, devenu à son tour chef de cette secte, considérait la foi du Christ-Dieu comme un retour au paganisme par le polythéisme, et prétendait, contrairement aux traditions les plus positives des plus anciens docteurs de l’Église et aux saintes Écritures, que cette foi en la divinité du Christ ne datait que de Zéphyrin, évêque de Rome. Enfin, cette secte compta encore parmi ses partisans Théodote le Jeune[41]. Celui-ci, de changeur, devint le fondateur des Melchisédéciens[42], qui adoraient dans Melchisédec une théophanie nouvelle, une manifestation divine incomparablement supérieure à celle du Christ.

La seconde classe commença avec Praxéas[43], qui, après avoir été confesseur sous Marc-Aurèle, était allé à Rome pour y déjouer les intrigues des Montanistes [vers la fin du IIe siècle]. Mais à Rome, comme plus tard en Afrique, il enseigna qu’il n’y a dans l’essence divine qu’une hypostase, qui, sortie d’elle-même et nommée Fils, sous cet état descendit dans la Vierge Marie, fut enfanté par elle et souffrit parmi les hommes. Il renonça cependant à son erreur, après diverses explications, et donna même caution de sa foi, conforme à celle de l’Église, comme nous l’apprend son ardent antagoniste Tertullien ; tandis qu’à Smyrne Noëtus[44] [vers 200], s’appuyant sur les textes de saint Jean, X, 30, XIV, 8, soutenait les mêmes erreurs, était vivement combattu par Hippolyte et définitivement rejeté par l’Église. Épigone, disciple de Noëtus, apporta cette doctrine à Rome, et Cléomène, son successeur, fut, sous le pape Zéphirin [202-218], à la tête du parti des patripassionistes, et s’attira le blâme d’Hippolyte par la licence de ses mœurs. Zéphirin, successeur de Calliste, ne se montrant pas assez sévère contre les sectaires, au dire de leurs adversaires, il s’éleva contre ce pape une opposition violente, qui alla jusqu’à le soupçonner et l’accuser. Bérylle, évêque de Bostra[45], en Arabie, prit à son tour le parti des patripassionistes, et soutint qu’avant son incarnation le Logos n’avait point existé comme personne divine (hypostase), qu’il n’avait existé en Dieu que comme pensée et par la prévision de sa destination future. En vain plusieurs conciles cherchèrent à le convaincre de son erreur ; il ne la reconnut et ne la rejeta entièrement qu’après avoir été convaincu par les victorieux enseignements d’Origène [244], auquel il témoigna même sa reconnaissance.

L’opinion de la troisième classe s’appuyait surtout sur celle des juifs alexandrins, qui soutenaient que le Dieu caché ne se manifeste que par des puissances semblables aux rayons lumineux émanés du soleil, savoir : 1o par une intelligence pleine de lumière qui demeure d’abord en Dieu (λόγος ἑνδιάθετος) et se manifeste au dehors, comme l’homme par sa parole (λόγος προφοριϰός) ; 2o par une puissance pleine de chaleur, qui est le Saint-Esprit. C’est ainsi qu’en Asie-Mineure surtout, beaucoup de ces sectaires disaient : L’union du Verbe avec Jésus n’est que d’un degré supérieur à son union avec les prophètes. Parmi eux se distinguait Paul de Samosate[46], évêque d’Antioche [depuis 260]. Plein d’esprit, mais d’un esprit mondain, amateur de la renommée et de la magnificence, d’une vie dissolue, Paul préférait l’éclat de son titre profane de ducénaire à ses fonctions sacrées d’évêque. Le Christ, disait-il, n’est qu’un homme (ψιλὸς ἄνθρωπος) ; son origine est comme celle de tout homme : il n’a pas préexisté à son apparition en ce monde ; cependant, Dieu l’a orné de grâces particulières, le Logos divin ayant habité en lui depuis le moment de sa conception. Pour cette raison, il admettait la conception surnaturelle du Christ (γεννηθεὶς ἐκ πνεύματος ἁγίου) ainsi que sa naissance d’une vierge (ἐκ παρθένου). Il nomme même le Christ Dieu, en ce sens que le Christ, par ses vertus toutes particulières, s’est élevé