Identification anthropométrique, instructions signalétiques/1

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AVERTISSEMENT

DE LA NOUVELLE ÉDITION

Ce n’est peut-être pas employer les mots dans leur sens exact que d’appeler nouvelle édition un volume, où la partie nouvelle dépasse de beaucoup l’étendue de l’ancienne, comme c’est le cas pour cette publication, dont le texte, y compris l’Album, a été porté de 95 pages à plus de 300.

Néanmoins on ne doit pas perdre de vue que l’idée maîtresse, qui est l’application des procédés de l’anatomie anthropologique aux questions d’identification judiciaire, avait déjà été développée au moins partiellement dans l’édition de 1885 et que, point capital, tout ce qui touche à la partie anthropométrique n’a pas subi ici de modifications importantes pouvant entraîner des divergences avec les observations antérieures.

Mais il ne faut pas croire que l’augmentation du volume corresponde à un accroissement de difficultés dans l’application, ni à de nouvelles demandes de renseignements.

L’édition de 1885, très incomplète, avait été composée à la hâte, en l’espace de quelques mois, dans le but de donner satisfaction à la demande de MM. de Renzis et Bodio, en présentant la nouvelle méthode au Congrès pénitentiaire international de Rome. Ainsi s’explique que le plus grand nombre des prescriptions ajoutées au présent volume étaient déjà observées et faisaient partie intégrante du nouveau signalement plusieurs années avant leur publication ici. Tous les perfectionnements apportés ont donc reçu la sanction préalable et indispensable de l’expérience. Enfin tous ou presque tous ont déjà été exposés au point de vue théorique dans des revues scientifiques de France et de l’étranger sans soulever d’objections de la part du monde savant.

Aussi nous croyons-nous autorisé à dire de cette nouvelle édition qu’elle est définitive en ses grandes lignes comme dans la plupart de ses détails, et qu’un tirage ultérieur, s’il venait à voir le jour, n’en différerait que très peu.


Voici, à titre de document, le tableau de la répartition des matières avec l’indication approximative du nombre des pages, partie par partie, 1° dans l’édition de 1885, 2° dans celle de 1893 :

ÉDITION
de 1885.
ÉDITION
de 1893.
Avertissement 5 10 96
Introduction (exposé général de la méthode) néant 72
Prescriptions pratiques d’ordre général néant 14
1re Partie : Observations anthropométriques 21 25 112
2e Partie : Renseignements descriptifs 19 67
3e Partie : Relevé des marques particulières 15 20
Annexe sur la photographie judiciaire et le portrait parlé 5 15
Album 30 90


Totaux 95 313

La partie qui a le plus contribué, comme il est facile de s’en assurer, à l’accroissement de cette édition, est celle qui, sous le titre d’Introduction, ouvre le volume immédiatement après cet avertissement. Nous nous sommes efforcé en ces pages nouvelles de jeter un coup d’œil d’ensemble sur tout le système des signalements anthropométriques et spécialement sur la classification qui en est le rouage essentiel.

Ainsi, bien des questions se trouveront traitées deux fois dans ce volume ; d’abord dans l’Introduction au point de vue général de la vulgarisation, puis dans les Instructions au point de vue de la mise en pratique ; tandis qu’on trouvera dans l’Introduction seule le développement de tout le côté spéculatif de l’anthropométrie. Chemin faisant nous serons amené à étudier quelques-unes des lois naturelles qui régissent la répartition des anomalies de dimension, de forme et de couleur et nous finirons par une exposition du fonctionnement du service anthropométrique central à Paris et un relevé statistique des récidivistes reconnus par ce nouveau procédé depuis son installation, jusqu’à l’année courante.

