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Idées républicaines/Édition Garnier

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 24 (p. 413-432).


IDÉES
RÉPUBLICAINES
PAR UN MEMBRE D’UN CORPS[1].



I.

Le pur despotisme est le châtiment de la mauvaise conduite des hommes. Si une communauté d’hommes est maîtrisée par un seul ou par quelques-uns, c’est visiblement parce qu’elle n’a eu ni le courage ni l’habileté de se gouverner elle-même.

II.

Une société d’hommes gouvernée arbitrairement ressemble parfaitement à une troupe de bœufs mis au joug pour le service du maître. Il ne les nourrit qu’afin qu’ils soient en état de le servir ; il ne les panse dans leurs maladies qu’afin qu’ils lui soient utiles en santé ; il les engraisse pour se nourrir de leur substance ; et il se sert de la peau des uns pour atteler les autres à la charrue.

III.

Un peuple est ainsi subjugué ou par un compatriote habile, qui a profité de son imbécillité et de ses divisions, ou par un voleur appelé conquérant, qui est venu avec d’autres voleurs s’emparer de ses terres, qui a tué ceux qui ont résisté, et qui a fait ses esclaves des lâches auxquels il a laissé la vie.

IV.

Ce voleur, qui méritait la roue, s’est fait quelquefois dresser des autels. Le peuple asservi a vu dans les enfants du voleur une race de dieux ; ils ont regardé l’examen de leur autorité comme un blasphème, et le moindre effort pour la liberté comme un sacrilége.

V.

Le plus absurde des despotismes, le plus humiliant pour la nature humaine, le plus contradictoire, le plus funeste, est celui des prêtres ; et de tous les empires sacerdotaux, le plus criminel est sans contredit celui des prêtres de la religion chrétienne. C’est un outrage fait à notre Évangile, puisque Jésus dit en vingt endroits : « Il n’y aura parmi vous ni premier ni dernier[2] ; mon royaume n’est pas de ce monde[3] ; le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir etc.[4]. »

VI.

Lorsque notre évêque, fait pour servir, et non pour être servi ; fait pour soulager les pauvres, et non pour dévorer leur substance ; fait pour catéchiser, et non pour dominer, osa, dans des temps d’anarchie, s’intituler prince de la ville dont il n’était que le pasteur, il fut manifestement coupable de rébellion et de tyrannie.

VII.

Ainsi les évêques de Rome, qui avaient donné les premiers cet exemple fatal, rendirent à la fois et leur domination et leur secte odieuses dans la moitié de l’Europe ; ainsi plusieurs évêques en Allemagne devinrent quelquefois les oppresseurs des peuples dont ils devaient être les pères.

VIII.

Pourquoi est-il dans la nature de l’homme d’avoir plus d’horreur pour ceux qui nous ont subjugués par la fourberie que pour ceux qui nous ont asservis par les armes ? C’est que du moins il y a eu du courage dans les tyrans qui ont dompté les hommes ; et il n’y a eu que de la lâcheté dans ceux qui les ont trompés. On hait la valeur des conquérants, mais on l’estime ; on hait la fourberie, et on la méprise. La haine jointe au mépris fait secouer tous les jougs possibles.

IX.

Quand nous avons détruit dans notre ville une partie des superstitions papistes, comme l’adoration des cadavres, la taxe des péchés[5], l’outrage fait à Dieu de remettre pour de l’argent les peines dont Dieu menace les crimes, et tant d’autres inventions qui abrutissaient la nature humaine ; lorsqu’en brisant le joug de ces erreurs monstrueuses, nous avons renvoyé l’évêque papiste[6] qui osait se dire notre souverain, nous n’avons fait que rentrer dans les droits de la raison et de la liberté dont on nous avait dépouillés.

X.

Nous avons repris le gouvernement municipal, tel à peu près qu’il était sous les Romains, et il a été illustré et affermi par cette liberté achetée de notre sang. Nous n’avons point connu cette distinction odieuse et humiliante de nobles et de roturiers, qui dans son origine ne signifie que seigneurs et esclaves. Nés tous égaux, nous sommes demeurés tels ; et nous avons donné les dignités, c’est-à-dire les fardeaux publics, à ceux qui nous ont paru les plus propres à les soutenir.

XI.

Nous avons institué des prêtres afin qu’ils fussent uniquement ce qu’ils doivent être, des précepteurs de morale pour nos enfants. Ces précepteurs doivent être payés et considérés ; mais ils ne doivent prétendre ni juridiction, ni inspection, ni honneurs ; ils ne doivent en aucun cas s’égaler à la magistrature. Une assemblée ecclésiastique qui présumerait de faire mettre à genoux un citoyen devant elle jouerait le rôle d’un pédant qui corrige des enfants, ou d’un tyran qui punit des esclaves.

XII.

C’est insulter la raison et les lois de prononcer ces mots : gouvernement civil et ecclésiastique. Il faut dire gouvernement civil et règlements ecclésiastiques ; et aucun de ces règlements ne doit être fait que par la puissance civile.

XIII.

Le gouvernement civil est la volonté de tous exécutée par un seul ou par plusieurs, en vertu des lois que tous ont portées.

XIV.

