Historiettes (1906)/Contes sur le mariage

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 314-318).

CONTES SUR LE MARIAGE[modifier]

Mylord Digby, homme de qualité en Angleterre, étoit un homme qui aimoit fort les secrets ; il a cherché la pierre philosophale. La peinture étoit une de ses passions. Or, cet homme avoit une femme qui étoit une des plus belles personnes de l’Angleterre ; il l’aimoit tendrement, mais il vouloit bien qu’on le sût ; et comme il affectoit de passer pour le meilleur mari du monde, et que son esprit se portoit assez de soi-même aux choses extraordinaires, il fit peindre sa femme nue, puis en mettant sa chemise, en habit du matin, habillée, coiffée de nuit, les cheveux épars se coiffant ; bref, de toutes les manières dont il put s’aviser. et, comme elle mourut jeune, il la fit peindre dès le commencement de son mal, puis quand elle fut affoiblie, et ensuite quasi tous les jours jusqu’à sa mort. Ces derniers portraits étoient bien faits, mais ils faisoient peur. Ils étoient tous de la main d’un excellent enlumineur.

Feu M. de Noailles avoit un Suisse qui se marioit en tous les lieux où son maître faisoit d’ordinaire du séjour. Il avoit une femme en Rouergue, une en Gascogne, une en Limousin et une à Paris.

Un homme qui fut en prison parce qu’il avoit quatre femmes, interrogé à la Tournelle pourquoi il en avoit tant épousé, répondit naïvement qu’il avoit voulu voir s’il en trouveroit une bonne ; que la première ne valoit rien du tout, la seconde guère mieux, la troisième n’étoit pas si méchante, la quatrième un peu meilleure que la précédente et qu’il espéroit enfin rencontrer ce qu’il cherchoit. On trouva qu’il disoit cela si bonnement qu’on se contenta de l’envoyer aux galères, pour punition de la folle entreprise qu’il avoit faite.

À propos de cela, outre la vigne qu’on dit que M. l’archevêque doit donner à celui qui au bout de l’an n’aura point de repentir de s’être marié, on dit qu’il y avoit un curé à Sainte- Opportune qui disoit au prône qu’il donneroit des pois pour le carême à ceux qui n’obéissoient point à leurs femmes. Quand il avoit questionné les maris, pas un n’emportoit de ses pois. Un crocheteur y alla, bien résolu d’en avoir ; le curé l’interroge sur la taverne, etc. : il ne le pouvoit attraper. « Prenez donc des pois » lui dit-il. Comme le crocheteur remplissoit son sac : « Vous deviez, ajouta-t-il, en prendre un plus grand. — Je le voulois, dit le crocheteur, mais notre femme n’a pas voulu. — Ah  ? je vous tiens, dit le curé : vous n’avez que faire de sac ; laissez mes pois. »

Un marchand de Bordeaux, dont je n’ai pu savoir le nom, étoit amoureux de la servante de sa femme, et afin de pouvoir coucher avec cette fille sans que sa femme s’en aperçût, il obligea un des garçons de la boutique à tenir sa place pour une nuit, après lui avoir bien fait promettre qu’il ne toucheroit point à madame. Ce garçon, qui étoit jeune, ne se put contenir, et fit quelque chose de plus que le mari n’avoit accoutumé de faire. Le lendemain, la femme croyant que ç’avoit été son mari, car il s’étoit revenu coucher auprès d’elle un peu devant le jour, lui alla porter un bouillon et un couple d’œufs frais. Le marchand s’étonne de cet extraordinaire : « Eh ! lui dit-elle en rougissant, vous l’avez bien gagné. » Par là il découvrit le pot aux roses. Depuis, il accusa ce garçon de l’avoir volé, et le mit en procès. Ce garçon dit le sujet de la haine de son maître ; et, par arrêt du parlement de Bordeaux, la femme fut déclarée femme de bien, et le mari cocu à très juste titre.

