Histoires incroyables (Palephate)/43
CHAP. XLIII.
On raconte qu’Io fut métamorphosée en génisse et que, piquée par un taon et devenue furieuse, elle s’enfuit d’Argos en Égypte, en traversant la mer. Voici le vrai de cette histoire : Io était la fille du roi d’Argos ; les habitants de la ville l’élevèrent à la dignité de prêtresse de Junon leur patrone ; Io étant devenue enceinte redouta la colère de son père et des Argiens et prit la fuite. Les Argiens se mirent à sa poursuite jusqu’à ce qu’ils l’eussent trouvée et alors ils durent la lier pour s’en rendre maîtres. Il leur arriva de dire qu’elle avait couru comme une génisse mordue par un taon, quand elle s’était enfuie en Égypte, pour aller faire ses couches ; et ce propos fut l’origine de la fable (2).
(1) Apollodore (liv. II, chap. 1, § 3, p.48 et 49) rapporte plusieurs généalogies d’Io, avant de raconter l’histoire de ses amours avec Jupiter et des infortunes qu’elle essuya par suite de la jalousie de Junon. Suivant la première version elle était fille d’Iasus et petite-fille d’Argus, suivant Castor et beaucoup d’autres elle était fille d’Inachus ; enfin selon Hésiode et Acusilaüs elle était fille de Pirêne. Selon Apollodore c’est parce qu’elle a parcouru les mers, métamorphosée en génisse, que la mer Ionienne a été ainsi appellée d’après son nom d’Io, et que le détroit appelé auparavant détroit Thracien a été nommé Bosphore (en grec passe-génisse) de Thrace. N. B. La même étymologie est rapportée par le scholiaste d’Apollonius de Rhodes (sur le v. 1114 du liv. 1, p. 90, tom. 2, édit. Schaëfer). Hyginus (fable CXLV, p. 252-255, Mythogr. lat. Van Staveren) après une généalogie qui ne s’accorde guères ni avec celles que nous a transmises Apollodore, ni avec d’autres qui sont rapportées dans les notes de Muncker et de Van Staveren, raconte toute la fable exactement comme Apollodore.
Virgile y a fait allusion au 3e livre des Géorgiques :
Hoc quondam monstro horribiles exercuit iras
Inachiæ Juno pestem meditata juvencæ.
(Georg. III, v. 152-153).
Cette fable forme à elle seule jusqu’à la naissance d’Épaphus, fils de Jupiter et d’Io, une des parties les plus brillantes et les plus variées des Métamorphoses d’Ovide (liv. 1er, v. 568-745).
(2) Diodore de Sicile (liv. 1er, tom. 1er, p. 70 de l’édit. de Deux-Ponts) prétend que cette fable a été empruntée par les Grecs aux Égyptiens, et Apollodore dit en effet que c’est leur Isis (loco citato). L’auteur anonyme des Histoires Incroyables (chap. 15, p. 91-92 des opusc. mythologic. de Gale), dit, comme Paléphate, qu’Io était prêtresse de Junon : tel est du moins le sens que présente non le texte de Gale, mais le texte proposé par Valckenaer sur la scholie du v. 734 des Phéniciennes, et qui me semble être le seul raisonnable ; le reste de son explication, qu’il a toute empruntée aux Helléniques de Charax, s’accorde assez avec Paléphate. Dion Chrysosthôme cite Io donnée en mariage à un Égyptien, parmi d’autres exemples de filles grecques accordées à des étrangers, ou de Grecs allant chercher au loin leurs épouses (XIe disc., tom 1, p. 325, édit. Reiske).