Historiettes (1906)/§ 3 — Tallemant raconté par lui-même

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 350-367).

§ 3 Tallemant raconté par lui-même.[modifier]

J’étois encore en logique, quand Louvigny, mon parent, me mena à la campagne voir ses sœurs. Je ne les avois jamais vues chez elles ; je songeois la nuit avant que de partir, que je devenois amoureux de l’aînée. C’étoit une veuve qui, quoique petite et de l’âge de trente ans, ne laissoit pas que d’être fort jolie. Plusieurs personnes avoient soupiré pour elle ; mais on n’avoit point dit qu’elle en eût aimé pas un. Mon songe ne fut pas faux ; je m’attachai à la veuve dès le premier soir. Il falloit que nous eussions quelque sympathie l’un pour l’autre, car elle me traita toujours avec la plus grande bonté du monde ; et quand je lui dis adieu, elle me baisa si fort au milieu de la bouche que ce baiser me fil une profonde plaie au cœur. Louvigny, qui avoit une belle femme, et qui étoit marié il n’y avoit pas longtemps, ne voulut pas demeurer là plus de six jours, et me fit partir par une pluie effroyable. Nous étions à cheval ; un écolier n’a pas, pour l’ordinaire, tout ce qu’il lui faut. Je ne sais si c’étoit ma casaque qui étoit trop courte, ou si c’étoient mes bottes, mais jamais je ne les pus faire joindre, et l’eau entroit dans mes jambes tout à son aise. Hélas, le cœur me saigne quand je songe à un pauvre bas de soie vert qui fut tout déteint.

À la Saint-Martin, ma veuve revint à Paris ; j’y allai tout aussitôt. J’avois honte de paraître crotté devant elle ; alors il n’y avoit ni chaises ni galoches, et de la Place- Maubert, où je logeois, il y avoit bien loin à la rue Montorgueil, où elle logeoit avec sa sœur. Je cherche chez les loueurs ; j’y trouve un cheval qui pouvoit passer pour un cheval bourgeois ; je louai une selle honnête et une bride à un sellier : j’avois déjà un laquais. En cet équipage, mon frère aîné me trouve vers Saint-Innocent (rue Saint- Denis ). « Où vas-tu, chevalier  ? » me dit-il. On m’appeloit ainsi à cause que j’étois fou de l’Amadis, — « Je m’en vais, lui dis-je, chez M. d’Agamy (1) : on y doit lire une comédie. —

[(1) Le nom du beau-frère de la veuve (T.)]

« Je ne te demande pas, me dit-il, ce que tu y vas faire. » Il sut après que l’on n’y devoit rien lire. En ce commencement je m’excusois toujours, sans qu’on m’accusât et quand on me trouvoit chez la belle, et qu’on me disoit : « Ah ! vous voilà, chevalier, » je disois toujours, ou : « Je suis venu jouer aux quilles, » ou : « Je suis venu jouer au volant. » Le monde se mettoit à rire. Insensiblement je m’enferrai si bien que je ne songeois plus qu’à cela. Les gens en railloient ; moi, je m’en déferrois. Elle croyoit badiner et se plaisoit à être aimée ; mais cela alla plus loin qu’elle ne pensoit. L’abbé de Cérisy, un des plus beaux esprits du siècle, en étoit amoureux il y avoit plus de deux ans ; elle le souffroit, et il y étoit fort famillier en ce temps-là ; lui et trois autres frères qu’il avoit, dont l’un a eu une grande réputation pour la poésie (1).

[(1) Philippe Habert, auteur du Temple de la Mort. (M.)]

Ils étoient dans cette maison tous les jours et à toutes les heures. Deux autres beaux- esprits, Malleville et Gombauld, y venoient souvent l’après-dînée ; Rénevilliers n’en bougeoit : on s’y divertissoit assez bien.

L’abbé fut bientôt jaloux de moi ; aussi, pour dire le vrai, la veuve ne prenoit guère garde à tout ce qu’elle faisoit ; elle l’appeloit d’un bout de la chambre pour lui demander s’il ne trouvoit pas que le noir me séioit bien. Alors les jeunes gens ne prenoient pas le noir de si bonne heure qu’on fait maintenant. Un jour qu’elle étoit au lit, voyant qu’il n’y avoit plus de place dans la ruelle, elle me fit mettre dessus, et, pour cela, il fallut que le pauvre abbé se rangeât afin de me laisser passer. Le pis de tout, ce fut quand il la trouva, comme elle me mettoit des mouches sur des égratignures que m’avoit faites un impertinent de notre auberge, à qui j’avois donné un soufflet, pour quelque sottise qu’il avoit dite d’un de mes oncles. Un jour on me dit que l’abbé avoit parlé de moi comme d’un écolier ; je fis ce couplet sur un air qui couroit alors :

Mon rival, il est vrai, vous avez du mérite ;

Contre vous ma force est petite.

Vous en faites peut-être aussi trop peu d’état :

David étoit ainsi méprisé par Goliath.