Les lois qui constituent les gouvernements sont toutes faites contre l’ambition : on a songé partout à élever une digue contre ce torrent qui inonderait la terre. Ainsi, dans les républiques, les premières lois règlent les droits de chaque corps ; ainsi les rois jurent à leur couronnement de conserver les privilèges de leurs sujets. Il n’y a que le roi de Danemark dans l’Europe qui, par la loi même, soit au-dessus des lois. Les états assemblés, en 1660, le déclarèrent arbitre absolu. Il semble qu’ils prévirent que le Danemark aurait des rois sages et justes pendant plus d’un siècle[7]. Peut-être dans la suite des siècles faudra-t-il changer cette loi.

XV.

Des théologiens ont prétendu que les papes avaient, de droit divin, le même pouvoir sur toute la terre que les monarques danois ont sur un petit coin de la terre. Mais ce sont des théologiens ;… l’univers les a sifflés hautement, et le Capitole a murmuré tout bas de voir le moine Hildebrand[8] parler en maître dans le sanctuaire des lois où les Caton, les Scipion, les Cicéron, parlaient en citoyens.

XVI.

Les lois qui concernent la justice distributive, la jurisprudence proprement dite, ont été partout insuffisantes, équivoques, incertaines, parce que les hommes qui ont été à la tête des États se sont toujours plus occupés de leur intérêt particulier que de l’intérêt public. Dans les douze grands tribunaux de France[9], il y a douze jurisprudences différentes. Ce qui est vrai en Aragon devient faux en Castille ; ce qui est juste sur les rives du Danube est injuste sur les bords de l’Elbe. Les lois romaines elles-mêmes, qu’on réclame aujourd’hui dans tous les tribunaux, ont été quelquefois contradictoires.

XVII.

Lorsqu’une loi est obscure, il faut que tous l’interprètent, parce que tous l’ont promulguée ; à moins qu’ils n’aient chargé plusieurs expressément d’interpréter les lois.

XVIII.

Quand les temps ont sensiblement changé, il y a des lois qu’il faut changer. Ainsi, lorsque Triptolème apporta l’usage de la charrue dans Athènes, il fallut abolir la police du gland. Dans les temps où les académies n’étaient composées que de prêtres, et qu’eux seuls possédaient le jargon de la science, il était convenable qu’eux seuls nommassent tous les professeurs : c’était la police du gland ; mais aujourd’hui que les laïques sont éclairés, la puissance civile doit reprendre son droit de nommer à toutes les chaires.

XIX.

La loi qui permettrait d’emprisonner un citoyen sans information préalable et sans formalité juridique serait tolérable dans un temps de trouble et de guerre ; elle serait tortionnaire et tyrannique en temps de paix.

XX.

Une loi somptuaire, qui est bonne dans une république pauvre et destituée des arts, devient absurde quand la ville est devenue industrieuse et opulente. C’est priver les artistes du gain légitime qu’ils feraient avec les riches ; c’est priver ceux qui ont fait des fortunes du droit naturel d’en jouir ; c’est étouffer toute industrie, c’est vexer à la fois les riches et les pauvres.

XXI.

On ne doit pas plus régler les habits du riche que les haillons du pauvre. Tous deux, également citoyens, doivent être également libres. Chacun s’habille, se nourrit, se loge, comme il peut. Si vous défendez au riche de manger des gélinotes, vous volez le pauvre, qui entretiendrait sa famille du prix du gibier qu’il vendrait au riche. Si vous ne voulez pas que le riche orne sa maison, vous ruinez cent artistes. Le citoyen qui par son faste humilie le pauvre enrichit le pauvre par ce même faste beaucoup plus qu’il ne l’humilie. L’indigence doit travailler pour l’opulence, afin de s’égaler un jour à elle.

XXII.

Une loi romaine qui eût dit à Lucullus : Ne dépensez rien, aurait dit en effet à Lucullus : Devenez encore plus riche, afin que votre petit-fils puisse acheter la république.

XXIII.

Les lois somptuaires ne peuvent plaire qu’à l’indigent oisif, orgueilleux et jaloux, qui ne veut ni travailler, ni souffrir que ceux qui ont travaillé jouissent.

XXIV.

Si une république s’est formée dans des guerres de religion, si dans ces troubles elle a écarté de son territoire les sectes ennemies de la sienne, elle s’est sagement conduite, parce qu’alors elle se regardait comme un pays environné de pestiférés, et qu’elle craignait qu’on ne lui apportât la peste. Mais lorsque ces temps de vertige sont passés, lorsque la tolérance est devenue le dogme dominant de tous les honnêtes gens de l’Europe, n’est-ce pas une barbarie ridicule de demander à un homme qui vient s’établir et apporter ses richesses dans notre pays : Monsieur, de quelle religion êtes-vous ? L’or et l’argent, l’industrie, les talents, ne sont d’aucune religion.

XXV.

Dans une république digne de ce nom, la liberté de publier ses pensées est le droit naturel du citoyen. Il peut se servir de sa plume comme de sa voix ; il ne doit pas être plus défendu d’écrire que de parler, et les délits faits avec la plume doivent être punis comme les délits faits avec la parole : telle est la loi d’Angleterre, pays monarchique, mais où les hommes sont plus libres qu’ailleurs parce qu’ils sont plus éclairés.

XXVI.

