Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 28

La bibliothèque libre.
Charpentier (p. 152-154).
◄  XXVII
XXIX  ►

XXVIII

Hokousaï publie en 1819, avec la collaboration de ses élèves d’Osaka, Senkwkoutei, Hokouyô, Sekkwatei, Hokoujoû, Shungôtei, Hokkei (un autre que le Hokkei connu), publie Hokousaï Gwashiki, Méthode de dessin par Hokousaï, un volume, aux dessins en noir, teintés d’une coloration rose et bleuâtre.

À côté du gros et gras Yébis ou pêchant à la ligne, c’est une assemblée de Rakans, de prêtres bouddhiques, dont l’un fait sortir de sa coupe une vapeur, qui se change en un gigantesque dragon ; c’est le malheureux prince Ohtô en sa noire prison, dans une anfractuosité de rocher ; c’est l’hallucination de Yorimitsou devant cette gigantesque araignée, dont la toile ferme la sortie d’une pièce ; c’est la lutte corps à corps de Kawazou-no-Sabouro et de Matano-no-Gorô, ces deux formidables guerriers du xiie siècle, c’est Bishamon tuant un diable. Et ce sont des pêcheurs de crabes, des laveurs d’ignames, des bûcherons, des portefaix, des humains, si vivants, si parlants, si gesticulants, qu’il y a chez eux, comme une ivresse de la vie, et une joie gaudriolante, non seulement des physionomies, aux bouches fendues en tirelire, mais encore des torses, des bras, de toute la musculature, qui semble remuée, agitée, secouée par un rire comique[1]. Et de cette mimique du dessin, parfois un peu caricaturale, mais qui n’est pas absolument particulière à Hokousaï, mais presque générale, chez tous les peintres japonais, il est une explication. Le Japon est le pays, où le masque d’Okamé, la déesse de la grosse joie, figure dans le vestibule de toutes les habitations ; où le proverbe : « Le sourire est la source du bonheur et de la fortune » est à l’état d’axiome ; où l’on n’entend jamais pleurer un enfant ; où la femme, est la seule femme de l’Orient qui ait une nature rieuse ; où la bataille de la vie n’est pas âpre ; où dans ce pays de gais paysages et de ciel bleu, la mélancolie ne semble pas exister ; enfin, où les atteintes prolongées des chagrins chez les peuples septentrionaux, ne sont que momentanées.


  1. En 1849, a paru un recueil en trois volumes de Hokousaï Gwashiki, avec les planches réduites, et teintées grossièrement de rose et de bleu : chaque volume précédé d’un prêtre du culte Kami.