Hommes illustres de la Renaissance - Thomas Morus/01

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HOMMES ILLUSTRES
DE
LA RENAISSANCE.[1]

ii.

THOMAS MORUS.


i.
Le Couronnement de Henry viii.
1509

Henry vii venait de mourir, laissant un royaume tranquille et respecté, une administration ferme, et les coffres de l’état pleins. On était fatigué de son long règne, et on ne le regretta point, parce que tous ces biens venaient de sources impopulaires : la tranquillité du royaume d’une politique extérieure sans gloire ; la fermeté de l’administration d’un despotisme cruel ; le bon état des finances de trente ans d’avarice et d’extorsions. La nation anglaise avait pour ce prince le sentiment d’un héritier pour un parent qui ne lui a laissé son or que faute de pouvoir l’emporter dans la tombe. Sur la fin de sa vie, Henry n’amassait plus que pour conserver ses angelots d’or dans ses coffres. Les Anglais savaient d’ailleurs, dès ce temps-là, que les peuples qui enrichissent les rois avares, n’en sont jamais les seuls héritiers, et qu’il y a toujours entre eux et l’héritage un légataire universel qui prend la part du lion. Toutefois les vieillards ne se souvenaient pas d’avoir vu un roi plus beau, plus brillant, auquel les biens terrestres convinssent mieux, que le jeune prince appelé pour la première fois depuis tant d’années, par la loi naturelle d’hérédité, à monter sur le trône de l’Angleterre. Un héritage de dix-huit cent mille livres sterling, de la jeunesse, de l’éclat, une certaine instruction, et la fatigue qu’on avait du mort, si favorable au survivant, faisaient de Henry viii le prince le plus riche, le plus redoutable, le plus populaire de toute la chrétienté. Les fêtes de son couronnement furent célébrées avec une allégresse sincère. Les richesses osaient se montrer enfin, délivrées de la crainte des collecteurs du dernier roi, lequel avait répandu sur tout le royaume un air d’avarice et de pauvreté qui étonnait l’étranger. Les ceintures et les colliers d’or reparaissaient à la taille et sur le cou des dames, depuis qu’on n’avait plus peur que le trésorier du roi ne les prît comme redevances des pères ou des maris. Henry viii et Catherine d’Aragon, sa femme, si comprimés eux-mêmes sous le feu roi, donnaient l’exemple et le ton à toute la noblesse de Londres, et paraissaient jouir naïvement de la splendeur de leurs habits royaux. Les diamans brillaient sur tous les bonnets ; la cour, que Henry vii, ami des petits, comme Louis xi, mais non point jusqu’à partager avec eux les dépouilles des grands, avait réduite, par ses lois somptuaires, à un état seulement décent, reluisait et scintillait au soleil. Le peuple battait des mains à tout ce luxe, car les nations aiment mieux dans les princes les défauts brillans que les qualités vulgaires, et le roi qui dépense que celui qui thésaurise ; préférence très judicieuse, après tout, car comme ce sont elles qui font les frais des deux espèces de caractères, et qu’il s’agit toujours de payer dans les deux cas, elles doivent mieux aimer celui qui rend une partie de ce qu’il prend que celui qui garde le tout.

Le mariage de Henry viii avec Catherine d’Aragon, veuve de son frère le prince Arthur, avait été l’objet de discussions dans le conseil du nouveau roi. Le règne commençait par un genre d’affaire qui devait en ensanglanter la seconde moitié, par une affaire de mariage. Henry aimait sa belle-sœur ; il trouva des conseillers pour approuver son union avec elle, des casuistes pour la déclarer légitime selon les lois divines, et un pape qui n’avait rien à refuser à la maison d’Espagne, d’où sortait Catherine, pour donner la dispense exigée par l’église. La virginité de la jeune reine fut solennellement vérifiée et jurée par des matrones. On la maria avec les cérémonies en usage aux noces des vierges, en longue robe blanche et les cheveux épars[2]. Sur tout le chemin, de Westminster au palais du roi, les acclamations populaires accueillirent ces deux amans couronnés qui allaient être heureux comme de simples mortels, car Henry avait pour Catherine un penchant partagé ; il lui avait souvent promis de l’épouser dès le temps du feu roi[3]. Ce fut en juin 1509 que se célébrèrent les fêtes du mariage ; elles durèrent jusqu’à la fin de l’année.

Les lettres renaissantes payèrent leur tribut aux deux jeunes époux. Henry vii les avait peu encouragées. Pauvres à toutes les époques, elles l’étaient surtout dans ces temps d’ignorance universelle, et elles n’y pouvaient vivre que des miettes des tables royales ; mais le feu roi, qui faisait des morceaux avec des miettes mises ensemble, n’avait pas voulu de leurs louanges pour n’avoir pas à payer leurs travaux. Elles attendaient beaucoup de Henry viii, lequel avait paru leur vouloir du bien avant son avénement, et, quoique fort retirées des affaires politiques, elles avaient pu entendre parler de son riche héritage. Il fut donc loué en grec et en latin, les deux seules langues littéraires d’alors, dans l’Europe occidentale. Sa figure, sa bonne mine, sa grace, la douceur de ses traits, et ce qu’on supposait de courage militaire à un prince jeune, sain, beau cavalier, fournirent matière à des poésies où l’on promettait à la nation des perfections morales en harmonie avec toutes les qualités physiques du roi. La mythologie, qui inspirait alors sérieusement les poètes, prêta toutes les beautés de ses dieux à Henry viii. Il eut la majesté de Jupiter, la sagesse de Minerve, la valeur de Mars, invariables flatteries, ou invariables satires de tous les rois nouveaux arrivans dans l’Europe, pendant plus de deux siècles que régna la mythologie.

La plus curieuse de toutes ces pièces est celle dont je vais traduire quelques passages[4]. On y trouve une critique assez énergique du règne précédent ; un esprit honnête, sérieux, indépendant, s’y cache sous les banalités d’usage, et le conseil y suit de près la flatterie. En lisant, ou en se faisant lire ces vers, Henry viii dut rougir pour son père. Sous ce rapport, cette pièce manquait trop de convenance pour n’être pas d’un auteur honnête homme. Un flatteur ordinaire eût trouvé moyen de louer le fils sans attaquer le père ; l’auteur de cette pièce n’attaquait peut-être le père que pour donner une leçon au fils.

Après un début commun sur la félicité de l’Angleterre, le poète oppose au tableau de la joie du peuple le contraste des misères du règne précédent.

« La noblesse, depuis long-temps exposée aux injures de la populace, relève aujourd’hui la tête, et triomphe sous un tel roi ; et elle en a sujet ! Le marchand, effrayé naguère par la multitude des taxes, lance de nouveau ses navires sur les mers dont ils avaient désappris les chemins… Tous les citoyens se réjouissent, tous comptent sur les biens à venir pour se dédommager des pertes passées. Les richesses que la peur avait enfouies dans d’obscures cachettes, chacun se plaît à les montrer au grand jour, et ose être riche… La crainte ne murmure pas tout bas à l’oreille des mots mystérieux ; personne n’a sujet de se taire ni de rien dire tout bas. Il y a plaisir à mépriser les flatteurs, et nul ne craint la délation, s’il n’a pas été lui-même délateur… »

Suit une peinture de l’empressement universel, des rues encombrées de peuple, des fenêtres et des toits garnis de spectateurs, des curieux qui vont attendre le cortége à différens endroits pour voir encore le roi qu’ils ont déjà vu[5] ; puis un portrait du roi, « le plus aimable objet qui soit sorti des mains de la nature. Il surpasse ses mille compagnons par la hauteur de sa taille, et semble avoir une force digne de son auguste corps. Ce prince n’est pas moins agile de la main que courageux du cœur, soit qu’il s’agisse de combattre à l’épée, soit qu’il faille courir avidement contre la lance tendue en avant ou faire voler une flèche contre un but. Le feu brille dans ses regards, Vénus se montre sur son visage, ses joues sont colorées de l’incarnat des roses. Cette figure, où la force le dispute à la grace, tient de la jeune fille et de l’homme fait. Tel était Achille lorsqu’il se cacha sous les vêtemens d’une nymphe ; tel lorsqu’il traîna derrière son char le cadavre d’Hector. »

Tout cela était rigoureusement vrai. La beauté de Henry viii était célèbre en Europe. Les ambassadeurs en parlaient dans leurs dépêches. Dix ans après, on mettait encore Henry viii, alors âgé de vingt-neuf ans, fort au-dessus de François Ier, comme roi de belle mine, quoique François Ier eût de plus que Henry viii, alors écrivain en société de livres de théologie, un remarquable instinct du mouvement littéraire de son époque, et des batailles gagnées, non dans les tournois, mais dans les plaines d’Italie. Le poète ne flattait donc pas le portrait des qualités physiques de Henry viii ; peut-être, avec des yeux plus exercés ou plus défians, eût-il remarqué avec quelque inquiétude cet œil à la fois impérieux et flatteur, et surtout ce bas de visage si lourd, si épais, si brutal, que lui prêtent les portraits d’Holbein, et qui font haïr sa figure comme le miroir le plus exact de tous les vices hypocrites de ce prince. Mais ce n’est pas dans les jours d’espérance qu’on songe à regarder les rois de si près ; outre que la physiognomonie n’était ni une science ni une mode en 1519.

Le portrait moral de Henry viii était moins facile à faire. Comme homme de gouvernement, il avait été trop effacé sous le feu roi, pour mériter plus que des espérances. Comme homme de guerre, toutes ses campagnes avaient été des lances brisées dans les tournois ou des flèches envoyées au but. Cependant il fallait le louer par le côté moral. On va voir combien les règnes démentent les illusions des avénemens.

« Quelle maturité de prudence, s’écrie-t-il ; quel calme dans cette ame paisible ! De quel cœur il supportera tout à la fois et modérera l’une et l’autre fortune ! Quel soin de sa chasteté ! quel trésor de clémence il garde dans son tranquille cœur ! Quel éloignement pour le faste ! tous ces signes, qu’on ne saurait feindre, éclatent sur le visage de notre prince. Ce qui se voit sur nos visages à nous, ce qui se manifeste par les biens dont nous jouissons, c’est sa justice, c’est son art de gouverner, c’est sa bonté royale pour son peuple. La licence des mœurs a coutume d’énerver les meilleures ames, les plus grands esprits. Henry, quoique pieux avant d’être roi, a apporté sur le trône des mœurs dignes du trône. Il nous a donné dès le premier jour ces biens qu’on n’attend que de la tardive vieillesse de quelques princes. L’ordre des grands, long-temps méprisé, est rentré dans ses droits ; les magistratures et les charges, jadis vendues aux méchans, sont données aux gens de bien ; le docte reçoit le prix de l’ignorant ; les lois redeviennent fortes et honorées… »

Henry vii avait été le Louis xi de l’Angleterre. Comme Louis xi, il avait frappé la féodalité dans les hauts barons ; mais la destinée de l’Angleterre n’était pas, comme celle de la France, d’arriver à la liberté en passant par la monarchie absolue. Dès-lors les louanges du poète sur le rétablissement de la noblesse étaient d’un bon Anglais et d’un esprit prévoyant.

Après le portrait du roi, il fait celui de la reine. C’est cette princesse qui l’emporte en vertus « sur les anciennes Sabines, en majesté sur les saintes ; égale à Alceste par ses chastes amours, à Tanaquil par la promptitude de son conseil ; Cornélie lui céderait en éloquence, Pénélope en foi conjugale. » La pièce se termine par les vœux d’usage. « Puissent les dieux favoriser, comme ils l’ont fait jusqu’ici, cet hymen ! et puisse le diadème, long-temps porté par Henry et Catherine, l’être un jour par leurs enfans, et les enfans de leurs enfans, et les petits-enfans de leurs petits-enfans ! »

Pendant la marche du cortége, une pluie soudaine arrosa, comme dit le poète, toute la pompe. « Cependant le soleil ne disparut point, et le nuage qui avait crevé sur la ville ne fit que passer. Cette pluie était tombée à point pour calmer la chaleur, et soit qu’on regarde la chose en elle-même, soit qu’on y veuille voir un présage, rien ne pouvait arriver plus à propos. Phoebus par ses rayons, et Junon par sa pluie, promettent à nos princes des années d’abondance. »

Il y eut, à l’occasion du couronnement, des tournois où, chose rare ! on n’eut à regretter ni tués ni blessés. Le poète en fit l’objet d’une félicitation spéciale, en vers iambiques, au roi Henry « D’ordinaire quelque malheur rend fameux les spectacles de chevalerie. Tantôt c’est un combattant traversé par une lance, et souillant l’arène de son sang ; tantôt c’est quelque malheureux, dans la foule, écrasé sous les pieds des chevaux, ou une tribune qui tombe sur les spectateurs. Mais les spectacles que tu nous as donnés, ô roi ! ne sont marqués que par l’absence d’accidens, innocuité digne de ton caractère. »

Enfin, dans une petite pièce qui pourrait servir d’annexe à la grande pièce, le poète, commentant une pensée de Platon sur les retours périodiques des choses, disait à Henry : « Platon a dit que tout ce qui se passait dans une époque donnée, ou avait eu lieu autrefois, ou aurait lieu quelque jour. De même que le printemps s’enfuit et revient tour à tour, poussé par l’année rapide ; de même que l’hiver sévit toujours dans le même temps ; de même, dit Platon, après les longues révolutions du ciel, toutes les choses passées recommencent par d’innombrables vicissitudes. L’âge d’or fut le premier ; puis vint l’âge d’argent ; puis l’âge de fer, et enfin l’âge d’airain. L’âge d’or est revenu sous ton règne, ô prince ! Puisse Platon n’être prophète que jusque-là ! »

Ce dernier vœu pouvait n’être pas une phrase de rhétorique. L’homme qui faisait ces vers, quoique jeune encore, ne l’était plus assez pour laisser échapper légèrement l’exclamation triste par laquelle il terminait son long épithalame. En tout cas il en aurait eu sujet ; car cet homme, c’était Thomas Morus !

ii.
Les Années chrétiennes.

Thomas Morus, — je lui conserve son nom d’écrivain de la renaissance, — naquit à Londres, en 1480, de sir John More, chevalier, l’un des juges du banc du roi, et de mistress Handcombe de Holiewell, du comté de Bedfort. Sa mère mourut en le mettant au monde. Comme il arrive pour tous les hommes illustres après leur mort, la piété de sa famille entoura sa naissance de mystérieux horoscopes et de prodiges. La nuit même de ses noces, mistress More avait eu un songe dans lequel il lui sembla voir gravé sur son anneau nuptial le nombre des enfans dont elle devait être mère et les particularités de chacun d’eux. L’un de ces enfans avait les traits si sombres et si vagues, qu’elle put à peine les distinguer ; la figure de l’autre brillait d’un éclat extraordinaire. Et en effet le premier n’arriva même pas à terme ; le second fut Thomas Morus[6].