presque à la Divinité (ἐκ προκοπῆς τεθεοποιῆσθαι). Aussi ses partisans ne se servaient point de la formule du baptême employée par l’Église. Enfin, Paul pouvait même nommer le Christ θεὸς ἐκ παρθένου, en ce sens que sa divinisation était prédestinée, et se servir en un sens erroné du mot ambigu ὁμοουσία. Trois conciles d’Antioche [depuis 264] condamnèrent sa doctrine : dans le dernier de ces synodes [269], complétement réfuté et convaincu par Malchion, prêtre d’Antioche, il fut déposé, et un décret du concile en donna connaissance à toute l’Église catholique. Paul chercha encore à se maintenir en s’étayant de la puissance séculière et de la faveur de Zénobie, reine de Palmyre ; mais lorsque celle-ci eut succombé sous Aurélien [272], l’empereur décida que l’évêque d’Antioche serait celui que les évêques d’Italie et principalement celui de Rome nommeraient. Il fallut bien que Paul cédât ; il n’en survécut pas moins un parti, qu’on nomma Pauliniens ou Samosatiens.

On peut aussi compter parmi les hérétiques de cette classe, vu le point fondamental de sa doctrine panthéistique, Sabellius[47], prêtre de Ptolemaïs, dans la Pentapole [250-260]. Le Père, le Fils et l’Esprit saint ne sont point, selon lui, des personnes distinctes et coéternellement existantes dans une même substance divine, sans rapport nécessaire avec le monde, car cette doctrine mènerait au polythéisme. Il soutenait donc que « le même est Père, le même est Fils, le même est Esprit saint. » Père, Fils, Saint-Esprit sont des dénominations extérieures et temporaires (πρόσωπα) de la monas ou de l’hypostase divine (ύπόστασις μόνας) dans son action sur ce monde. Sabellius fait ainsi un pas rétrograde vers le judaïsme, qu’il enveloppe de formules et d’explications panthéistiques. En effet, selon lui, les manifestations diverses de la monas, comme Père, Fils, Esprit, n’ont pour but que leur propre développement ; elles s’étendent, se dilatent, suivant les expressions stoïciennes (ἑϰτεινεσθαι ou πλατύνεσθαι), ou se resserrent, se concentrent (συντέλλεσθαι). La monas s’épanouit dans le monde et devient Père ; elle s’unit au Christ pour l’œuvre de la Rédemption, elle se nomme Fils ; elle s’identifie avec l’humanité, agit dans l’ensemble des fidèles, éclairant l’Église, régénérant le genre humain, accomplissant la Rédemption, elle se fait Esprit saint. Enfin, après avoir développé la vie divine dans les trois règnes du Père, du Fils et de l’Esprit, la Divinité se retire, se recueille, se renferme en elle-même.

Le langage du savant Denys d’Alexandrie[48], métropolitain de Sabellius, dans sa lettre contre ce dernier, ne fut point assez net et assez précis quand il voulut expliquer, en s’appuyant sur les saintes Écritures, la distinction éternelle des trois personnes de la Trinité ; de sorte qu’on l’accusa d’admettre une différence substantielle entre le Père et le Fils, et de mettre le dernier au rang des créatures (ποίημα). Denys, évêque de Rome, porta Denys d’Alexandrie, accusé à diverses reprises, à se défendre, après avoir lui-même clairement discuté la question et avoir conclu en ces termes : « L’admirable et sainte unité de Dieu ne peut, par conséquent être divisée en trois divinités ; on ne doit point amoindrir la dignité et la grandeur du Seigneur par l’expression de création ; mais il faut croire en Dieu le Père tout-puissant, en Jésus-Christ son fils, au Saint-Esprit ; il faut croire que le Verbe est un avec le Dieu de l’univers. » Denys d’Alexandrie réfuta toutes les accusations de la manière la plus victorieuse par l’explication suivante : Le Fils est de la même substance que le Père (ὁμθούσιος) ; splendeur de l’éternelle lumière, il est éternel comme le Père ; par lui l’indivisible unité de Dieu se manifeste en une Trinité une, et la Trinité sainte se reconstitue en unité parfaite.



