Histoires incroyables (Palephate)/49

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CHAP. XLIX.

Sur Phaon. (1).

Phaon était nautonier de profession, et transportait les passagers sur un bras de mer (2) : tout le monde se louait de lui, parce qu’il était modéré et ne se faisait payer que par les riches : sa conduite fut admirée des Lesbiens et reçut les suffrages de Vénus qu’ils appellent Aphrodite ; la déesse ayant revêtu la forme d’une vieille femme, va proposer à Phaon de lui faire faire la traversée ; Phaon se dispose aussitôt à la servir et la transporte sans salaire à l’autre bord. Et que fit alors la déesse pour récompenser son zèle ? elle le rajeunit, dit-on, et lui rendit la beauté et la vigueur de ses premières années. Ce Phaon est celui, pour qui Sappho a souvent chanté sa passion (3).

(1) Dans le dialogue de Lucien entre Simyle et Polystrate, comme ce dernier se vante de la vie joyeuse qu’il a menée dans un âge très-avancé, grace aux soins et aux prévenances dont il était entouré de la part de ceux qui aspiraient à sa succession ; Simyle lui demande si, comme Phaon, il aurait eu l’occasion de transporter Vénus, de Chio à l’autre rivage, et si la déesse lui a rendu, en échange de ses bons services, la beauté et les graces de la jeunesse (Dial. des Morts IX, p. 163, tom. 2, Lehman).

(2) Cette première phrase paraît avoir été mutilée dans le texte : je l’ai plutôt paraphrasée que traduite.

(3) Schoël (Hist. de la litt. gr., tom. 1, p. 207), se fonde sur le témoignage de Plutarque (Amator. vol. IX, p. 57, édit. Reiske) pour prétendre que, de tout ce qu’on a dit des amours de Sappho, le fait le mieux avéré, est sa malheureuse passion pour Phaon ; mais le passage de Plutarque, qu’il invoque, fait au contraire allusion à un chant d’amour passionné inspiré par une femme, et qui parait être la fameuse ode dont les fragments nous ont été conservés par Longin (du Sublime, p. 38-40, Longin de Pearce in-4o, Londres 1724), et traduits par Boileau et par Delille : les auteurs des articles Sappho, de la biographie universelle, Marcellus et Allier d’Hauteroche pensent tous deux, d’après Athénée (lib. 13, chap. 70, p. 158, tom. 5 de l’édit. de Schweighœuser) que la passion de Sappho pour Phaon est de la courtisane d’Érèse, et non de la femme-poète que les anciens avaient appelée la dixième muse : quoiqu’il en soit, l’Héroïde d’Ovide (Épitre 21, Sappho à Phaon) est fondée toute entière sur la prétendue existence de ce violent amour qui l’aurait portée à faire le saut de Leucade.