Peu de temps après sa naissance, comme sa nourrice traversait à cheval une petite rivière, portant l’enfant dans ses bras, l’animal fit tout à coup un écart, entra dans une eau profonde, et mit en péril de mort la femme et son nourrisson. Celle-ci, voulant sauver au moins l’enfant, le lança dans un champ voisin, par-dessus des haies qui bordaient la rivière, non sans l’avoir recommandé à Dieu. Le cheval sortit en nageant du trou, et mit la nourrice saine et sauve sur le bord. La pauvre femme courut bien vite à l’enfant, et, l’ayant relevé[7], elle le trouva sans blessure, souriant doucement à sa nourrice.

Il reçut sa première éducation au collége Saint-Antoine, à Londres, où il se fit distinguer par sa facilité et son goût pour le travail. Le bruit en vint jusqu’aux oreilles du cardinal Morton, archevêque de Cantorbery et chancelier d’Angleterre, lequel demanda l’enfant à son père, lui donna des maîtres et le prit en amitié. Il n’était pas rare, à cette époque, que les ecclésiastiques d’un rang élevé se chargeassent ainsi de l’éducation de quelque enfant pauvre et heureusement né ; mais d’ordinaire, c’était pour en faire un homme d’église. Thomas Morus se développa rapidement dans la maison du cardinal. Aux fêtes de Noël, le prélat donnait un grand repas, à la suite duquel on jouait de petites pièces en latin ; les meilleures étaient toujours de la composition de Thomas Morus, à la fois auteur et acteur. Morton faisait à ses amis les honneurs de l’esprit de son protégé. Il n’épargnait pas les prédictions, disant qu’un enfant si précoce ne manquerait pas d’aller loin. Il l’envoya bientôt faire ses humanités à Oxford, au collége de Cantorbery. Morus avait alors environ quinze ans.

À Oxford, il fit successivement sa rhétorique, sa logique et sa philosophie, avec un succès prodigieux. On remarquait son application, son ardeur pour l’étude, son éloignement pour tous les amusemens, quoiqu’il y fût porté par un enjouement naturel, et par une chose qui, d’ordinaire, fait aimer la société, je veux dire l’esprit de saillie. Une circonstance d’ailleurs lui aurait fait un devoir de raison de se tenir à l’écart, s’il n’y avait été déjà porté par son ardeur pour l’étude. La plupart des amusemens des écoliers d’Oxford étaient coûteux ; or sir John More, outre qu’il avait trop de probité pour être riche, n’était pas exempt d’un grain d’avarice. Il ne paraît pas que le cardinal, de son côté, pourvût aux menus plaisirs de son protégé. Le jeune homme travaillait donc par nécessité autant que par goût. Son esprit se mûrissait à la dure école de l’inégalité et de la pauvreté. À dix-huit ans Morus était connu des érudits de l’Europe ; à dix-huit ans il avait déjà des ennemis littéraires. C’était un plus sûr horoscope que le songe de sa mère. Les ennemis sont les premiers qui devinent le talent.

Il faisait des vers en anglais et en latin. La plupart de ces vers sont médiocres. Mais les sujets, sinon la forme, y sont intéressans en ce qu’ils réfléchissent déjà le caractère de Thomas Morus, caractère à la fois enjoué et grave, également porté à la plaisanterie mondaine et à l’austérité ascétique. Dans les pièces anglaises, à côté de vers à Cupidon, de plaisanteries sur un soldat qui veut jouer le moine, il y a des vers sur l’éternité, sur la fragilité des biens de ce monde ; un poème sur la fortune, ses faveurs et ses revers[8]. Dans les pièces latines, qui ne sont guère que des épigrammes, les unes imitées du grec, les autres originales, ou des espèces de sonnets sous la forme de distiques, on lit, à côté de petites satires des ridicules de tous les temps, des vers empreints d’une tristesse chrétienne, et, si je ne me trompe, d’une certaine crainte vague de l’avenir. Brièveté de la Vie ; la Vie est une course vers la Mort ; les Vicissitudes de la Fortune, tels sont les titres de quelques-unes de ces pièces. On les dirait d’un homme qui aurait déjà beaucoup souffert ou beaucoup vu souffrir autour de lui. Morus faisait sans le savoir l’histoire de sa vie. « Quand on possède les plus grands biens, dit-il dans une de ces pièces, les plus grands maux sont tout près ; et réciproquement, le souverain bien est tout près du souverain mal[9]. » N’était-ce pas là le chancelier tombé de la plus haute fortune dans un cachot de la Tour ? N’était-ce pas là le prisonnier chrétien, malade, dénué de tout, obsédé, qui aspirait à la mort comme à une délivrance et à une réparation éternelle ? « Je suppose que tu sois réservé à la longue vieillesse de Nestor, dit-il ailleurs, les longues années sont grosses d’une infinité de maux. Nous jouons avec la vie, pensant que la mort est bien loin de nous ; mais la mort est cachée dans notre sein. Dès la première heure de notre naissance, la mort et la vie cheminent ensemble du même pas. Nous mourons lentement ; pendant que nous parlons, nous mourons[10]. »

Voilà de tristes et hautes pensées chrétiennes. Thomas Morus devait commencer et finir par là.

Dès l’âge de dix-huit ans il avait pris pour son héros Pic de la Mirandole, dont il écrivit en anglais la vie si pieuse et si savante, et dont il mit en vers les douze Règles pour exciter et diriger un homme dans la bataille spirituelle[11], poème singulier où tous les préceptes sont donnés par douzaine, et où l’on remarque, outre les douze règles, douze propriétés ou conditions d’un amant, au sens spirituel, et les douze épées qui doivent servir à l’homme dans cette bataille mystique[12]. Le jeune Morus rêvait une vie comme celle de Pic de la Mirandole, tout abîmée dans la science et dans Dieu. Il cherchait dans l’étude et dans la méditation le secret de ce grand savoir et de cette grande piété qui n’ont fait de Pic de la Mirandole ni un savant ni un saint.

Les débuts littéraires de Thomas Morus causèrent quelque sensation dans l’Europe savante. On en parlait à Louvain, à Londres, à Paris ; Érasme, Budé, Beatus Rhenanus, les connaissaient et s’en écrivaient. On trouvait l’auteur naïf, ingénieux, bon latiniste[13]. Ses épigrammes surtout étaient fort goûtées et fort répandues : elles n’avaient pas été imprimées, mais on les copiait et on les colportait. Déjà, d’un commun accord, Thomas Morus avait été agrégé à cette république littéraire et chrétienne dont Érasme et Budé se disputaient la royauté, mais dont Érasme demeura le chef consenti. C’était, dans l’Europe guerrière et barbare de cette époque, comme une nation délicate et choisie qui vivait et commerçait par l’esprit au milieu du tumulte des armes et des mouvemens politiques dont ils ne comprenaient ni ne cherchaient le sens. Le jeune Morus avait été déclaré membre de cette nation. Érasme, qui le vit à son premier voyage en Angleterre, le reçut prêtre des muses et des lettres sacrées, comme on disait alors. Il ne paraît pas qu’il en fût très vain : la religion avait alors toutes ses pensées.

À vingt ans, les sens commencèrent à parler. Malgré ses habitudes austères, sa pauvreté, son ardeur pour le travail, l’écolier d’Oxford était agité de désirs inconnus : le corps se révoltait contre l’esprit. Morus essaya d’éteindre les sens par toute sorte de mortifications. Il portait un cilice sur la peau, habitude qu’il n’abandonna jamais entièrement, même quand les affaires eurent attiédi l’ardeur religieuse, mais qu’il reprit sur la fin de sa vie, pour ne plus la quitter. On se moquait de lui ; on le plaisantait sur la chaleur que devait lui causer le cilice en été. C’était une de ses mortifications de supporter les railleries et de ne pas quitter son cilice par respect humain. En outre, il se donnait la discipline tous les vendredis et les jours de jeûne, « afin de châtier, dit son petit-fils, la sédition de son corps, et de ne pas laisser la servante Sensualité prendre le dessus sur la maîtresse Raison[14]. » Il jeûnait et veillait souvent, dormait sur la dure pendant quatre ou cinq heures au plus, et la tête sur une bâche en guise d’oreiller, « traitant son corps, dit encore le naïf biographe, comme un âne, avec des coups et de la mauvaise nourriture, afin d’éviter les excitations de la bonne chère[15]. »

De telles austérités n’étaient guère compatibles avec la vie de famille, et exposaient trop souvent Morus à ces tentations de la raillerie et du respect humain, si dangereuses pour un jeune homme qui avait déjà à lutter contre l’orgueil des sens. Il le sentit et vint se loger près du chapitre des religieux carthusiens, prenant part à leurs exercices spirituels, sans faire de vœux toutefois. Il vécut ainsi quatre ans. Il eut dans l’intervalle le désir d’entrer dans les franciscains ; mais, en y regardant de près, sa conscience fut blessée du relâchement de cette institution, et généralement de la corruption qui avait gagné tous les ordres religieux. Il changea donc d’avis et demeura libre comme auparavant, mais avec un besoin toujours croissant de direction et de frein, et souffrant toutes les angoisses du lent martyre de la chasteté. Vers ce temps-là, le docteur Colet[16] prêchait à Londres avec beaucoup de doctrine et d’onction. Le jeune Morus le prit pour son confesseur, et lui demanda tous les secours de sa science et de sa piété pour l’assister dans cette lutte qui le consumait sans l’apaiser.

Tout le temps que le docteur était à Londres, Morus se sentait calmé. Il allait entendre prêcher son directeur, et le soir il l’écoutait, soit en tête-à-tête, soit au milieu de quelques amis que le docteur édifiait par ses commentaires sur quelque lecture de piété. Colet était doyen de Saint-Paul, et, en cette qualité, il avait à tenir table ouverte pour les étrangers et pour les ecclésiastiques de son collége. Sous son prédécesseur, on vantait la table du doyen de Saint-Paul pour sa magnificence et pour la longueur des repas, qui duraient jusque dans la nuit ; Colet, par des habitudes de frugalité et un peu par cette tendresse pour l’argent que lui reproche discrètement Érasme, avait réduit la table de doyen au nécessaire, et abrégé la longueur des repas. Il avait remplacé les plats superflus par des lectures, et les libations prolongées par des causeries pieuses. Morus était quelquefois du festin et toujours des entretiens qui le suivaient. Sitôt que les convives s’étaient mis à table, un des gens du doyen lisait d’une voix haute et claire quelque chapitre des Épîtres de saint Paul ou des Proverbes de Salomon[17]. Colet faisait choix d’un texte particulier, et après avoir interrogé les assistans sur le sens de ce texte et recueilli tous les avis, il donnait lui-même sa propre interprétation avec une gravité de langage et une douceur de controverse qui édifiaient tout le monde. Le repas fini, et les graces dites, l’entretien continuait ; si les interlocuteurs n’étaient pas du goût de Colet, on faisait une lecture que chacun écoutait en silence, et qui dispensait le doyen de parler. Du reste, très tolérant pour les opinions ; il l’était moins pour les fautes de langage, et on le choquait presque plus par des solécismes que par des hérésies. Morus était le convive et l’interlocuteur de prédilection de Colet, parce que sur le double point de la doctrine et du langage, il partageait toutes ses croyances de chrétien et tous ses scrupules de latiniste.

Mais le doyen de Saint-Paul faisait de fréquentes absences : il avait, à quelques milles de Londres, une maison de campagne où il s’allait reposer des fatigues de son décanat. Tant que durait cette séparation, Morus était ressaisi par toutes ses tentations, et recommençait la terrible lutte de l’esprit et de la chair. « Jusqu’ici, écrivait-il à son maître alors absent, en suivant vos pas je me suis échappé de la gueule du lion. Aujourd’hui, comme une autre Eurydice, — mais avec cette différence qu’Eurydice resta dans le Tartare, parce qu’Orphée avait tourné la tête pour la voir, tandis que moi je suis dans le même danger, parce que vous ne tournez pas la tête pour me regarder, — je retombe, poussé par une force et une nécessité irrésistibles, dans la sombre obscurité d’où vous m’avez tiré. Car, je vous prie, qu’y a-t-il dans cette ville qui porte un homme à bien vivre, mais, tout au contraire, qui ne le fasse reculer, et qui ne précipite dans toutes sortes de vices celui qui serait disposé à gravir, avec mille efforts, la montagne escarpée de la vertu ? Que rencontre-t-il sur son chemin, si ce n’est l’amour hypocrite et le mielleux poison de la flatterie : ici la haine cruelle, là des querelles et des plaidoiries, çà et là des tavernes, des bouchers, des cuisiniers, des marchands de poisson, de volailles et de pâtisserie, qui ne pensent qu’à remplir nos ventres et à servir le prince de ce monde qui est le diable ?

« Oui, les maisons elles-mêmes nous privent d’une partie de la lumière du ciel, en réduisant le cercle de notre horizon à la hauteur de leurs toits. C’est pour cela que je vous pardonne de grand cœur votre séjour à la campagne ; vous y trouvez du moins une société de bonnes gens, purs de tout l’artifice des habitans des villes. Partout où vos yeux se reposent, la terre vous offre des aspects agréables ; la douce température de l’air rafraîchit vos sens ; et la libre vue du beau ciel vous enchante : vous ne voyez que les magnifiques dons de la nature et les symboles sacrés de l’innocence[18]. »

On peut apprécier, par ce touchant récit des combats intérieurs de Morus, quelle force avaient alors les idées religieuses, et ce qu’elles pouvaient obtenir d’un homme tourmenté par ses sens, pour qui tout était tentation, piège, occasion de chute. Changez les temps, retirez les idées religieuses, le sentiment chrétien du devoir envers soi-même et envers Dieu, jetez l’homme au milieu des mêmes tentations sans autre frein qu’une morale à sa convenance, n’êtes-vous pas effrayé, par la comparaison de la contrainte et des luttes du jeune Morus, de ce que va être la liberté de l’homme émancipé de la religion ? Si les choses ne se refont pas, on peut du moins les regretter et soupirer après une loi nouvelle qui remplace les lois détruites.

Cependant le jeune homme allait être vaincu. Deux manières de finir s’offraient toujours à lui, le couvent et le mariage. Le couvent répugnait à sa conscience ; il y aurait été dégoûté ou peut-être tenté par le mauvais exemple. Le mariage lui souriait, quoiqu’il eût fait des épigrammes contre les femmes ; il se sauva du libertinage dans une sainte union. Cette union même fut un acte de délicatesse chrétienne. Sir Colt, gentleman d’Essex, avait deux filles ; Morus, qui s’était d’abord épris de la cadette, pensa que ce serait une peine amère et une sorte de déshonneur pour l’aînée de se voir préférer sa sœur ; il reporta toute son affection sur elle, et l’épousa[19].