Le lecteur est donc invité à ne pas s’étonner des répétitions voulues d’idées et de mots qu’il rencontrera souvent d’une partie à l’autre. Néanmoins l’ordre et l’exposition des matières, dans les Instructions proprement dites, étant commandées par les besoins inéluctables de la pratique, nous avons pris à tâche dans l’Introduction de renouveler le sujet par un groupement plus philosophique. Souvent donc, le même thème qui semblera dans l’Introduction planer dans les nuages de l’abstraction prendra un tout autre aspect lorsqu’il sera repris au point de vue de l’application. Mais il ne faut pas croire que la connaissance première et générale que le lecteur aura ainsi recueillie dans l’Introduction, restera sans utilité du jour où il abordera la partie technique : la répétition est une gymnastique cérébrale indispensable pour fixer dans la mémoire les idées et les mots nouveaux.

Pourtant nous ne chercherons pas à dissimuler que beaucoup des aperçus que nous aurons à développer dans l’Introduction ne seront pas pour le simple gardien d’une application immédiate. Mais est-ce que la distinction chez un homme ne consiste pas précisément à savoir, en outre de la pratique, tout ce qui touche au côté théorique de sa profession, à en connaître ce que vulgairement on appelle les tenants et les aboutissants ?

Le surveillant de prison qui passe son existence en tête à tête avec des êtres humains et qui, à proprement parler, est un gardien d’hommes doit tendre à devenir anthropologiste.

Ce vœu est aujourd’hui presque une réalité et l’expérience de ces dernières années a montré que le personnel n’était pas au-dessous de l’effort et des connaissances spéciales qu’on lui demandait.

Espérons que les fonctionnaires de tout ordre de l’Administration pénitentiaire et de la Sûreté publique qui, sans avoir à appliquer manuellement l’anthropométrie, sont appelés soit à s’en servir, soit à en surveiller la mise en pratique, trouveront eux aussi dans l’Introduction une initiation suffisante.

Enfin nous serions heureux si MM. les magistrats, qui depuis plusieurs années ont recours de plus en plus aux données de l’anthropométrie, mais qui ne sauraient disposer des loisirs nécessaires pour l’étude si aride des Instructions techniques recherchaient dans ces pages préparatoires les notions générales indispensables pour l’appréciation compétente des renseignements signalétiques.

Le chapitre préliminaire réunit tous les renseignements d’ordre général et à la fois techniques qui n’auraient pu trouver place ailleurs, comme, par exemple, des conseils sur la façon de diriger un apprentissage anthropométrique et d’aménager une salle de mensuration, une description du mobilier et des instruments, la manière de remplir une fiche signalétique et de répondre aux rubriques d’état civil : points multiples dont la détermination importe à la rigoureuse et indispensable uniformité d’un vaste répertoire et dont la plupart n’avaient même pas été mentionnés dans la première édition.

Le petit accroissement constaté dans la partie anthropométrique est plus spécialement attribuable aux modifications apportées à la mensuration des diamètres de l’oreille (page 26) et de la longueur de la coudée (page 38), mesures dont l’importance, au point de vue du signalement, nous a été démontrée par l’expérience de ces dernières années.

L’augmentation des Instructions proprement dites est due principalement à l’emplacement triple (67 pages au lieu de 19), que nous avons été amené à donner aux renseignements descriptifs, c’est-à-dire précisément au chapitre qui traite de l’ancien signalement ordinaire des passeports, permis de chasse, etc.

N’est-il pas étonnant que tandis qu’il y a eu de tous temps, sous le nom d’hippologie, des ouvrages spéciaux pour la description précise des formes et de la robe du cheval, il n’existait pas jusqu’à présent, à notre connaissance, un traité méthodique du signalement humain.

La cause doit en être recherchée dans la difficulté du sujet, notamment dans la multiplicité des points de vue qu’il comporte. Nous ne croyons pas être loin de la vérité en disant que le nombre des pages consacrées à l’exposition de chacune des trois parties de notre signalement (anthropométrie 25 pages, description 67 pages et marques particulières 20 pages) est respectivement proportionnel aux difficultés soulevées pour la mise en pratique de chacune d’entre elles. Sous ce rapport, la partie anthropométrique doit donc être considérée comme étant beaucoup plus aisée que la partie descriptive. Ajoutons d’ailleurs que la connaissance immédiate et intégrale des pages relatives à la description n’est pas indispensable et qu’il est même recommandé d’en ajourner l’étude pour la fin de l’apprentissage. Leur principal but est d’enseigner à regarder la figure humaine et à en garder le souvenir, soit qu’on ait affaire à un sujet vivant, ou à un portrait photographique. Elles s’adressent donc encore plus à l’officier de police judiciaire qu’au gardien de prison.