Et puis, je le chantai à la belle, qui le trouva fort plaisant. Elle écrivit de sa main de méchants rondeaux que j’avois faits pour elle, car c’est l’amour qui m’a fait faire des vers, elle pour qui l’abbé avoit fait tant de belles choses. Elle et sa sœur n’étoient jamais d’accord ; elle lui dit une fois familièrement : « Sans moi, vous ne verriez pas une âme. » Il est vrai que sa sœur étoit et est encore fort laide, car le temps n’embellit pas : mais elle ne laissât pas d’être coquette. J’ai eu quelquefois bien du plaisir à voir toutes les façons qu’elle faisoit quand le commissaire d’artillerie (1) étoit auprès d’elle.

[(1) Philippe Habert étoit commissaire de l’artillerie.]

Ce garçon peut-être pour servir son frère, lui rendoit quelque complaisance ; mais, par malheur, il fut tué dès la première année de mes amours. Cette sœur a de l’esprit, mais elle vouloit toujours chercher midi à quatorze heures, et il lui échappoit souvent des pointes ; à l’autre, il lui échappoit des naïvetés. Elle lui disoit une fois, pour la consoler de ce que ses enfants n’étoient pas jolis : « Ma sœur, que voulez-vous ? les souris font des souris. » Pour la veuve, jamais il n’y eut une femme qui se dorlotât comme elle, un jour, à la campagne, d’Agamy, Rénevilliers, et autres chasseurs, avoient dîné-déjeûné à dix heures, pour aller à la chasse, et avant que de partir ils avoient déchargé leurs arquebuses. « Jésus ! dit cette femme, le moyen de dormir céans  ? on n’a fait que tirer toute la nuit ! » Elle soutenoit qu’il venoit du vent par une croisée qu’on avoit murée et que puisqu’il y avoit eu une fenêtre en cet endroit-là, il ne pouvoit jamais être si bien joint que le reste. Quelquefois elle disoit, car elle étoit assez gaie naturellement : « J’ai pensé dire une bonne chose, mais je l’ai bien rangaînée » ; et, après pour peu qu’on la pressât, elle la disoit. Il lui prenoit de temps en temps des accès de dévotion. On conte qu’allant à Bourbon avec madame de….. (2), elles avoient deux carrosses ; elle s’amusa à la dînée à lire un sermon avec une demoiselle de cette dame ; on met les chevaux ; un carrosse part ; l’autre crut qu’elle et cette demoiselle étoient dedans.

[(2) Ce nom est entièrement effacé dans le manuscrit.]

On eût été comme cela jusqu’au gîte, si par hasard, dans un chemin fort large, les deux carrosses ne se fussent joints ; quelqu’un du premier carrosse cria : « Mademoiselle Le G…, parlez un peu. » On répond : « Elle est avec vous — Point, elle est avec vous. »On ne l’a trouve pas : il fallut retourner la quérir. Elle et cette demoiselle lisoient encore de tout leur cœur. Une fois une de leurs amies disoit : « Il n’y a pas loin d’ici à notre maison des champs ; j’y vais avec mes mules en deux heures. — Jésus ! dit la veuve, comment pouvez-vous faire  ? Je ne saurois aller avec les miennes jusqu’au bout de ce jardin sans me rompre le cou. » On lui faisoit accroire qu’elle avoit dit que son fils étoit mort à cause qu’un ver lui avoit pissé contre le cœur.

Elle eut une fois une plaisante bizarrerie. D’Agamy avoit prié l’abbé (de Cérisy) de faire une chanson qui commence :

La commère au cul crotté Veut toujours qu’on la gratte, etc.

ou plutôt des couplets que chantoit Gaultier-Garguille autrefois, et sur le sens de la chanson qui commençoit ainsi la commère au cul crotté. Il les fit et les lui dit : la veuve ne trouva pas bon que son mourant eût fait cela pour le mari de sa sœur et elle lui défendit de la donner ; lui, qui n’osoit dire la vérité, disoit : « Cette chanson me pourra nuire si elle est vue » ; et il trouvoit toujours quelque échappatoire. On découvrit enfin ce que c’étoit ; et son frère (1), pour l’obliger à ne plus faire le renchéri : « Laissez-le là, dit-il, j’en ferai une plus belle. »

[(1) Philippe Habert.]

Il en fit cinq ou six couplets ; mais ceux de l’abbé étoient plus naturels ; car il réussissoit admirablement bien en chansons à danser. L’abbé, voyant qu’on chantoit les couplets de son frère, fut tout glorieux de donner les siens.