Le mariage l’avait enlevé à la vie contemplative. Il fallut enfin prendre un état. Le jeune ménage n’était pas riche, et les enfans allaient venir. Morus, par le conseil de son père, dont il faisait toutes les volontés depuis son enfance, étudia le droit, et se destina au barreau. Quatre années se passèrent dans de fortes études mêlées de pratique. Quoique marié, et tous les ans père d’un nouvel enfant, Morus avait gardé dans l’intérieur de sa maison les habitudes de chrétien austère : il était sobre, se contentait d’un plat à ses repas, buvait de la bière au lieu de vin, et poussait la négligence dans ses vêtemens jusqu’à sortir dans la rue avec des chaussures trouées, comme le lui fit remarquer un jour son secrétaire Harris. La jeune femme mourut en mettant au monde son quatrième enfant. Le célibat ne convenait plus à Morus, père de quatre enfans en bas âge, et déjà chargé d’affaires. Au bout de deux ans, il se remaria, non par concupiscence, dit Érasme, car la femme qu’il prit était veuve, laide et déjà d’âge, mais pour donner à ses enfans une mère de famille active et vigilante ; Ce fut mistress Alice Middleton, femme un peu mondaine, qui se moquait de la piété de son mari, « qui était avare d’un bout de chandelle, dit Morus, et gâtait en une fois la plus belle robe de velours, » qui faisait la guerre à son désintéressement d’avocat, et lui voulait donner de l’ambition pour ses enfans ; en somme, femme de cœur, dévouée, qu’il aima aussi solidement, sinon aussi tendrement, que Jeanne Colt, qui était charmante, s’il en faut croire Érasme[20]. Morus traita toujours mistress Alice avec bonté, quoiqu’il y ait sujet de croire que ce fut elle qui lui inspira sa comparaison, si plaisante et si connue, du mariage à un sac rempli de serpens, parmi lesquels se trouve une anguille. Alice Middleton ne lui donna pas d’enfans.

Sa réputation d’avocat, et son crédit dans le corps des marchands, où il avait acquis une grande autorité par son intelligence des contentions commerciales, le firent nommer membre de la chambre des communes. Il résista en plein parlement au roi Henri vii, qui demandait un cadeau de noces pour sa fille. Déjà une première fois, pour un simple scrupule religieux, appelé subitement par le prince au moment où il assistait à la messe, il avait refusé de se rendre au palais, disant que le service de Dieu devait passer avant le service du roi. Cette indépendance de l’imberbe enfant, comme l’appelait le chambellan du roi, M. Tiler[21], l’avait mis mal en cour. Menacé dans sa liberté, frappé dans la personne de son père, que le roi fit incarcérer à la Tour, pour un prétendu déni de justice, puis rançonner, ce qui était la cause et la fin de tous les démêlés des sujets avec le roi, Morus, pressé par ses amis, s’embarqua pour la France. Il attendit là quelque temps que l’orage fût passé, apprenant la langue française, l’arithmétique, la géométrie ; quelquefois se désennuyant de l’exil à jouer de la viole, qui était son instrument favori, et qu’il avait fait apprendre à ses enfans, et même à la vieille Alice Middleton, laquelle jouait en outre du luth, du monochorde, de la lyre, et tous les jours étudiait un morceau pour son mari, très sévère et très exigeant sur ce point[22].

La mort subite de Henry vii le ramena en Angleterre. Il y revenait avec la faveur d’un exilé du règne précédent et d’un opposant au régime d’exaction et d’avarice, dont le prince de Galles, devenu roi, avait souffert tout le premier. Outre ce titre, sa double réputation d’avocat et de lettré, l’amitié d’Érasme, que l’on comptait dès-lors à un homme comme un mérite, enfin les distiques latins en l’honneur du couronnement du roi et de la reine, toutes ces illustrations le recommandaient à Henry viii. Ce prince voulut savoir qui avait fait cette pièce. On lui dit que c’était l’avocat Morus, fils de l’un des juges du banc du roi, le membre des communes récalcitrant sous le roi son père, l’ami du docte Érasme. Il le fit appeler, le trouva à son gré, et le marqua de sa funeste faveur. C’était la fatalité sous laquelle Thomas Morus devait se débattre vingt-cinq ans et mourir.

iii.
Les Années littéraires.

Thomas Morus avait cette espèce d’ambition d’un homme qui tente les honneurs par sa réputation, ses talens, plutôt qu’il ne les cherche et ne va au-devant. Il n’était pas ambitieux à la manière du courtisan de tous les temps, qui poursuit sa fortune à travers toutes les servitudes et tous les dégoûts, qui ne se relâche pas un moment, qui ne manque jamais l’occasion, qui n’a que des scrupules d’homme habile, jamais d’honnête homme ; qui compose avec les vices des princes, et se sert de leurs qualités comme de leurs défauts pour pousser ses affaires, qui arrache ce qu’on croit lui donner, et qui pour avoir une chose ne regarde jamais au prix. Morus fut saisi par la fortune presque malgré lui, et jeté au milieu de la cour avec des mœurs, de la probité, plus de force de principes que de caractère, ce qui fit qu’il ne céda jamais tout-à-fait, quoique cédant toujours beaucoup trop ; ses principes arrêtaient son caractère, mais, comme il arrive, toujours trop tard. C’était une ambition molle, incertaine, prenant mal son temps, se laissant faire, n’étant jamais de moitié dans ses succès, et par conséquent paraissant les devoir tout entiers à la bonté du prince, lequel exigeait de la reconnaissance en proportion. Morus ne sut ni se défendre de la cour ni s’y mettre tout-à-fait. Là où il avait cru dans sa conscience ne prendre qu’un joug, on lui demandait le remerciement d’une faveur ; là où il n’avait fait que se laisser porter par faiblesse, on le traitait comme s’y étant poussé de toutes ses forces, et comme ayant, en quelque manière, usurpé le bien d’autrui. Un tel homme devait être déshonoré ou tué par un tyran du caractère de Henry viii ; déshonoré s’il cédait jusqu’au bout, tué à quelque point qu’il s’arrêtât. La fortune lui réserva le dernier sort. Sa mort fut le seul acte libre et volontaire de sa vie, le seul où son caractère et ses principes furent d’accord.

Ce fut Wolsey, parti de bien plus bas que Morus, qui présenta le jeune avocat au roi. Wolsey avait une supériorité rare dans un favori, celle de ne pas voir un rival et un successeur dans tout homme qui attirait l’attention de son maître. Morus, recommandé par lui, fut employé dans diverses ambassades, auprès de Charles-Quint et de François Ier. Ces places l’appauvrissaient et n’allaient pas à ses goûts : il s’y était laissé jeter comme plus tard, dans d’autres fonctions plus élevées, par cette ambition, ou plutôt cette disponibilité qui ne sait ni résister, ni choisir, et qui reçoit une corvée comme un avancement. « La place d’envoyé, écrivait-il à Érasme au retour de l’ambassade de Flandre[23], ne m’a jamais beaucoup souri. Elle nous convient moins à nous laïques et gens mariés, qu’à vous autres prêtres, qui n’avez chez vous ni femmes ni enfans, ou qui en trouvez partout où vous allez. Quant à nous, à peine absens depuis quelques jours, nous sommes rappelés au logis par le regret de nos femmes et de nos enfans. En outre, un prêtre peut emmener partout avec lui toute sa maison, et nourrir aux frais du roi ceux qu’il aurait nourris chez lui aux siens. Mais moi, j’ai deux maisons à soutenir, l’une à Londres et l’autre à l’étranger. Le roi s’est montré assez généreux pour ceux que j’ai emmenés avec moi ; mais il n’a point songé à ceux que j’ai laissés à la maison. Or, je n’ai pu obtenir de ceux-ci, tout bon mari que tu me saches, père indulgent, maître facile, que, par amour pour moi, ils jeûnassent jusqu’à mon retour. Enfin, il est facile aux princes de récompenser, sans bourse délier, les ambassadeurs ecclésiastiques par le don de quelque abbaye. Mais, nous autres laïques, on ne nous rémunère ni si facilement ni si généreusement. Je dois dire pourtant, en ce qui me touche, que le roi a bien voulu, à mon retour, m’offrir une pension annuelle qui n’était nullement méprisable, soit pour l’honneur soit pour le profit, mais je l’ai refusée jusqu’à aujourd’hui, et je suis porté à la refuser toujours, parce qu’en l’acceptant, il me faudrait soit abandonner ma position actuelle dans cette ville, position que je préfère même à une meilleure, soit, ce que je ne veux à aucun prix, la retenir au risque de déplaire à mes concitoyens ; car, s’il arrivait qu’une question de priviléges réciproques s’engageât entre eux et le roi, ils me croiraient moins sincère et moins dévoué à leurs intérêts, me voyant lié par les récompenses du prince. » Morus avait depuis quelques années, dans la Cité de Londres, une charge qui répond à celle de syndic du corps des marchands, charge importante qui l’appelait inévitablement à la chambre des communes, toutes les fois qu’il plaisait au roi de tenir parlement.

Les affaires de cette charge, outre ses fonctions de sous-shériff, espèce de magistrature secondaire, ne lui laissaient guère de loisir pour les lettres. Toujours en plaidoiries ou en consultations, avocat, arbitre ou juge, accablé de cliens, « il n’avait rien à donner à lui-même, c’est-à-dire aux lettres, » comme il écrit à Egidius[24]. Rentré chez lui, il fallait bien causer avec sa femme, babiller avec ses enfans, communiquer avec les gens de la maison. C’étaient encore des affaires de devoir pour lui, « car, disait-il, il faut bien faire toutes ces choses, si l’on ne veut pas être un étranger dans sa propre maison. Il faut bien se montrer agréable à ceux que la nature, le hasard ou le choix, vous ont donnés pour compagnons de votre vie, non pas pourtant jusqu’à les gâter par trop d’abandon, ni jusqu’à faire des domestiques vos maîtres. » Les heures, les jours, les années, s’en allaient ainsi dans les occupations du dehors et dans les délassemens de la famille. Morus ne parlait pas de deux autres distractions qui lui prenaient beaucoup de temps ; c’étaient les animaux domestiques, oiseaux ou quadrupèdes, qui occupaient tout un corps de logis dans sa maison, et dont il aimait à observer les mœurs ; c’était sa guenon favorite, venue des Grandes-Indes, ou bien des animaux du pays, un beau renard, un furet, une belette, souvent achetés à grand prix ; c’était encore son cabinet de choses précieuses, où étaient rassemblées des curiosités, soit du pays, soit exotiques, des minéraux, de grands coquillages des mers de l’Inde, des coraux, toutes choses dont il s’amusait beaucoup, et dont il faisait les honneurs à l’étranger que lui adressait quelque membre accrédité de la république littéraire et chrétienne. Là surtout les heures s’écoulaient à faire l’histoire de chaque pièce, et à s’amuser de l’étonnement ou du plaisir qu’elles causaient à ses hôtes[25].

Cependant Morus sentait le besoin de prendre un rang parmi les lettrés de l’Europe. Ses amis lui rappelaient ses débuts, et le pressaient de réaliser les espérances qu’il avait données. Après le temps consacré aux affaires et à la famille, aux gens et aux bêtes, à recevoir les hôtes et à leur demander des nouvelles de Budé, d’Érasme, de Petrus Egidius, il ne lui restait de libre que l’heure des repas et le temps du sommeil. Les repas, que son extrême sobriété avait déjà rendus si courts, il les réduisit encore[26]. Ils consistaient en un morceau de viande salée, des œufs, quelques fruits, et de l’eau bue dans un gobelet d’étain. Pour le menu il n’y avait guère à en retrancher : il en ôta encore les doux entretiens de table avec la famille, lesquels donnent du charme au plus maigre dîner. Quant au sommeil, et quoique ses fatigues le lui rendissent nécessaire, il l’abrégea de quelques heures qu’il employait aux lectures dans sa bibliothèque, et à la composition lente et fréquemment interrompue du livre qui allait faire sa gloire et marquer sa place dans le grand travail de la renaissance des lettres. Ce livre, c’était l’Utopie.

Morus avait alors trente-cinq ans. L’Utopie, terminée en 1517, ne fut publiée qu’en 1518. Ces années-là, quoique fort accablées, avaient été des années heureuses. À l’étranger, en Flandre, en France, Morus s’était rencontré avec des amis de la république des lettres ; il avait joui de leurs entretiens, il s’était plongé dans leurs livres. Revenu à Londres, il retrouvait la considération, les affections de famille, à la cour une faveur modérée qui n’était point encore exigeante, et qui laissait un vaste champ aux espérances. C’est dans cette disposition d’un esprit libre et heureux, dont les ennuis étaient presque de trop de bonheur, que Morus écrivit l’Utopie. L’idée de ce livre avait d’ailleurs un autre à-propos que celui d’une convenance intime avec sa situation et ses études. Elle allait à tous les goûts de l’époque, à ce vague et général désir d’une république universelle, au moins chrétienne et littéraire, à tous les vœux de réforme religieuse, au mouvement d’érudition et d’imitation de l’époque, à cette soif de la paix redemandée de toutes parts, au nom des lettres renaissantes, au nom de la chrétienté épuisée par les dernières guerres d’Italie.

Par une rencontre particulière, on commençait à parler de l’apparition prochaine de l’Utopie, en même temps que le bruit se répandait d’une guerre nouvelle avec le Turc, « nouvelle comédie, disait Érasme, que les princes et le pape veulent jouer sous le prétexte d’une guerre sacrée[27]. » Sélim, empereur des Turcs, après avoir conquis l’Égypte et la Syrie, venait de réunir une nombreuse armée, et menaçait hautement l’Europe de la destruction du nom chrétien. Léon x publia une bulle guerrière qui obligeait tous les hommes mariés, de vingt-six à cinquante ans, à prendre les armes. La bulle ordonnait aux femmes dont les maris étaient en guerre de ne prendre aucun plaisir[28] dans leurs maisons, de s’abstenir de toute toilette recherchée, de toute chose pouvant faire illusion, de ne point boire de vin, de jeûner de deux jours l’un, « afin, disait la bulle, que Dieu protégeât leurs maris dans une guerre si sanglante. » La même prescription s’étendait aux femmes dont les maris avaient été exemptés du service militaire pour des affaires incompatibles avec les armes. Elles devaient dormir dans la même chambre que leurs époux, mais à part, et ne donner ni recevoir aucune caresse jusqu’à l’heureuse issue de la guerre. Une utopie qui vantait les douceurs de la paix, qui ne mariait que les amans, et qui promettait respect et liberté aux ménages, ne pouvait guère venir plus à point.

