Idylle (Abgrall)

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Éclairs et FuméeEditions Armorica Voir et modifier les données sur WikidataOeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 1 (p. 78-79).



IDYLLE


À François Bothorel.


« Bien sûr, il n’est pas beau… mais que m’importe.
De tout mon cœur, c’est lui, l’éternel élu.
Il est boiteux… je l’aime de la sorte,
Autrement peut-être il m’aurait déplu.
Il n’est pas beau… beaucoup d’autres sourient
De le voir passer tout clopin-clopant.
Mais de grands yeux bruns toujours irradient,
D’un divin regard, son visage aimant.

Il est cordonnier ; les gens du village,
Chez lui, chaque jour, viennent babiller.
Il garde toujours un charmant langage
Et trouve les mots pour faire rêver.
Il chante à ravir de jolies complaintes,
L’on est fort jaloux de sa belle voix ;
Mais longtemps après qu’elle s’est éteinte
Je la sens encor qui vibre pour moi.

Il est si bon qu’il ne sera point riche,
Tout malheureux se dédouble en ami…
Mais malgré cela, plus d’une l’aguiche.
Plus d’une voudrait, de lui, pour mari.
Les jours de pardons, il faut qu’on s’ébatte,
Mon pauvre ami seul ne peut pas danser.
Au ressouvenir de sa folle patte,
Je l’ai vu, parfois, prêt à sangloter.


Lors, loin de tout bruit, sur la verte mousse,
Je reste avec lui, pour le consoler.
Son chagrin se fond, ma voix est si douce…
Il n’est que les cœurs pour savoir causer.
Plus tard il faudra que l’on se marie.
J’ai déjà paré un gentil trousseau.
Non ! il n’est pas beau… mais il est ma vie.
Il m’apportera l’amour pour cadeau. »