Histoire universelle de l’Église (Alzog)/Préface 3

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PRÉFACE DE LA TROISIÈME ÉDITION



Six éditions successives en Allemagne, trois éditions en France, cela ne suffirait-il pas pour recommander, auprès de tout lecteur sérieux, l’Histoire de l’Église par M. Alzog ? Assurément, lorsqu’un ouvrage de ce genre, auquel le bruit des annonces et des réclames est nécessairement interdit, acquiert une telle popularité, c’est qu’il répond à un besoin réel, positif, c’est qu’il satisfait les plus exigeants.

Quant au besoin, il est évident. Depuis quelques années, il s’opère au sein de notre société un mouvement remarquable. De gré ou de force, chaque homme de science et d’étude est ramené sur le terrain des recherches historiques, et partout il rencontre l’Église. Qu’on les aborde comme philosophe pour observer les phénomènes de l’esprit humain dans ses développements ; comme jurisconsulte, pour approfondir les bases et les transformations de notre droit moderne ; comme artiste, pour saisir le moment où le génie du beau se dégage de ses langes ; ou enfin comme historien politique, pour suivre l’épanouissement graduel de la civilisation européenne, il est impossible de ne pas rencontrer sur sa route cette grande figure qui s’appelle l’Église catholique. On a beau vouloir se détourner d’elle, elle exerce sur vous je ne sais quelle fascination étrange et vous force à la contempler de près, fût-ce même pour avoir le malheur de la combattre.

Heureusement, c’est plus souvent la confiance et le respect qu’elle inspire, l’on ne tarde pas à s’apercevoir que, depuis dix-huit siècles, chaque nation a tour à tour subi l’influence du Christianisme qui l’a pénétrée de sa merveilleuse action, de sa puissante vertu, et l’on demeure confondu devant la grandeur de l’ensemble, comme aussi devant la masse de détails qu’il faut saisir.

N’oublions pas d’ailleurs un autre fait : la profonde séparation entre le clergé et les laïques, commencée au XVIe siècle et soigneusement entretenue plus tard, tend à disparaître de plus en plus. Sans s’en apercevoir peut-être, chacun apporte sa pierre pour combler l’abîme. Ce qu’on a nommé l’apostolat laïque n’y a pas peu contribué ; nos discordes elles-mêmes, jointes au mouvement de retour qui se manifeste par les hommes que le protestantisme anglican était habitué à regarder comme ses représentants les plus illustres. Aussi, grâce à ces divers causes, bien des préjugés se sont effacés, bien des préventions sont tombées. Il n’est pas jusqu’à nos adversaires qui n’y concourent par l’ardeur de leurs attaques contre nos dogmes les plus sacrés, contre nos espérances les plus légitimes. À leurs accusations, vieilles au fond, mais nouvelles quant à la forme, il a fallu répondre par des faits palpables, authentiques : en d’autres termes, par l’histoire, par l’Histoire de l’Église.

Mais c’est ici surtout que la plupart des hommes d’étude seront arrêtés par la grandeur de l’ensemble, ou par la masse des détails dont nous parlions tout à l’heure.

Que si l’on s’attache aux détails, en est-il beaucoup parmi nous chez lesquels l’amour de la vérité soit assez ardent, ou même qui aient assez de temps pour digérer les annales de Baronius, pour compulser les collections de Labbe, de Mansi, de Hardouin, ou pour lire seulement le limpide, mais trop passionné Fleury ?

Au contraire, veut-on embrasser uniquement l’ensemble, que devient alors l’histoire, réduite aux simples proportions d’un manuel ? que devient surtout celle de l’Église, dont l’autorité irréfragable repose essentiellement sur les documents nombreux et authentiques qui constatent la pureté et la perpétuité de sa foi ? D’un autre côté, quels chrétiens vraiment studieux voudraient renoncer complètement aux résultats nouvellement acquis de l’exégèse catholique ? Et néanmoins y en a-t-il beaucoup qui aient assez de loisir pour en poursuivre la recherche dans les arcanes des académies et des universités ?

Il y a donc là un double écueil que M. Alzog nous paraît avoir évité ; et c’est pourquoi il peut satisfaire les plus exigeants.

Son ouvrage n’est point assez volumineux pour effrayer l’homme du monde ; il l’est assez pour aider le savant dans ses recherches, le prêtre dans l’exercice de son ministère. Aux investigations consciencieuses de l’érudition allemande, il unit les vues larges et l’allure hardie d’une intelligence forte et libre, quoique toujours soumise à l’autorité sacrée dont relève la science religieuse. La narration marche sûre et rapide parmi les nombreuses citations originales qui appuient le texte. Le dogme, les hérésies, la discipline, l’archéologie, l’art chrétien, les faits généraux, la biographie des grands hommes, tout s’y lie et s’y enchaîne sans effort apparent.

Que si le lecteur veut approfondir l’étude entreprise sous les auspices de l’auteur, M. Alzog lui servira de guide éclairé en le ramenant aux sources, en lui fournissant les éléments d’une haute critique, d’un discernement exquis, sans lesquels les travaux historiques sont stériles pour les autres, presque inutiles pour soi-même.

Enfin, cette Histoire de l’Église suffira aux lecteurs ordinaires qui, sans efforts pénibles ni longues recherches, y trouveront l’appui dont on a si souvent besoin dans la polémique de chaque jour. Ils auront sous la main les archives de la gloire de l’Église, les documents authentiques de leur foi, pour les opposer à d’injustes détracteurs.

C’est précisément ce double caractère d’utilité pratique pour l’homme du monde et pour le prêtre, qui nous paraît avoir assuré le succès de ce livre en Allemagne et en France. Il est vrai que M. Alzog ne s’est pas lassé de le revoir, de le corriger, à chaque nouvelle édition, avec un soin jaloux. Le croit-il cependant, parfait ? nullement. Il promet seulement d’y travailler encore tant qu’il lui restera des forces. Qui pourrait en demander davantage ?

Dans la première édition, M. Alzog avait répondu d’avance aux critiques qu’il prévoyait relativement à la partie consacrée au récit des événements qui ont suivi la Révolution française. Comme nous avons nous-mêmes entendu ces critiques en France, nous croyons utile de reproduire ici les paroles de l’auteur :

« À l’époque de l’histoire ecclésiastique qui remplit l’époque comprise entre la Révolution française et nos jours, je déclare expressément n’en avoir voulu tracer qu’une esquisse rapide. Cependant, je n’aurais point voulu en priver cet ouvrage ; car notre temps a été fécond en événements importants pour l’Église ; de plus, toute notre vie religieuse est tellement liée à ce temps, que le théologien a besoin de le comprendre, pour remplir pleinement son devoir et exercer une influence légitime. Que si l’on considère les difficultés toutes spéciales que j’ai eu à surmonter pour rassembler tant de documents épars, cette tentative rencontrera peut-être quelque indulgence aux yeux de la critique, dont toute censure fondée me trouvera aussi reconnaissant que docile. »

Pour nous, nous n’ajouterons plus qu’un mot. Nous avons suivi avec un scrupule religieux l’exemple de l’auteur : pas une citation que nous n’ayons vérifiée, pas une correction indiquée par lui que nous n’ayons fait passer dans cette troisième édition : pas un nom d’évêché sur les cartes elles-mêmes que nous n’ayons relevé avec soin sur les meilleurs atlas. Sans doute le lecteur pourra trouver encore des erreurs éparses ; mais au moins nous avons la conscience d’avoir rempli fidèlement notre devoir de traducteurs.