S’il est un lieu commun en police, c’est bien le peu d’utilité de la photographie pour arriver jusqu’au malfaiteur en fuite. — « Autant elle serait excellente, dit-on, pour confirmer une identité soupçonnée, autant elle serait insuffisante comme moyen de recherche, et il arriverait journellement aux limiers les plus consciencieux de passer à côté d’un type dont ils auraient l’image en poche sans le reconnaître. » Certes, il y a un peu de contradiction à attribuer ces insuccès à l’insuffisance de la photographie tout en lui reconnaissant une puissance d’identification aussi considérable. Nous affirmons et nous croyons avoir démontré que le portrait photographique deviendrait un instrument de recherche et de reconnaissance bien autrement efficace si les agents étaient plus familiarisés avec la façon de s’en servir, de l’analyser, de le décrire, de l’apprendre par cœur, d’en tirer en un mot tout ce qu’il est possible d’en tirer : car il faut, pour bien voir ou mieux pour percevoir ce que l’on voit, connaître d’avance quels sont les points à regarder.

C’est l’idée que le célèbre anatomiste Peisse a résumée en cette sentence que le Dr Paul Richer a mise en épigraphe à son récent et magnifique traité d’anatomie artistique : « l’œil ne voit dans les choses que ce qu’il y regarde et il ne regarde que ce qui est déjà en idée dans l’esprit ».

Nous avons déjà eu l’occasion d’exposer dans un petit opuscule sur la photographie judiciaire[1] que le meilleur et même le seul moyen pour un agent d’imprégner sa mémoire visuelle d’un portrait photographique était d’en faire par écrit une espèce de description morphologique exacte et complète : « On l’a dit depuis longtemps, nous ne pensons que ce que nous pouvons exprimer par la parole. Il en est de même du souvenir visuel, nous ne pouvons revoir en pensée que ce que nous pouvons décrire. L’agent chargé d’une mission aussi difficile que de rechercher et d’arrêter un criminel à l’aide d’une photographie, doit être à même de réciter et de décrire de mémoire la figure de celui qu’il poursuit, d’en faire, en un mot, une espèce de portrait parlé. C’est la meilleure manière de prouver à ses chefs qu’il a pris à cœur la tâche qu’on lui a confiée. »

Ces prescriptions ont reçu, depuis leur publication dans l’ouvrage que nous venons de citer, la haute et complète approbation de MM. Lozé, préfet de Police ; Viguié et Cavard, chefs de son cabinet ; Goron, chef du service de la Sûreté à Paris ; Taylor, ancien chef de la Sûreté ; le Dr Guillaume, secrétaire général de l’association pénitentiaire internationale ; Le Royer, sous-secrétaire du département de Justice et Police de Genève[2] ; Mac Claughry, chef de la Police de Chicago, etc.

On trouvera dans l’Album des modèles de formules descriptives, et de nombreuses photographies de types physionomiques présentés en tableau, en vue de servir de guide à la rédaction du portrait parlé. Leur vulgarisation dans les services de police active n’est plus qu’une affaire de temps ; la thèse théorique est gagnée. Mais il est bien entendu qu’un tableau aussi complet de rubriques descriptives ne doit pas être dressé pour chaque sujet examiné ; ce cadre visant principalement l’analyse d’un portrait photographique en vue de faciliter la recherche et la reconnaissance d’un malfaiteur en fuite, ne doit servir que lorsque les circonstances l’exigent. Les enquêteurs de ce genre disposent alors de tout le temps nécessaire, et l’importance de la tâche qui leur est confiée est telle que le supplément de travail qui en résulte pour eux ne saurait entrer en ligne de compte.

