Historiettes (1906)/Bons mots, naïvetés

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 318-325).

BONS MOTS, NAÏVETÉS.[modifier]

M. l’évêque de Noyon (Baradas)disoit à l’abbé Le Camus, aumônier du Roi (1658) : « Tout est ruiné à mon évêché, il ne s’est sauvé que mes prés. — Hé bien ! répondit l’abbé, avec un peu d’avoine, voilà de quoi vivre. »

Mon père avoit un commis naïf, fort dévot et fort chaste : un jour il ne trouvoit pas son compte. on ouït qu’il prioit Dieu, et disoit : « Seigneur, tu sais que j’ai mon pucelage et cependant je ne trouve point mon compte. »

La Cuisse, chirurgien qui accouche les femmes, dit qu’un jour une personne bien faite et bien vêtue le vint prier chez lui de l’accoucher, le contenta bien, et après le pria de donner l’enfant à un homme fait de telle façon. Quelque temps après, on vint quérir La Cuisse pour une maîtresse des requêtes ; c’étoit elle-même, et elle lui dit tout bas : « Je crierai cette fois pour celle-ci et pour l’autre. »

Le jeune Guénaut, médecin, venoit d’accoucher une fille de bon lieu, et comme il en apportoit l’enfant sous son manteau, un grand laquais de la maison lui vint dire tout bas à l’oreille : « Monsieur, se porte-t-il bien ? — Quel coquin est- ce là ? dit le médecin. — Monsieur, répond le laquais, j’ai autant d’intérêt qu’un autre, pour le moins ; c’est de mon fait. »

Henri IV, étant à Cîteaux, disoit : « Ah ! que voici qui est beau ! mon Dieu, le bel endroit !… » Un gros moine, à toutes les louanges que le Roi donnoit à leur maison, disoit toujours : Transeuntibus. Le Roi y prit garde, et lui demanda ce qu’il vouloit dire : « Je veux dire, Sire, que cela est beau pour les passans et non pas pour ceux qui y demeurent toujours. »

Henri IV, à Poissy, demanda à la petite de Maupeou, depuis abbesse de Saint-Jacques- de-Vitry : « Qui est votre père, mignonne ? — C’est le bon Dieu, Sire. — Ventre saint- gris ! je voudrois bien être son gendre. » Elle en donna plus d’un au bon Dieu, la bonne dame, et elle juroit familièrement par les six enfants que j’ai portés.

La Reine-mère demanda un jour, en riant, au passager (1) du port de Nully (Neuilly) si sa femme étoit belle. « Ma foi ! ce dit-il, Madame, l’on en f… de plus laides. »

[(1) Passeur.]

Le laquais de Gombauld, lisant le livre des Rois, disoit : « Si j’eusse été Dieu, je n’eusse point fait de si sots rois que cela. »

Un laquais ne vouloit point quitter son maître, et disoit : « Où en trouverois-je un qui me fît autant rire que celui-ci  ? »

Un moine prêchoit sur la mort à Fontevrault : il y avoit une fort jolie religieuse à un coin de la grille ; elle lui avoit été cruelle. Il disoit : « On dit à la Mort : Prends cette vieille. — Je ne veux pas, dit-elle ; je veux cette jeune, je veux cette jeune. » Il trouva moyen de dire dix fois : je veux cette jeune.

D’Audiguier, auteur de Lysandre et Caliste, disoit à Théophile qu’il ne tailloit sa plume qu’avec son épée : « Je ne m’étonne donc pas, lui dit Théophile, que vous écriviez si mal. »

Un bourgeois de Châlons avoit son fils au collège des Jésuites à Rheims. Ce fils, par l’avis des Jésuites. lui demanda les Vies des Saints : il lui envoya les Vies des Hommes illustres de Plutarque, et lui manda que c’étoient les saints des honnêtes gens.