De toutes les républiques, la plus petite semblerait devoir être la plus heureuse, quand sa liberté est assurée par sa situation, et que l’intérêt de ses voisins est de la conserver. Le mouvement semble devoir être plus facile et plus uniforme dans une petite machine que dans une grande, dont les ressorts sont plus compliqués, et où les frottements plus violents interrompent le jeu de la machine. Mais comme l’orgueil entre dans toutes les têtes, comme la fureur de commander à ses égaux est la passion dominante de l’esprit humain, comme, en se voyant de plus près, on se peut haïr davantage, il arrive quelquefois qu’un petit État est plus troublé qu’un grand.

XXVII.

Quel est le remède à ce mal ? La raison, qui se fait entendre à la fin, quand les passions sont lasses de crier. Alors les deux partis relâchent un peu de leurs prétentions dans la crainte de pis ; mais il faut du temps.

XXVIII.

Dans une petite république le peuple semble devoir être plus écouté que dans une grande, parce qu’il est plus aisé de faire entendre raison à mille personnes assemblées qu’à quarante mille. Ainsi il y aurait eu beaucoup de danger à vouloir gouverner Venise, qui a si longtemps soutenu la guerre contre l’empire ottoman, comme Saint-Martin, qui n’a jamais pu conquérir qu’un moulin, qu’elle a été forcée de rendre.

XXIX.

Il paraît bien étrange que l’auteur du Contrat social[10] s’avise de dire que tout le peuple anglais devrait siéger en parlement, et qu’il cesse d’être libre quand son droit consiste à se faire représenter au parlement par députés. Voudrait-il que trois millions de citoyens vinssent donner leur voix à Westminster ? Les paysans en Suède comparaissent-ils autrement que par députés ?

XXX.

On dit, dans ce même Contrat social[11], que « la monarchie ne convient qu’aux nations opulentes ; l’aristocratie, aux États médiocres en richesse ainsi qu’en grandeur ; la démocratie, aux États petits et pauvres ».

Mais, au XIVe siècle, au XVe, et au commencement du XVIe, les Vénitiens étaient le seul peuple riche : ils ont encore beaucoup d’opulence ; cependant Venise n’a jamais été et ne sera jamais une monarchie. La république romaine fut très-riche depuis les Scipions jusqu’à César. Lucques est petite et peu riche, et est une aristocratie ; l’opulente et ingénieuse Athènes était un État démocratique.

Nous avons des citoyens très-riches, et nous composons un gouvernement mêlé de démocratie et d’aristocratie : ainsi il faut se défier de toutes ces règles générales, qui n’existent que sous la plume des auteurs.

XXXI.

Le même écrivain, en parlant des différents systèmes de gouvernement, s’exprime ainsi : « L’un trouve beau qu’on soit craint des voisins ; l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré. L’un est content quand l’argent circule ; l’autre exige que le peuple ait du pain[12] »

Tout cet article semble puéril et contradictoire. Comment peut-on être ignoré de ses voisins ? Comment est-on en sûreté si vos voisins ignorent qu’il y a du danger à vous attaquer ? Et comment le même État qui pourrait se faire craindre pourrait-il être ignoré ? Et comment le peuple peut-il avoir du pain sans que l’argent circule ? La contradiction est manifeste.

XXXII.

« À l’instant que le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue, etc.[13] » Cette proposition du Contrat social serait pernicieuse, si elle n’était d’une fausseté et d’une absurdité évidente. Lorsqu’en Angleterre le parlement est assemblé, nulle juridiction n’est suspendue ; et dans le plus petit État, si pendant l’assemblée il se commet un meurtre, un vol, le criminel est et doit être livré aux officiers de la justice. Autrement une assemblée du peuple serait une invitation solennelle au crime.

XXXIII.

« Dans un État vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent[14]. » Cette thèse du Contrat social n’est qu’extravagante. Il y a un pont à construire, une rue à paver ; faudra-t-il que les magistrats, les négociants et les prêtres, pavent la rue et construisent le pont? L’auteur ne voudrait pas assurément passer sur un pont bâti par leurs mains : cette idée est digne d’un précepteur qui, ayant un jeune gentilhomme à élever, lui fit apprendre le métier de menuisier ; mais tous les hommes ne doivent pas être manœuvres.

XXXIV.

« Les dépositaires de la puissance exécutive ne sont point les maîtres du peuple, mais ses officiers …; il peut les établir et les destituer quand il lui plaît ; il n’est point question pour eux de contracter, mais d’obéir[15]. »

Il est vrai que les magistrats ne sont pas les maîtres du peuple : ce sont les lois qui sont maîtresses ; mais le reste est absolument faux ; il l’est dans tous les États, il l’est chez nous. Nous avons le droit, quand nous sommes convoqués, de rejeter ou d’approuver les magistrats et les lois qu’on nous propose ; nous n’avons pas le droit de destituer les officiers de l’État quand il nous plaît : ce droit serait le code de l’anarchie. Le roi de France lui-même, quand il a donné des provisions à un magistrat, ne peut le destituer qu’en lui faisant son procès. Le roi d’Angleterre ne peut ôter une pairie qu’il a donnée. L’empereur ne peut destituer quand il lui plaît un prince qu’il a créé. On ne destitue les magistrats amovibles qu’après le temps de leur exercice. Il n’est pas plus permis de casser un magistrat par caprice que d’emprisonner un citoyen par fantaisie.

XXXV.

