Histoire véritable du combat et duel assigné entre deux demoiselles sur la querelle de leurs amours

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Histoire veritable du combat et duel assigné entre deux demoiselles sur la querelle de leurs amours.

vers 1609



Histoire veritable du combat et duel assigné entre deux
demoiselles sur la querelle de leurs amours
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Les douceurs de l’amour sont si grandes et les contentemens que nous trouvons aux caresses d’une belle maistresse ont tant de puissance sur nous, que ceux se peuvent dire insensibles, qui ne recherchent point les occasions de gouster un plaisir si doux ; mais comme nous ne pouvons nous promettre un contentement sans traverses, ny des douceurs sans amertume, nous voyons bien souvent ces delices suivies d’un puissant deplaisir pour n’en avoir pas bien usé ; nous courons ordinairement au change sans nous souvenir que la beauté de celle que nous adorons peut faire un grand effort en l’ame de quelque autre, que nous ne nous soucions pas de les conserver après qu’elles nous sont acquises. C’est de là que nous proviennent ordinairement tant de maux qu’on voit aujourd’huy dans le monde par les effets de cette passion. Un rival se rencontre avec un mesme desir d’amour que nous. La jalousie, commune peste des plus belles amours, coule insensiblement dans nos ames, et nous donne des mouvements si grands, que nostre repos precedant se change en des inquietudes quy, faisant naistre la cholère avec le depit, nous poussent bien souvent à des actions insensées. J’apporterois icy un grand nombre d’exemples d’antiquité que nous fournit l’authorité de nos pères ; mais, ne me voulant pas empescher longuement, je me contenteray de celuy que ceste ville de Paris nous fournit aujourd’huy.

Isabelle et Cloris, deux belles filles, et parfaictes pour donner de l’amour aux plus retenus, ayant quelques correspondances d’humeurs, s’aymoient il n’y a que deux jours avec tant de passion qu’elles n’avoient point de repos que dans leurs entretiens : tout leur estoit commun, et elles ne se cachoient leurs pensées, de quelque consequence qu’elles fussent.

Isabelle estoit adorée de Philemon, jeune cavalier et digne veritablement des faveurs qu’elle luy donnoit ; recherchoit avec soin toutes les occasions de le voir, et, lorsque les inventions luy manquoient, employoit l’esprit de Cloris et se servoit bien souvent de son assistance, de sorte qu’elle vivoit avec beaucoup de repos parmy la craincte que les femmes doivent avoir de perdre ce qu’elles ont acquis.

Cloris estoit aimable et donnoit tant de graces à ses actions, que sa beauté paroissoit avec plus de charmes que celle de son Isabelle : de sorte que Philemon, suivant l’humeur de quelques hommes de ce temps, qui se plaisent aux changements, ne la peut voir et frequenter si souvent sans avoir quelque particulière affection pour elle, quy, passant au delà de la bienveillance, se convertit en violent amour. Cloris, quy le trouvoit fort à son gré, et quy jugeoit sa compaigne heureuse en son eslection, et jugeant aux œillades continuelles qu’il luy jetoit qu’elle avoit une bonne part de son ame, et qu’il n’est retenu que par la crainte d’offenser l’amitié qu’elle avoit avec Isabelle, luy dit, un jour qu’elle l’estoit venu voir : Philemon, je ferois une faute contre la franchise que je garde en mes actions, et croirois encore faire tort à vostre vertu, si je vous cachois ma pensée. Vous croyez qu’Isabelle ne soit que pour vous, et, n’en voulant point aymer d’autres, vous sacrifiez tellement à ses passions que vous ne semblez vivre que pour son repos. Vostre amour vous aveugle : elle abuse de vostre patience avec trop de liberté, et croyez qu’elle fait partager les faveurs qu’elle vous donne à d’autres que le merite et la naissance vous rendent inferieurs. Je suis extremement marrie d’estre obligée à ce discours, car la confiance qu’elle prend en mon amitié me devroit empescher de luy nuire ; mais, ayant trouvé tant de perfections en vous, je croirois encore faillir davantage ne vous advertissant point de cela. Que la raison soit la plus forte en vous, et que sa faute vous fasse sage. Je seray fort contente de vostre repos, et croyez que je le rechercheray tousjours comme estant voire très humble servante.

Un rival ne nous plaist jamais, et le courage n’en peut souffrir la cognoissance. Philemon, quy mouroit desjà d’amour pour Cloris, ayant entendu ce discours, fut bien ayse de trouver quelque couverture pour ne plus caresser Isabelle. Je suis, dit-il, tellement redevable à vostre franchise de l’advis que vous me donnez, que je ne m’en espargneray jamais pour vostre service. Cloris, puisque vostre compaigne est ingratte et volage, qu’elle se livre aux caresses de son amant nouveau, je ne la verray jamais, et, si vous me jugez digne de vous servir, je vous engageray les mêmes affections que j’avois pour elle. Quel besoin de m’estendre icy plus longtemps ? Philemon et Cloris se trouvèrent si bien d’accord qu’Isabelle fut mise en oubly : Philemon ne l’alloit plus voir ; mais ne croyant que son ressentiment le peust contenter s’il ne luy en donnoit la cognoissance, prit du papier et luy escrivit une lettre dont voicy la teneur :

Lettre de Philemon à Isabelle.