À Alençon, il y avoit un M. Fouteau : pour rire, on appeloit sa femme mademoiselle Foutelle. Un homme alla le demander, et dit : « Monsieur Fouteau y est-il  ? — Non, dit une fille. — Et mademoiselle Foutelle  ? — Non, Monsieur. elle mange son potage. »

Une jolie femme de Clermont, en Auvergne, appelée madame de Vincelles, quand son mari lui a fait cela, lui dit naïvement et de bonne foi : « Grand merci, monsieur de Vincelles ! »

Le duc d’Ossone, sans être vu, entendit une fois trois soldats qui faisoient des souhaits. L’un souhaitoit d’être capitaine de galère, le second d’avoir une lieutenance dans un des châteaux de Naples, le troisième, moins intéressé de coucher avec la femme du vice- roi. Le duc leur dit : « Mes amis, il ne tiendra pas à moi que vous ne soyez contents. » Il fit le premier capitaine de galère, le second lieutenant dans un des châteaux, et, pour le troisième, il le mena à sa femme et lui dit : « Madame, j’ai fait ce que je pouvois pour satisfaire ces messieurs ; mais il y en a un que je ne puis contenter sans vous, voyez si vous êtes assez obligeante pour cela. »

Etant entré dans les galères de Naples, il s’informa des forçats ce que chacun avoit fait ; tous firent leur apologie, on les y avoit mis à tort ; il n’y en eut qu’un seul qui lui avoua franchement qu’il le méritoit et par-delà. « Otez, dit-il au commissaire, ce méchant homme d’ici, il gâteroit tous ces gens de bien. »

Un criminel qu’il avoit condamné à sauter d’un rocher en bas faisoit bien des façons et avoit bien de la peine à franchir le saut. « Tu es bien longtemps, lui cria-t-il. — Monsieur, répondit l’autre, croyez-vous cela si aisé ? Je vous le donne en douze. » Le mot lui sembla plaisant. il lui fit grâce.

Un neveu du petit Gramond de M. d’Orléans fut mené chez madame de Bournonville. « Quoi ! dit-elle, le neveu du petit Gramond, ce grand m… ! — Quoi ! madame, lui répondit ce garçon, seroit-il assez heureux pour vous avoir rendu quelque service  ? »

Le feu Roi trouva un paysan naïf dans je ne sais quel village, vers Saint-Germain ; il s’en voulut divertir et le fit approcher. « Hé bien ! Monsieur, lui dit cet homme, les blés sont-ils aussi beaux vers chez vous qu’ils sont vers chez nous ? » Il se nommoit Jean Doucet. Le Roi le prit en affection, et le mena à Saint-Germain. Là il se mit à jouer à la pierrette avec lui, et lui gagna dix sols, ce dont l’autre pensa enrager. Le Roi en étoit si aise qu’il porta ces dix sols à Ruel, pour les montrer au cardinal. Un jour le Roi lui donna vingt écus d’or ; il les prit, et, frappant sur son gousset, il disoit : « I vous revanront, Sire, i vous revanront ; vous mettez tant de ces tailles, de ces diébleries sur les pauvres gens ! »

Au Pays-Bas, des moines et des religieuses représentoient la Passion. Un gros moine étoit en croix, et une belle religieuse à ses pieds, qui faisoit la Madeleine. Elle avoit des tétons qui tentoient le drôle. Comme il sentit que le linge qui étoit devant son honneur commençoit à se soulever. « Otez, dit-il, cette Madeleine ; elle gâte tout le jeu. »

Une bonne femme dit à une Reine de France qui alloit en pèlerinage à Chartres, pour avoir des enfants : « Vous n’avez qu’à vous en retourner, celui qui les faisoit est mort. »

Il y a à Montmartre un tableau de Notre Seigneur et de la Madeleine, de la bouche de laquelle sort un écriteau où il y a Raboni. Les bonnes femmes en ont fait un saint Rabonny qui rabonnit les maris, et on y fait des neuvaines pour cela.

Le grand-prieur de La Porte disoit : « Je ne suis pas plus à mon aise que quand je n’avois que vingt-cinq mille livres de rentes ; cela ne me sert qu’à avoir plus de voleurs autour de moi. Mon sommelier dit que le vin lui appartient dès qu’il est à la barre, et n’a point d’autre raison à m’alléguer, sinon qu’on en use ainsi chez M. le cardinal ; le piqueur prétend que le lard est à lui dès qu’il en a levé deux tranches ; le cuisinier n’est pas plus homme de bien qu’eux, ni l’écuyer, ni les cochers ; sans parler du maître d’hôtel, qui est le voleur major, mais ce qui me chicane le plus, c’est que mes valets de chambre me disent : « Monsieur, vous portez trop long-temps cet habit ; il nous appartient. »