« C’est une erreur de prendre le gouvernement de Venise pour une véritable aristocratie. Si le peuple n’y a nulle part au gouvernement, la noblesse y est peuple elle-même. Une multitude de pauvres barnabotes n’approcha jamais d’aucune magistrature[16]. »

Tout cela est d’une fausseté révoltante. Voilà la première fois qu’on a dit que le gouvernement de Venise n’était pas entièrement aristocratique : c’est une extravagance à la vérité, mais elle serait sévèrement punie dans l’État vénitien. Il est faux que les sénateurs, que l’auteur ose appeler du terme méprisant de barnabotes, n’aient jamais été magistrats ; je lui en citerais plus de cinquante qui ont eu les emplois les plus importants.

Ce qu’il dit ensuite, que « nos paysans représentent les sujets de terre ferme de la république de Venise[17], » n’est pas plus vrai. Parmi ces sujets de terre ferme, il se trouve à Vérone, à Vicence, à Brescia, et dans beaucoup d’autres villes, des seigneurs titrés, de la plus ancienne noblesse, dont plusieurs ont commandé les armées.

Tant d’ignorance, jointe avec tant de présomption, indigne tout homme instruit. Lorsque cette ignorance présomptueuse traite avec tant d’outrages des nobles vénitiens, on demande quel est le potentat qui s’est oublié ainsi ? Quand on sait enfin quel est l’auteur de ces inepties, on se contente de rire.

XXXVI.

« Ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont le plus souvent que de petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigants, à qui les petits talents, qui font dans les cours parvenir aux grandes places, ne servent qu’à montrer au public leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus[18]. »

Cet amas indécent de petites antithèses cyniques ne convient nullement à un livre sur le gouvernement, qui doit être écrit avec la dignité de la sagesse. Quand un homme, quel qu’il soit, présume assez de lui-même pour donner des leçons sur l’administration publique, il doit paraître prudent et impartial, comme les lois mêmes qu’il fait parler.

Nous avouons avec douleur que, dans les républiques comme dans les monarchies, l’intrigue fait parvenir aux charges. Il y a eu des Verrès, des Milon, des Clodius, des Lépide, à Rome ; mais nous sommes forcés de convenir qu’aucune république moderne ne peut se vanter d’avoir produit des ministres tels que les Oxenstiern, les Sully, les Colbert, et les grands hommes qui ont été choisis par Elisabeth d’Angleterre. N’insultons ni les monarchies ni les républiques.

XXXVII.

« Le czar Pierre n’avait pas le vrai génie, celui qui crée et fait tout de rien. Quelques-unes des choses qu’il fit étaient bien ; la plupart étaient déplacées… Les Tartares ses sujets ou ses voisins deviendront ses maîtres et les nôtres ; cette révolution me paraît infaillible[19]. »

Il lui paraît infaillible que de misérables hordes de Tartares, qui sont dans le dernier abaissement, subjugueront incessamment un empire défendu par deux cent mille soldats qui sont au rang des meilleures troupes de l’Europe. L’almanach du Courrier boiteux a-t-il jamais fait de telles prédictions ? La cour de Pétersbourg nous regardera comme de grands astrologues si elle apprend qu’un de nos garçons horlogers a réglé l’heure à laquelle l’empire russe doit être détruit.

XXXVIII.

Si on se donnait la peine de lire attentivement ce livre du Contrat social, il n’y a pas une page où l’on ne trouvât des erreurs ou des contradictions. Par exemple, dans le chapitre de la religion civile : « Deux peuples étrangers l’un à l’autre et presque toujours ennemis ne purent reconnaître un même Dieu[20]; deux armées se livrant bataille ne sauraient obéir au même chef. Ainsi des divisions nationales résulta le polythéisme, et de là l’intolérance théologique et civile, qui naturellement est la même. »

Autant de mots, autant d’erreurs : les Grecs, les Romains, les peuples de la grande Grèce, reconnaissaient les mêmes dieux en se faisant la guerre ; ils adoraient également les dieux majorum gentium, Jupiter, Junon, Mars, Minerve, Mercure, etc. Les chrétiens, en se faisant la guerre, adorent le même Dieu. Le polythéisme des Grecs et des Romains ne résulta point de leurs guerres : ils étaient tous polythéistes avant qu’ils eussent rien à démêler ensemble ; enfin il n’y eut jamais chez eux ni intolérance civile ni intolérance théologique.

XXXIX.

« Une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes, etc.[21] » Une telle assertion est bien bizarre. L’auteur veut-il dire que ce serait une société de bêtes ou une société d’anges ? Bayle[22] a traité fort au long la question si les chrétiens de la primitive Église pouvaient être des philosophes, des politiques, et des guerriers ? Cette question est assez oiseuse. Mais on veut enchérir sur Bayle, on répète ce qu’il a dit ; et, dans la crainte de n’être qu’un plagiaire, on se sert de termes hasardés qui, au fond, ne signifient rien : car quels que soient les dogmes des nations, elles feront toujours la guerre.

On a brûlé ce livre chez nous[23]. L’opération de le brûler a été aussi odieuse peut-être que celle de le composer. Il y a des choses qu’il faut qu’une administration sage ignore. Si ce livre était dangereux, il fallait le réfuter. Brûler un livre de raisonnement c’est dire : Nous n’avons pas assez d’esprit pour lui répondre. Ce sont les livres d’injures qu’il faut brûler, et dont il faut punir sévèrement les auteurs, parce qu’une injure est un délit. Un mauvais raisonnement n’est un délit que quand il est évidemment séditieux.