Ainsi tous nos efforts, en composant les Instructions sur les renseignements descriptifs out tendu à mettre à la portée des agents de la force publique une méthode à la fois rigoureusement scientifique et aussi simple que le sujet le comporte. La chose en valait la peine, car il est bien évident que le signalement anthropométrique pur (pour lequel nous ne saurions être soupçonné de sévérité) ne peut entrer en concurrence avec le descriptif pour les applications à la police extérieure et notamment pour l’identification d’un malfaiteur en fuite.

Or, à regarder les choses d’un point de vue élevé, tout en police est affaire d’identification. Un crime vient d’être commis par un inconnu ; la tâche de la police va consister : 1° à découvrir l’individualité du coupable ; 2° à le rechercher pour l’arrêter ; c’est-à-dire à l’individualiser au milieu de la foule des humains. Depuis le commencement jusqu’à la fin de l’enquête judiciaire, ce ne sont que questions d’identité, de description, de signalement à élucider, en prenant pour base des éléments bien vagues et bien trompeurs des témoins, il est vrai, mais au milieu desquels la nouvelle méthode a le mérite de jeter quelques lumières.

N’est-ce pas là un premier pas vers une police scientifique où les connaissances techniques de la chasse à l’homme seraient coordonnées. Jusqu’à présent en cette matière tout était laissé à l’instinct c’est-à-dire à la routine. L’instruction professionnelle du policier était limitée à quelques bribes de législation. Or, les connaissances juridiques ont toujours été et seront toujours en premier l’apanage de la magistrature qui connaît la loi mieux que qui que ce soit. Mais quelle différence si nous passons à l’application ! Tandis que la Justice doit exécuter seulement ce que la loi lui commande de faire, tous les moyens sont bons pour la police, du moment qu’ils peuvent aider à la découverte de la vérité : en fait de législation elle n’a guère besoin de connaître que les limites que la loi et les coutumes lui interdisent de franchir.

Rien n’empêche donc la police d’évoluer à son tour dans la voie des applications scientifiques. L’anthropologie n’est pas autre chose, par définition, que l’histoire naturelle de l’homme. Est-ce que de tous temps les chasseurs ne se sont pas piqués de connaissances en histoire naturelle et inversement, les naturalistes ne sont-ils pas d’instinct un peu chasseurs ?

Nul doute que les policiers de l’avenir n’arrivent à appliquer à leur chasse particulière les régies de l’anthropologie, tout comme les chauffeurs de nos locomotives mettent en pratique les lois de la mécanique et de la thermodynamie.


Signalons encore parmi les modifications techniques l’innovation relative aux numéros d’ordre de la couleur de l’œil qui, tout en rendant la notation de la nuance plus exacte et plus simple, a permis de supprimer la rubrique limite qui avait été généralement mal comprise. Ainsi corrigé et illustré d’une planche en chromotypographie, le chapitre de l’œil nécessitera de la part des anciens opérateurs une nouvelle étude.

Les changements apportés à la troisième partie, le relevé des particularités, consistent uniquement dans le remplacement de certains termes par d’autres susceptibles d’abréviations plus cursives. Grâce à ces transformations, les graphiques recommandés maintenant sont communs dans leurs initiales à l’anglais et au français, ou au français et au latin. Des tableaux synoptiques, disposés spécialement en vue ou de l’écriture ou de la lecture des relevés cicatriciels, offriront un guide facile aux personnes peu familières avec l’emploi de ces signes.

Enfin on trouvera dans l’annexe sur la photographie judiciaire la description d’une nouvelle chaise de pose qui, tout en permettant une exécution facile et rapide, assure une rigoureuse uniformité de réduction entre les photographies de face et de profil.


Au point de vue matériel, cette édition se distingue de la précédente : 1° par de nombreuses figures dues à la plume d’un artiste doublé d’un anthropologiste distingué, M. le colonel Duhousset[3] ; 2° par trente planches collographiques réunissant plus de deux cents portraits photographiques pris conformément à nos règles et cent agrandissements d’oreille ; 3° par une planche chromotypographique relative à la couleur des yeux, reproduisant exactement une série de modèles peints à l’huile, d’après nature, sous ma direction.