Morus, avant de faire imprimer son livre, l’avait montré à ses amis, à Tunstall, à Petrus Egidius, à Budé, à Deloine, à Érasme, à ce dernier avant tous les autres. Il était sincère en leur demandant des avis et non des éloges ; il ne l’était pas moins en priant Érasme de faire les honneurs de son manuscrit à Tunstall, « afin, disait-il, que la chose lui parût plus élégante, expliquée par la bouche d’Érasme[29]. » Naïve inconséquence de l’honnête homme et de l’homme de lettres, dont l’un voulait la vérité, et dont l’autre la craignait. Par une autre inconséquence de ce genre, en même temps qu’il faisait modestement passer son Utopie par la critique de ses amis, il avait de ces hauts dédains d’un auteur superbe contre le pauvre public, lequel porte la faute de tous les succès manqués, et qu’on récuse toujours avant de demander ses suffrages et son argent. « Les goûts des mortels, écrivait-il à Egidius, sont si divers, les esprits de la plupart si difficiles, leurs jugemens si absurdes, qu’on ne réussit pas mieux auprès d’eux à se livrer à toute la facilité et à toute la négligence de son génie, qu’à s’accabler de soucis pour faire quelque chose qui puisse être utile ou agréable à ces palais dégoûtés ou grossiers. Le barbare rejette comme dur ce qui n’est pas tout-à-fait barbare. Le demi-savant accuse de trivialité tout ce qui ne fourmille pas de mots vieillis. L’un est si austère, qu’il ne permet pas la plaisanterie ; l’autre si fade, qu’il ne sent rien aux pointes ; tels sont si mobiles que ce qu’ils aiment debout, ils le critiquent assis. Puis viennent les beaux esprits de la taverne qui jugent les auteurs au bruit de leurs verres, et les esprits sans gratitude qui, tout en aimant ce livre, n’en sont pas moins ennemis de l’écrivain, pareils à ces hôtes grossiers qui, après avoir été reçus à une table abondante, s’en vont dès qu’ils sont saouls, sans remercier les gens qui les ont invités[30]. » Tout cela est juste et bien dit ; mais la vraie gloire consiste à mettre tous ces goûts d’accord, soit en plaisant par mille endroits à ceux qu’on pourrait blesser par un point, soit en forçant les contradicteurs à se taire devant l’applaudissement universel.

L’Utopie avait réussi dans cette première épreuve ; Budé en voulut faire la préface ; Érasme se chargea d’en surveiller l’impression chez son ami Froben. L’Utopie allait avoir pour parrains, outre un libraire qui recommandait ses publications, les deux plus grands noms littéraires de l’époque. Les amis de moindre marque suivaient l’opinion des maîtres. Morus ne recevait que félicitations et caresses. On mettait sa république fort au-dessus des républiques de Rome, de Sparte et d’Athènes. On disait le divin génie de Thomas Morus. Pour lui, il sentait la plus vive et la plus noble de toutes les jouissances, celle de l’homme de lettres honnête homme, quand il a fait une œuvre raisonnable et appréciée. Ce furent des jours d’or et de soie, comme on disait dans son temps, dans cette vie dont la fin devait être si sombre. Ce fut un beau soleil entre les brumes de sa jeunesse laborieuse et gênée, et les orages de son âge mûr. Il avait la gloire, cette ivresse qui doit être si douce à l’homme dont le cœur est pur, et à qui les lettres n’ont pas ôté sa candeur. « Que je meure, écrivait-il à Érasme, ô le plus doux de mes amis ! si l’approbation que Tunstall a bien voulu donner à ma république, ne m’a pas rendu plus heureux que ne l’eût fait un talent de l’Attique. Tu ne sais pas combien je me réjouis, combien je me sens grandi à mes propres yeux, combien je porte ma tête plus haut ! Il me semble que mes Utopiens vont me nommer à perpétuité leur roi : je me vois marchant à leur tête, couronné de la gerbe d’épis, insigne de la royauté dans Utopie, beau dans mon vêtement de franciscain, et, dans cette pompe si simple, allant au-devant des ambassadeurs et des princes étrangers, malheureux qui s’enorgueillissent de porter des ornemens et des parures de femmes, des chaînes de cet or que nous méprisons tous dans Utopie, de la pourpre, des perles, et autres colifichets qui les rendent si ridicules. Je ne veux cependant pas que toi ni Tunstall, vous me jugiez par l’exemple des autres hommes, dont la fortune change les mœurs. Et, quoiqu’il ait plu aux dieux d’élever mon humilité à cette grandeur suprême, à ce rang auquel nul monarque ne peut comparer le sien, vous ne me verrez jamais oublier la vieille amitié qui m’unissait à vous quand j’étais simple particulier. Que si vous ne craignez pas de faire un peu de chemin pour me venir voir en Utopie, je ferai en sorte que tous les mortels soumis à mon empire vous rendent les honneurs dus à ceux qu’ils savent être les plus chers amis de leur roi. — J’allais prolonger encore ce doux rêve, mais le lever de l’aurore a dissipé mes songes et m’a chassé de ma royauté pour me replonger dans ce pétrin qu’on appelle le barreau[31]. » Cela pourra paraître plus enjoué que fin, et plus naïf que délicat, à cause de cette diversité des palais dont parle Morus, si grande dans les hommes d’une même époque, si changeante d’une époque à l’autre ; mais il n’est personne qui ne doive être touché du ton aimable et bon de ces confidences, et qui ne reconnaisse le cœur de l’homme de bien sous les joies de l’homme de lettres applaudi.

L’Utopie parut en 1518. Le public confirma le suffrage particulier des amis de Morus. Ce fut une rumeur d’admiration dans toute l’Europe occidentale. Les savans, les politiques, les magistrats, les princes, lurent ce livre. Ni les Colloques d’Érasme, ni l’Éloge de la Folie, n’avaient eu plus de débit. Les érudits lisent encore les Colloques d’Érasme et l’Éloge de la Folie ; mais personne ne lit l’Utopie ; grande leçon pour les livres à succès. Toutefois il y a une gloire pour les livres qui ont été utiles ; même quand on ne les lit plus, on les nomme avec respect. Ceux qui n’ont été écrits que pour le plaisir, et qui n’ont parlé qu’à l’imagination des contemporains, ne sont ni lus ni nommés.

iv.
L’Utopie.

Notre siècle a lu, sans le savoir, bien des contrefaçons de l’Utopie, quoiqu’assurément les auteurs de ces contrefaçons, je leur rends justice, ne connussent pas l’ouvrage original. Les doctrines de Saint-Simon et de Fourrier sont dans l’Utopie ; les attaques contre le droit de propriété sont dans l’Utopie ; la défense de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre est dans l’Utopie. L’Utopie, c’est la phalange de Charles Fourrier ; l’Utopie, c’est la communauté de biens de Saint-Simon. Quelques idées applicables brillent au milieu de ces rêveries, d’ailleurs si nobles et si ingénieuses. Il y a des maximes que Beccaria semble avoir transportées tout entières, avec leurs développemens, du livre de l’Utopie, dans le livre des Délits et des peines. L’Utopie, c’est ce thème de bien absolu que remanient à toutes les époques certains esprits honnêtes ou impatiens, pour se consoler de ne pas voir même le bien relatif dans le monde où ils vivent. Voici l’analyse sommaire de ce singulier livre.

Morus suppose qu’étant à Anvers, adjoint à Cuthbert Tunstall, dans une ambassade auprès de Charles v, il rencontrait souvent chez un ami un certain Raphaël Hythlodæus[32], autrefois compagnon d’Améric Vespuce, qui avait beaucoup voyagé et beaucoup vu. Les conversations roulaient sur des points de philosophie, sur les malheurs qui affligent l’humanité, sur les moyens de rendre les hommes meilleurs, les gouvernemens plus équitables, les vols moins communs. Cette question du vol fut l’objet d’un entretien spécial. Hythlodæus en indique deux causes principales qui peignent le temps. La première, c’est la quantité de soldats blessés qui ne peuvent ni travailler à la terre, ni exercer les professions mécaniques, et qui sont réduits à voler pour vivre ; la seconde, c’est la quantité de valets ayant appartenu à des nobles, « guêpes qui vivent dans la fainéantise sans produire une goutte de miel. » Dès que le maître est mort, cette nuée de valets congédiés tombe dans la misère, et fait la guerre aux passans pour manger. Après l’examen de ces causes, Hythlodæus discute les châtimens. L’Angleterre d’aujourd’hui pourrait encore s’appliquer ces sages paroles : « Personne ne devrait ignorer combien il est absurde de punir le vol de la même peine que l’homicide. Si le voleur sait qu’il ne court pas un moindre risque en se bornant à voler qu’en ajoutant le meurtre au vol, il égorgera le malheureux qu’il se serait contenté de dépouiller ; car, outre que le danger pour lui n’est pas plus grand, il a une chance de plus d’impunité, en faisant disparaître le témoin de son crime. » À la peine de mort pour le vol, Hythlodæus substitue un système de châtimens qui a beaucoup d’analogie avec les travaux forcés. Il parle d’un certain pays tributaire de la Perse où on leur coupe une oreille. — Si c’est là le système de Morus, son humanité est encore bien timide.

Hythlodæus conclut par dire que la société ne sera jamais bien gouvernée tant que subsistera le droit de propriété. Les interlocuteurs de cet entretien imaginaire se récrient, et Morus, qui s’y est donné un rôle, réfute l’idée d’Hythlodæus, surtout comme impraticable. Hythlodæus répond qu’il en a vu dans ses voyages une application qui a parfaitement réussi. — Où donc ? demandent les interlocuteurs. — En Utopie. — On presse le voyageur de raconter tout ce qu’il a vu dans cette contrée merveilleuse. Hythlodæus commence son récit, et c’est de cette sorte que Morus amène sa description de l’Utopie. Ces préliminaires occupent tout le premier livre, dans un ouvrage qui n’en a que deux.

L’île d’Utopie est située au-delà de l’Océan atlantique. Elle tire son nom d’Utopus, roi d’un pays voisin qui l’a conquise, et lui a donné les lois qui la gouvernent encore. La capitale d’Utopie, la première des cinquante-quatre grandes villes du pays, s’appelle Amaurote[33].

La forme du gouvernement est républicaine. Tout s’y fait par élection, même le roi qui n’est qu’un simple magistrat. La seule chose qui le distingue des autres Utopiens, c’est qu’il porte une gerbe de blé à la main, en guise de sceptre. Le pontife, qui est le premier personnage de l’île après le roi, se fait précéder d’un homme tenant un cierge allumé.

L’organisation civile est fondée sur la famille. Chaque famille se compose de quarante personnes tant hommes que femmes, plus deux esclaves, car il y a des esclaves en Utopie. Pour trente familles, il y a un magistrat appelé philarque dont l’autorité s’étend sur les chefs de ces familles, et pour dix philarques, il y a un magistrat supérieur nommé protophilarque. Ces protophilarques, au nombre de deux cents, et élus pour un an, choisissent, en cas de vacance du trône, le prince entre deux candidats nommés par le peuple, et forment le conseil du roi qui est en charge. Ce conseil s’assemble tous les trois jours. En cas d’affaires importantes on consulte la nation. Chaque philarque assemble ses trente familles, recueille leur avis et va le porter au sénat. Cent soixante-deux citoyens, c’est-à-dire trois par chaque ville, forment ce sénat qui s’assemble tous les ans dans la capitale. On les choisit parmi les vieillards. Toutes les fonctions, soit législatives, soit exécutives, sont annuelles, hormis celle du roi qui est nommé à vie.

Tout appartient à tous, sauf les femmes. Quiconque a besoin d’une charrue, d’un habit, d’un outil de travail, va le demander au magistrat qui le lui donne. Les voyages, pour lesquels il faut demander la permission des magistrats et le consentement du père et de la femme, se font sans argent et sans viatique, tous les biens étant communs. L’étranger reçoit partout l’hospitalité, mais à la condition de la payer par quelque travail. Le temps du voyage est limité.

L’agriculture est une sorte de conscription à laquelle personne n’échappe. Chaque ville envoie tous les ans à la campagne vingt jeunes gens qui doivent apprendre à cultiver la terre. Il est vrai que ceux qui n’y ont pas de goût sont libres de revenir ; on les remplace par d’autres.

Outre l’agriculture, tous les citoyens sont obligés de savoir un métier. Il faut être ou tisserand, ou maçon, ou charpentier, ou menuisier. Toutefois ceux qui marquent des dispositions particulières pour les sciences sont dispensés de ces travaux ; mais si les résultats ne répondent pas aux espérances qu’ils ont données, on les fait rentrer dans la classe des artisans. Le prince est choisi parmi ceux des artisans qui, par de grandes facultés, ont pris rang parmi les savans.

Le travail est modéré. La journée de l’Utopien, se divise en trois parties : six heures pour travailler, dix heures pour se reposer ou faire ce qui lui plaît, huit heures pour dormir. Des cours publics sont ouverts aux heures de récréation, pour ceux qui veulent cultiver les lettres et les sciences. Le soir, en été, on travaille au jardin, car chaque famille a le sien ; en hiver, on se réunit dans de grandes salles où l’on joue, non à des jeux de hasard, mais à un jeu moral, en manière d’échecs, où l’on fait combattre en ordre de guerre les vices et les vertus représentés par des pièces de bois. C’est la seule guerre connue en Utopie. En cas d’attaque étrangère, ils opposent à l’ennemi une armée de mercenaires, les Suisses d’Utopie. On entretient cette armée avec l’argent amassé dans les coffres, et provenant des blés qu’ils exportent. C’est là tout l’emploi qu’ils donnent à l’argent, métal qu’ils méprisent pour eux-mêmes, comme la principale source des maux de l’espèce humaine, et dont ils font leurs vases de nuit. Les chaînes des galériens, — car il y a des galériens dans Utopie, — sont en or. Tout individu qui a commis quelque grave délit est condamné à porter des boucles d’oreilles d’or.

On dîne en commun dans de grandes salles où tiennent trente familles de quarante membres, c’est-à-dire douze cents convives, présidés par leur philarque. On ne soupe jamais sans musique dans cette île bien heureuse. Il y a au dessert toutes sortes de confitures et de friandises. Les parfums, les cassolettes, les eaux de senteur, embaument la salle du festin. Les Utopiens ont pour principe que toute volupté dont les suites ne sont pas fâcheuses doit être permise. Ils sont extrêmement sensuels. Ils disent que tous les plaisirs ont été donnés à l’homme pour en jouir sans en abuser. Ils croient, en s’y livrant, suivre la voix de la nature et la volonté de Dieu. Les Utopiens sont fourriéristes.