XL.

Un tribunal doit avoir des lois fixes pour le criminel comme pour le civil ; rien ne doit être arbitraire, et encore moins quand il s’agit de l’honneur et de la vie que lorsqu’on ne plaide que pour de l’argent.

XLI.

Un code criminel est absolument nécessaire pour les citoyens et pour les magistrats. Les citoyens alors n’auront jamais à se plaindre des jugements, et les magistrats n’auront point à craindre d’encourir la haine : car ce ne sera pas leur volonté qui condamnera, ce sera la loi. Il faut une puissance pour juger par cette loi seule, et une autre puissance pour faire grâce.

XLII.

À l’égard des finances, on sait assez que c’est aux citoyens à régler ce qu’ils croient devoir fournir pour les dépenses de l’État ; on sait assez que les contributions doivent être ménagées avec économie par ceux qui les administrent, et accordées avec noblesse dans les grandes occasions. Il n’y a sur cet article nul reproche à faire à notre république.

XLIII.

Il n’y a jamais eu de gouvernement parfait, parce que les hommes ont des passions ; et s’ils n’avaient point de passions, on n’aurait pas besoin de gouvernement. Le plus tolérable de tous est sans doute le républicain, parce que c’est celui qui rapproche le plus les hommes de l’égalité naturelle. Tout père de famille doit être le maître dans sa maison, et non pas dans celle de son voisin. Une société étant composée de plusieurs maisons et de plusieurs terrains qui leur sont attachés, il est contradictoire qu’un seul homme soit le maître de ces maisons et de ces terrains ; et il est dans la nature que chaque maître ait sa voix pour le bien de la société.

XLIV.

Ceux qui n’ont ni terrain ni maison dans cette société doivent-ils y avoir leur voix ? Ils n’en ont pas plus le droit qu’un commis payé par des marchands n’en aurait à régler leur commerce ; mais ils peuvent être associés, soit pour avoir rendu des services, soit pour avoir payé leur association.

XLV.

Ce pays, gouverné en commun, doit être plus riche et plus peuplé que s’il était gouverné par un maître : car chacun, dans une vraie république, étant sûr de la propriété de ses biens et de sa personne, travaille pour soi-même avec confiance ; et, en améliorant sa condition, il améliore celle du public. Il peut arriver le contraire sous un maître. Un homme est quelquefois tout étonné d’entendre dire que ni sa personne ni ses biens ne lui appartiennent.

XLVI.

Une république protestante doit être d’un douzième plus riche, plus industrieuse, plus peuplée qu’une papiste, en supposant le terrain égal, et également bon, par la raison qu’il y a trente fêtes dans un pays papiste, qui composent trente jours d’oisiveté et de débauches ; et trente jours sont la douzième partie de l’année. Si dans ce pays papiste il y a un douzième de prêtres, d’apprentis prêtres, de moines, et de religieuses, comme à Cologne, il est clair qu’un pays protestant, de même étendue, doit être plus peuplé encore d’un douzième.

XLVII.

Les registres de la chambre des comptes des Pays-Bas, qui sont actuellement à Lille, déposent que Philippe II ne tirait pas quatre-vingt mille écus des sept Provinces-Unies ; et par un relevé des revenus de la seule province de Hollande, fait en 1700, ses revenus montaient à vingt-deux millions deux cent quarante et un mille trois cent trente-neuf florins, qui font en argent de France quarante-six millions sept cent six mille huit cent onze livres dix-huit sous. C’est à peu près ce que possédait le roi d’Espagne au commencement du siècle.

XLVIII.

Que l’on compare ce que nous étions du temps de notre évêque à ce que nous sommes aujourd’hui. Nous couchions dans des galetas, nous mangions sur des assiettes de bois dans nos cuisines ; notre évêque avait seul de la vaisselle d’argent, et marchait avec quarante chevaux dans son diocèse, qu’il appelait ses États. Aujourd’hui nous avons des citoyens qui ont trois fois son revenu, et nous possédons, à la ville et à la campagne, des maisons beaucoup plus belles que celle qu’il appelait son palais, dont nous avons fait les prisons.

XLIX.

La moitié du terrain de la Suisse est composée de rochers et de précipices, l’autre est peu fertile ; mais quand des mains libres, conduites enfin par des esprits éclairés, ont cultivé cette terre, elle est devenue florissante. Le pays du pape, au contraire, depuis Orviette jusqu’à Terracine, dans l’espace de plus de cent vingt milles de chemin, est inculte, inhabité, et devenu malsain par la disette ; on peut y voyager une journée entière sans y trouver ni hommes ni animaux ; il y a plus de prêtres que de cultivateurs ; on n’y mange guère d’autre pain que du pain azyme. C’est là ce pays qui était couvert, du temps des anciens Romains, de villes opulentes, de maisons superbes, de moissons, de jardins, et d’amphithéâtres. Ajoutons encore à ce contraste que six régiments suisses s’empareraient en quinze jours de tout l’État du pape. Qui aurait fait cette prédiction à César, lorsqu’en passant il vint battre les Suisses au nombre de près de quatre cent mille, l’aurait bien étonné.

L.

