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Historiettes (1906)/Madame de Montbazon

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Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 211-213).

MADAME DE MONTBAZON[modifier]

C’étoit une des plus belles personnes qu’on pût voir, et ce fut un grand ornement à la cour ; elle défaisoit toutes les autres au bal, et, au jugement des Polonois, au mariage de la princesse Marie, quoiqu’elle eût plus de trente-cinq ans, elle remporta encore le prix. Mais, pour moi, je n’eusse pas été de leur avis ; elle avoit le nez grand et la bouche un peu enfoncée ; c’étoit un colosse, et en ce temps-la elle avoit déjà un peu trop de ventre, et la moitié plus de tétons qu’il ne faut ; il est vrai qu’ils étoient bien blancs et bien durs ; mais ils ne s’en cachoient que moins. Elle avoit le teint fort blanc et les cheveux fort noirs, et une grande majesté.

Dans la grande jeunesse où elle étoit quand elle parut à la cour, elle disoit qu’on n’étoit bon à rien à trente ans, et qu’elle vouloit qu’on la jetât dans la rivière quand elle les auroit. Je vous laisse à penser si elle manqua de galants. M. de Chevreuse, gendre de M. de Montbazon, fut des premiers (1).

[(1) Ce couplet de Neufgermain fait voir que le duc de Saint-Simon en a tâté aussi bien que les autres (il ne ressemble pas mal à un ramoneur) :

Un ramoneur nommé Simon,

Lequel ramoneur haut et bas,

À bien ramoné la maison

De Monseigneur de Montbazon. (T.)]


On en fit un vaudeville dont la fin étoit :

Mais il fait cocu son beau-père

Et lui dépense tout son bien.

Tout en disant ses patenôtres,

Il fait ce que lui font les autres.


M. de Montmorency chanta ce couplet à M. de Chevreuse dans la cour du logis du Roi ; je pense que c’étoit à Saint- Germain. M. de Chevreuse dit : « Ah ! c’est trop, » et mit l’épée à la main ; l’autre en fit autant. Les gardes ne voulurent pas les traiter comme ils pouvoient, à cause de leur qualité, et on les accommoda. M. d’Orléans l’a aimée, et M. le Comte aussi. Il en contoit auparavant à madame la princesse de Guémené, belle-fille de M. de Montbazon, et la rivale de la duchesse. Elle l’obligea, à ce qu’on m’a dit, de faire une trahison à madame de Guémené ; ce fut de faire semblant de remettre ses chausses comme il entroit du monde. Il le fit, et après en demanda pardon à la belle. J’ai dit ailleurs pourquoi M. le Comte quitta madame de Montbazon. Bassompierre l’entreprit ; mais il n’en put rien avoir, je ne sais pourquoi. Hocquincourt, fils du grand prévôt, aujourd’hui maréchal de France, est un de ceux dont on a le plus parlé.

Ce M. d’Hocquincourt, ayant gagné une femme de chambre, se mit un soir sous le lit de la belle. Par malheur, le bon homme se trouva en belle humeur, et vint coucher avec sa femme ; il avoit de petits épagneuls qui, incontinent, sentirent le galant, et firent tant qu’il fut contraint d’en sortir. Pour un sot il ne s’en sauva pas trop mal : « Ma foi, dit-il, monseigneur, je m’étois caché pour savoir si vous êtes aussi bon compagnon qu’on dit. » Quand il se mit à la cajole, il lui déclara, en homme de son pays, qu’il ne savoit ce que c’étoit que de faire l’amant transi, qu’il falloit conclure, ou qu’il chercheroit fortune ailleurs. C’est comme il faut avec une femme qui a toujours pris de l’argent ou des nippes. Rouville, après lui y laissa bien des plumes, et on a dit que Bonnelle Bullion, c’est-à-dire le dernier des hommes, y avoit été reçu pour son argent. En un vaudeville, il y avoit :

Cinq cents écus bourgeois font lever ta chemise.

Quand le duc de Weimar vint ici la première fois, en causant avec la Reine de la manière dont il en usoit pour le butin, il dit qu’il le laissoit tout aux soldats et aux officiers. « Mais, lui dit la Reine, si vous preniez quelque belle dame, comme madame de Montbazon, par exemple ? —Ho ! Ho ! Madame, répondit-il malicieusement, en prononçant le B à l’allemande, ce seroit un un pon putin pour le général. »

On n’osoit conclure qu’elle se fardoit ; mais un jour, à l’Hôtel-de-Ville, qu’il faisoit un chaud de diable, la Reine aperçut que quelque chose lui découloit sur le visage. On dit pourtant qu’elle ne mettoit du blanc qu’aux jours de combat, aux grandes fêtes, et qu’elle l’ôtoit dès qu’elle étoit de retour. Ses amours et ses intrigues avec M. de Beaufort et sa mort se trouveront dans les Mémoires de la Régence. J’ajouterai que, quand elle se sentoit grosse, après qu’elle eut eu assez d’enfants, elle couroit au grand trop en carrosse par tout Paris, et disoit : « Je viens de rompre le cou à un enfant. »