Historiettes (1906)/Le père André

La bibliothèque libre.
Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 199-204).

LE PÈRE ANDRÉ[modifier]

Le Père André, augustin, vulgairement appelé le petit Père André étoit de la famille des Boullanger, de Paris, qui est une bonne famille de la robe. Il a prêché une infinité de Carêmes et d’Avents ; mais il a toujours prêché en bateleur, non qu’il eût dessein de faire rire, mais il étoit bouffon naturellement, et avoit même quelque chose de Tabarin dans la mine. Il parloit en conversation comme il prêchoit.

Il y tâchoit si peu que quand il avoit dit des gaillardises il se donnoit la discipline ; mais il y étoit né, et il ne s’en pouvoit tenir. Comme il prêchoit un Avent au faubourg Saint- Germain, feu M. de Paris, à cause de je ne sais quelle cabale de moines dont il étoit des principaux, et aussi pour le scandale que ses bouffonneries donnoient, l’envoya quérir et le retint en prison à l’archevêché, M. de Metz s’en formalisa, disant « que M. l’archevêque ne pouvoit faire arrêter un religieux qui prêchoit dans un faubourg qui « dépendoit de l’abbaye de Saint-Germain » ; et effectivement il le fit délivrer ; mais ce fut à condition qu’il prêcheroit plus sagement. Il remonte donc en chaire ; mais de sa vie il n’a été si empêché : il avoit si peur de dire quelque chose qui ne fût pas bien qu’il ne dit rien qui vaille, et il fut contraint. de finir assez brusquement. Il étoit bon religieux et fort suivi par toutes sortes de gens ; par quelques-uns pour rire, et par le reste à cause qu’il les touchoit. Effectivement, il avoit du talent pour la prédication. On fait plusieurs contes de lui dont j’ai recueilli les meilleurs.

Il disoit que « Christophe pensa jeter le petit Jésus dans l’eau, tant il le trouvoit pesant ; mais on ne sauroit noyer qui a à être pendu. »

Il fit une fois de gros bras potelés à la Samaritaine, et il lui faisoit dire par Notre- Seigneur : « Je te donnerai bien d’une autre eau et que tu trouveras bien meilleure. »

Prêchant un carême à Saint-André-des-Arcs, il se plaignoit toujours que les dames venoient trop tard. « Quand on vous vient réveiller, leur disoit-il : Mon Dieu, dites-vous, quelle misère de se lever si matin ! Vous disputez avec votre chevet. Une telle, dites- vous à votre fille de chambre, je gage que la cloche n’a pas sonné ; vous êtes toujours si hâtée ! il n’est point si tard que vous dites. — « Hé ! si j’étois là, ajoutoit-il, que je vous ferois bien lever le cul ! »

Parlant de saint Luc, il disoit « que c’étoit le peintre de la Reine-Mère, à meilleure titre que Rubens, qui a peint la galerie de Luxembourg ; car il est le peintre de la Reine-mère de Dieu. »

Il prêchoit sur ces paroles : J’ai acheté une métairie, je m’en vais la voir. « vous êtes un sot, dit-il, vous la deviez aller voir avant que de l’acheter. »

A la fête de la Madelaine, il se mit à décrire les galants de la Madelaine ; il les habilla à la mode : « Enfin, dit-il, ils étoient faits comme ces deux grands veaux que voilà devant ma chaire. » Tout le monde se leva pour voir deux godelureaux qui, pour eux, se gardèrent bien de se lever. Un jour, il lui prit une vision, après avoir bien harangué contre la débauche de cette pauvre pécheresse, de dire : « J’en vois là- bas une toute semblable à la Madelaine ; mais, parce qu’elle ne s’amende point, je la veux noter, et lui jeter mon mouchoir à la tête. » En disant cela, il prend son mouchoir et fait semblant de le vouloir jeter : toutes les femmes baissèrent la tête. « Ah ! dit-il, je croyois qu’il n’y en eût qu’une, et en voilà plus de cent. »

