Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/Les huict Beatitudes
Les hvict Beatitvdes. I.
A premiere de ces Beatitudes nous eſt figurée par
vn Enfant à demy nud, ou du moins dont la robbe
eſt fort courte, lequel regarde le Ciel. Son bas aage
demonſtre ſon innocence, ſuſceptible de la Foy &
des bonnes inſtructions qui luy ſont miſes dans l’Ame ; ſa robe
courte, le peu d’eſtat qu’il fait des honneurs, & des biens du
monde, que les Pauures d’eſprit tiennent ordinairement à
meſpris ; & ſa veuë tournée au Ciel, l’inclination naturelle
qu’il a vers le lieu de ſon origine, d’où luy doit venir ſa principale
félicité.
II.
A douceur des eſprits debonnaires eſt repreſentee par cette Fille, qui ſemble careſſer vn
Agneau, & au deſſus de laquelle ſe liſent ces
mots tirez de Salomon, Mansveti hæreditabvnt terram. L’Agneau, qui dans les
ſainctes Lettres eſt le ſymbole d’vne Ame pure, & qui n’a point
de malice, nous fait ſouuenir de n’auoir contre noſtre Prochain
aucune ſorte d’aigreur ny d’amertume ; & les paroles de Salomon, Que pour recompenſe de cette douceur d’eſprit enuers
vn chacun, nous heriterons aſſeurement, non pas d’vne terre
periſſable, & pleine de trauaux, mais de celle où eſt le repos
eternel, & que Dieu nous a promiſe lui-meſme.
III.
Ette Fille à genoux, tenant les mains jointes, &
en action de répandre des larmes, nous aduiertit ſecrettement, que Bien-heureux ſont ceux qui pleurent
leurs propres offences, & celles du Prochain,
pource qu’ils ſeront consolez, eſtant veritable, comme l’enſeignent les paroles de cét Embleme, tirées de S. Auguſtin,
Que de noſtre deüil en cette vie ſe doit enſuiure vne joye perdurable en l’autre.
IIII.
A Iuſticce tenant icy d’vne main vne Eſpée flamboyante,
& de l’autre vne Balance, qu’il ſemble
que le Diable luy vueille oſter, monſtre que ceux
qui ont veritablement & faim, & ſoif de cette Vertu, ſont comblez de biens ; & que l’ardent zele qu’ils ont pour
elle, leur eſt comme vne Eſpée inuincible, par le moyen de
V.
Ette Femme deſolée, à qui vous voyez icy répandre
des larmes ſur vn Cœur qu’elle tient à la
main, en repreſente la pureté, qui dans les ſainctes
Lettres eſt priſe pour l’Innocence : Où il eſt à remarquer
que cette netteté de Cœur conſiſte à ne l’auoir ſoüillé
d’aucune tache de vice. Dequoy certes la recompenſe ne ſçauroit
eſtre plus grande qu’elle eſt, puis qu’elle nous fait voir en
VI.
A Miſericorde, qui ſe rend ſenſible aux afflictions
d’autruy, eſt icy repreſentée par vne Femme charitable,
& qui partage à deux petits Enfans vn
pain qu’elle vient de rompre : Ce qui nous apprend
qu’entre tant d’effects que produit cette Vertu, elle ſe propoſe
pour but principal de donner à manger & à boire à ceux
qui en ont beſoin ; choſe que Dieu nous recommande à tout
moment ; & qui eſt capable elle ſeule d’appaiſer ſon couroux,
comme le remarque S. Hieroſme.
VII.
Ell à qui vous voyez icy tenir d’vne main vn
Rameau d’Oliuier, & fouler aux pieds des Arcs,
des Boucliers, & des Eſpées, ne ſe peut mieux
prendre que pour la Paix, qui n’eſt iamais ſi recommandable
que lorsqu’on ſe l’acquiert par ſon merite, & par ſa
propre Vertu. Pour en joüir veritablement, il ne faut pas tant
faire la guerre aux Ennemis du Corps qu’à ceux de l’Ame, qui
ſont les Paſſions & les Vices ; Car ceux qui en vſent ainſi, ſont
mis au nombre des Enfans de Dieu, & faits participans de la
Beatitude eternelle.
VIII.
’Estat deplorable de cette Femme, qui tient vne
Croix à la main, & qui voit tuez à ſes pieds ſes propres
Enfans, nous eſt vn exemple des plus ſenſibles
afflictions de cette vie. La Croix eſt le ſymbole des
perſecutions que l’on ſouffre pour la Religion, ce qui eſt la plus
noble partie de la Iuſtice. A quoy nous encourage l’Apoſtre,
quand il dit, Que ſi nous auons part aux ſouffrances, nous l’aurons außi aux conſolations.