Quand une maladie mortelle vient les frapper au milieu de cette vie de plaisirs sans abus, de travail sans fatigue, de bien-être sans luxe, de liberté sans fainéantise, les prêtres et le philarque viennent exhorter le malade à prendre quelque potion calmante qui l’envoie sans douleur de cette vie dans l’autre. Mieux vaut mourir que souffrir est un des points de leur philosophie. Cependant le malade est libre d’attendre le moment où il plaira à Dieu de l’appeler à lui. On n’impose la potion calmante à personne ; c’est un avis paternel et non une loi. Le suicide, honoré dans ce cas, est flétri publiquement dans tous les autres. Tout Utopien qui se tue par dégoût de la vie est privé de sépulture et jeté à la voirie.

Le mariage n’a lieu, entre fiancés, qu’après vérification réciproque de leur état physique. Cette vérification se fait en présence de deux experts, d’une matrone et d’une sorte de médecin ad hoc, lesquels font subir aux deux jeunes gens une visite du genre de celle que passent nos conscrits devant les conseils de révision. Quand les futurs se sont ainsi vus face à face et sans voile, et ont déclaré se trouver satisfaits l’un de l’autre, on les marie. Si, — ce qui ne se voit guère sur le corps, — il y a incompatibilité d’humeur, le divorce est permis par consentement mutuel. L’adultère est puni d’esclavage pour la première fois, de mort pour la récidive. C’est le seul crime qui emporte la perte de la vie.

Toutes les religions sont tolérées en Utopie, même celle du Christ, que les Utopiens ne connaissent que par Hythlodæus et trois de ses compagnons. « L’un des nouveaux convertis, raconte le voyageur, s’était mis, malgré nos conseils, à disserter du Christ et de son culte avec plus de zèle que de prudence ; il criait que notre religion était supérieure à toutes les autres, et la seule vraie ; que tout autre culte n’était qu’une profanation, et ses sectateurs que des sacriléges et des impies dignes du feu éternel. Comme il remplissait la place publique de ces clameurs, on le saisit, non comme coupable de mépris pour les religions d’Utopie, mais comme agitateur du peuple, et on l’exila. Ce fut un des premiers soins d’Utopus, en prenant possession de l’île, d’ordonner que chacun serait libre dans ses croyances, et qu’on ne pourrait y amener les autres que par les voies de la douceur et de la persuasion. Il pensa que c’était un acte absurde et insolent d’imposer à tout le monde, par la force et les menaces, la croyance d’un seul, alors même que cette croyance serait la seule vraie, et toutes les autres vaines et mensongères. Mais il prévit que, pourvu que les choses se fissent par la raison et la modération, la force de la vérité finirait quelque jour par l’emporter. C’est pourquoi il laissa chacun libre de croire à ce qu’il voudrait[34]. »

Telles sont les principales idées de ce livre, si goûté à l’époque où il parut, si oublié maintenant. Était-ce une critique exacte des gouvernemens, de la société, des mœurs, de l’ardeur religieuse de cette époque ? Chacune des félicités que Morus prête à l’île fortunée d’Utopie est-elle une contre-vérité eu égard à ses contemporains ? Non. L’Utopie est comme tous les livres de ce genre, comme la république de Platon, comme la Salente de Télémaque, une création où il y a plus de fantaisie que d’intention critique. On pourrait, à l’aide d’une analyse ingénieuse, quoique fort conjecturale, faire deux parts dans ces républiques en l’air, celle des allusions satiriques aux choses contemporaines, et celle des développemens de pure fantaisie. Mais vouloir donner à tout un sens ironique et profond, et trouver à toute force un mécontentement amer sous chaque détail fantastique, un vœu de réforme sous chaque peinture d’un bien impossible, et la préméditation de la raison sous toutes les rêveries de l’imagination, ce serait une puérilité. Sauf quelques passages énergiques, qui s’attaquent plutôt aux mœurs qu’aux institutions, et où l’intention satirique est évidente, sauf surtout la vive et piquante discussion sur l’énorme disproportion de la peine aux délits dans la question du vol, où Morus se montre criminaliste éclairé, quoique subtil, l’Utopie offre à peine quelques traces de ces préoccupations contemporaines que les critiques prêtent gratuitement à tous les faiseurs d’Utopie. Mais ce qu’on y trouve à chaque page, sans effort de subtilité et de conjectures, c’est un souvenir naturel de ces habitudes journalières d’avocat, de légiste, de magistrat discutant ou appliquant les lois pénales, et chargé souvent de concilier la justice instituée avec l’équité naturelle ; c’est surtout un reflet doux et aimable des années où son esprit fut le plus libre, le plus désintéressé, le plus ouvert à toute sorte d’idées, même à celles qui s’accordaient le moins avec l’exaltation religieuse de sa première jeunesse, et avec l’âpreté dogmatique de la fin de sa vie.

Dans cet intervalle de moins de dix ans, le jeune ascétique qui avait fait une si rude guerre à son corps, le chrétien qui n’avait pas trouvé le cloître assez austère pour y enfermer sa jeunesse révoltée, le polémiste qui allait défendre si ardemment la cause du catholicisme de Rome, avait senti ce relâchement des opinions et cette détente générale de l’esprit par lesquels nous passons tous vers cet âge-là, et qui nous rendent tolérans dans les matières religieuses, intelligens et modérés dans la critique de toutes choses, réformateurs sans haine, réservés dans la négation comme dans l’affirmation ; état qui exclut les grandes vertus comme les grandes fautes, non le plus digne de l’homme peut-être, mais assurément le meilleur et le seul où il s’appartienne tout-à-fait. Morus, en proclamant en Utopie la liberté des religions, et en ne regardant comme obligatoire que la croyance à l’ame et à Dieu[35], Morus était plus près du doute philosophique que de la foi romaine. Son âme s’était amollie, sans se corrompre, par la pratique des affaires, la connaissance des intérêts humains, et un peu de cette gloire des lettres qui fond les ames les plus dures ; il voyait toute chose d’un œil plus sain, et par cela même d’un esprit plus bienveillant. Sa tolérance n’était qu’une juste vue des choses, une philosophie douce sur un fond d’humanité chrétienne, également éloigné de la passion et de l’indifférence.

Quand on vient de faire une étude longue et tendre de cet homme, comme je crois pouvoir dire que je l’ai faite, et qu’on a parcouru tous les actes de sa passion, on se plaît peut-être, au-delà de la discrétion historique, à se représenter Morus, dans ces dix années si courtes, heureux de tout le bonheur qu’il est donné à l’homme d’avoir, libre, expansif, occupé avec plaisir, et de choses de son choix, quoi qu’il en dise ; enjoué, non de cet enjouement un peu forcé et convulsif qu’il montra jusque dans les momens les plus douloureux de son martyre, et qui semble comme une nargue apprêtée du chrétien à la mort, mais avec délicatesse et je ne sais quel sourire facile, naturel, auquel on s’attend, parce que, dans cette vie tempérée, le passage est insensible de la gravité à la gaieté. Plus tard, il rira, il fera des pointes jusque sous la hache de l’exécuteur, mais le rire grimacera sur cette figure amaigrie et profondément douloureuse ; les pointes choqueront comme une bravade stoïcienne. Au point où nous en sommes de son histoire, ce n’est encore qu’une forme particulière donnée à des sentimens moyens, et l’épanouissement d’un esprit libre plutôt que le défi du martyr chrétien aux bêtes qui vont le dévorer et aux hommes qui vont le voir mourir !

v.
La Querelle de Morus et de Brixius.

C’est pendant cette période trop courte de la vie de Morus que sa liaison avec Érasme fut la plus étroite, et leur correspondance la plus suivie et la plus amicale. C’est à ce moment que ces deux hommes illustres eurent l’un à l’égard de l’autre le plus grand nombre de ces convenances qui font les amitiés tendres, et qu’ils se comprirent et s’aimèrent le plus. Leurs lettres sont pleines de confiance et d’abandon. Il n’y est point parlé de religion, mais des amis communs, des lettres, des quartiers de pensions qu’Érasme prie Morus de réclamer pour lui, du compte que Morus rend à Érasme de la vente de ses livres en Angleterre, de la vie intérieure, des travaux, de l’emploi du temps, des ennemis littéraires, ce grand sujet de condoléances heureuses et de chagrins agréables pour les gens de lettres. Ces deux hommes se touchent et se conviennent par tous les points. La prudence d’Érasme prend aux yeux de Morus la couleur de sa propre tolérance à lui. Son scepticisme, qui d’ailleurs ne va jamais jusqu’à la négation, ne rencontre en Morus qu’une foi assoupie, qui ne sera réveillée que par les paroles retentissantes de Luther. C’est lorsque cet homme aura jeté dans le monde chrétien ces paroles qui deviendront des glaives, que Morus et Érasme, jusque-là si tendrement unis, s’aimeront peut-être moins, comme il arrive aux amis qui se trouvent tout à coup enrôlés dans des partis opposés, et dont les opinions ont refroidi les sentimens. Érasme dira de Morus, que si, dans les matières religieuses, il incline vers une chose, c’est plutôt vers la superstition que vers la religion[36]. Morus pensera d’Érasme que, s’il refuse la controverse active et quotidienne avec Luther, c’est qu’il penche secrètement vers l’hérésie, et que c’est faute de résolution qu’il a laissé à un autre le triste honneur d’en lever l’étendard. Érasme trouvera que Morus manque d’étendue d’esprit ; Morus, qu’Érasme manque de décision et de courage. Ils ne se brouilleront pas, ils continueront même à s’écrire de loin en loin, mais avec réserve, et sans se dire les vrais motifs de leurs actions publiques. Morus, par exemple, devenu chancelier, et, deux ans après, se démettant de sa charge, ne donnera guère à Érasme que des raisons banales de son élévation, et lui cachera les vraies causes de sa retraite, comme on ferait à un étranger dont on aurait quelque sujet de suspecter la discrétion. La confiance aura cessé entre les deux amis, et le trop prudent Érasme, dans le récit éloquent qu’il fera, sous un nom supposé, de la mort de son ancien ami, aura conservé l’esprit assez libre pour blâmer d’un manque de prudence et de souplesse le chrétien inflexible, mort martyr de sa conscience.

On sait qu’Érasme avait fait l’Éloge de la Folie pour Morus, et en jouant sur son nom[37]. La scolastique, les universités, les grammairiens, y étaient tournés en ridicule. Martin Dorpion, de Louvain, théologien et grammairien, attaqua le livre d’Érasme. Morus, qui avait quelque liaison avec Dorpion, intervint, et lui écrivit une lettre sévère, dans laquelle il défendit la personne et les plaisanteries d’Érasme. Il renchérit sur ces plaisanteries par des pointes et des anecdotes, élargissant les blessures faites à Dorpion, et se montrant assez l’ami des deux adversaires, pour dire la vérité à l’un et défendre chaudement l’autre. Érasme eût voulu rendre la pareille à Morus ; mais outre que les occasions manquaient de le faire avec éclat, c’était un champion plus tiède que son ami. Il le prouva, un peu à sa honte, dans la querelle de celui-ci avec Brixius, lettré allemand, qui était avec Érasme dans des rapports plus intimes que Dorpion avec Morus. Cette querelle peint les mœurs littéraires de l’époque, et fait le plus grand honneur au caractère de Morus.

Ce Brixius avait fait un poème en l’honneur d’un vaisseau français dont le capitaine, Hervé, s’était fait sauter avec tout son équipage, plutôt que de se rendre aux Anglais. Le poème avait paru pendant les dernières guerres entre la France et l’Angleterre. Les vers en étaient assez corrects, mais emphatiques, et mêlés de centons, ce que je dois dire par respect pour la vérité, quoique Brixius s’y montrât Français de cœur. Le plus grand crime de Brixius aux yeux de Morus, bon Anglais d’abord, et auprès de qui l’on était mal venu à parler trop bien de la France, c’est que ce poème renfermait quelques traits malins contre lui et contre ses épigrammes. Morus répondit aux allusions satiriques de Brixius par une bordée de huit épigrammes, qui mirent les rieurs de son côté, dans un temps où l’on riait de peu, et où le latin donnait de l’esprit aux vers qui en manquaient. Brixius avait prêté au capitaine Hervé des traits de courage à la manière de Lucain, des morts entassés les uns sur les autres, des coups d’épée pourfendant cinq à six hommes à la fois, des traits, — c’était pousser un peu loin la liberté du centon, car les traits ne faisaient plus alors partie des armes offensives, — clouant les guerriers dos à dos, et autres exploits d’érudit qui n’a jamais vu la guerre. Morus, dans ses épigrammes, lui demandait si son héros avait cinq mains. Brixius avait comparé Hervé aux Décius. « Oui, disait Morus, mais il y a une légère différence, c’est que ceux-ci mouraient volontairement, et que celui-là n’est mort que faute d’avoir pu fuir[38]. »

Brixius fut d’abord accablé de la riposte. Plusieurs années se passèrent sans attaque de part ni d’autre. Mais le succès de l’Utopie irrita Brixius ; il fit l’Anti-Morus, où, reprenant la querelle des épigrammes, — tant les haines littéraires sont vieilles ! — il éplucha tout le petit recueil de Morus, notant les fautes de quantité et d’euphonie échappées à l’enfant de dix ans ou à l’adolescent de moins de vingt. Il dénonça le fameux épithalame à Henry viii, le héros de cette pièce, comme injurieux à la mémoire de son père ; méchanceté sérieuse, car c’était en 1520, à l’époque où quelques-unes des critiques faites au père pouvaient être déjà des reproches pour le fils. Puis venaient les aménités en usage alors. Brixius, faisant une pointe sur le nom de Morus, remplaçait l’omicron par l’oméga, Mοrus par Mωrus, qui veut dire fou (μωρὸς), ce qui ne devait laisser aucun doute sur l’état des facultés de son adversaire aux gens déjà mal disposés pour lui.