Pour revenir à mon amour, j’eus bientôt des bracelets de cheveux, et la pauvre femme en tenait, quand tout-à-coup je lui fis un tour de jeune homme. J’étois sur le point de sortir du collège, lorsque mon père ayant changé de logis, un samedi que je pensois coucher chez lui, la maison où il alloit n’étant pas encore toute meublée, on m’envoya coucher chez une de nos cousines. Le père étoit à la cour ; on me mit dans le lit de la fille, qui alla coucher avec sa mère. Cette fille étoit toute jeune et toute belle ; je n’y fis que rêver toute la nuit et le lendemain je trouvai que j’avois une grande disposition à l’aimer ; insensiblement je me pris, et un sot camarade que j’avois eu au collège et qui étoit un peu roman, acheva de me gâter. Nous prenions tous deux la générosité de travers ; et, quoique ce parti me fût fort désavantageux, j’eusse fait volontiers une sottise, si on me l’eût laissé faire. Elle aimoit un garçon qui avoit aimé sa sœur aînée qui étoit morte, disoit- on, d’amour pour lui, mais avec une bonne fluxion sur le poumon, et à cause de laquelle on lui fit faire un voyage en Hollande, où il n’avoit aucune affaire. Pour dire ce que je pense brièvement, je crois que cette fille, se trouvant un parti fort au-dessous de moi, car on parloit de me faire conseiller, ne crut nullement que je fusse pour elle, et qu’elle avoit plus d’espérance d’épouser l’autre. Quoi qu’il en soit, me voilà triste à un point étrange, et plus transi que l’abbé, mon rival. Je tombai dans une telle mélancolie que mon oncle de La Leu, je ne sais si c’est son esprit qui lui suggéra cela, s’alla mettre dans la tête que j’avois quelque maladie de garçon. On députe mon frère aîné pour m’en parler : « Qu’à cela ne tienne, lui dis-je, vous en aurez le cœur éclairci » ; et sur l’heure je lui fis exhibition des pièces. Au bout de trois mois, convaincu que la demoiselle étoit un peu férue de l’autre, je fis un effort pour me délivrer. Je passai une nuit entière sans dormir ; mais le lendemain, il n’y avoit pas un chaînon entier à mes chaînes. Le dépit fit ce que la raison n’avoit pu faire. Je trouvai à propos, pour plus grande sûreté, de faire un petit voyage en Berry, chez madame d’Harambure (1).

[(1) Cousine-germaine de Tallemant.]

Cependant la veuve, comme j’ai su depuis, avoit pensé enrager. Il y avoit une jeune veuve dans notre rue, qui me témoignoit la meilleure volonté du monde ; elle reçut des vers où je disois qu’elle m’aimoit ; elle me permit de lui écrire, mais en jeune homme, j’oubliai de lui demander l’adresse : ce qu’il y avoit de bon en cette affaire, c’est qu’elle étoit accordée, et effectivement elle fut mariée à un mois de là. Je pars avec Tallemant (2), frère de madame d’Harambure ; il voulut passer par cette maison, où j’étois devenu amoureux de la veuve.

[(2) Gédéon Tallemant, maître des requêtes.]

Là je me renflammai quasi, car la pauvre femme me vouloit rattraper. En Berry il fut question de voir si je devois écrire à cette autre veuve qui étoit mariée. Tallemant, qui tout le long du chemin m’avoit conté ses bonnes fortunes de Languedoc, et que je prenois pour un héros en galanterie, me fit écrire contre mon avis, et chargea un si habile homme de rendre ma lettre en main propre, que le mari la reçut au lieu de la femme, et toute ma galanterie s’en alla au diable

Je cajolai un peu la fille d’un gentilhomme, voisin de madame d’Harambure ; après nous allâmes voir madame Bigot, à Argent, où je m’épris terriblement de mademoiselle de Mouriou. Ils me faisoient la guerre, qu’en un bal, quand je lui tenois la main, je mettois mon chapeau dessus, de peur qu’on ne s’en aperçut, cl qu’une fois je m’endormis quasi sur son épaule. J’étois pourtant bien amoureux, et en revenant je songeai tant à elle, toute la nuit, que je ne fis que parler et que pleurer et me plaindre jusques au jour.

Me voilà revenu à Paris. je fis des vers sur mon absence car j’en tins encore un mois durant pour mademoiselle de Mouriou. On me les fit lire chez la veuve, où étoit l’abbé de Cérisy, à qui j’avois donné bien du relâche ; il les loua fort. Or, la petite fille que j’avois quittée, et cette autre, à qui Tallemant m’avoit fait écrire si à propos, s’y rencontrèrent ; elles étoient parentes de la veuve. La veuve, comme chacune d’elles, croyoit que c’étoit pour elle que j’avois fait ces vers dans mon voyage : car toute femelle aime à être aimée. Cela me servit auprès de ma veuve, elle s’imagina que je ne l’avois pas oubliée ; et, un jour, à propos de je ne sais quoi, elle me dit : « Cela n’est pas si vrai, qu’il est vrai que je suis votre servante » Nous voilà mieux ensemble que jamais. Ce fut de ce temps-là qu’elle me conta combien l’abbé étoit jaloux : « Il ne me demande qu’un peu d’amitié et il lui arrive souvent de pleurer auprès de moi ; il ne parle jamais de vous. » Je m’aperçus bien, à son discours, que les amants qui prétendent si peu de chose ne sont pas les mieux reçus ; d’ailleurs on avoit là- dedans une certaine opinion qu’il avoit toujours la foire ; en effet, son teint un peu jaune et pâle étoit le teint d’un foireux. Il avoit beaucoup d’esprit et beaucoup de vivacité ; mais il disoit quelquefois des pointes ; et, quand il lui sembloit qu’il avoit dit quelque chose de plaisant, il en rioit tout le premier, et, si quelqu’un ne l’avoit pas entendu, il lui disoit : « ’Vous ne savez pas, je disois telle chose. » Pour moi, j’étois gai, remuant, sautant, et faisant une fois plus de bruit qu’un autre ; car quoique mon tempérament penchât vers la mélancolie, c’étoit une mélancolie douce, et qui ne m’empêchoit jamais d’être gai quand il le falloit ; avec cela, la veuve me trouvoit beaucoup de brillant dans l’esprit : je ne sais pas si les autres étoient de son avis. J’étois de toutes les promenades, de tous les divertissements, et la belle ne pouvoit rien faire sans moi ; aussi n’étois-je guère sans elle : j’étudiois tout le matin, et l’après-dînée, je la lui donnois tout entière. Je n’ai jamais mieux passé mon temps, car j’étois bien aimé et bien amoureux : on avoit toute liberté de se parler et de se baiser, car les deux sœurs ne mangeoient point ensemble, et étoient moins unies que jamais. D’Agamy et sa femme voyoient bien que la veuve en tenoit, et cela commençoit à leur déplaire, aussi bien qu’à l’abbé. Dans nos caresses nous avions quelquefois les plus violents transports du monde : nous étions bien épris tous deux. Elle avoit de l’esprit, et faisoit parfois des vers dans sa passion. Un jour, je la trouvai pâle au Cours ; je lui envoyai le lendemain des vers que j’ai perdus, où je parlois de la frayeur que cette pâleur me donnoit. Elle me répondit par ce quatrain :