  1. Cf. plus haut, § 59 et 1 Cor. VIII ; 7 ; XII, 8. Λόγος γνώσεως, XIII, 2, 8 ; 2 Pet. III, 18 ; Act. XXVI, 3, γνώστης.
  2. Iren. Contra hær. II. 7, n. 1 : « Quæ (σοφία) emittit similitudinem et imagines eorum, quæ sursum sunt ; » et II, 8, n. 1 Cf. 1, 5, n. 5.
  3. De l’époque où s’éleva le syst. gnost. des Æons (Rev. trimestr. de Tub., 1852, p. 442-449).
  4. Tertull. de Præsc. hæret., c. 17 : « Ista hæresis non recipit quasdam Scripturas (sacras) ; et si quas recepit, non recepit integras : adjectionibus et detractionibus ad dispositionem instituti sui intervertit ; et si aliquatenus integras præstat, nihilominus diversas expositiones commentata convertit.
  5. Iren. Contra hær. I, 8, n. 1, p. 36.
  6. Staudenmaier a démontré que la doctrine des hérétiques des premiers siècles, du moyen âge et de la philosophie moderne, sur le Logos divin, n’est que le développement logique de la Contemplation de Philon, et que Strauss lui-même, dans sa Vie de Jésus, ne fait que reproduire mot à mot les paroles de Philon, L c., p. 483.
  7. Alexandrie était devenue, depuis les Ptolémées, le centre du commerce scientifique de tous les peuples civilisés.
  8. Le christianisme releva avec tant d’énergie, vers le monde spirituel, l’esprit humain, qui avait si longtemps végété dans la région des sens et des passions terrestres, que beaucoup de chrétiens outre-passèrent les bornes du vrai et tombèrent dans un extrême contraire : ils prirent à dégoût le monde visible, qui, pour eux, devint le mal même. Pour résoudre les difficultés doctrinales qui s’élevaient en grand nombre, on s’adressa aux vieux systèmes de philosophie, de théosophie, de mythologie de l’antiquité.
  9. Saturnin, Basilide, Valentin, Cerdon et Marcion enseignèrent le docétisme après Simon le Magicien et Ménandre. Les principaux points dogmatiques du docétisme, conformes à ceux du gnosticisme, sont : 1o Le Christ, l’æon, qui délivre de la matière ou du mal, n’avait que l’apparence d’un corps ; il apparaissait aux yeux par une sorte d’illusion d’optique ; 2o son corps était formé d’une substance éthéro-céleste ; ou 3o il pouvait se servir d’un corps étranger comme d’un organe qu’il s’appropriait.
  10. Baur, Hist. des dogmes, p. 64 sq.
  11. Nitzsch, Hist. de l’antinomisme (Études théol. et crit., 1846, IIe livr.).
  12. Bellermann, Essai sur le ressemblance des gemmes antiques avec l’Abraxas. Berlin, 1817-19, 3e part. Gieseler, Études et crit. 1830. IIe livr., p. 403.
  13. Il faut faire remonter probablement aux calculs astronomiques des prêtres égyptiens et à la science des nombres pythagoriciens, cette arithmétique des, esprits. Cf. Iren. II, 14, n. 6, p. 134.
  14. Isaïe, XXVIII, 10. קַי לָקָר
  15. Epiph. Hær. 36 (t. I, p. 262 sq.).
  16. Iren. I, 12 ; II, 4. Epiph. Hæer. 33 (t. I, p. 214 sq.).
  17. Epiph. Hær. 32. Tertull. Adv. Valent., c. 4 et 38. Theodoret. lib. I, c. 8.
  18. Iren. I, 12. Epiph. Hær. 35 (t. I, p. 258 sq.). Theodoret. lib. I, c. 12.
  19. Iren. I, 13 sq. Epiph. Hær. 34 (t. I, p. 232 sq.).
  20. Voyez Éclairc. sur ἄνθρωπος  ; et Ἐκκλησία. Iren. I, 12, n. 3, p. 57 et 58. Sur νοῦς, comme source de toute vie, II, 13, n. 1, p. 129 ; II. 14.