Pour faciliter la lecture et l’interprétation des prescriptions techniques, cette planche et ces dessins ont été réunis en un tome séparé. Les figures ont été intentionnellement multipliées, notamment dans la partie anthropométrique, de manière à représenter séparément chaque décomposition de mouvement pour peu qu’elle offre quelque importance. Bien plus, toutes les fois que cela a été jugé nécessaire, les positions ont été reproduites sous deux points de vue différents :

1° une vue d’ensemble prise selon une projection généralement horizontale, indiquant l’emplacement respectif du sujet et de l’opérateur ;

2° une vue partielle, à une échelle beaucoup plus grande, prise généralement d’en haut, sous une incidence de 45° à 90°, au point de vue des relations entre l’instrument et l’organe à mesurer, et du doigté spécial à chaque opération.

La planche de doigté est toujours placée vis-à-vis la vue d’ensemble et disposée dans le même sens. L’orientation correspondante des deux images est une règle qui a été appliquée sans exception. Aussi a-t-elle amené quelquefois des retournements bizarres d’image.


Nous avons poussé le souci de l’exactitude jusqu’à indiquer ceux de nos dessins de doigté dont les vues, reproduisant le mensurateur de face, apparaissent à ce dernier comme retournées ; c’est-à-dire où la droite vient se placer à gauche du dessin et inversement. Il est aisé de s’assurer que ce retournement qui peut embarrasser quelque novice, n’est évité que lorsque le dessin est pris suivant la direction même du regard de l’opérateur, c’est-à-dire de dos ou de trois-quarts par rapport à ce dernier.

Toutes les fois qu’il n’a pas été possible de procéder ainsi, une rubrique spéciale imprimée à l’envers rappelle à l’apprenti mensurateur d’avoir à retourner la planche avant d’en reproduire les dispositions (Fig. 1 et 2).


réduction au sixième des planches 24 et 25 de l’album, relatives au troisième temps de la mensuration du doigt médius gauche
B) Point de vue d’où ces figures doivent être étudiées par le mensurateur qui veut en réaliser les dispositions en ce qui regarde notamment l’emplacement de l’instrument et le doigt.
A) Point de vue de l’observateur qui, en présence d’un mensurateur opérant sous ses yeux, voudrait vérifier la rectitude des positions prises.
Fig. 1. — Vue d’ensemble prise sous une incidence de 45°
Fig. 2. — Vue spéciale prise sous une incidence de 90°


Peut-être trouvera-t-on qu’ici comme ailleurs nous sommes entré dans de trop petits détails d’application. A cela nous répondrons que nos prescriptions les plus minutieuses ont toujours leur raison d’être, soit en vue de l’uniformité des résultats, soit en vue d’une plus grande rapidité d’exécution ou d’apprentissage.

La question didactique suivante se pose souvent en pareille matière : Est-il plus long pour l’apprenti de lire et d’appliquer telle prescription minutieuse que d’attendre que la pratique lui en fasse découvrir la nécessité ? L’expérience nous a montré que tout ce qui était laissé à l’initiative individuelle courait le risque, ou d’être mal appliqué ou de ne pas l’être du tout. Aussi n’avons-nous jamais hésité à intercaler des réglementations souvent même quelque peu oiseuses toutes les fois qu’il nous a semblé en résulter une plus grande rapidité d’instruction.

A rencontre de l’avis que nous avons bien souvent entendu exprimer, nous estimons que plus un livre s’adresse à un public étendu et sans connaissances spéciales préalablement acquises, plus il est nécessaire d’entrer dans l’infini des détails. On ne supprime pas une difficulté parce qu’on la raye du texte ; elle continue à surgir pour dérouter les efforts de l’apprenti, et plus ce dernier est novice, moins il est intelligent, pour dire les choses par leur nom, plus il sera embarrassé si l’on ne vient à son secours. Là où il nous a fallu quelquefois bien des pages, un mot aurait suffi si nous nous étions adressé à un public d’anatomistes diplômés. On pourrait abréger ces Instructions au point de les réduire à quelques pages de généralités. Mais plus on les abrégerait, plus on verrait se restreindre le public susceptible d’en comprendre le sens et de les appliquer.