Il paraît que la faute d’Érasme fut qu’ayant appris à temps que Brixius préparait un livre contre son ami, il n’usa pas assez tôt de son crédit sur lui pour le détourner de le publier, et ce qui paraîtra moins grave à ceux qui connaissent la tendresse d’un auteur pour ses livres, que l’Anti-Morus ayant paru, il ne put obtenir que Brixius rachetât les exemplaires vendus et les détruisît. Toutefois, le mal étant fait aux trois quarts, Érasme écrivit à Brixius de sévères reproches. « Personne ne lit votre livre, disait-il ; je ne l’ai entendu louer de personne, pas même de vos Français. J’ai conseillé à Morus de n’y pas répondre ; mais ce n’est pas pour sa réputation, c’est pour son repos. C’est parce que je pense qu’il importe à la dignité publique, comme à l’intérêt des études, que ceux qui sont initiés aux lettres ne se fassent pas la guerre, et que les Graces ne soient pas séparées des Muses, surtout lorsque tant de haines conspirent contre l’ordre des lettrés. » Érasme avait en effet conseillé à Morus de mépriser cette querelle, et de ne pas donner de l’importance à l’attaque par l’éclat d’une réponse. C’était un arbitrage qu’il prenait de lui-même, au nom des lettres sacrées et profanes, entre les gens d’église et les gens de lettres, et loin que personne le lui contestât, tout le monde le lui déférait comme au plus illustre. Morus était digne de son conseil. L’histoire des lettres offre peu d’exemples plus nobles que ce fragment de sa réponse à Érasme, où, malgré quelques duretés pour Brixius, bien pardonnables même à un auteur sincèrement modeste, Morus se montre sous des traits si nobles comme homme et comme ami[39]. « Pour moi, cher Érasme, afin que tu voies combien je suis plus disposé à t’obéir que Brixius, — encore que ta lettre me soit arrivée, non pas quand mon livre n’était que sous presse, mais quand il était imprimé tout entier (comme tu pourras t’en assurer toi-même, puisque ce livre te parviendra très certainement avant ma réponse), encore que tant d’amis m’y poussassent, — au reçu de ta lettre, de cette lettre d’un homme dont le sentiment passe à mes yeux avant tous les calculs, je n’ai point imité mon adversaire Brixius, lui qui se vante d’obéir à tes moindres signes de tête, et qui dit avoir la bourse si bien garnie. Il a fait tant de cas de tes avertissemens qu’il n’a pas pu se résigner à racheter ses exemplaires et à les jeter au feu ; il n’a pas voulu soustraire à tous les regards ces inepties qui doivent déshonorer ce nom de Brixius qu’il veut, jusqu’à en faire pitié, rendre célèbre. Quant à moi, cher Érasme, sauf deux exemplaires partis d’ici avant l’arrivée de ta lettre, l’un pour toi, l’autre pour Petrus Égidius, et sauf cinq autres qu’avait déjà vendus le libraire, — car ta lettre m’a été remise comme on venait de mettre l’ouvrage en vente, et quand déjà on le demandait avidement, — j’ai racheté toute l’édition et je la tiens sous clé, attendant que tu décides ce que j’en dois faire[40]. »

Mais ce n’était encore que la moitié du sacrifice, et Morus ne la faisait pas sans quelque résistance. Tout en s’en remettant à la décision d’Érasme, il ne négligeait pas les insinuations afin de le faire pencher pour le parti de la publication. L’auteur de l’Utopie n’avait pas à craindre de ne pas triompher assez de Brixius. Il fallait donc renoncer non-seulement à un livre terminé, mis en vente, déjà dans les mains de cinq lecteurs, qui allaient en donner l’envie à tant d’autres, mais encore à un succès certain. « Quelque grave rôle que ton amitié m’impose, ô Érasme, écrivait-il à son arbitre et à son juge[41], puisque je suis encore parmi les mortels et non point parmi les saints, je ne craindrais pas que le lecteur ne me pardonnât pas d’avoir cédé à l’une de ces faiblesses de la nature humaine qu’aucun homme ne peut secouer tout-à-fait. » Malgré cette réserve des auteurs, lesquels ne s’accusent que pour s’absoudre, et se font les casuistes de leur amour-propre, Morus ne céda point à cette faiblesse. Soit qu’Érasme eût sagement insisté pour la suppression du livre soit que le temps et la réflexion eussent adouci l’injure et rendu facile à Morus le sacrifice tout entier, la réponse à Brixius ne parut point.

Ainsi se passèrent ces dix années que j’ai appelées littéraires parce que les lettres y furent la principale pensée de Morus. Sa réputation était si grande alors, et son nom si célèbre en Europe, où, dès ce temps-là, la dignité morale de l’homme privé ne nuisait pas à la gloire de l’homme de lettres, qu’on demandait de toutes parts à Érasme des portraits de son illustre ami. Il en traçait un en 1519, qui est plein de traits charmans. C’est à la fois un portrait et un caractère[42]. Morus pouvait alors faire envie par son bonheur. Il approchait de quarante ans. Sa taille était au-dessus de la moyenne, ses membres bien proportionnés, son allure noble, si ce n’est que, par une habitude de pencher sa tête à gauche, une épaule paraissait un peu plus élevée que l’autre. Il avait le visage blanc et légèrement coloré, les cheveux de couleur châtain foncé, les yeux bleus et tachetés, ce qui passait alors pour un signe d’un génie heureux ; un air de bonté et d’enjouement sur sa figure, tel que je le retrouve dans une très belle gravure anglaise de 1726[43], mais déjà avec je ne sais quoi de triste et de souffrant dans le sourire : Morus était alors chancelier d’Angleterre. À la date du portrait qu’en fait Érasme, le sourire était une habitude de l’ame ; quand Holbein le peignit, ce n’était plus guère qu’une habitude des traits.

Érasme raconte qu’il avait les mains rudes et négligées, plus que de l’abandon dans sa toilette, nulle délicatesse dans sa manière de vivre, ni soie ni pourpre sur lui, ni chaîne d’or, si ce n’est quand sa charge l’y obligeait, et qu’il y aurait eu inconvenance à n’en pas mettre ; une voix douce, pénétrante, peu accentuée ; une manière de parler ni trop lente ni trop rapide ; que ses manières étaient aimables, attirantes, dégagées de toutes ces habitudes d’étiquette particulières à son pays et à son époque, et qu’il estimait affaires de femmes ; qu’il aimait passionnément le repos et la liberté, mais, quand les affaires le demandaient, qu’il se montrait un modèle d’activité, de zèle et de patience ; qu’il semblait né pour l’amitié, tant il était facile dans ses choix, d’un commerce commode et peu exigeant, constant à retenir ses amis, sacrifiant ses affaires aux leurs, en ayant beaucoup, dit Érasme, malgré le mot d’Hésiode ; et, s’il s’en trouvait un qui cessât d’être digne de lui, le quittant comme par occasion, et décousant l’amitié plutôt que la rompant avec éclat. Du reste haïssant les jeux, soit de hasard, soit d’adresse, la paume, les dés, les cartes, mais y préférant les entretiens avec ses amis, dont il égayait le plus triste par ses plaisanteries, la tournure d’idées qu’il prenait le plus naturellement. Il l’aimait jusqu’à la trouver bonne même contre lui, et, pourvu qu’on le raillât avec esprit, on lui plaisait plus qu’à le louer. Il s’amusait de toutes sortes de discours, de ceux des sots comme de ceux des doctes, ne parlant guère sérieusement aux femmes, pas même à la sienne, car les femmes n’étaient pas encore, à cette époque, les égales de l’homme, même dans l’Utopie, et prenant plaisir aux propos du peuple qu’il allait écouter dans les marchés, s’amusant du tumulte des vendeurs et des acheteurs, et y apprenant cet anglais familier et bouffon qui devait populariser plus tard ses écrits de polémique religieuse.

Toutes ces qualités mêmes devaient être ses plus grands ennemis. Sa réputation d’activité, de vigilance, d’aptitude aux affaires, ses talens de lettré, l’appelaient au gouvernement ; son enjouement, ses saillies, le rendaient agréable et allaient le rendre nécessaire à Henry viii, prince lourd, pesant, plus sérieux par humeur que par réflexion, et qui, quoique auteur, avait plus les prétentions que l’application d’un faiseur de livres. Aussi Morus devint-il en peu d’années, de conseiller du conseil privé, trésorier de la couronne, puis trésorier et peu après chancelier de Lancastre, avancemens successifs qui faisaient dire à Érasme cette parole si profonde, moins peut-être par le sens qu’il y attachait réellement, que par celui qu’allait y donner l’avenir : « Comme je le vois, écrivait-il à Richard Pacœus, la cour lui réussit si bien que j’en ai pitié pour lui[44] ! »

vi.
L’Amitié du roi Henry viii

Henry viii s’éprenait pour un homme comme pour une maîtresse, et le dégoût venant, il se débarrassait d’une maîtresse comme d’un favori, par le meurtre judiciaire, moyen toujours odieux quand la victime est un homme, le plus odieux et le plus infâme de tous quand la victime est une femme. Je hais presque moins Néron tuant, dans un accès de colère sauvage, sa concubine Poppée d’un coup de pied dans le ventre, que Henry viii renouvelant tous les trois ans son lit impudique par des meurtres judiciaires : il eut envie de Morus, comme il aurait eu envie d’un bouffon, sur la réputation de ses saillies. Wolsey eut ordre d’amener bon gré mal gré Morus à la cour. Il avait échoué une première fois contre son désir sincère d’obscurité et de vie paisible ; mais il réussit à cette seconde attaque, et amena la victime aux pieds du roi, lequel lui donna à baiser la main qui devait signer son arrêt de mort.

Par une fatalité étrange, le premier à qui Morus fit part de son entrée à la cour, ce fut Joseph Fischer, l’évêque de Rochester, son ami, l’homme qui devait mourir sur le même échafaud que lui, frappé par la même main et pour la même cause. « Je suis arrivé à la cour, lui écrit Morus, tout-à-fait contre ma volonté (extremely against my will), comme tout le monde le sait, et comme le roi lui-même me le reproche en plaisantant. Je m’y tiens aussi gauchement qu’un apprenti cavalier sur la selle. Mais notre roi est si affable et si courtois pour tout le monde, que chacun peut se croire l’objet de sa bienveillance particulière, quelque mince opinion qu’il ait d’ailleurs de lui-même. C’est comme ces bonnes bourgeoises de Londres qui s’imaginent que la sainte Vierge de la Tour leur sourit du fond de sa niche, toutes les fois qu’elles lui font une prière. Pour moi, je ne suis pas assez heureux pour me faire l’illusion que j’ai mérité en quoi que ce soit son affection, et pour croire que je l’aie déjà. Toutefois, si grandes sont ses vertus, que je commence à trouver de moins en moins fastidieuse la vie de courtisan[45]. » On s’attriste en voyant le peu qui séparait ces confidences si pleines d’incertitude de l’effort de résolution qu’il eût fallu faire pour échapper à la cour. Hélas ! ce faible intervalle, c’était la distance d’une vie paisible et honorée à la mort sur l’échafaud !

L’amitié de Henry viii pour son malheureux favori avait toute la vivacité d’un goût exclusif, toute l’importunité d’une tyrannie. Tous les jours de fête, — ils étaient nombreux alors, — après avoir fait ses dévotions, il l’envoyait quérir, et s’enfermait avec lui dans son cabinet ; il le faisait causer sur les sciences, la théologie, les lettres, et quelquefois sur l’administration de Wolsey, qu’il aimait à entendre critiquer, comme tous les rois qui ne peuvent se passer ni se débarrasser d’un principal ministre. D’autres fois, quand les nuits étaient belles, ils se promenaient sur les plombs du palais, et là, ils discouraient ensemble d’astronomie, des mouvemens et des révolutions des planètes, science que Morus avait apprise dans sa jeunesse, et qui faisait partie à cette époque d’une éducation complète. La reine partageait le goût de son mari pour Morus. Il leur arrivait souvent de le faire appeler à leur souper, et de lui donner place à la table royale. Morus les amusait par ses bons mots et par cette conversation semée de saillies qui rompait si agréablement un tête-à-tête conjugal dont Henry viii commençait à être las. Le plus honnête homme de l’Angleterre faisait ainsi le métier de fou du roi. Ce qu’on aimait de lui, ce n’était pas sa vertu dont on se servit quelquefois, tout en en supportant mal les scrupules ; c’était son côté le plus frivole et le moins estimable. Cela est si vrai qu’il n’eut pas d’autre moyen pour échapper à l’obsession croissante de cette amitié, que d’être plus sobre de bons mots et d’affecter une sorte de stérilité d’esprit, que, du reste, sa vie, devenue plus sombre, ne devait lui rendre que trop facile.

En remontant la Tamise, à deux milles de Londres, est le village de Chelsea, dont l’église, bâtie sur le bord de la rivière, est visitée pour la chapelle qu’y fit construire Morus, dans l’aile méridionale, en 1520, et où fut enterré son corps séparé de la tête. C’est dans ce village qu’il avait une jolie maison avec un jardin ouvrant sur la rivière, une belle bibliothèque, et cette ménagerie, si négligée depuis qu’il était devenu courtisan. Sa femme et ses enfans y demeuraient pendant toute l’année, et son seul plaisir, après les affaires de ses différentes charges, et les servitudes de son emploi à la cour, était d’aller passer une journée à Chelsea, au milieu de sa famille, de ses livres et de ses bêtes. Dans le commencement, ces voyages étaient fréquens. Plusieurs fois dans la semaine, la barge de Morus, menée par quatre rameurs à la livrée du chancelier de Lancastre, venait le prendre au pont de Londres, et le transportait à Chelsea. Mais la faveur royale augmentant, Morus avait fini par vivre plus dans le ménage du roi que dans le sien. Ses voyages à Chelsea étaient très rares. Il n’osait plus s’éloigner de Londres, attendant à chaque minute le messager de la cour, lequel arrivait à toute heure et à tout caprice, comme si Morus eût été le seul médecin de cet ennui que commençait à sentir Henry viii, partagé dès-lors entre des dégoûts croissans et le scrupule d’y échapper par une rupture. Morus ne pouvant pas s’en plaindre, ni intéresser à ses privations de mari et de père un roi qui pensait déjà à répudier sa femme et à déshonorer sa fille, prit le parti de ruser avec cette amitié tyrannique ; il se montra grave les jours où l’on avait le plus besoin de saillies, ne voulant ni n’osant rompre, — comme on se souvient que c’était sa pratique dans les amitiés ordinaires, — mais tâchant de découdre cette fatale liaison. Le stratagème réussit.

On l’appela moins souvent à la cour. Il est vrai que le roi faisait maison séparée d’avec la reine, et que les repas en tête-à-tête ayant cessé, il n’avait plus besoin d’un grave bouffon pour en égayer l’ennui. Morus était devenu moins nécessaire à Henry viii, qui le lui compta comme un grief. Toutefois le roi revint de temps en temps à l’ancien favori. Il le reprenait à peu près comme fait un enfant d’un jouet long-temps laissé de côté, et il lui venait redemander ses bons mots en attendant qu’il eût besoin de sa conscience.

