Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 5

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Charpentier (p. 11-16).
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V

En 1786, Hokousaï publie le Zénzén Taïkeiki, un fragment de l’histoire de Minamoto, où commencent à apparaître chez le jeune dessinateur, les chevauchées terribles, les corps à corps homicides de son œuvre future.

En 1792, Hokousaï, toujours sous le nom de Shunrô, illustre un Conte pour les enfants de Kiôdén, se rapportant à la légende de Momotaro, où ses dessins, mettant de la vie humaine sous des figurations d’animaux, ont quelque chose des Scènes de la vie privée des animaux de Grandville.

Une méchante vieille femme, au visage aigre comme du vinaigre, surprenant un moineau qui mangeait l’empois, préparé pour empeser du linge, lui coupe la langue, et c’est une envolée comique des moineaux, fuyant à tire-d’aile dans une bousculade de peur.

Mais à côté de la méchante femme, il y a un bon ménage qui aimait ce moineau, et le mari et la femme s’en vont, criant dans les champs et les bois : « Qui a vu le moineau à la langue coupée ? Cher petit moineau, qu’es-tu devenu ? » Enfin ils trouvèrent le pauvre petit blessé, dans la maison des moineaux, où la mère avait déjà pansé la langue de son enfant, et où il était soigné avec amour par ses frères et sœurs. Oh ! l’aimable accueil fait à ces bons vieux : le père leur dansa la Souzoumé odori, la vraie danse des moineaux, et quand ils partirent, on leur apporta une boîte, dans laquelle ils trouvèrent, à leur rentrée à la maison, un marteau, un marteau, dont chaque coup miraculeux faisait tomber une pièce d’or.

Or, la méchante voisine avait vu cela par la fenêtre. Elle obtient d’être invitée par les moineaux, se fait donner par eux une boîte dont sort, lorsqu’elle soulève le couvercle, une collection de monstres cornus qui la mettent en pièces.

Par contre, la bonne femme trouve encore la pêche, d’où sort Momotaro, le conquérant du royaume des monstres.

En 1793, Hokousaï illustre Himpoukou riôdô dôtchûki, La Route de la Richesse et de la Pauvreté, un curieux livre, dont le texte est de Kiôdén, et qui est, côte à côte, l’exposition de deux vies, comme aimait à les représenter le peintre Hogarth.

La première planche représente le lavage de l’enfant pauvre par le père, près du lit de la femme couchée, tandis que la planche, en contre-partie, nous montre le lavage de l’enfant riche, sous les yeux du médecin, de la sage-femme, des servantes.

Arrive pour le jeune riche et le jeune pauvre, à quinze ans, le guén boukou, la majorité, l’entrée dans la vie de l’homme, indiquée là-bas par le rasement du front, et qui, chez le riche, est fait par un grand personnage, chez le pauvre par sa mère.

Et ici, commencent vraiment les deux routes : la route du riche dans son norimon au milieu de ses serviteurs, la route du pauvre où il est tout seul et mal vêtu sous la pluie ; la route du riche dans des paysages d’arbres à fleurs, tenant sa pensée dans les beautés de la peinture, la route du pauvre dans des paysages désolés, au milieu des montagnes, comme cette montagne près de Kiôto, où les excavations forment comme le mot père, près de rochers comme ceux d’Isé, semblables aux mamelles desséchées de la mère du pauvre, peuplant sa pensée du souvenir de leurs privations.

Et les allégories continuent. C’est pour le riche, la réception dans une auberge par de charmantes mousmés, avec dans le lointain, des lignes de paysages formant ainsi que des armoiries des femmes du Yoshiwara, tandis que le pauvre qui est entré dans le commerce, passe sur un pont qui est un soroban (une machine à compter), se trouve sous des temples, aux tours faites de pièces de monnaie, près d’une pagode, au toit couvert d’un livre de caisse, et fait la rude route de sa vie, en allumant le bout de ses ongles, ce qui veut dire en japonais, en supportant d’atroces souffrances.

Et à la fin des deux routes, le pauvre devenu riche, monté sur un cheval traîné par un singe, — la volonté menée par l’intelligence, — rencontre tout dépenaillé, le riche honteux de se trouver sur son chemin, tandis que disparaissent dans le lointain, sous des haillons de mendiants, deux de ses familiers au temps de sa richesse.

Et comme apothéose du pauvre, la dernière planche le montre adossé à des caisses d’or, surmontées de bouteilles de saké.

En 1794, Hokousaï, sous le nom de Tokitarô Kakô, illustre Mousoumé no Tomo zouna, Le cordon d’une fille, petit livre dont le texte est de Kiorori.

Une histoire assez obscure, où se voit une jeune fille achetant un journal, dont la lecture lui fait quitter la maison qu’elle habite, après avoir laissé une lettre, qui met en larmes l’homme et la femme de la maison. En route, elle est attaquée par de mauvais samouraïs, et délivrée par un passant qui lui donne l’hospitalité. Elle serait partie dans l’idée de venger son père, qui aurait été assassiné. Puis, au moment où elle va tuer l’assassin, elle apprend qu’il est le père de son sauveur, amoureux d’elle. Et Hokousaï la représente lâchant sa chevelure qu’elle tient dans sa main, prête à le tuer, et se contentant de lui faire perdre sa qualité de guerrier.

Peut-être cette année, ou les années qui suivent, paraît Seirô niwaka zénseï asobi, Fête improvisée au quartier des Maisons Vertes, une série d’estampes en couleur, réunies en un album, montrant le Carnaval des rues du Yoshiwara, où l’on voit des femmes théâtralement costumées, et couronnées de chapeaux de fleurs, exécutant des danses, jouant de petites scènes dramatiques, représentant des revues de l’année.

En 1795, Hokousaï, alors dit Shunrô, change encore une fois de nom, prend la succession de l’atelier de Tawaraya Sôri de l’école de Sôtat-sou, et signe Sôri.

C’est l’époque, où il met au jour ces innombrables séries de merveilleux sourimonos.