Si tu n’as point trouvé les roses

Qui sur mon teint étoient écloses,

Daphnis, ne t’en étonne pas,

C’est qu’elles descendoient plus bas.


Moi qui aime à conclure, je voulus voir si je pourrois mettre l’aventure à fin.Je me hasarde : on me rebute, on me gronde, on me menace ; mais en sortant on me dit : « Je vous aurois bien plus maltraité, si je ne craignois de vous perdre encore une fois. » Cela me rassure fort ; je recommence : on me repousse, on me déclare que pour tout le reste on me le permettoit, mais que, pour cela, je n’avois que faire d’y prétendre. Désespérant d’en venir à bout, j’entendis bien plus volontiers que je n’eusse fait à un voyage d’Italie que deux de mes frères me proposèrent ; et puis je n’avois que dix-huit ans, j’étois en âge d’aimer à courir.

Ce voyage ne fut pas plus tôt conclu que la veuve se met en courroux, et elle le témoignoit si visiblement que tout le monde s’en apercevoit. En jouant aux quilles, elle ne vouloit plus prendre la boule de ma main, et faisoit mille autres choses d’une grande prudence. Je l’apaisai pourtant en une visite de quatre heures, où je lui représentai qu’elle me désespéroit ; et je l’attendris si bien que moitié figue, moitié raisin, j’en eus ce que je demandois il y avoit si long-temps. Je voulus rompre mon voyage, ou du moins je m’en remis entièrement à elle. C’étoit une chose si arrêtée qu’elle eut assez de sens pour me dire qu’il falloit le faire, et que cela feroit trop parler les gens. Regardez quelle bizarrerie, d’attendre à la veille de mon départ. Elle me laissa encore, en une autre visite, faire tout ce que je voulus ; elle me donna son portrait, elle voulut avoir le mien. Elle me chargea de bagues et de bracelets ; mais ni elle ni moi ne songeâmes à aucune adresse pour nous écrire. Après je fus dire adieu à mon rival, qui eut la plus grande joie du monde de me voir partir.

À Lyon, comme si je ne pouvois voyager sans devenir amoureux, je m’épris terriblement de la fille d’un de nos amis chez lequel nous logions. C’étoit une fille bien faite, bien brusque, qui avoit de la voix et de l’esprit. Pour cette fois-là, je n’ai pas tant de tort qu’à l’autre, car, je ne sais par quelle fatalité, cette fille eut d’abord de la bonne volonté pour moi, quoique je ne fusse pas le plus beau des trois ; elle fit, dès le premier jour, une alliance avec moi, et m’appela ma sympathie. On nous mena promener aux jardins de l’Athénée, qu’on appelle aujourd’hui Ainay ; nous nous détournâmes un peu, elle et moi ; j’étois le plus aise du monde et il me sembloit que j’étois pour le moins Périandre ou Mérindor Il fallut partir au bout de trois jours ; mais, pour me consoler, j’emportai des bracelets de cheveux, et j’eus permission d’écrire. Tout cela ne m’empêcha pas de me bien divertir en Italie, tant c’est belle chose que jeunesse ; à la vérité, j’avois quelquefois de mauvaises heures. La veuve m’écrivit par la voie du petit Guénault, son médecin, qui fit adresser la lettre à Quillet, à Rome. Il n’y avoit rien de particulier. Je lui répondis, et n’en reçus jamais qu’une seule lettre.