L’occasion s’en présenta en l’année 1523. Le trésor était épuisé. La politique de Wolsey avait prodigué les traitemens et les présens aux princes étrangers et à leurs favoris. Pour avoir de l’argent, on prétexta des griefs contre la France, et la nécessité de se mettre en mesure par des armemens considérables. Le parlement, qu’on n’avait convoqué depuis le commencement du règne que pour lui faire voter des subsides, se rassembla aux Black-friars. La somme à demander ne s’élevait pas à moins de huit cent mille livres, réalisables par un impôt de vingt pour cent. Thomas Morus était membre du parlement. On voulut le faire nommer président afin d’enlever le vote par son influence. Morus n’approuvait pas la demande de subsides ; il résista. Wolsey, qui le savait probe et consciencieux, mais trop bien avec le roi et peut-être trop timide pour oser ne pas servir la cour, s’il était mis dans l’alternative de soutenir sa demande ou de se brouiller avec éclat, Wolsey le fit nommer malgré lui. La partie de la chambre attachée à la cour et au premier ministre, augmentée d’un bon nombre de membres dont Morus était l’homme de confiance, formèrent la majorité qui le choisit pour speaker. Le roi confirma l’élection.

Morus essaya vainement de faire revenir le roi sur sa nomination. Henry viii tenait trop à son subside, pour vouloir se passer de la probité de Morus, laquelle en couvrait la cause secrète, et en pouvait assurer le vote. Il maintint donc son premier choix. Morus voulut du moins faire ses réserves, et écrivit à son maître une lettre en forme de supplique, où, tout en donnant son acceptation, il osait prendre la liberté d’y mettre deux conditions, l’une pour lui, l’autre pour l’assemblée qu’il allait présider : la première, c’est que, s’il lui arrivait de faillir involontairement dans sa commission, soit par maladresse, soit par défaut d’exactitude, en transmettant au roi la délibération des communes, Sa Graçe voulût bien pardonner à sa simplicité, et lui permettre de retourner à l’assemblée pour recevoir des instructions plus pleines et plus précises. La seconde, c’est qu’il plût « à l’inestimable bonté du roi » qu’aucun mal n’arrivât à aucun membre de l’assemblée pour avoir exprimé librement son opinion, mais que toute parole prononcée dans le parlement, dût la forme n’en être pas parfaitement convenable, fût interprétée par le roi comme une preuve de zèle pour le bien du royaume et pour l’honneur de sa personne royale[46].

Wolsey annonça qu’il viendrait lui-même aux communes soutenir le bill et proposer les moyens d’exécution. Un peu avant son arrivée, la chambre délibéra s’il serait reçu avec une suite de quelques seigneurs seulement, comme ce semblait être l’opinion de la majorité, ou si on lui permettrait d’entrer avec tout son train. « Messieurs, dit Morus, milord cardinal ayant mis récemment à votre charge la légèreté de vos langues pour toutes les choses qui transpireraient de cette chambre dans le public, je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à le recevoir avec toute sa pompe, ses massiers, ses hallebardiers et porte-haches, sa croix, son chapeau rouge, et même avec le grand sceau, car s’il trouve quelque sujet de se plaindre de notre discrétion, nous ferons retomber le blâme sur ceux que Sa Grace aura amenés avec elle[47]. » Wolsey prononça un discours solennel, long et subtil, pour prouver la nécessité du subside. Le chiffre de la demande était si exorbitant, que l’assemblée ne lui répondit que par un silence universel. Irrité de cette froideur, il interpella quelques membres, et nommément un M. Murrey, l’un des chefs de l’opposition, lui demandant d’un ton de menace ce qu’il pensait faire. Celui-ci dit que c’était au président de répondre. Morus, se mettant à genoux, donna pour excuse au silence des communes leur stupéfaction à la vue d’un si haut personnage, capable d’intimider les plus sages et les plus instruits du royaume. Puis, venant au point vif de l’affaire, il prouva par d’abondantes raisons que cette manière de procéder n’était ni utile, ni conforme aux anciennes libertés des communes. Quant à lui, conclut-il, à moins qu’on ne prétendît qu’il avait tous les esprits de ses collègues dans sa tête, il était incapable, en matière si grave, de donner à lui seul satisfaction à Sa Grace. Wolsey se leva subitement et sortit. Quelque temps après, rencontrant Morus dans la galerie de Whitehall : « Par Dieu, lui dit-il, que n’étiez-vous à Rome, quand je vous ai fait orateur ! — Je l’aurais voulu comme vous, milord, me le pardonne Votre Grace, car c’est une ville que j’ai depuis long-temps désiré de voir. » Le cardinal ayant fait quelques pas sans ajouter un mot : « Voilà une belle galerie, dit Morus je la préfère à celle d’Hampton-Court. » Wolsey ne répondit rien. Ils se séparèrent mécontens l’un de l’autre, Wolsey avec le projet de se débarrasser de Morus à la première occasion. En effet, peu de temps après, les affaires ayant nécessité l’envoi d’une ambassade en Espagne, Wolsey persuada au roi d’en charger Morus. Mais celui-ci déjoua l’intrigue, et obtint de Henry de rester à Londres.

Il alléguait au roi, pour motifs de sa répugnance à quitter l’Angleterre, sa santé qui était plus délicate que forte ; et que la sobriété seule avait soutenue contre les fatigues du travail, et ses enfans qu’il voyait déjà si peu, qu’il ne verrait plus du tout. Toutes ses pensées s’étaient tournées depuis long-temps au soin de leur éducation. De ses trois filles, deux étaient déjà mariées, et les gendres demeuraient à Chelsea, avec toute la famille. Tous prenaient part à l’éducation commune, laquelle se composait de bien plus de choses que l’éducation moderne, et se prolongeait bien au-delà du temps qu’on y consacre. Quand Morus était à Chelsea, il dirigeait lui-même les travaux et aidait les maîtres particuliers qu’il avait donnés à ses enfans. Quand ses affaires le retenaient à Londres, il se faisait envoyer de Chelsea les devoirs, écrire des lettres sur des sujets littéraires, et il y répondait par des jugemens détaillés, quelquefois par des critiques, plus souvent par des encouragemens et des louanges. Il félicite quelque part ses enfans, les élèves de maître Nicolas, savant en astronomie, de connaître non seulement l’étoile polaire et l’étoile caniculaire, et toutes les autres constellations du ciel, mais, « ce qui prouve un astronome accompli, de savoir distinguer le soleil de la lune ; » puis tirant de l’époque où il écrit sa lettre une occasion d’exhortations pieuses : « Ne manquez pas, leur dit-il, quand vos yeux s’élèvent vers les étoiles, de vous ressouvenir du saint temps de Pâques, et de chanter cet hymne pieux où Boëce nous enseigne qu’il faut pénétrer dans les cieux par notre esprit, de peur que, tandis que le corps s’élève en haut, l’ame ne se ravale à terre avec les brutes. »

Ailleurs il s’agit de travaux purement littéraires, de la composition de leurs lettres : il leur conseille d’examiner avec grand soin ce qu’ils viennent d’écrire, avant de le mettre au net, de lire la phrase dans son ensemble, puis chacun de ses membres à part ; — l’avis était bon à une époque où les phrases avaient la longueur de pages ; — de corriger les fautes, de recopier la lettre et, après l’avoir recopiée, de la relire encore ; car les fautes qu’on a effacées sur le brouillon se glissent quelquefois dans la copie. « Par votre application, leur dit-il, vous gagnerez cet avantage que des riens finiront par vous paraître des choses très graves ; car comme il n’y a rien de si charmant qui ne puisse devenir déplaisant par le bavardage, de même il n’y a rien de si déplaisant de sa nature à quoi le travail ne puisse donner de la grace et de l’agrément. »

Une autre fois il loue ses filles de leurs éloquentes lettres, mais il regrette qu’on ne lui parle pas assez des entretiens qu’elles ont avec leur frère, de leurs lectures, des thèmes qu’elles font, de l’emploi de leurs journées « au milieu des doux fruits de la science. » Une autre fois, c’est Jean, le plus jeune de la famille et son seul fils, qu’il félicite de sa dernière lettre, parce qu’elle est plus longue et plus soignée que celle de ses sœurs. Non-seulement Jean traite son sujet avec goût et élégance, mais il sait plaisanter avec son père discrètement et d’une façon à la fois piquante et respectueuse, lui rendant bons mots pour bons mots, mais sans sortir de la retenue, et sans jamais oublier avec qui il fait assaut d’esprit.

Mais l’enfant de prédilection de Morus, l’enfant de son cœur, c’était sa fille aînée, Marguerite, mariée à Roper, et déjà mère de plusieurs enfans. Marguerite pouvait passer pour un savant ; elle écrivait également bien en anglais et en latin, et traduisait elle-même ses propres ouvrages de l’anglais en latin, ou du latin en anglais. Elle répondit à la déclamation de Quintilien, où l’on voit un pauvre accuser un riche d’avoir empoisonné ses abeilles par les fleurs vénéneuses de son jardin, et elle plaida la cause du riche. Elle traduisit Eusèbe du grec en latin. Habile commentateur, dans le sacré comme dans le profane, elle expliqua un passage de saint Cyprien qui avait mis à la torture tous les savans de son temps au lieu de nisi vos sinceritatis, elle lut nervos sinceritatis. Elle s’occupait beaucoup d’astronomie, car son père la plaint de passer tant de nuits froides pour contempler les merveilles « du tout-puissant et éternel ouvrier. » Toute cette science ne l’empêchait pas d’être bonne femme de ménage, mère soigneuse, épouse dévouée.

Dans ce temps-là, la vie était bien remplie. Des occupations qui aujourd’hui s’excluent, se conciliaient à merveille alors, parce qu’on faisait tenir deux fois plus de choses dans le même espace de temps, et qu’il y avait peu d’heures oisives. La contemplation même avait un but d’activité. Une femme trouvait le temps d’être à son mari, à ses enfans, à son père, à ses frères et à ses sœurs, et d’étudier l’astronomie, de déchiffrer les pères, de réfuter Quintilien, de traduire les livres grecs ; d’être savante sans être précieuse ; occupée des choses de l’esprit sans avoir de distractions, auteur sans cesser d’être femme. C’est que l’instruction chez les femmes n’était ni une mode, ni une rareté, ni une profession ; il s’y mêlait une idée de devoir chrétien, d’obligation religieuse envers soi et envers Dieu. La religion préservait les femmes de la corruption de la science.

Aux conseils littéraires, Morus ajoutait le plus souvent des exhortations à l’humilité chrétienne. Il faisait la guerre à toutes les petites vanités, soit des gendres, soit de leurs femmes, soit de Mme Alice, soit de son fils Jean ; il raillait les vêtemens trop serrés, les prétentions à une taille fine, « les cheveux relevés en l’air pour se donner un grand front, » ridicule qui ne date pas d’aujourd’hui, les chaussures étroites pour faire ressortir la petitesse du pied ; et il disait que Dieu leur ferait injustice s’il ne les envoyait pas en enfer, car ils mettaient bien plus de soins à plaire au monde et au diable que les personnes vraiment pieuses n’en mettent à se rendre agréables à Dieu. Craignant que sa haute position dans l’état, ses places, ses honneurs, n’étourdissent ses enfans, il leur prêchait sans cesse le mépris de l’or et de l’argent, et de ne pas se croire meilleurs que ceux qui en avaient moins qu’eux, ni moins bons que ceux qui en avaient plus ; « d’éviter tous les gouffres et tous les abîmes de l’orgueil, mais de passer par les douces prairies de la modestie, » et de regarder la vertu comme le principal bonheur.

La maison était réglée sur ce pied. La religion se mêlait à tous les travaux et à tous les plaisirs. Après le souper, pendant lequel on faisait une lecture édifiante, et avant qu’on se mît à la musique, qui était l’amusement de la veillée, il parlait aux siens de choses de piété, et leur recommandait le soin de leurs ames. Dans la journée, chacun était occupé d’une façon ou de l’autre, mais toujours d’une façon utile. Jamais on ne jouait, contre la coutume de l’époque. Pour les maîtres comme pour les domestiques, séparation des hommes et des femmes. On ne se mêlait qu’aux heures des repas, pour la prière, pour la lecture de piété, sous l’œil du chef de famille, les jours qu’il était à Chelsea. La maison de Morus avait pris peu à peu l’air d’un couvent. À mesure qu’il s’élevait dans les honneurs son esprit reculait vers la religion austère de sa jeunesse. L’humilité augmentait à chaque degré de plus, comme un correctif de la fortune. Sa prospérité lui faisait peur ; les faveurs l’épouvantaient comme autant de tentations et de piéges, et il n’engageait dans les affaires que ses talens, réservant sa conscience à Dieu. Soit qu’il doutât de sa santé, soit qu’il eût vu sa mort dans le regard sec et câlin de Henry viii, de jour en jour il s’accablait de nouveaux scrupules, multipliait et exagérait ses devoirs, redoublait d’austérités, comme s’il se fût cru à la veille de combattre le dernier combat. Et pourtant le ciel était encore serein et rien n’annonçait l’orage. Mais pour le chrétien l’orage est dans le ciel le plus pur, et la disgrace au fond de toutes les faveurs. Morus se tenait donc prêt à tout évènement[48]. Il s’arrangeait pour que les habitudes ne devinssent pas des besoins, et pour que la fortune changeant, les pertes ne fussent pas des privations. Il savait par l’histoire de son pays, qu’il avait étudiée dès sa jeunesse[49], comment les rois reprennent ce qu’ils ont donné, et il gardait au sein de la richesse les mœurs de la pauvreté, afin que, dans les mauvais jours, n’y ayant d’ôté que l’appareil de sa vie, le fond en demeurât le même.

