Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Peril

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Peril. CXXII.


CEvx qui ſçauent par experience, combien ordinaires ſont les dangers de la vie, n’en peuuent auoir eſpreuué de plus grands qu’en eſpreuue ce ieune Homme que nous dépeignons icy. De quelque coſté qu’il ſe tourne, il ſe void menacé d’vn peril ineuitable. Lors qu’il foule aux pieds les fleurs & les herbes, il marche ſur vn Serpent qui luy mord la jambe par derriere. Que s’il veut aller plus outre, il void d’vn coſté vn precipice ouuert deuant luy, & de l’autre vn furieux torrent qui l’eſpouuente. En ces faſcheuſes extremitez il n’a pour tout appuy qu’vn freſle roſeau ; & ſi ſes yeux ſe trouuent effrayez par des objets ſi funeſtes, ſes oreilles ne le ſont pas moins par le bruit d’vn horrible tonnerre, qui perce la nuë, & en fait ſortir peſle-meſle l’eſclair & la foudre.

Bien que la vie du ieune ſoit auſſi douteuſe que celle du vieillard, veu que Dieu dit generalement à tous, Tenez vous preſts, puis que vous ne ſçauez ni le iour, ny l’heure ; Il ſe void neantmoins que le ieune eſt en plus grand danger que le vieillard, à cauſe que pour la vigueur de ſon aage, qui le rend naturellement hardy, il ſe precipite dans les perils, ſans qu’il ſemble les apprehender.

La picqueure que luy fait le Serpent, lors qu’il y penſe le moins, & qu’il marche ſur les fleurs, apprend à l’homme, Qu’au poinct qu’il s’imagine que la Fortune luy rit le plus, il eſpreuue tout le contraire, & ſe void en vn moment expoſé à quelque aduenture tragique & inopinée.

Par le Roſeau qui luy ſert d’appuy eſt demonſtrée la fragilité de noſtre vie, qui de moment en moment eſt agitée de nouuelles tempeſtes ; ce qui procede aſſeurément de l’imprudence de l’homme, qui ſe fonde la pluſpart du temps ſur des choſes caduques & periſſables, au lieu de s’appuyer ſur celles qui ont vne aſſiette ferme & ſolide.

En vn mot, la foudre qui menace ce miſerable ieune Homme ſert à nous apprendre, Que nous ne ſommes pas ſeulement expoſez à vne infinité de dangers, & ſur la terre, & ſur l’onde ; mais ſujets encore aux influences des Cieux, ſelon qu’il plaiſt à Dieu de les faire agir ; car il permet quelquefois que nous ſoyons chaſtiez pour nos demerites, qui ſont cauſe des diſgraces qui nous arriuent ; eſtant certain, comme dit ſainct Paul, Que le peché engendre la mort : d’où il faut conclure, que les puiſſances humaines, quelques grandes qu’elles ſoient, ne peuuent s’oppoſer à celuy qui a mis des bornes, & donné des loix à toutes les choſes qu’il a créées.