Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/Peinture

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Peintvre.


ON la repreſente icy par vne belle ieune femme, ayant les cheueux noirs & creſpus, la bouche couuerte d’vn bandeau, & au col vne chaiſne d’or où pend vn maſque. Elle tient d’vne main pluſieurs pinceaux, auec ce mot pour deuiſe, Imitatio, & de l’autre vn Tableau, outre qu’on luy donne pour habillement vne robe de couleur changeante.

La Peinture, profeſſiõ des plus nobles que l’eſprit humain ait inentées, eſt repreſentée belle ; pour monſtrer qu’en effet elle a des agréemens & des beautez qui charment les cœurs d’admiration. Elle a les Cheueux noirs, touffus, & annelez, pource que les excellens Peintres, ayant l’eſprit continuellement attaché à l’imitation de la Nature & de l’Art, à force d’eſtre penſifs & ſongeards tombent dans une melancholie que les Medecins appellent aduſte, qui produit particulierement les cheueux tels que nous venons de les deſcrire.

La Bouche qu’elle a bandée ſignifie que les Peintres aiment ordinairement le ſilence & la ſolitude, pour en auoir l’imagination plus viue & plus forte.

Par le Maſque qui luy pend au col attaché à vne chaiſne, il esſt demonſtré que l’Imitation & la Peinture ſont inſeparables ; & par les chaiſnons, qu’elles ont enſemble vne liaiſon mutuelle ; eſtant veritable, comme le remarque Ciceron dans ſa Rhetorique, que le Peintre n’apprend pas toutes choſes d’nv meilleur Maiſtre que luy ; mais que d’vne ſeule choſe il en tire les idées, qui ſont comme enchaiſnées pour la reſſemblance, & la conformité qu’elles en ont. A quoy l’on peut adiouſter que par la qualité de l’or il eſt donné à connoiſtre que la Peinture s’auilit pour l’ordinaire, ſi elle n’eſt ſouſtenuë par la generoſité des grands ; & par le Maſque, que l’Imitation luy eſt entierement conuenable. Où il eſt à remarquer que les Anciens appelloient Imitation, ce raiſonnement ou ce diſcours, qui bien que faux, ſe propoſoit pour guide quelque verité qui pouuoit eſtre arriuée. Or comme ils rejettoient du nombre des Poëtes ceux qui manquoient de cette partie, l’on en peut dire de meſme des Peintres qui ne la poſſedent point, eſtant certain que la Poëſie eſt muette en la Peinture, & que la Peinture parle dans la Poëſie. Que s’il ſe remarque de la difference en leur façon d’Imiter, elle ſe fait par oppoſition. Car les diuers accidens que le Poëte rend comme viſibles à l’entendement par les regles de ſon Art, ſont ſi bien conſiderez par le Peintre, que par leur moyen il rend intelligibles à l’eſprit les choſes ſignifiées ; D’où il s’enſuit que le principal plaiſir que l’on tire de ces deux Profeſſions, conſiſte en ce que par la ſubtilité de leur Art elles trompent la Nature, l’vne ſe faiſant entendre par les Sens, & l’autre par l’Intellect :

Pour le regard de la Robe, qui eſt de couleur changeãte, cela ſignifie ſes diuers agréemes, qui ſemblent charmer les yeux de ceux qui les voyent ; comme par les Pieds qu’elle à couuerts, il eſt denoté de meſme que les proportions, qui ſont le fondement de ce bel Art, & que le Peintre déſeigne dans ſon entendement, auant que de les repreſenter par les couleurs, doiuent demeurer comme cachées, & ne point paroiſtre que le Tableau ne ſoit entierement acheué. Car comme parmy les Orateurs c’eſt vn grand Art de ſçauoir feindre qu’on parle ſans Art ; ainſi dans la profeſſion des Peintres, c’eſt vn ſecret merueilleux de ſçauoir Peindre de telle ſorte que ce qu’il y a de plus recommandable à la Peinture ne ſoit apperceu que par ceux qui s’y connoiſſent le mieux.