De retour en France, nous voilà encore logés à Lyon chez la belle. Je voulois familièrement qu’elle me laissât monter dans sa chambre par une échelle de corde, et je lui proposai de l’aller trouver l’été à la campagne, où elle devoit demeurer trois mois. Elle me dit qu’il y avoit trop de péril à tout cela. Je reçus de ses lettres à Paris pendant quelque temps : elle écrivoit bien ; puis tout-à-coup elle cessa de m’écrire. Je n’ai jamais pu savoir pourquoi, car elle mourut bientôt après.

Revenons à la veuve. Je croyois qu’elle me recevroit avec la plus grande joie du monde : mais je fus bien attrapé quand elle me rebuta plus que jamais, et me reprocha la peine où je l’avois mise,. Cette peine venoit de ce que, s’étant saisie, à mon départ, ou depuis, en songeant à ce qu’elle venoit de faire pour moi, ce que vous savez s’arrêta aussitôt. Quoique je ne l’eusse pas mise en danger de devenir grosse, elle crut pourtant l’être et se découvrit au jeune Guénault, afin d’y remédier de bonne heure ; ce fut dans cette inquiétude qu’elle m’écrivit.

Je la blâmai fort de s’être effrayée si à la légère, et d’avoir tout dit à un tiers. « Hé ! pourquoi ? me répondit-elle ; il sait bien que c’est à bonne intention, et je lui ai dit que vous m’aviez promis de m’épouser. » Je crois, mais je ne l’assurerois pas, qu’en badinant, ou peut-être dans l’action même, elle pourroit bien m’avoir dit : « N’es-tu pas mon mari` ? » et que lui ayant répondu : « Oui, oui, » elle pourroit avoir pris cela pour argent comptant. Nous voilà brouillés. L’abbé, bien loin de profiter de mon absence, l’avoit trouvée plus chagrine que jamais. Le crucifix prit ce temps-là pour lui donner un coup de pied, et depuis il ne fut amoureux que de la vierge Marie. La pauvre Lyonnoise mourut durant notre divorce, et la veuve qui passoit déjà pour une capricieuse dans mon esprit, avoit besoin de cela pour me retenir ; car, n’ayant plus personne, je fis bien plus de choses que je n’en eusse fait pour me remettre bien avec elle.

Un peu plus habile que je n’étois, je m’avisai de cajoler une fille qui en avoit bonne envie : elle étoit parente-suivante d’une madame de Mérouville, avec laquelle Louvigny demeuroit.

Tout ce monde-là, aussi bien que mon père, ne logeoit pas loin du logis de la veuve, où, à cause du grand jardin qui y étoit, on se divertissoit plus qu’en aucune autre maison. Je badinois avec cette fille à ses yeux : cela la fit revenir, et je remontai sur ma bête. Cette fille, qui s’appelle…, m’appeloit mon mari, et m’aimoit de tout son cœur.

J’ai parlé ailleurs de la maison de La Honville, où nous allions souvent, quoique la veuve ne fût pas de ces parties-là. Tout le monde de chez M. de Honville m’aimoit fort ; j’étois le bel esprit de la troupe, et on m’estimoit terriblement. Une fois, une madame du Candal, veuve d’un conseiller au Parlement, grande femme fort bien faite et fort raisonnable, mais un peu coiffée de la parenté, vint avec nous à la Honville. Elle étoit fille d’une sœur de La Honville, qui logeoit avec son frère. De tout temps, cette femme m’avoit plu ; aussi a-t-elle un agrément que j’ai vu à peu de personnes. Mon humeur, mon emportement, ma gaieté ne lui déplurent pas non plus. En badinant, nous faisons une alliance ; nous voilà aussi mari et femme. Depuis cela, je la visitai plus soigneusement ; mais il n’y avoit aucune liberté chez son beau-père, où elle logeoit. La première femme (1) voyant que je me trouvois presque toujours chez La Honville quand l’autre y venoit dîner, entra en quelque jalousie et me fit la mine.

[(1) La parente de madame de Mérouville qui appeloit Tallemant son mari. ]

Le lendemain, je la vais trouver dans sa chambre, et, après l’avoir bien haranguée, pour l’obliger de me dire ce qu’elle avoit contre moi, elle me prend la main et me baise. « Allez ? dit-elle, vous ne le saurez jamais, mais je ne vous en aimerai pas moins. » Voyant cela, je voulus tenter si je ne trouverois point l’heure du berger. « Non, me dit- elle, si j’étois capable de faire une sottise, ce seroit pour l’amour de vous ; contentez- vous de cela, et aimez-moi à cela près, si vous en êtes capable. » Avec elle, j’en suis toujours demeuré là ; elle est encore fille, et nous nous aimons encore de bonne amitié.

La veuve grondoit assez de ces petits voyages à La Honville, mais je lui disois qu’il falloit donc que je rompisse avec mes frères, et ma belle-sœur (1), et toute sa famille.

[(1) Pierre Tallemant, sieur de Boisneau, frère aîné de Tallemant, avoit épousé Anne Bigot, fille de Nicolas Bigot, sieur de la Honville. ]

Sa sœur (2) malicieusement, ne manquoit pas de lui faire remarquer que je n’étois jamais si ajusté que quand j’allois voir madame du Candal, qui alors délogea de chez son beau-père, et alla demeurer avec sa mère, vers le Marais.