Une paysanne, comme on portoit en procession le chef de saint Marc, le jour de sa fête, par les vignes, qui avoient été gelées pendant la nuit, dit naïvement : « Haussez, Haussez-le bien haut, qu’il voie le beau ménage qu’il a fait. »

Les capucins de Grasse prirent un garçon qui voloit leurs fruits ; ils firent venir le père, qui lui dit : « Hé bien ! si tu ne veux rien valoir, fais-toi au moins capucin. »

Ma mère me dit un jour : « Pourquoi acheter des livres  ? N’avez- vous pas fait toutes vos études  ? »

M. de Vendôme, bâtard de Henri IV, passant à Noyon, logea aux _Trois-Rois. Le fils du maître de la maison, nouvellement reçu avocat, crut que sa nouvelle dignité l’autorisoit à aller faire la révérence à M. de Vendôme ; il y va. M. de Vendôme lui demande qui il étoit. « Monsieur, je suis le fils des Trois-Rois. — Le fils de trois Rois…. Monsieur, je ne suis le fils que d’un : vous prendrez le fauteuil : je vous dois tout honneur et tout respect. »

Un ivrogne pissoit dans sa cour ; il pleuvoit et une gouttière alloit. Il demeuroit trop long-temps ; sa femme l’appelle. Il croyoit que c’étoit en pissant qu’il faisoit le bruit que faisoit l’eau dans la gouttière, et il lui répondit : « Va, va, je pisserai tant qu’il plaira à Dieu. »

Un avocat au Conseil, nommé Chapuiseau, fit un cachet où un chat puisoit de l’eau. Il composa un livre qu’il appeloit le Devoir de l’homme. Il promit à un conseiller, nommé Champdent, de lui montrer le manuscrit ; il fut chez ce conseiller, et, n’ayant trouvé que madame, il lui voulut laisser son livre (c’étoit un gros rouleau qu’il avoit fourré dans ses chausses, et qui paroissoit). Il y met la main pour le tirer. « Jésus ! monsieur Chapuiseau, que faites-vous  ? — madame, dit-il naïvement, c’est le Devoir de l’homme. »

En un village d’Espagne, on condamna un tailleur à être pendu ; les habitants allèrent trouver le juge, et lui dirent : « Cela nous incommodera bien, car il n’y a que ce tailleur. Laissez-le-nous, et, si c’est que vous vouliez prendre quelqu’un, nous avons deux charrons, prenez lequel il vous plaira : ce sera assez d’un de reste. »

Un bourreau vouloit quitter la ville d’Angers parce qu’on n’y faisoit point d’œuvre délicate, qu’on n’y faisoit que pendre.

Madame Cornuel faisoit un jour des réprimandes à une gueuse qui traînoit deux ou trois petits enfants, de ce qu’elle ne se contenoit point, n’ayant pas de quoi se nourrir elle seule. « Que voulez-vous  ? lui répondit la pauvre femme, quand le pain nous manque, nous nous ruons sur la chair. »

Rotrou, le poète comique, ou tragique, ou tragi-comique, comme il vous plaira, cajoloit une fille à Dreux, sa patrie. Elle le recevoit assez mal. On lui dit : « Vous maltraitez bien cet homme : savez-vous bien qu’il vous immortalisera  ? — Lui  ? dit-elle. Ah ! qu’il y vienne pour voir. »

Un intendant de Languedoc, dont la femme étoit morte dans Béziers, vouloit que la province la fît enterrer à ses dépens. Un député qu’on lui envoya lui dit que cela tireroit à conséquence. « Si c’étoit vous, Monsieur, on le feroit volontiers. »

Morin, le fleuriste (c’est le jeune), est une espèce de philosophe ; une fois qu’il étoit bien malade, son curé lui disoit : « Ramassez toutes vos peines et les offrez à Dieu. — Je lui ferois là, dit-il, un beau présent ! »

Un fou nommé Cyrano fit une pièce de théâtre intitulée la Mort d’Agrippine, où Séjanus dit des choses horribles contre les dieux. La pièce étoit un peu galimatias. Sercy qui l’imprima, dit à Bois-Robert qu’il en avoit vendu l’impression en moins de rien. « Je m’en étonne, dit Bois- Robert. — Ah ! Monsieur, reprit le libraire, il y a de belles impiétés. »