  21. Tertull. Adv. Valent., c. 4 « Nominibus et numeris æonum distinctis in personales substantias, sed extra Deum determinatas. quas Valentinus in ipsa summa Divinitatis, ut sensus et affectus motus incluserat. Cf. de Anima., c. 14.
  22. Masheim, Hist. des Ophites (Essai d’une hist. impart. des hérésies. Helmst., 1748). Fuldner, de Ophitis. Rint., 1834.
  23. Epiph. Hær. 30 (t. I, p. 284 sq.), August. de Hæres., c. 8. Philastr. de Hær., c. 2.
  24. Iren. Contra Hær. I, 24.
  25. Hahn, Bardesanes gnosticus, Syror. primus hymnologus, comm. Lipsiæ, 1819. Kuehner, Bardesanis gnostici numina astralia. Hildburgh., 1833.
  26. 1 Cor. VII, 5.
  27. Ignat. Epist. ad Smyrn., c. 7.
  28. Dans un ouvrage spécial « Antithèses. » Cf. Hahn, Antitheses Marcion. gnost. liber deperditus, nunc quoad ejus fieri potuit restitutus. Regiom., 1823.
  29. Hahn, l’Évang. de Marcion et sa forme primitive. Leipzig, 1824. Thilo, Codex apocryphus Nov. Test. Lipsiæ, 1832, t. I, p. 403-86 ; Id. de Canone Marcion. Ibid. 1824 ; id. de Gnosi Marcion, antinomi. Regiom., 1820.
  30. Trechsel, Canon, critique, exégèse du manich. Berne, 1832.
  31. Elle est consignée surtout dans les écrits suivants : Mysteria capitula, evangelium, thesaurus, epist. fundamenti, dont il y a des fragments dans Fabricii Bibl. græc., p. 149.
  32. Wegnern, Manich. indulgentiæ (?), cum brev. manichæismi adumbrat. Lipsiæ, 1827. Voyez, quant à l’ignorance complète ou aux autres motifs qui ont fait confondre, par cet auteur, la doctrine catholique des indulgences et de la rémission des péchés avec les opinions des manichéens, Zingerlé, des Indulgences des manich. et de leur comparaison avec l’Église cath. (Revue théol. de Tubingue, ann. 1841, p. 574-602).
  33. Tertull., de Virginib. veland., c. 2 : « Una nobis et illis fides, unus Dominus, idem Christus, eadem spes, eadem lavacri sacramenta. Semel dixerim, una Ecclesia sumus. Ita nostrum est quodcumque nostrorum est ; cæterum dividis corpus. » P. 193.
  34. Cf. Dieringer, Syst. des faits divins, t. II, p. 206 ; Tillemont, t, III, p. 211-220.
  35. Jean XVI, 13, 14 ; XIV, 26 ; XV, 21.
  36. Jean XVI, 12.
  37. Le principe montaniste, dans Tertull., de Virginib veland., c. 1 : « Regula quidem fidei una omnino est, sola immobilis et irreformabilis. Hac lege fidei manente, cætera jam disciplinæ et conservationis admittunt novitatem correctionis, operante se, et proficiente usque in finem gratia Dei. Propterea Paracletum misit Dominus, ut quoniam humana mediocritas omnia semel capere non poterat (Joan. XVI, 12-13), paulatim dirigeretur et ordinaretur et ad perfectum perduceretur disciplina ab illo vicario Domini Spiritu sancto. Quæ est ergo Paracleti administratio nisi hæc, quod disciplina dirigitur, quod Scripturæ revelantur, quod intellectus reformatur, quod ad meliora proficitur ? Justitia primo fuit in rudimentis ; nunc per Paracletum componitur in maturitatem.