Isabelle, vous m’obligez en vos inconstances : car, me changeant pour un rival, vous me laissez la liberté de chercher des douceurs autre part que chez vous. Si vous avez du regret en ma perte, je ne m’offenceray point de la vostre, et, me vengeant par un oubly, vous feray voir que vostre faute est la vraie cause de mon repos.

Ceste lettre meit Isabelle en une peine estrange : car, aymant Philemon plus que tout le reste des hommes, et n’en pouvant soupçonner Cloris, ne sçavoit à quy se prendre de son malheur. Elle pleuroit, et, se plaignant de sa fortune, nommoit les destins ses plus cruels ennemis ; bref, elle s’affligeoit tellement que le desir de sa mort estoit le plus doux de ses maux. Il faut (disoit-elle en soy-mesme) que je meure ou que je sache plus amplement le sujet d’une telle disgrace. Philemon me fuit à ceste heure ; mais la fidelité de Cloris ne me manquera pas pour me le faire rencontrer ; il me la faut voir, et la supplier de m’estre à ce coup favorable. Alors, essuyant ses yeux, elle s’en alla chez Cloris, où d’abord elle veit Philemon collé sur la bouche de ceste nouvelle maistresse. Ô dieux ! (dit-elle en mesme temps) que vois-je maintenant ! et que peut-on desormais esperer des personnes, puisque Cloris est traistre ? Ah ! Philemon, que j’ay beaucoup plus de sujet de vous accuser que vous de vous plaindre de moy ! Mais non, j’ay tort ! Quy pourroit resister aux affetteries d’une meschante ? Les hommes prennent ce quy leur est offert ! Cloris vous a seduit : elle est cause de mon malheur ; et sa malice plustost que ma faute me prive de ce que mon merite et mon amour m’avoient acquis. Philemon, je ne vous envie pas ce contentement ; mais croyez qu’elle m’en paiera l’usure, et vous souvenez que je feray voir à toute la France qu’il est dangereux d’irriter une femme par la perte de ce qu’elle ayme ! Ce disant, elle sortit, s’en alla en sa chambre, où, après s’estre longuement promenée avec une demarche inegalle, elle prist du papier, sur lequel elle mist ces paroles :

Cartel d’Isabelle à Cloris.

Je pervertis l’ordre du temps, et, contre la coustume des filles, vous envoie dire que je suis sur le pré avec une espée à la main pour debattre avec vous la possession de Philemon1. Si vous l’aymez, vous vous l’acquererez par ma mort ou je le possederay par la vostre.

Ce billet estant fait, elle prit un laquais en la fidelité duquel elle se vouloit asseurer, luy fit porter deux espées hors la ville, et, luy donnant le papier, luy commanda de le mettre entre les mains de Cloris, qui partit au moment qu’elle le receut avec autant de courage et d’amour qu’on peut dire, alla rechercher Isabelle, mit l’espée à la main et commença à se battre avec elle d’une telle façon qu’après luy avoir donné quatre coups elle tomba sur la poussière, où elle ne vescut que deux heures.

Cest accident, me semblant peu commun parmy les personnes de ceste condition, me donneroit sujet de m’estonner si je ne savois par experience que la jalousie est une des plus fortes passions de nos ames, et qui reçoit moins de consideration. Voilà pourquoy je veux maintenant conseiller au monde de n’aymer jamais avec passion, et se reserver toujours un pouvoir sur soy, afin d’en disposer comme les sages, suivant le temps et les occasions.


1. Ces duels entre femmes ne furent pas rares alors. Les prouesses de l’amazone Mme de Blamont, et de cette autre dont on raconta les hauts faits dans l’Héroïne, inspiroient ces dames et les rendoient belliqueuses. On sait par Tallemant l’histoire de la Beaupré et de son combat : « Sur le théâtre, elle et une jeune comédienne se dirent leurs vérités. ‹ Eh bien ! dit la Beaupré, je vois bien, Mademoiselle, que vous voulez me voir l’épée à la main. › Et, en disant cela, c’étoit à la farce, elle va querir deux épées point épointées. La fille en prit une, croyant badiner. La Beaupré, en colère, la blessa au cou, et l’eût tuée si l’on n’y eût couru. » (Historiettes, édit. in-12, t. 10, p. 49.) Les duels de Mlle Maupin, non pas avec des femmes (elle les aimoit trop pour cela), mais avec de véritables champions, sont encore plus fameux. Enfin Mme Dunoyer, dans ses Mémoires (t. 2, p. 75–79), nous a raconté toutes les particularités d’un combat entre deux dames qui fit grand bruit de son temps dans le Languedoc. Elles s’étoient assez gravement blessées. La question de savoir s’il falloit prendre des mesures contre elles fut agitée. M. de Basville, intendant de la province, en écrivit même à la cour. De tout cela il résulte qu’il n’y a rien d’invraisemblable dans l’aventure racontée ici, et que Dancourt faisoit, pour ainsi dire, une scène de circonstance, quand, au dernier acte de son Chevalier à la mode, il nous montrait la furieuse baronne, l’épée en main, défiant Mme Patin, sa rivale.