Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 3

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Charpentier (p. 5-10).
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III

En 1778, Hokousaï, alors dit Tétsouzô, abandonne son métier de graveur, ne consent plus à être l’interprète, le traducteur du talent d’un autre, est pris du désir d’inventer, de composer, de donner une forme personnelle à ses imaginations, a l’ambition de devenir un peintre. Et il entre, à l’âge de dix-huit ans, dans l’atelier de Shunshô, où son talent naissant lui mérite un nom : le nom de Katsoukawa Shunrô, sous lequel, le maître l’autorise à signer ses compositions, représentant une série d’acteurs, dans le format en hauteur des dessins de comédiens de Shunshô son maître, et où commence à apparaître chez le jeune Shunrô, un rien du dessinateur, qui sera plus tard le grand Hokousaï.

Et avec la persévérance d’un travail entêté, il continue à dessiner, et à jeter dans le public, jusqu’en 1786, des compositions portant la signature de Katsoukawo Shunrô ou simplement Shunrô.

Les compositions de ces années d’Hokousaï, ainsi que les premières compositions d’Outamaro étaient gravées dans des petits livres à cinq sous, ces livres populaires, au tirage en noir, à la couverture jaune, d’où ils tirent leur nom : Kibiôshi, Livres jaunes.

Le premier livre jaune qu’il illustrait, en 1781, à l’âge de vingt et un ans, était un petit roman en trois volumes, intitulé : Arigataï tsouno itiji, Grâce à un mot galant, tout est permis, roman que ni Hayashi, ni les biographes du peintre japonais n’ont rencontré, et dont le texte, à l’époque de la publication, a été attribué à Kitao Masanobou, plus tard le célèbre romancier Kiôdén, tandis que le texte et les dessins sont d’Hokousaï qui avait publié cette plaquette, sous le pseudonyme de Koréwasaï, sobriquet signifiant : « Est-ce cela ? » le refrain d’une chansonnette du temps.

L’année suivante, en 1782, Hokousaï publie les Courriers de Kamakoura, deux fascicules, dont il fait le texte et les dessins, et qu’il présente au public sous le nom de Guioboutsou pour le texte, et de Shunrô pour les dessins.

C’est le récit d’un fait historique, d’une tentative au xviie siècle du renversement du troisième shôgoun par Shôsétsou. Et l’on voit dans la succession des planches, le jeune ambitieux complotant presque enfant, se livrant aux exercices militaires, apprenant d’un tacticien mystérieux l’art de la guerre, — et le moyen magique d’être vu par le regard des hommes, sous son apparence, sept fois répétée. Et il organise la conspiration, qui fait égorger les courriers, et il rêve la protection d’un dieu favorable à ses desseins, et a l’illusion de se voir dans un miroir, en shôgoun, et un de ses affidés, en premier ministre, et il tient conseil avec ses partisans, et il bataille bravement avec les soldats envoyés pour le prendre, et enfin, fait prisonnier, il s’ouvre le ventre, tandis qu’au milieu de ses complices enchaînés, sa mère, sa femme et ses enfants sont soumis à la torture, — sa mère à la torture de l’enfumage.

Il publie encore, la même année, un roman en deux volumes : Shiténnô Daïtsou jitaté, Les quatre rois célestes des points cardinaux, habillés à la dernière mode, avec l’annonce d’un texte de Koréwasaï qui est bien de lui, ainsi que les dessins signés : Shunrô.

Cette année ou la suivante, il publie un autre livre jaune, qu’il signe exceptionnellement Katsoukawa Shunrô, et qui est l’histoire de Nitirén, prêtre boudhique, le créateur d’une nouvelle secte.

C’est le baptême, le commencement des études, la contemplation de la nature, la vie d’ascète dans une grotte de la montagne, l’expulsion de partout du prêtre révolutionnaire pour la nouveauté de ses opinions, sa retraite dans un temple, l’apparition d’une comète annonçant de tragiques évènements, sa défense avec un chapelet contre un guerrier qui veut le tuer, le pouvoir de son influence mystérieuse amenant le naufrage de la flotte mongole, sa condamnation à mort, où le sabre du bourreau est brisé par un éclair, son exil dans une île éloignée, ses prédications, ses pèlerinages, sa mort, au milieu de ses disciples en pleurs.

En 1784, Hokousaï illustre deux ouvrages : 1o Kaï-oun Aughino Hanaka, Le parfum des fleurs d’éventail (2 volumes) ; 2o Nozoki Karakouri Yoshitsouné Yama iri. Expédition de Yoshitsouné à la montagne vue dans la boîte à spectacle (2 volumes). Texte de Ikoujimonaï (propre à rien) et illustration de Shunrô. Cet Ikoujimonaï pourrait bien être Hokousaï.

En 1785, Hokousaï publie deux livres jaunes, où il n’est pas parlé du texte, et où seulement est annoncé que l’illustration est de Shunrô. Ce sont : 1o Onnén Oujino Hotaroubi, Transformation de la haine en feu des lucioles de Ouji (3 volumes). — 2o Oya Yuzouri Hanano Kômiô, L’héritage du parent, la gloire du nez (3 volumes). Dans ce dernier ouvrage Shunrô devient Goummatei.

Oui, en ces premiers temps, souvent Hokousaï est à la fois l’illustrateur et l’écrivain du roman qu’il publie, et sa littérature est goûtée, grâce à des observations intimes de la vie japonaise, est même parfois attribuée, comme on l’a vu pour son premier roman, à des romanciers de la réputation de Kiôdén. Selon Hayashi, la littérature du peintre a un autre mérite, l’esprit railleur de l’artiste en aurait fait un parodiste de la littérature de ses contemporains, de leur style, de leurs procédés, et surtout de l’entassement des aventures, et du méli-mélo des bonshommes modernes en contact avec des personnages du xiie et du xive siècle, et ce serait très sensible dans Les courriers de Kamakoura, où il aurait employé, sur une légende du xviie siècle, tous les faits fabuleux et invraisemblables de l’histoire du vieux Japon.

Ce double rôle d’écrivain et de dessinateur ne dure guère que jusqu’en 1804, où il n’est plus que peintre.