[(2) Madame d’Agamy.]

Tout ce qu’elle et son mari disoient contre moi ne servoit qu’à les faire regarder comme des espions. Une fois que nous étions à un divertissement chez une des parentes de la veuve, on se mit à danser aux chansons ; elle me tenoit par la main, et sans y penser elle alla chanter :

Guillot est mon ami,

Quoique le monde en raille ;

Il n’est point endormi,

Quand il faut qu’il travaille.

Ah ! je ris alors qu’il me baise ;

Car il meurt de plaisir et moi d’aise.


Ma foi, le monde en railla cette fois-là, et nous fûmes un peu déferrés tous deux.

La veuve, qui de soi déjà étoit assez capricieuse, le devint encore davantage par les soupçons que ses parents lui mirent dans l’esprit. Un jour que je la trouvai seule auprès du feu, elle se glisse dans un cabinet au coin de la cheminée, dont la porte avoit un petit contre-poids qui la faisoit fermer fort aisément. Voilà visage de bois : je presse, je prie ; elle ne veut point ouvrir. Je m’en vais : à la porte de la rue, je me ravise, et me vais cacher de l’autre côté de la cheminée, après être rentré fort doucement, puis je laisse aller l’huis vert de toute ma force, pour lui faire accroire que je m’en allois : cela réussit. Elle sort ; je la happe, et coetera. Cette bizarrerie me le fit trouver trois fois meilleur. Comme cette femme n’étoit pas naturellement dévergondée, et que ce n’étoit que la force de la passion qui l’emportoit, elle ne se put jamais résoudre à me donner un rendez-vous : il la falloit toujours culbuter, mais pour l’ordinaire il n’y avoit jamais que la première pinte de chère, et pour une après- dînée elle m’en laissa tant prendre… que j’en eus la sciatique bien forte, car c’étoit toujours à recommencer. On ne pouvoit pas bien prendre ses mesures, et se cacher de sa femme, mais je n’en ai jamais vu une si désintéressée ; elle ne voulut pas seulement prendre des gants quand je revins d’Italie.

Elle devint insensiblement si jalouse qu’elle l’étoit de toutes les femmes que je voyois, mais bien plus de madame d’Harambure que de pas une autre : elle a toujours eu plus de jalousie de celles que je n’aimois pas que de celles que j’aimois ; car elle n’en eut pas le quart autant de madame du Candal ni de mademoiselle des Marais, dont nous parlerons ailleurs.

Cependant je m’enflammai pour cette autre veuve (1), car la première me grondoit trop.

[(1) Madame du Candal.]

Chez sa mère, on avoit un peu plus de liberté. Un jour que nous y faisions collation, elle nous donna des abricots, et nous conta que, croyant en avoir fait de bien plus beaux que sa mère, elle mit sur les siens : Abricots de ma façon. Par malheur, ses abricots se candirent, et ceux de sa mère se conservèrent fort bien : elle en changea un beau matin toutes les couvertures, et dit : « Regardez comme les miens se sont bien conservés. » Or, elle avoit une fille qui n’étoit guère jolie. « Ma foi, ce lui dis-je, madame, votre bonne maman vous surpasse bien autant en filles qu’en abricots : vous êtes une belle ouvrière au prix d’elle ! »

Une fois, je trouvai bien du crachottis auprès de son feu. « Jésus ! lui dis-je, qu’est-ce que cela  ? — Hélas ! dit-elle, c’est M. Mestresat qui a fait là le lac de Genève (1).

[(1) Il étoit de Genève, et crachoit beaucoup. (T.)]

Je lui donnois fort souvent des vers ; mais, comme elle vit que j’en tenois, elle me fit une petite querelle pour ne m’appeler plus son mari ; j’entendis bien sa finesse, et fis semblant d’en être un peu alarmé. Comme elle logeoit fort loin, je ne la voyois pas bien à mon aise et fus ravi quand on parla de la faire loger auprès de M. de La Honville. Toute la difficulté étoit que, pour avoir la maison qu’on vouloit faire prendre à sa mère, il falloit perdre un quartier de celle qu’elle quittoit : la bonne femme ne pouvoit s’y résoudre. J’envoyai un de mes amis, qui loua cette maison sous main pour un quartier, disant qu’une dame de sa connoissance se trouvoit sur le carreau. Je trouvai moyen de le faire savoir à la belle, qui prit cela le mieux du monde, et fit pourtant en sorte qu’elle délogea sans qu’il en coûtât un sou, ni à sa mère, ni à moi, car elle persuada au propriétaire d’y aller loger lui-même. Mais je fus bien attrapé, car ses tantes, ses cousines étoient toujours avec elle, et je lui parlois dix fois moins que je ne faisois auparavant. Enfin elle se résolut, croyant n’avoir point d’enfants, d’épouser M. de Montlouet d’Angennes, parce qu’il n’en avoit point eu avec sa première femme ; elle n’en a eu que tous les ans. Il étoit de mes amis, et m’appeloit son pupille ; j’étois même le confident de ses amours, et j’ai quelquefois fait des vers pour lui. Elle fut longtemps cruelle jusqu’au mépris. « Hélas ! disois-je, le pauvre homme ! il ne fait que blanchir contre. » Il étoit trop vieux pour elle. Dès qu’il l’eut épousée, je résolus de ne plus penser à elle, et un jour je lui dis : « Je gage, madame, que vous avez brûlé tous les vers que je vous ai donnés. — Point, dit-elle ; je vous les montrerai encore tous. — Cela n’est plus bon à rien, lui dis-je ; vous êtes devenue la femme de mon ami : je vous conseille de les brûler, cela pourroit faire du désordre. » Elle vit pourquoi je le disois, et me répondit en rougissant : « On en fera ce que vous voudrez. » Je ne sais ce qui en est arrivé depuis, mais nous avons toujours bien de l’estime l’un pour l’autre.

