Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 33

La bibliothèque libre.
Charpentier (p. 174-176).
◄  XXXII
XXXIV  ►

XXXIII

Tout peintre japonais, disais-je, dans mon étude sur Outamaro, a une œuvre érotique, a ses shungwa, ses peintures de printemps.

Et je parlais alors de la peinture érotique de l’Extrême-Orient, « de ces copulations comme encolérées, du culbutis de ces ruts renversant les paravents d’une chambre, de ces emmêlements des corps fondus ensemble, de ces nervosités jouisseuses des bras, à la fois attirant et repoussant le coït, de ces bouillonnements de ventres féminins, de l’épilepsie de ces pieds, aux doigts tordus battant l’air, de ces baisers bouche-à-bouche dévorateurs, de ces pâmoisons de femmes, la tête renversée à terre, la petite mort sur leur visage, aux yeux clos, sous leurs paupières fardées, enfin de cette force, de cette énergie de la linéature qui fait du dessin d’une verge, un dessin égal à la main du Musée du Louvre, attribuée à Michel-Ange. »

Ces lignes, je les écrivais d’après trois albums d’impressions merveilleuses, dont j’ignorais encore l’auteur, et que je sais maintenant être Hokousaï, et avoir pour titre : Kinoyé no Komatsou, les Jeunes Pins, dont la publication est de 1820 à 1830.

C’est dans ces albums qu’existe cette terrible planche : sur des rochers verdis par des herbes marines, un corps nu de femme, évanoui dans le plaisir, sicut cadaver, à tel point qu’on ne sait pas, si c’est une noyée ou une vivante, et dont une immense pieuvre, avec ses effrayantes prunelles, en forme de noirs quartiers de lune, aspire le bas du corps, tandis qu’une petite pieuvre lui mange goulûment la bouche.

C’est dans ces albums, que se trouve cette planche d’un voluptueux indescriptible : sur les ondulations d’une étoffe de pourpre, le bas d’un ventre de femme, où s’est introduit un doigt de sa main, d’une main au poignet nerveusement cassé, aux longs doigts contournés, à l’attouchement doucement titillant, d’une main qui, dans sa courbe, a l’élégance volante d’une main du Primatice.

Je laisse là, la description des autres albums, je veux seulement signaler une série de petits sourimonos, dont quelques-uns sont à cache, et ont été sans doute publiés vers les dernières années du xviiie siècle, et dans lesquels, au milieu des frénésies animales, on trouve des affaissements béats, des brisements de cous de nos primitifs, des attitudes mystiques, des mouvements d’amour presque religieux.