Voici une autre histoire un peu plus tragique. Un gentilhomme de Beauce, entre Dourdan et Etampes, nommé Baye-Saint-Léger, avoit une fort belle femme, et cette femme avoit une femme de chambre aussi belle qu’elle. Le mari, comme on se lasse de tout, devient amoureux de cette fille ; la presse, elle résiste, et enfin le dit à sa maîtresse. La femme dit : « Il faut l’attraper. Dans quelque temps faites semblant de consentir et lui donnez un rendez-vous. ». Or, il arriva que le propre soir que Saint-Léger avoit rendez- vous de cette fille, un de ses meilleurs amis vient chez lui. Pour s’en défaire, il le mène coucher bien plus tôt que de coutume. L’ami en a du soupçon, veut savoir ce que c’est ; il le lui avoue. Ce gentilhomme lui en fait honte, et lui persuade de lui donner sa place ; il va au rendez-vous au lieu de Saint Léger. Il y trouve la femme de son ami, qui, pour se moquer de son mari, avoit joué tout ce jeu-là. Il fait ce pourquoi il étoit venu. Elle a conté depuis que, de peur de rire, elle se mordoit les lèvres. C’étoit dans un jardin, et il ne faisoit point clair de lune. L’ami revient bien satisfait, et le mari se couche auprès de sa femme. Le récit que lui avoit fait son ami lui avoit fait venir l’eau à la bouche ; il veut en passer son envie. Sa femme lui dit en riant : « Seigneur Dieu ! vous êtes de belle humeur ce soir. — Que voulez-vous dire ? lui dit- il. — Eh ! répondit-elle, ne vous souvenez-vous plus du jardin  ? » Le pauvre homme devina incontinent ce que c’étoit. Il ne fit semblant de rien ; mais il fut si saisi qu’il en mourut. Elle, depuis, a été fort abandonnée et est morte de la v…

Le comte de Saint-Paul, dernier mort, fut aussi attrapé par sa femme, qui prit la place d’une demoiselle, mais il ne put rien faire. Voyant cela, Elle lui dit en riant : « Vraiment, vous êtes un bel homme à rendez-vous ! — Ah ! lui dit-il, je ne m’en étonne pas… il sentoit sa vieille écurie. »

Un président de Paris, dont on n’a jamais voulu me dire ni le nom, ni la cour dont il étoit président, ni même s’il vivoit ou s’il étoit mort, tant on avoit peur que je ne découvrisse qui c’est, un président donc fut averti par son clerc que sa femme couchoit avec un cavalier. « Prenez bien garde, dit-il à ce clerc, à ce que vous dites.— Monsieur, répondit l’autre, si vous voulez venir du Palais quand je vous irai quérir, je vous les ferai surprendre ensemble. » En effet, le clerc n’y manque pas, et le mari entre seul dans la chambre, les surprend. Il enferme le galant dans un cabinet dont il prend la clef, et retourne à son clerc. « Untel, lui dit-il, je n’ai trouvé personne ; voyez vous-même. » Le clerc regarde et ne trouve point son cavalier. « Vous êtes un méchant homme, lui dit le président ; tenez, voilà ce que je vous dois, allez-vous-en, que je ne vous voie jamais. » Il le met dehors ; après il revient au cavalier : « Monsieur, c’est ma femme qui a tort ; pour vous, vous chercherez votre fortune, allez-vous-en ; mais si je vous rattrape, je vous ferai sauter les fenêtres. » Pour sa femme, quand elle fut seule, il lui dit qu’il ne savoit pas de quoi elle pouvoit se plaindre ; qu’à son avis elle avoit toutes les choses nécessaires. Elle pleura, elle se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, et lui promit d’être à l’avenir la meilleure enfant du monde. Il le lui pardonna, et depuis elle lui a rendu tous les devoirs imaginables.

Un conseiller d État de l’infante Claire-Eugénie avoit une belle femme, et quoiqu’ils n’eussent guère de bien, leur maison alloit pourtant comme il falloit, et ils faisoient fort bonne chère, car la galante en gagnoit. Cela dura assez longtemps sans que le mari s’informât d’où venoit cette abondance. La femme, étonnée d’une si grande stupidité, peu à peu, pour voir s’il s’apercevoit de quelque chose, diminua l’ordinaire. Il ne disoit rien, et faisoit semblant de ne le voir pas. Enfin, elle retrancha tant qu’elle le réduisit à un couple d’œufs. Alors la patience lui échappa il prit les deux œufs, et les jeta contre la muraille, en disant : « Est-ce là le dîner d’un cocu  ? » Elle, voyant qu’il entendoit raillerie, remit dès le lendemain les choses en leur premier état. J’ai ouï faire ce conte d’un François, et je pense qu’il est de tous pays ; mais il n’en est pas moins bon pour cela.

M. Guy, célèbre traiteur à Paris, ne trouvant ni sa femme ni un des principaux garçons, une fois qu’il avoit bien des gens chez lui, alla fureter partout, et les rencontra aux prises : « Hé ! vertu-Dieu ! ce dit-il, c’est bien se moquer des gens que de prendre si mal son temps, et ne pouviez-vous pas attende que nous eussions un peu moins d’affaires  ? »