D’ailleurs, ainsi que je l’ai dit, les écrits de Luther avaient réveillé sa foi distraite par les affaires, attiédie par la tolérance, et quelque peu inclinée vers le déisme de l’Utopie. Il fut secoué profondément par cette parole qui remuait toute la chrétienté, et contre laquelle les empereurs provoquaient des assemblées, et les papes lançaient des bulles. Une circonstance l’engagea de sa personne dans la lutte. On sait que Luther compta parmi ses antagonistes Henry viii, à qui Wolsey laissait tout le temps de joûter contre les hérétiques. Luther répondit à Henry viii comme il répondait au pape, en le traitant d’ignare, d’âne couronné, de blasphémateur, de bavard. Henry viii, après avoir, au préalable, demandé à l’électeur qui protégeait Luther de fermer la bouche à son antagoniste, riposta par un écrit sévère, dit le docteur Lingard, mais plein de dignité. On en attribuait les meilleures parties à Wolsey et à Fisher, évêque de Rochester. Morus, non plus, n’y était pas étranger. Quoi qu’il en soit, il se crut atteint en particulier par les injures lancées au roi, et tandis que Fisher, dans un écrit plein de doctrine, entreprenait la défense du livre de Henry, Morus, sous le nom supposé de William Ross, fit une réponse très développée à Luther, où d’abondantes injures servent de sel grossier à une polémique qui sent plus le barreau que l’église. Le docteur Lingard a tort, à mon sens, de réduire l’intention et le fond du livre de Morus à un parti pris de s’amuser à contrefaire le style injurieux du réformateur[50]. Ce livre est méthodique ; toutes les objections de Luther y sont réfutées ; toute la doctrine des sept sacremens, dont Henry viii s’était fait le champion, y est établie avec un grand appareil de preuves. Mais la raillerie et un persiflage d’une espèce très lourde y dominent. Les pointes, les jeux de mots, les injures y discréditent et n’y égaient pas les opinions orthodoxes et les croyances ranimées du catholique. Morus se propose « de souffler sur ces paroles qui ont pu faire illusion aux lecteurs et de dissiper ces pailles stériles que le réformateur ose donner pour du froment. » Il montrera « que les insipides facéties du bouffon de Wittemberg » ne tombent que sur lui. Morus se constitue le débiteur de ses lecteurs, pour tous les points où le libelle du réformateur exige une réponse, sous peine, s’il ne paie pas ses œufs, de ne pas trouver mauvais que Luther dise de lui comme Horace du poète au début ronflant « Que nous donnera ce prometteur qui réponde à un tel fracas de voix[51] ? »

Voici un curieux passage de l’écrit de Morus, d’après lequel on a bien pu se méprendre sur l’intention de l’écrit tout entier. C’est un récit burlesque de la manière dont Luther est supposé s’y être pris, pour répondre au livre de Henry viii[52].

« Quand Luther eut reçu le livre du roi, et qu’il l’eut goûté, ce mets salutaire parut amer à son palais corrompu. Ne pouvant le digérer, et voulant faire passer son amertume en buvant, il convoqua son sénat de compagnons de bouteilles. Là, bien qu’il eût mieux aimé que le livre restât enseveli dans d’éternelles ténèbres, après avoir affermi son esprit par de fréquentes libations, il se résigna à le produire aux yeux de l’assemblée. La lecture des premières pages commença à mordre toutes ces oreilles d’âne. Ils le ferment, le rouvrent, puis ils l’épluchent pour y chercher quelque passage à reprendre. Rien ne s’y montrait qui prêtât à la calomnie. Comme dans tous les cas difficiles, on alla aux opinions. Le sénat devint sombre, et déjà Luther pensait à s’aller pendre, lorsque Brixius le consola par cet adroit discours :

« Que leur importait ce qu’avait écrit le roi d’Angleterre, et ce qu’il fallait croire de la religion, à eux qui n’avaient d’autre but que de provoquer des séditions et des tumultes, et d’y rendre leurs noms célèbres ? Que voulaient-ils, sinon tirer de l’argent des simples et prendre plaisir à lire des hommes plus instruits qu’ils avaient poussés dans la querelle ? En quoi pouvait leur nuire la vérité des paroles du roi et la réfutation de leur propre hérésie ? Que Luther réponde seulement à sa manière accoutumée, c’est-à-dire avec force injures et railleries. Qu’il ne se décourage pas ; surtout qu’il ne s’imagine pas qu’il faille combattre avec la raison. Des invectives, des outrages à toutes les pages, plus pressées que la neige, voilà les raisons qu’il faut donner ; et Luther n’en manquera pas de reste, lui qui en a en lui une source inépuisable. Ce sont là des armes dont il frappera sûrement son ennemi, et qu’on ne retournera pas contre lui. Qui donc pourrait lutter contre Luther, lui qui tiendrait tête à dix des plus bavardes et des plus impertinentes commères ? Les amis d’ailleurs ne lui manquent pas ; qu’il prenne donc la plume, la victoire est à lui. »

« Cet avis rendit du cœur à Luther qui déjà s’était échappé par la porte de derrière. Mais comme il vit qu’il fallait encore plus d’injures que sa pratique habituelle ne lui en fournissait, il exhorta ses compagnons à aller chacun de leur côté, partout où ils pourraient faire provision de bouffonneries et de gros mots, et à lui rapporter tout ce qu’ils auraient ramassé en ce genre. C’est de cette farine qu’il voulait composer sa réponse. Ces ordres donnés, il congédie l’assemblée. Tous s’en vont l’un d’un côté, l’autre de l’autre, là où chacun est porté par ses goûts. Ils hantent les voitures, les bateaux, les bains, les maisons de jeu, les boutiques de barbier, les tavernes, les moulins, les maisons de prostitution. Là ils observent de tous leurs yeux, écoutent de toutes leurs oreilles, et consignent sur leurs tablettes tout ce qu’ils ont entendu dire de grossier aux cochers, d’insolent aux domestiques, de médisant aux portiers, de bouffon aux parasites, d’immonde à la courtisane, d’infâme aux baigneurs[53] ; et, après quelques mois d’une recherche assidue, tout ce qu’ils avaient ramassé de tous côtés, d’injures, de mauvaises chicanes, de propos de saltimbanques, d’indécences, de cynisme, de boue, de fange, ils en chargent l’impur cloaque qu’on appelle l’esprit de Luther. » Ici la traduction devient impossible[54].

Ces saletés, si elles avaient été écrites en manière de plaisanteries, et, comme dit le docteur Lingard, par amusement, souilleraient le caractère de Morus. Mais l’emportement du catholique en inspira les plus fortes, et c’est à cause de la passion sérieuse qui se cache sous ce misérable langage qu’on peut dire que l’esprit de Morus en a été seul souillé. Du reste, il y avait déjà dans cette ame un peu de la foi impitoyable qui relevait les bûchers en Allemagne et en France. Morus répandait contre Luther les premières amertumes de sa vie. Il avait laissé les livres profanes pour les livres de polémique religieuse, pour les Pères, qu’il lisait en avocat encore plus qu’en théologien, et pour y trouver des argumens contre la partie adverse, plutôt que pour y nourrir sa propre doctrine. À ses convictions de catholique fervent se mêlaient des convictions de plaidoirie et de barreau, reste de ses mœurs d’avocat, et je ne sais quelle subtilité malveillante, à laquelle n’échappent pas les hommes les plus honnêtes d’une profession dont les habitudes obscurcissent la conscience. L’auteur de la lettre à Martin Lorpion, en faveur d’Érasme et contre les ridicules des théologiens et des disputeurs, était descendu lui-même dans l’arène, pour y lutter de subtilité avec les plus subtils, de violence avec les plus violens. L’homme qui avait chassé d’Utopie les prédicans, les métaphysiciens, et toutes les mœurs de l’école universitaire[55], se faisait métaphysicien et thomiste intolérant, ergoteur non plus sur des mots qui amenaient tout au plus des mêlées, des coups de poings dans les écoles, mais sur des dogmes qui ôtaient la vie à des hommes. Ce retour vers l’intolérance attriste, mais n’indigne pas. Ne dirait-on pas que Morus ne défendît la foi romaine que comme le garant des espérances célestes qui allaient son dernier bien, le seul que devait lui laisser le dialecticien royal Henry viii, raisonneur qui concluait par l’échafaud ?

Cette sorte de fraternité d’armes dans la grande querelle religeuse qui troublait toute l’Europe, avait ranimé tous les sentimens du roi pour Morus. Par un raffinement d’amitié, au lieu de l’envoyer chercher, c’est lui qui l’allait voir, soit dans sa maison de Londres, soit à Chelsea, venant souvent dîner sans être attendu, et s’exposant de bonne grace à la fortune d’un modeste repas de famille. Après le dîner, Morus et son royal hôte faisaient de longues promenades dans le jardin. Henry, le bras appuyé sur l’épaule de son favori, avait avec lui des entretiens longs et animés qui faisaient faire mille conjectures à Mme Alice et aux enfans, collés aux fenêtres pour voir et écouter les gestes des deux promeneurs. Ce fut après une de ces promenades, où le roi, qui avait dîné le même jour à Chelsea, s’était entretenu pendant une demi-heure avec Morus, le bras familièrement passé autour de son cou, que Roper, le mari de Marguerite, félicitant son beau-père d’une marque d’amitié que le roi n’accordait à personne, pas même à Wolsey, Morus lui dit tristement : « Je trouve en effet, mon fils, que le roi est bien bon pour moi, et qu’il me témoigne plus de faveur qu’à aucun autre de ses sujets. Mais je puis bien vous le dire, à vous, il n’y a guère lieu de nous en vanter ; car si ma tête pouvait lui faire gagner un seul château en France, il n’hésiterait pas à la faire tomber. » C’était la première fois que Morus laissait voir sa pensée secrète sur cette amitié mortelle, dans laquelle il s’engageait de plus en plus par les efforts mêmes qu’il faisait pour y échapper. Il était sous l’empire de cette fascination qu’on attribue au regard du serpent. Il n’avait ni la volonté de reculer, ni le pouvoir de ne pas avancer. Le chrétien ardent devenait aussi nécessaire à Henry que le diseur de bons mots ; mais c’était pour un autre office qu’on allait avoir besoin de lui.

Quelque temps après la scène de Chelsea, Morus fut nommé lord chancelier d’Angleterre. C’était un pas de plus vers la gueule du serpent.

Nisard.

  1. Cette étude historique est la seconde d’une série d’articles que M. Nisard publiera successivement sous ce titre. Par la conformité dans le genre des recherches, dans le choix des détails et dans la manière de les mettre en œuvre, ces travaux formeront un pendant naturel aux Études de mœurs et de critique sur les poètes de la décadence. Ces deux grands faits de l’histoire de l’esprit, la décadence latine et la renaissance des lettres en Europe, auront été ainsi étudiés et analysés par M. Nisard dans la vie et les livres des hommes illustres qui y ont eu les premiers rôles.

    (N. du D.)

  2. Doct. Lingard, Henry viii.
  3. Le cardinal Pole.
  4. Cette pièce est en distiques latins ; elle a environ deux cents vers.
  5. Nec semet est vidisse satis, loca plurima mutant,
    Si quâ rursus eum parte videre queant.

  6. Life of Thom. More, by his grandson.
  7. Life of Th. More, by his grandson.
  8. English Works of sir Thomas More, knight ; in-fo, 1557. Biblioth. Sainte-Geneviève.
  9. Thomae Mori Opera latina ; in-fo, 1556. Biblioth. de la ville.
  10. Œuvres latines.
  11. Œuvres latines. — English Works, p. 21.
  12. Ces douze épées sont : — 1o  Peu de plaisir et court plaisir ; 2o  les suivans sont peine et tristesse ; 3o  la perte de la meilleure chose ; 4o  cette vie n’est qu’un rêve et une ombre ; 5o  la mort est sous notre main et imprévue ; 6o  la crainte de partir dans l’impénitence ; 7o  éternelle joie, éternelle peine ; 8o  la nature et la dignité de l’homme ; 9o  la paix d’une bonne ame ; 10o  les grands bienfaits de Dieu ; 11o  la croix douloureuse du Christ ; 12o  le témoignage des martyrs et les exemples des saints.
  13. Candidus est, argutus, latinus. (Lettre de Beatus Rhenanus)
  14. Life of sir Th. More, by his grandson John More, p. 20.
  15. ibid.
  16. C’est le même docteur Colet qui répondait aux demandes d’argent d’Érasme par des vœux pour que Dieu l’assistât, et par des complimens sur sa gloire.
  17. Lettres d’Érasme, 455-457.
  18. Life of sir Th. More, by his grandson, p. 21
  19. Life of sir Th. More knight, by his grandson.
  20. Suavissima illius conjux. L. 238 A.
  21. Life of Morus, by his grandson.
  22. Lettr. d’Érasme, 475 EF.
  23. Collect. des lettres d’Érasme et à Érasme, 221-222.
  24. Voir au commencement des œuvres latines, en tête de l’Utopie.
  25. Lettr. d’Érasme, 474, EF.
  26. Œuvres latines.
  27. L. 1672. EF.
  28. voluptuari, ibid.
  29. Corresp. d’Érasme, Supplém. 1664. CD.
  30. Voir au commencement des œuvres latines.
  31. Corresp. d’Érasme, Suppl. 1663-1664.
  32. Τθλος, babil, enfantillage ; δέουι, avoir besoin de.
  33. Ἀμαυρός, sombre, obscur, et sans doute par analogie, inconnu.
  34. J’ai cité ce passage, parce que les idées de tolérance qu’on y remarque, et que sans doute Thomas Morus ne prêtait pas à son héros imaginaire sans en être pénétré lui-même, ont été opposées, comme une contradiction déplorable, à la conduite de Morus devenu chancelier. Nous verrons plus tard ce que ce grand homme garda de ces idées, et ce qu’il en abandonna.
  35. L’Utopie, l. 2, p. 16.
  36. Corresp. d’Érasme, passim.
  37. Μωρίας Ἐγχώμιον.
  38. Sed tamen hoc distant, illi quod sponte peribant,
    Hic periit, quoniam non potuit fugere.

    Œuvres latines, p. 28.

  39. Il faut qu’on me permette de conserver à la phrase de Morus, sa longueur, son enchevêtrement et sa diffusion. Ce serait une difficulté insurmontable, et peut-être un manque de vérité chronologique, si cela peut se dire, que de couper cette phrase pour lui donner une vivacité qu’elle n’a pas, et un tour qui serait un contresens, vu l’homme et l’époque. De tous les gens de lettres de ce temps-là, Érasme est à peu près le seul dont la pensée fût dégagée et dont la phrase fût courte. Il était aussi supérieur à son siècle par ses idées que par sa diction.
  40. Corresp. d’Érasme, 571. CD.
  41. Corresp. d’Érasme, 571. EF.
  42. Lett. d’Érasme à Ulric Hutten, 471.
  43. Cette gravure est de George Vertue, d’après un portrait d’Holbein.
  44. Lett. d’Érasme, 646. BC. Pacœus était un lettré, ami commun d’Érasme et de Morus.
  45. Life of Morus, by his grandson.
  46. Life of sir Th. Morus, by his grandson.
  47. Roper’s life of sir Th. More.
  48. Ego animum mihi in omnem eventum composui. Lett. à Érasme. Corresp. d’Érasme, 570, A.
  49. On a de lui une assez faible histoire de Richard iii, en latin.
  50. Hist. d’Anglet. Henry viii, p. 164
  51. Oeuvres latines, p. 61.
  52. Ibid. 61 bis.
  53. Aut cacator obscœnè loquutus sit.
  54. Quum colluviem totam, in libellum istum convitiatorium per os illud impurum, velut comesam merdam, revomuit. C. 2
  55. Utopie, p. 10 bis. C. 2.