Madame d’Harambure morte, je croyois que la veuve ne seroit plus si folle que par le passé ; mais ce fut encore pis que jamais. Elle étoit si extravagante sur ce chapitre qu’elle croyoit que je couchois avec toutes les femmes que je voyois. « Le moyen que les autres vous résistent, disoit-elle, si je ne vous ai pu résister ! » Enfin elle vint à un tel excès qu’elle m’accusoit de coucher avec ses sœurs ; elle en avoit deux, toutes deux laides, et qui me haïssoient comme la peste ; elle m’en accusoit aussi avec les miennes « Oui, disoit-elle, et je ne voudrois pas jurer que même vous épargniez vos tantes. — Mais comment est-ce donc que je fais  ? Car vous savez que je vous sers assez bien. — Ah ! répondit-elle, il n’y a jamais rien eu de si brutal, de si animal que vous ; vous avez une sensualité infatigable. » Elle me faisoit beaucoup plus d’honneur qu’à moi n’appartenoit.

Voici deux des plus plaisantes visions qu’elle ait eues. Madame Tallemant, la maîtresse des requêtes se blessa ; elle s’alla mettre dans l’esprit que cette femme étoit grosse de mon fait, et qu’ayant reconnu combien j’étois infidèle elle avoit mieux aimé se blesser que de mettre au jour l’enfant d’un si méchant homme. L’autre fut que mademoiselle de Mérouville, aujourd’hui la marquise de La Barre-Chivray, ayant eu la petite vérole, au retour d’un petit voyage de La Honville, où j’avois été avec elle, la veuve raisonna ainsi : « Il n’y a rien qui donne tant la petite vérole que l’émotion. Cette fille lui a tout accordé, cela l’a émue. » Si la moindre des trois personnes avec lesquelles elle disoit que je concubinois eût voulu me laisser faire, je l’eusse bien plantée là ; car elle ne me faisoit coucher qu’avec Lolo (1), madame du Candal et mademoiselle des Marais, aujourd’hui madame de Launay, sans compter madame de Louvigny et bien d’autres.

[(1) Une fois à La Honville, cette Lolo, car je badinois toujours, avoit les mains embarrassées à je ne sais quoi : je me mis à la baiser : « Eh ! que faites-vous  ? me dit- elle. — Je prends mon temps. » Depuis quand je la baisois, elle crioit : « Ma sœur, comme il prend son temps, venez vite ; il prend son temps. » Un jour que je lui baisois la main gauche finement elle la couvroit de la droite qui étoit nue. « Celle-là, lui dis-je, m’est tout aussi bonne que l’autre. » J’ai oublié bien des folies et bien des impromptus, et mille autres bagatelles. (T.)]

La vision qu’elle eut de sa sœur, avec laquelle elle logeoit, vint de ce que cette femme eut un mal de mère si furieux qu’elle parla un langage articulé que personne n’entendoit et elle vouloit que cela vint de ce que je lui avois brouillé la cervelle. Je ne savois plus où j’en étois ; je ne voulois pas pourtant jeter le manche après la cognée, parce que j’avois dessein de faire durer cela jusqu’à ce que je pusse me déclarer pour la petite Rambouillet que j’ai épousée. Elle me fit une proposition : « Mettez, disoit-elle, ma conscience en repos. — Eh bien ! voulez-vous que je vous épouse ? — Non. — Que voulez-vous donc  ? — Trouvez quelque invention. » Et après, elle me disoit : « Mais n’est-ce-pas assez que vous m’ayez cinq ans durant violée ? » Elle appeloit cela violer, parce qu’elle faisoit d’abord quelque résistance ; puis changeant tout-à-coup de discours : « Ah ! si j’étois assurée que vous m’aimassiez bien, je ne m’en soucierois pas ; mais vous avez honte de m’aimer. » Et alors elle me vouloit obliger à faire des extravagances pour lui témoigner que je l’aimois. Tout ce que je pus faire, ce fut de prendre quelque prétexte, comme je fis, pour ne plus voir sa sœur, avec qui elle étoit mal ; car l’autre l’avoit obligée d’assez mauvaise grâce à déloger d’avec elle. Il fallut, pour lui ôter de la tête que je craignisse d’être obligé de l’épouser, faire tout comme font un mari et une femme. Il n’en arriva point d’accident ; elle n’étoit point féconde et n’a jamais eu qu’un enfant.