Il est peut-être utile qu’il y ait deux partis dans une république, parce que l’un veille sur l’autre, et que les hommes ont besoin de surveillants. Il n’est peut-être pas si honteux qu’on le croit qu’une république ait besoin de médiateurs : cela prouve, à la vérité, qu’il y a de l’opiniâtreté des deux côtés ; mais cela prouve aussi qu’il y a de part et d’autre beaucoup d’esprit, beaucoup de lumières, une grande sagacité à interpréter les lois dans les sens différents ; et c’est alors qu’il faut nécessairement des arbitres qui éclaircissent les lois contestées, qui les changent s’il est nécessaire, et qui préviennent des changements nouveaux autant qu’il est possible. On a dit mille fois que l’autorité veut toujours croître, et le peuple toujours se plaindre ; qu’il ne faut ni céder à toutes ses représentations, ni les rejeter toutes ; qu’il faut un frein à l’autorité et à la liberté ; qu’on doit tenir la balance égale. Mais où est le point d’appui ? qui le fixera ? Ce sera le chef-d’œuvre de la raison et de l’impartialité.

LI.

Les exemples sont trompeurs, les inductions qu’on en tire sont souvent mal appliquées ; les citations pour faire valoir ces inductions sont souvent fausses. « La nature de l’honneur, dit Montesquieu, est de demander des préférences, des distinctions. L’honneur est donc, par la chose même, placé dans le gouvernement monarchique[24]. » L’auteur oublie que dans la république romaine on demandait le consulat, le triomphe, des ovations, des couronnes, des statues. Il n’y a si petite république où l’on ne recherche les honneurs.

LII.

Cet homme supérieur dans ses pensées ingénieuses et profondes, brillant d’une lumière qui l’éblouit, n’a pu asservir son génie à l’ordre et à la méthode nécessaires. Son grand feu empêche que les objets ne soient nets et distincts ; et quand il cite, il prend presque toujours son imagination pour sa mémoire. Il prétend que, dans le testament attribué au cardinal de Richelieu, il est dit[25] que « si dans le peuple il se trouve quelque malheureux honnête homme, il ne faut point s’en servir, tant il est vrai que la vertu n’est pas le ressort du gouvernement monarchique ».

Le testament faussement attribué au cardinal de Richelieu dit précisément tout le contraire. Voici ses paroles au chapitre iv : « On peut dire hardiment que de deux personnes dont le mérite est égal, celle qui est la plus aisée en ses affaires est préférable à l’autre, étant certain qu’il faut qu’un pauvre magistrat ait l’âme d’une trempe bien forte si elle ne se laisse quelquefois amollir par la considération de ses intérêts. Aussi l’expérience nous apprend que les riches sont moins sujets à concussion que les autres, et que la pauvreté contraint un pauvre officier à être fort soigneux du revenu du sac. »

LIII.

Montesquieu, il faut l’avouer, ne cite pas mieux les auteurs grecs que les français. Il leur fait souvent dire à tous le contraire de ce qu’ils ont dit.

Il avance, en parlant de la condition des femmes dans les divers gouvernements, ou plutôt en promettant d’en parler, que chez les Grecs[26], l’amour n’avait qu’une forme que l’on n’ose dire. Il n’hésite pas à prendre Plutarque même pour son garant. Il fait dire à Plutarque que les femmes n’ont aucune part au véritable amour. Il ne fait pas réflexion que Plutarque fait parler plusieurs interlocuteurs ; il y a un Protogène qui déclame contre les femmes, mais Daphneus prend leur parti ; Plutarque décide pour Daphneus. Il fait un très-bel éloge de l’amour céleste et de l’amour conjugal ; il finit par rapporter plusieurs exemples de la fidélité et du courage des femmes. C’est même dans ce dialogue qu’on trouve l’histoire de Camma et celle d’Éponine, femme de Sabinus, dont les vertus ont servi de sujet à des pièces de théâtre.

Enfin il est clair que Montesquieu, dans l’Esprit des lois, a calomnié l’esprit de la Grèce en prenant une objection que Plutarque réfute pour une loi que Plutarque recommande.

LIV.

«[27]Les cadis ont soutenu que le Grand Seigneur n’est point obligé de tenir sa parole et son serment lorsqu’il borne par là son autorité. »

Ricaut, cité en cet endroit, dit seulement, page 18 de l’édition d’Amsterdam, 1671 : « Il y a même de ces gens-là qui soutiennent que le Grand Seigneur peut se dispenser des promesses qu’il a faites avec serment, quand, pour les accomplir, il faut donner des bornes à son autorité. »

Ce discours est bien vague. Le sultan des Turcs ne peut promettre qu’à ses sujets ou aux puissances voisines. Si ce sont des promesses à ses sujets, il n’y a point de serment ; si ce sont des traités de paix, il faut qu’il les tienne comme les autres princes, ou qu’il fasse la guerre. L’Alcoran ne dit en aucun endroit qu’on peut violer son serment, et il dit en cent endroits qu’il faut le garder. Il se peut que pour entreprendre une guerre injuste, comme elles le sont presque toutes, le Grand Turc assemble un conseil de conscience, comme ont fait plusieurs princes chrétiens, afin de faire le mal en conscience. Il se peut que quelques docteurs musulmans aient imité les docteurs catholiques qui ont dit qu’il ne faut garder la foi ni aux infidèles, ni aux hérétiques. Mais il reste à savoir si cette jurisprudence est celle des Turcs.

