Historiettes (1906)/La reine Marguerite de Valois

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 18-21).

LA REINE MARGUERITE DE VALOIS

La reine Marguerite, étoit belle en sa jeunesse, hors qu’elle avoit les joues un peu pendantes, et le visage un peu trop long. Jamais il n’y eut une personne plus encline à la galanterie. Elle avoit d’une sorte de papier dont les marges étoient toutes pleines de trophées d’amour. C’étoit le papier dont elle se servoit pour ses billets doux. Elle parloit phébus selon la mode de ce temps-là, mais elle avoit beaucoup d’esprit. On a une pièce d’elle, qu’elle a intitulée : la Ruelle mal assortie, où l’on peut voir quel étoit son style de galanterie.

Elle portoit un grand vertugadin, qui avoit des pochettes tout autour, en chacune desquelles elle mettoit une boîte où étoit le cœur d’un de ses amants trépassés ; car elle étoit soigneuse, à mesure qu’ils mouroient, d’en faire embaumer le cœur. Ce vertugadin se pendoit tous les soirs à un crochet qui fermoit à cadenas, derrière le dossier de son lit.

On dit qu’un jour M. de Turenne, depuis M. de Bouillon, étant ivre, lui dégobilla sur la gorge en la voulant jeter sur un lit.

Elle devint horriblement grosse, et avec cela elle faisoit faire ses carrures et ses corps de jupes beaucoup plus larges qu’il ne le falloit, et ses manches à proportion. Elle avoit un moule (1) un demi-pied plus haut que les autres, et étoit coiffée de cheveux blonds, d’un blond de filasse blanchie sur l’herbe.

[(1) Forme de bonnets dans le genre des hennins.]

Elle avoit été chauve de bonne heure ; pour cela elle avoit de grands valets de pieds que l’on tondoit de temps en temps.

Elle avoit toujours de ces cheveux-là dans sa poche, de peur d’en manquer ; et pour se rendre de plus belle taille, elle faisoit mettre du fer-blanc aux deux côtés de son corps pour élargir la carrure. Il y avoit bien des portes où elle ne pouvoit passer.

Elle aima sur la fin de ses jours un musicien nommé Villars. Il falloit que cet homme eût toujours des chausses troussées et des bas d’attache, quoique personne n’en portât plus. On l’appeloit vulgairement le Roi Margot. Elle a eu quelques bâtards, dont l’un, dit-on, a vécu, et a été capucin. Ce roi Margot n’empêchoit point que la bonne reine ne fût bien dévote et bien craignant Dieu, car elle faisoit dire une quantité étrange de messes et vêpres.

Hors la folie de l’amour, elle étoit fort raisonnable. Elle ne vouloit point consentir à la dissolution de son mariage en faveur de madame de Beaufort. Elle avoit l’esprit fort souple et savoit s’accommoder au temps. Elle a dit mille cajoleries à la feue Reine-mère, et quand M. de Souvray et M. de Pluvinel lui menèrent le feu Roi, elle s’écria : « Ah ! qu’il est beau ! ah ! qu’il est bien fait, que le Chiron est heureux qui élève cet Achille ! » Pluvinel, qui n’étoit guère plus subtil que ses chevaux, dit à M. de Souvray : « Ne vous disois-je pas bien que cette méchante femme nous diroit quelque injure. » M. de Souvray lui-même n’étoit guère plus habile. On avoit fait des vers dans ce temps-là qu’on appeloit les Visions de la cour, où l’on disoit de lui qu’il n’avoit de Chiron que le train de derrière.

Henri IV alloit quelquefois visiter la reine Marguerite, et gronda de ce que la Reine- mère n’alla pas assez avant la recevoir à la première visite.

Durant ses repas, elle faisoit toujours discourir quelque homme de lettres. Pitard, qui a écrit de la morale, étoit à elle, et elle le faisoit parler assez souvent.

Le feu Roi s’avisa de danser un ballet de la vieille cour, où, entre autres personnes qu’on représentoit, on représenta la reine Marguerite avec la ridicule figure dont elle étoit sur ses vieux jours. Ce dessein n’étoit guère raisonnable en soi ; mais au moins devoit-on épargner la fille de tant de rois.

À propos de ballets, une fois qu’on en dansoit un chez elle, la duchesse de Retz la pria d’ordonner qu’on ne laissât entrer que ceux qu’on avoit conviés, afin qu’on pût voir le ballet à son aise. Une des voisines de la reine Marguerite, nommée mademoiselle Loiseau, jolie femme et fort galante, fit si bien qu’elle y entra. Des que la duchesse l’aperçut, elle s’en mit en colère, et dit à la reine qu’elle la prioit de trouver bon que, pour punir cette femme, elle fît seulement une petite question. La reine lui conseilla de n’en rien faire, et lui dit que cette demoiselle avoit bec et ongles, mais voyant que la duchesse s’y opiniâtroit, elle le lui permit enfin.

On fait donc approcher mademoiselle Loiseau (1), qui vint avec un air fort délibéré : « Mademoiselle, lui dit la duchesse, je voudrois bien vous prier de me dire si les oiseaux ont des cornes ? — Oui, Madame, répondit-elle, les ducs (2) en portent. »

[ (1) On ne donnoit alors que la qualification de demoiselle aux femmes bourgeoises ; celle de madame n’appartenoit qu’aux femmes de qualité.(M.)]

[ (2) Madame de Retz étoit galante. (T.)]

La reine, oyant cela, se mit à rire, et dit à la duchesse : « Eh bien ! n’eussiez-vous pas mieux fait de me croire ? »

J’ai ouï faire un conte de la reine Marguerite qui est fort plaisant. Un gentilhomme gascon nommé Salignac, devint, comme elle étoit encore jeune, éperdument amoureux d’elle, mais elle ne l’aimoit point. Un jour, comme il lui reprochait son ingratitude : « Or çà, lui dit-elle, que feriez-vous pour me témoigner votre amour ? — Il n’y a rien que je ne fisse, répondit-il. — Prendriez-vous bien du poison ? — Oui, pourvu que vous me permissiez d’expirer à vos pieds. » — « Je le veux, » reprit-elle. On prend jour ; elle lui fait préparer une bonne médecine fort laxative. Il l’avale, et elle l’enferme dans un cabinet, après lui avoir juré de venir avant que le poison opérât. Elle le laissa là deux bonnes heures, et la médecine opéra si bien que, quand on vint lui ouvrir, personne ne pouvoit durer autour de lui. Je crois que ce jeune homme a été depuis ambassadeur en Turquie.