Cela me fait souvenir d’un conte qu’on fait d’un prédicateur du temps de François 1er. « La Madelaine, disoit-il, n’étoit pas une petite garce, comme celles qui se pourroient donner à vous et à moi ; c’était une grande garce comme madame d’Étampes. » Cette madame d’Étampes lui fit défendre la chaire. Quelques années après, ayant été rétabli, le jour de la Madelaine, il dit : « Messieurs, une fois pour avoir fait des comparaisons je m’en suis mal trouvé. Vous vous imaginerez la Madelaine telle qu’il vous plaira. Passons la première partie de sa vie, et venons à la seconde. »

Le père André comparoit une fois les femmes à un pommier qui étoit sur un grand chemin. « Les passans ont envie de ses pommes ; les uns en cueillent, les autres en abattent : il y en a même qui montent dessus, et vous les secouent comme tous les diables. »

Il disoit aux dames : « Vous vous plaignez de jeûner ; cela vous maigrit, dites-vous. Tenez, tenez, dit-il, en montrant un gros bras, je jeûne tous les jours, et voilà le plus petit de mes membres. »

Il faisoit parler ainsi une fois les soldats d’Holopherne, après qu’ils eurent vu Judith : « Camarade, qui est-ce qui, en voyant de si belles femmes, tam, decoras mulieres, n’ait envie d’enfoncer la barricade  ? »

Je lui ai ouï prêcher sur la Transfiguration. « Cela se fit, dit-il, sur une montagne. Je ne sais ce que ces montagnes ont fait à Dieu : mais quand il parle à Moïse, c’est sur une montagne ; il ne montra pourtant que son derrière, et parla à lui comme une demoiselle masquée. Quand il donne sa loi, c’est encore sur une montagne ; le sacrifice d’Abraham, aussi sur une montagne ; le sacrifice de Notre Seigneur, encore sur une montagne. Il ne fait rien de miraculeux que sur ces montagnes ; aussi la Transfiguration, n’étoit-ce pas une affaire de vallon ? »

Voyant des gens jusque sur l’autel, il dit en entrant en chaire : « Voilà la prophétie accomplie : Super altare tuum vitulos. »

Il prêchoit en un couvent de Carmes sur l’église desquels le tonnerre étoit tombé sans en blesser un seul. « Ah ! dit-il, regardez quelle bénédiction de Dieu ; si le tonnerre fût tombé sur la cuisine, il n’en fût réchappé pas un. » On dit Carme en cuisine.

À la fête de Pâques, il se faisoit une objection. « Mais un mari et une femme qui couchent ensemble un si bon jour, que feront-ils  ? À cela il faut répondre par une comparaison. Si le jour de Pâques un débiteur vous apporte de l’argent, il est bonne fête ; mais les gens ne sont pas toujours en humeur de payer ; je suis d’avis qu’on le reçoive. Faites l’application, Mesdames. »

À propos de romans, il disoit : « J’ai beau les faire quitter à ces femmes, dès que j’ai tourné le cul, elles ont le nez dedans. »

Parlant de David, il dit que, quand il alla en paradis, Dieu dit, le voyant venir de loin : « Qui est-ce  ? » et puis, quand il fut plus près : « Ah ! c’est mon bon serviteur David ; bras dessus, bras dessous, camarades comme cochons. »

Le jour de l’Ascension, décrivant la réception qu’on fit à Jésus-Christ au Ciel, il dit que Dieu dit à David : « Tenez la musique toute prête, voici mon fils qui vient. »

Prêchant des religieuses qui l’avoient fort pressé de leur donner un sermon, il leur dit : « Eh bien ! me voilà ; à cause que je suis Boullanger, vous croyez que j’ai toujours du pain cuit ; mais vous ne songez pas combien j’ai de choses à faire. » Il se mit à leur conter toutes ses occupations. Après, il compara une fille qui entroit en religion à un peloton. « Une novice, dit-il, c’est comme un morceau de bureau ou de papier sur lequel on commence à dévider les premières aiguillées ; mais quelque bien qu’on fasse, il reste toujours un petit trou qu’on ne sauroit boucher. »