L’auteur de l’Esprit des lois donne cette prétendue décision des cadis, comme une preuve du despotisme du sultan. Il semble que ce serait au contraire une preuve qu’il est soumis aux lois, puisqu’il serait obligé de consulter des docteurs pour se mettre au-dessus des lois. Nous sommes voisins des Turcs, nous commerçons avec eux, et nous ne les connaissons pas. Le comte de Marsigli, qui a vécu vingt-cinq ans au milieu d’eux, dit qu’aucun n’a donné une véritable connaissance ni de leur empire, ni de leurs lois. Nous n’avons eu même aucune traduction tolérable de l’Alcoran avant celle que nous a donnée M. Sale en 1734. Presque tout ce qu’on a dit de leur religion et de leur jurisprudence est faux ; et les conclusions qu’on en tire tous les jours contre eux sont trop peu fondées. On ne doit dans l’examen des lois citer que des lois reconnues.

LV.

«[28]Tout le bas commerce était infâme chez les Grecs. » Je ne sais pas ce que l’auteur entend par bas commerce ; mais je sais que dans Athènes tous les citoyens commerçaient, que Platon vendit de l’huile, et que le père du démagogue Domosthène était marchand de fer. La plupart des ouvriers étaient des étrangers ou des esclaves. Il nous est important de remarquer que le négoce n’était point incompatible avec les dignités dans les républiques de la Grèce, excepté chez les Spartiates, qui n’avaient aucun commerce.

LVI.

« J’ai ouï souvent déplorer, dit-il[29], l’aveuglement du conseil de François Ier qui rebuta Christophe Colomb qui lui proposait les Indes. » Vous remarquerez que François Ier n’était pas né lorsque Colomb découvrit les îles de l’Amérique.

LVII.

Puisqu’il s’agit ici de commerce, observons que l’auteur condamne une ordonnance du conseil d’Espagne, qui défend d’employer l’or et l’argent en dorure : « Un décret pareil, dit-il[30] serait semblable à celui que feraient les états de Hollande s’ils défendaient la consommation de la cannelle. » Il ne songe pas que les Espagnols, n’ayant point de manufactures, auraient acheté les galons et les étoffes de l’étranger, et que les Hollandais ne pouvaient acheter la cannelle. Ce qui était très-raisonnable en Espagne eût été très-ridicule en Hollande.

LVIII.

C’est, ce me semble, encore un grand abus de citer les lois de Bantam, du Pégu, de Cochin, de Borneo, pour nous prouver des vérités qui n’ont pas besoin de tels exemples. L’illustre auteur de l’Esprit des lois tombe souvent dans cette affectation : il nous dit qu’à « Bantam le roi prend toute la succession d’un père de famille, la maison, la femme et les enfants » ; cela se trouve, dit-il, dans un recueil de voyages. Mais la chose est impossible : car en deux générations le roi aurait toutes les maisons et toutes les femmes en propriété. Un voyageur dit souvent des choses qu’un homme qui écrit en législateur ne doit jamais répéter.

LIX.

Le même auteur prétend qu’au[31] Tonquin tous les magistrats et les principaux officiers militaires sont eunuques, et que, chez les Lamas[32], la loi permet aux femmes d’avoir plusieurs maris. Quand ces fables seraient vraies, qu’en résulterait-il ? Nos magistrats voudraient-ils être eunuques, et n’être qu’en quatrième ou en cinquième auprès de mesdames les conseillères ?

LX.

Il ne faut, dans un ouvrage de législation, ni conjectures hasardées, ni exemples tirés de peuples inconnus, ni saillies d’esprit, ni digressions étrangères au sujet. Qu’importe à nos lois, à notre administration, « qu’il n’y ait de fleuve navigable en Perse que le Cirus » ? L’auteur ne devait pas sans doute omettre le Tigre, l’Euphrate, l’Araxe, le Phase, l’Oxus. Mais à quoi bon étaler une géographie si erronée, quand on ne doit nous parler que de nos intérêts ?

LXI.

Pourquoi perdre son temps à se tromper sur les prétendues flottes de Salomon envoyées d’Ésiongaber en Afrique, et sur les chimériques voyages depuis la mer Rouge jusqu’à celle de Bayonne, et sur les richesses encore plus chimériques de Sofala ? Quel rapport avaient toutes ces digressions erronées avec l’Esprit des lois ?

Je m’attendais à voir comment les décrétales changèrent toute la jurisprudence de l’ancien code romain ; par quelles lois Charlemagne gouverna son empire ; et par quelle anarchie le gouvernement féodal le bouleversa ; par quel art et par quelle audace Grégoire VII et ses successeurs écrasèrent les lois des royaumes et des grands fiefs sous l’anneau du pêcheur, et par quelles secousses on est parvenu à détruire la législation papale ; j’espérais voir l’origine des bailliages qui rendirent la justice presque partout depuis les Othons, et celle des tribunaux appelés parlements, ou audiences, ou bancs du roi, ou échiquier ; je désirais de connaître l’histoire des lois sous lesquelles nos pères et leurs enfants ont vécu ; les motifs qui les ont établies, négligées, détruites, renouvelées ; je cherchais un fil dans ce labyrinthe ; le fil est cassé presque à chaque article. J’ai été trompé, j’ai trouvé l’esprit de l’auteur, qui en a beaucoup, et rarement l’esprit des lois. Il sautille plus qu’il ne marche ; il amuse plus qu’il n’éclaire ; il satirise quelquefois plus qu’il ne juge ; et il faut souhaiter qu’un si beau génie eût toujours plus cherché à instruire qu’à étonner.