Il lui prit une nouvelle bizarrerie. Elle avoit je ne sais quelle espèce de demoiselle avec elle qu’elle faisoit tenir toujours dans sa chambre. Un beau jour je l’attrapai plaisamment. Comme elle étoit allée conduire une dame jusqu’à la porte de l’antichambre, je la suivis ; sa petite demoiselle demeura auprès du feu. Je prends la veuve et je l’emporte de l’antichambre dans une garde-robe, où je m’enferme avec elle, et je la tins tant que je voulus. Je la fis un peu revenir de ses folies, et le lendemain, l’ayant trouvée au lit, je la tâtai tant, elle avoit le corps admirablement beau, et je la vis en si belle humeur, qu’encore que ses filles fussent en un cabinet qui répondoit sur le lit, elle ne laissa pas, en mettant le rideau par-dessus moi, de s’approcher…..

Elle sortit de sa maison parce que l’horloge de l’hôtel d’Epernon sonnoit les demi-heures et les quarts, et que cela lui coupoit, disoit-elle, sa vie en trop de morceaux.

Quand l’abbé de Cérisy, qui étoit de ses amis, eut fait la Vie du cardinal de Bérulle, il lui en envoya un exemplaire. Elle lui manda gracieusement, quelques jours après, qu’elle n’avoit jamais cru qu’il pût devenir assez idiot pour écrire de si sots miracles. On n’en vendit quasi point. M. de Grasse (Godeau) disoit que c’étoit une vie écrite par épigrammes, tant il y avoit de traits. Patru disoit qu’il y avoit cinq ou six cents têtes à cet ouvrage, car il commence à tout bout de champ, comme s’il étoit à la première ligne. Le libraire s’y pensa ruiner. Le bon abbé avoit plus d’esprit que de jugement.

Nous nous brouillâmes encore bien des fois, et nous raccomodâmes aussi. Enfin, las de ses bizarreries, et ayant été obligé, par des considérations de famille, à faire demander la petite Rambouillet, me voilà accordé sans le lui dire. Mon frère l’abbé, par malice, lui alla annoncer cette nouvelle. Elle n’a jamais été si sage que cette fois-là, car elle reçut cela comme une chose indifférente. Je ne laissois pas d’aller chez elle ; mais je prenois garde qu’il y eût compagnie. Une fois, par malheur, je la trouvai seule ; elle sortit de sa chambre en colère et me donna un grand coup de poing ; après je ne m’y frottai plus. La sœur et son mari eurent une joie étrange de voir que je me mariois : nous nous étions remis bien ensemble, il y avoit quelque temps, du consentement de la veuve ; elle-même s’étoit réconciliée avec eux. Or, quand M. Rambouillet se voulut remarier, elle y prétendit fort, tant pour être plus magnifique que sa sœur, que peut-être pour me faire enrager à mon tour. Le bonhomme n’y voulut point entendre. Il étoit accorde, il y avoit deux jours, quand une fille que je ne connoissois point me vint dire que M. Le Faucheur, le ministre, qui logeoit en même maison que la veuve, étoit fort mal et demandoit à parler à moi. Je fais mettre les chevaux au carrosse, et cependant je dis à tous ceux que je rencontrai que le pauvre M. Le Faucheur étoit bien mal. J’y vais vite, mais je trouve cette même fille au bas de l’escalier qui me dit : « Monsieur, c’est mademoiselle Le G… (1) qui veut vous parler. »

[(1) Nom de la veuve. On croit lire Le Goux ou Le Geay sous la rature. (M.)]

Je monte. Elle commence par des larmes et par des reproches, et me dit enfin qu’il falloit que je l’épousasse, ou que je lui fisse épouser mon beau-père. « Pour moi, lui dis- je, mes articles sont signés il y a long-temps, et ceux de mon beau-père futur le furent avant-hier » Elle se mit à tempêter, que je m’en repentirois, que quelque jour son fils seroit grand, que la petite Rambouillet ne seroit jamais que ma g…, et que si elle eût su cela, elle l’eût laissée tomber en la présentant au baptême. Elle est sa marraine. Je lui parlai doucement, la remis du mieux que je pus, et me retirai quand je la vis un peu apaisée. Cependant je fus en transes jusque devant l’arche que j’appris qu’elle n’étoit point au prêche ; car elle étoit si outrée que je craignois qu’elle n’allât faire quelque opposition ridicule. Sa sœur a été assez étourdie pour me dire depuis : « Il me semble que vous deviez marier ma sœur avec votre beau-père ; c’étoit le moins que vous fussiez obligé de faire pour elle. » Cette pauvre femme ne me sauroit encore voir sans surprise. J’ai eu du déplaisir à ne pouvoir l’assister en quelques affaires qu’elle a eues ; mais il n’y a jamais eu moyen d’en approcher. Elle hait le cardinal, et dit assez plaisamment que le soleil de mars est mazarin à cause qu’il fait mal à la tête. (Historiettes, X, 358 ; les Amours de l’auteur.)