Ainsi tous les points ayant donné lieu depuis cinq ans à quelque malentendu, soit en France, soit à l’étranger, ne serait-ce qu’exceptionnellement, ont été l’objet d’explications supplémentaires.


Ce luxe de détails est également appelé à simplifier beaucoup la tâche de correcteur de signalements qui nous incombe. Grâce au numérotage de chaque paragraphe, nous serons dispensé de répéter continuellement les mêmes explications dans les correspondances manuscrites que nous échangeons avec diverses Administrations françaises et étrangères. Une simple invitation au mensurateur fautif d’avoir à se reporter à tel paragraphe de telle page suffira pour mettre ce dernier à même de se corriger lui-même.

En résumé quoique les modifications apportées n’aient pas amené, avons-nous dit, de changements essentiels, les praticiens qui ont étudié la première édition devront prendre sur eux de relire en entier cette nouvelle publication en signalant, au moyen d’une accolade au crayon, les passages qui réformeraient leur façon d’opérer, afin d’être à même de les retrouver facilement et de les réétudier ensuite à loisir. Car, en outre des corrections capitales signalées plus haut, il y a peu de paragraphes, peu de phrases même, qui n’aient été l’objet de quelque retouche.


L’absolu de nos affirmations dans les questions d’identité et notamment dans les cas plus difficiles d’identification entre deux photographies, étonne encore et quelquefois même inquiète momentanément les fonctionnaires de la police ou de l’ordre judiciaire auxquels une longue pratique n’a pas déjà enseigné ce qu’on appelle au Palais notre infaillibilité. Nous nous devions à nous même de démontrer que le péremptoire habituel de nos réponses ne résultait pas d’un tempérament risque-tout, mais était la conséquence raisonnée de la combinaison de divers procédés dont l’application, quand elle en a été correctement faite, ne laisse pas la moindre place à l’indécision.

Puisse le présent volume satisfaire à ce programme et contribuer ainsi à assurer la survivance de la méthode dont nous sommes à la fois et l’inventeur exclusif et partout un peu l’organisateur.

Nous n’étonnerons personne en disant que l’exécution des gravures et notamment de la planche en chromotypographie et des trente planches photocollographiques consacrées aux caractères descriptifs, nous ont occasionné des frais considérables que nous n’aurions jamais pu, ni osé entreprendre sans le concours bienveillant de la section pénitentiaire du Ministère de l’Intérieur et de son éminent directeur M. Lagarde. Dès l’année 1889, sur la proposition de M. Bompard et le rapport de M. Guichard, le Conseil général de la Seine avait bien voulu de son côté, nous allouer généreusement une subvention pour aider à faire connaître cette nouvelle méthode qui, inventée par un Parisien (en mars 1879) et essayée pour la première fois à Paris il y a dix ans, est maintenant appliquée dans le monde entier.


Alphonse BERTILLON.
  1. Paris, Gauthier-Villars, 1890.
  2. « Il faut donner aux agents de police une instruction qui leur permette d’utiliser avec fruit une fiche munie d’une photographie, par exemple de savoir reconnaître une oreille, car cette partie du corps est la plus importante à ce point de vue et fournit des indications nombreuses et précieuses qui ne permettent pas de confusion. » (H. Le Royer, lio jur. in Revue pénale suisse, 4e année.)
  3. La réunion de ces qualités en une personnalité aussi éminente que celle du colonel Duhousset a été pour nous une bonne fortune dont nous n’avons pas craint d’user et quelquefois d’abuser, sans jamais arriver à lasser l’obligeance de notre collaborateur. Son intervention ne s’est pas limitée aux seuls dessins, ses avis nous ont été également bien précieux pour l’établissement même des Instructions.

    Citons encore parmi les conseillers qui nous ont entouré le Dr Manouvrier, professeur à l’école d’anthropologie de Paris.