À Poitiers, les Jésuites le prièrent de prêcher saint Ignace ; il voulut leur donner sur les doigts. Il fit un dialogue entre Dieu et le saint, qui lui demandoit un lieu pour son ordre. « Je ne sais où vous mettre, disoit Jésus-Christ : les déserts sont habités par saint Benoît et par saint Bruno. » Il faisoit une énumération des lieux occupés par les principaux ordres. « Mettez-nous seulement, dit saint Ignace, en lieu où il y ait à prendre, et laissez- nous faire du reste. ». En sortant, il dit à un de ses amis : « Je n’ai voulu prêcher céans qu’après dîner, car je savois bien qu’autrement on m’y auroit fait méchante chère. » Une autre fois, à Paris, il en donna encore aux Jésuites en pareille occasion. « Le christianisme, dit-il, est comme une grande salade ; les nations en sont les herbes ; le sel les docteurs ; vos estis sal terroe ; le vinaigre, les macérations ; et l’huile les bons pères Jésuites. Y a-t-il rien de plus doux qu’un bon père Jésuite  ? Allez à confesse à un autre, il vous dira : Vous êtes damné si vous continuez. Un Jésuite adoucira tout. Puis, l’huile, pour peu qu’il en tombe sur un habit, s’y étend, et fait insensiblement une grande tache ; mettez un bon père Jésuite dans une province, elle en sera enfin toute pleine. » Les Jésuites se plaignirent à lui-même de ce qu’il avoit dit. « J’en suis bien fâché, mes Pères, leur dit-il ; mais je me suis laissé emporter ; je ne saurois que vous dire ; dans quatre jours c’est la fête de notre Père saint Augustin, venez prêcher chez nous, et dites tout ce qu’il vous plaira, je ne m’en fâcherai point. »

Il disoit que Paradis étoit une grande ville. « Il y a la grande rue des Martyrs, la grande rue des Confesseurs ; mais il n’y a point de rue des Vierges : ce n’est qu’un petit-cul-de sac bien étroit, bien étroit. »

« Un catholique, disoit-il une fois, fait six fois plus de besogne qu’un huguenot ; un huguenot va lentement comme ses psaumes : Lève le cœur, ouvre l’oreille, etc. Mais un catholique chante : Appelez Robinette, qu’elle s’en vienne ici-bas, etc. » Et, en disant cela, il faisoit comme s’il eût limé. J’ai ouï dire que ce conte vient de Sédan, où du Moulin ayant dit à un arquebusier qui chantoit Appelez Robinette, qu’il feroit bien mieux de chanter des psaumes, l’arquebusier lui dit. « Voyez comme ma lime va vite en chantant Robinette, et comme elle va lentement en chantant : Lève le cœur, ouvre l’oreille, etc. »

On dit encore qu’un artisan lui dit que : qui au conseil des malins n’a été empêchoit sa lime d’aller, et qu’il faisoit beaucoup plus d’ouvrage avec Jean Foutaquin pour du pain et pour des poires, Jean Foutaquin pour des poires et pour du pain.

« L’Evangile, dit-il une fois, est une douce loi : Jésus- Christ nous l’a dit ; il le faut croire. » Deux Jésuites entrent là-dessus. « Tenez, dit-il, voilà deux des camarades de Jésus, demandez-leur plutôt s’il n’est pas vrai. » Cela me fait souvenir d’un nommé du Four, qui, dans les guerres des huguenots, ayant trouvé des Jésuites à cheval, leur demanda qui ils étoient : « Nous sommes, dirent-ils, de la compagnie de Jésus. — Je le connois, dit-il ; brave capitaine, mais d’infanterie ; à pied, à pied, mes Pères. » ; et il leur ôta leurs chevaux.