  38. Tertull. de Pudicitia, c. 21 : « Et ideo Ecclesia quidem delicta donabit, sed Ecclesia spiritus per spiritualem hominem (Montanistarum), non Ecclesia numerus episcoporum (catholic.) Domini enim non famuli est jus et arbitrium ; Dei ipsius, non sacerdotis. » P. 744.
  39. Epiph. Hær. 67 (Opp., t. I, p. 709 sq.).
  40. Héfélé, les Aloges et leurs rapports avec le montanisme. (Revue trim. de Tub., 1851, p. 564 sq.)
  41. Voir Dict. des hérésies, par Pluquet. art. Melchisédéciens.
  42. Euseb. Hist. ecclesiast. V, 28 ; Tertull. de Præscr. append., c. 53 ; Theodoret. Hær. Fab. II, 4 sq ; Epiph. Hær. 54 et 55 (t. I, p. 462 sq.).
  43. Tertull. Adv. Prax. (p. 634-65). Cf. Mœlher, I, c., 74-84.
  44. Hippol. Contra hær Noët. (Opp. ed. Fabr. Hamb., 1716, t. II, p. 5 sq. ; Galland. Biblioth., t. II, p. 454-95) ; Philosophumena, I, 9 ; Epiph. Hær. 57 ; Theodoret. 1. c., III, 3. Cf. Nat. Alex. Hist. eccles. sæc. III, diss. 25 (t. VI, p. 375 sq.). Dœllinger. Hippolyte et Calliste, p. 197 sq.
  45. Euseb. Hist. eccles. VI, 33. Cf. c. 20 ; Hieron. de Viris illustr., c. 60 ; Ullmann, de Beryllo Bostren. ejusque doctr. Hamb., 1835, in-4.
  46. Euseb. Hist. eccles. VII. 27-30 ; Theodoret. Hær. Fab. II, 8 ; August. de Hær., c. 44 ; Epiph. Hær. 65 ; Mansi, t. I, p. 1033 sq. ; Harduin, t. I, p. 195 sq. ; Ehrlich, de Errorib. Pauli Samos. Lipsiæ, 1745 ; Feuerlin, de Hæresi Pauli Samosat. Gœtt., 1741, in-4° ; Dict. des hérésies, par Pluquet. Art. P. de Sam.
  47. Euseb. Hist. ecclesiast. VII, 6 ; Basil. M. ep 210 ; Theodoret. Hær. Fab. II, 9 ; Epiph. Hær, 62. Cf. Wormii Hist. Sabelliana. Francof., 1696 ; Dorner, Hist. du développ., t. X, P. I, p. 696 ; Forschhammer, Doctrine de Sabellius (Revue trim. de Tub., 1849, p. 439-488). D’après les Philosophumena, Sabellius était à la tête des patripassionistes, comme successeur de Cléomènes à Rome, et fut excommunié vers 218. Voyez Dœllinger, Hippolyt., p. 198 sq. Philastrius et saint Augustin ont soutenu aussi, contre Épiphane, le rapport intime des doctrines de Noetus et de Sabellius. D’après cela, l’extension ultérieure de son hérésie en Afrique aurait rencontré de nombreuses difficultés, même en la supposant soumise à beaucoup de modifications. L’on serait aussi obligé d’admettre qu’elle aurait acquis un grand développement dans la Pentapole, où Denys, évêque d’Alexandrie, dut lui opposer une résistance opiniâtre [257]. L’opinion de Dœllinger aurait besoin de mieux s’appuyer sur des preuves. Dict. des hérésies, par Pluquet.
  48. Fragm, de l’Apologie de Denys, dans Galland. Biblioth., t. III, p. 494 sq. ; t. XIV, append. 118 sq. ; Athanas., ep. de Sentent. Dionysii (Opp. ed Montfaucon. Paris, 1698. t. I, p. 253 sq.) Cf. Dionys. Roman. ed. (Pontif. Rom. epp collect. a Constantio ed. Schœnemann. Gœtt., 1796, p. 194). — Roester, Bibl. des Pères de l’Église, IIe part., p. 375 sq.