Ce livre défectueux est plein de choses admirables, dont on a fait de détestables copies. Les fanatiques l’ont insulté par les endroits mêmes qui méritent les remerciements du genre humain[33].

LXII.

Malgré ses défauts, cet ouvrage doit être toujours cher aux hommes, parce que l’auteur a dit sincèrement ce qu’il pense, au lieu que la plupart des écrivains de son pays, à commencer par le grand Bossuet, ont dit souvent ce qu’ils ne pensaient pas. Il a partout fait souvenir les hommes qu’ils sont libres ; il présente à la nature humaine ses titres, qu’elle a perdus dans la plus grande partie de la terre ; il combat la superstition ; il inspire la morale.

LXIII.

Sera-ce par des livres qui détruisent la superstition, et qui rendent la vertu aimable, qu’on parviendra à rendre les hommes meilleurs ? Oui ; si les jeunes gens lisent ces livres avec attention, ils seront préservés de toute espèce de fanatisme : ils sentiront que la paix est le fruit de la tolérance, et le véritable but de toute société.

LXIV.

La tolérance est aussi nécessaire en politique qu’en religion ; c’est l’orgueil seul qui est intolérant. C’est lui qui révolte les esprits, en voulant les forcer à penser comme nous ; c’est la source secrète de toutes les divisions.

LXV.

La politesse, la circonspection, l’indulgence, affermissent l’union entre les amis et dans les familles ; elles feront le même effet dans un petit État, qui est une grande famille.



fin des idées républicaines.




  1. Les éditeurs de Kehl avaient intitulé cet écrit Idées républicaines, par un citoyen de Genève. Je le donne sous le titre que porte l’édition originale in-8o, sans date, mais qui doit être de 1762, année de la publication du Contrat social, dont les Idées républicaines sont une critique. Il me semble que c’est une erreur d’avoir daté cet opuscule de 1765.

    J’ai rétabli les paragraphes li à lx, d’après l’édition originale : c’est sans doute parce que ces paragraphes se retrouvent en partie dans le Commentaire sur l’Esprit des lois qu’on les avait retranchés.

    C’est aussi d’après l’édition originale que j’ai subdivisé en plusieurs paragraphes ce qui, dans les éditions de Kehl et autres, n’en forme qu’un seul. (B.)

  2. Marc, x, 31.
  3. Jean, xviii, 36.
  4. Matth., xx, 28.
  5. Voyez l’article Taxe, tome XX, page 484.
  6. Pierre de La Baume, évêque de Genève, en fut expulsé en 1534.
  7. Frédéric III monta sur le trône en 1648 ; Christiern V, en 1670 ; Frédéric IV, en 1699 ; Christian ou Christiern VI, en 1730 ; Frédéric V, en 1746, et régnait lorsque Voltaire publia les Idées républicaines.
  8. Pape sous le nom de Grégoire VII : voyez tome XI, pages 389-396.
  9. Il y avait, en 1762, douze parlements en France ; voyez la note, tome XVI, page 531.
  10. Voici le texte de J.-J. Rousseau, livre III, chapitre xv : « Le peuple anglais pense être libre : il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »
  11. Livre III, chap. vii.
  12. Voici le texte de J.-J. Rousseau, livre III, chapitre ix : « Les sujets vantent la tranquillité publique ; les citoyens, la liberté des particuliers ; l’un préfère la sûreté des possessions, et l’autre, celle des personnes ; l’un veut que le gouvernement soit le plus sévère, l’autre soutient que c’est le plus doux ; celui-ci veut qu’on punisse les crimes, et celui-là, qu’on les prévienne ; l’un trouve beau qu’on soit craint des voisins, l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré ; l’un est content quand l’argent circule, l’autre exige que le peuple ait du pain. »
  13. Livre III, chap. xiv.
  14. Livre III, chap. xv.
  15. Livre III, chap. xviii.
  16. Livre IV, chap. iii.
  17. Livre IV, chap. iii.
  18. Livre III, chap. vi.
  19. Livre II, chapitre viii. Voltaire est revenu sur ce passage ; voyez tome XX, page 218.
  20. Le texte de Rousseau porte, livre IV, chap. viii : «… ne purent longtemps reconnaître un même maître. »
  21. Livre IV, chap. viii.
  22. Continuation des pensées diverses, paragraphe cxxiv ; et Réponse aux questions d’un provincial, troisième partie, chap. xxviii, etc.
  23. Le Contrat social n’a pas été brûlé en France, mais il l’a été à Genève, et c’est un Genevois qui est censé parler dans les Idées républicaines. (B.)
  24. Livre III, chap. vii. (Note de Voltaire.)
  25. Ibid., chap. vi. (Id.)
  26. Livre VII, chap. x. (Note de Voltaire.)
  27. Livre III, chap. ix. (Id.)
  28. Livre IV, chap. viii. (Note de Voltaire.)
  29. Ibid., chap. xix. (Id.)
  30. Ibid. (Id.)
  31. Livre XV. chap. xviii. (Note de Voltaire.)
  32. Livre XVI, chap. v. (Id.)
  33. Voyez tome XXIII, page 457, le Remerciement sincère à un homme charitable.