Il***/TRENTE AUTOMNES

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(p. 34-47).

IV

TRENTE AUTOMNES


Son boudoir est — paraît-il — entièrement pavé et tapissé de glaces. Il y règne une chaleur constante propice aux ébats nus.
La Décadence latine

Coule sa poche en pus ; coule la nue en eau ; coule la vigne en jus.

Il*** pense.

En gris convoi d’antan les souvenirs s’avancent :

En un clocher — Il*** a guéri — en un clocher de Beauce brun infini, — son cœur intimement jadis endolori.

En un clocher — Il*** a honni — sur le vide penché : tel le vide d’une fosse — et le monde et ses appétits (combien mesquins ! combien petits ! Ah ! de là haut combien petits !)

Le vil fascine les âmes.

En ce temps là Il*** vint parmi les rustres et LE VERBE ÉTAIT EN LUI mais les rustres ne l’eussent point compris : pour leurs esprits obtus la lumière ne luit.

Il*** se tut et ne fut plus que pour lui.

Et, depuis ce temps la, plus que lui-même Il*** n’aime.

Au déambuler de la Beauce Il*** n’a vu que couples de rustres.

(Et la Beauce aussi — mère où la charrue se rue — de semence s’emplit l’ovaire et par la fente enfante.)

À les décrire Il*** s’est complu : et l’insecte à quatre ailes et le rustre à deux dos à lui par lui sont lus : Il*** a rimé pour lui-même qu’il*** aime comme jadis peur la madone (qui sait s’il*** l’aime) qui ne vit plus I, II…

ILA BÊTE QUI VOLE


Le ciel chantait. Le flot coulait. Le vent soufflait.
Malgré le jour venu, malgré l’étoile éteinte,
D’un bleu vaguement noir la rivière était teinte
Semblant ainsi garder son nocturne reflet.

Le ciel chantait. Le flot. Que c’était bon de vivre !
Dans l’air attiédi, l’œil lourd, les bras ballants,
Tu regardais ton âme en marchant à pas lents.
Il faut longtemps penser avant de faire un livre !

Le ciel… Soudain tu vis un informe radeau
Qui — plus près — t’apparut comme le tronc d’un chêne.
Quand tu touchas la pierre où le liait sa chaîne
C’était un chien crevé qui puait à fleur d’eau.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



La vermine sur la proie à déchiqueter…
Mais tu ne décris plus : tu fuis — la mort dans l’âme
Tandis que descendant sur la charogne infâme
Deux pigeons amoureux viennent se becqueter.


IILA BÊTE QUI RAMPE


IN HUMO


En un égout de bave étirant son corps mol
La limace rampait lourdement sur le sol.
Quand le bistouri crève un abcès qui relente,
Dégouline une humeur jaune, fétide et lente…
De même la limace. — Elle semblait, au raz
De la terre, couler. Vers toi, tout mou, tout gras,
Filtrait le pus vivant de la veulante bête :
Tu levas ton talon qui lui broya la tête.

SURSUM CORDA


L’âme de la limace était montée aux cieux.

Alors, songeant à la loi qui régit tout être
Ici-bas enfanté, tu murmuras « Peut-être
Zeus avait mûré — là — quelqu’un de mes aïeux…

L’âme de ton aïeul était montée aux cieux.


… Aux cieux ! — Il*** a souri,

Cinq ans passés, s’est, un matin, en son corps souillé, éveillée l’âme de sa dévote race. Un matin, Il*** s’est éveillé mystique.

Mais bientôt mortes la grâce et la foi catholiques.

Depuis qu’il*** s’aime ; sans blêmir de bonheur, sans jouir de terreur ; il*** blasphème…

Il*** blasphème


L’HOMME-DIEU


Jésus est seul. Il pense en la déserte friche :
Si je ne suis pas fou le monde est sans raison.
Jouir ? Oh, les déments ! Mon sexe ? Je le triche ! »
L’Éternel féminin surgit à l’horizon.

« En mon chétif poitrail gigantesque est mon âme :
Or ce n’est pas au corps que parle la beauté :
Donc plus qu’un j’ai besoin… la dégoûtante pâme ! »
L’Éternel féminin lui touche le côté.

« Ami ! ton sexe est fort et ma splendeur unique :
Viens créer ! si de Dieu tu veux être l’égal. »
Elle dit et défait les nœuds de sa tunique…
L’Éternel féminin damne l’Agneau Pascal.


… Agneau Pascal ! — Il*** a souri.

À ouïr son sens qui hurle : « Il faut jouir. »

D’abord (Horla) à ses frères de chair Il*** faussera — d’esprit suprême jouissance — le descript de sa déliquescence.

Tel :


Gras — un cierge se fond sur l’unique console :
Ni meubles ni tableaux : murs noirs : draps de lit blancs :
Quand la femme ne peut plus lui saillir les flancs :
À raffiner ainsi l’Épuisé se console.

Mieux que vous il jouit sur sa litière molle :
Un noir grain d’opium roule en ses doigts tremblants,
Il balance ses reins à s’émouvoir trop lents
Et raille Éros à qui chacun de vous immole.

Inerte — il se souvient des anciennes nuitées
Contemplant pour s’aider un monstrueux poupon
Qui — dessus son front — pend : les jambes écartées.

Osez-vous deviner ce que sa pensée ose
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Goutte à goutte suinte un filet d’eau de rose ?


Puis (Narcisse) il*** se suce.

Dénoués ses bas vêtements : mi-nu son flanc dessus baie son œil blanc.

En sa narine un flambeau expiré : son oreille tinté. Tourne sa tête endelirée.

À ses lèvres il*** applique une buire : bec liquoreux.

Il*** aspire.

Clôt son œil blanc, gonfle le flanc — cependant, en la buire ses lèvres — attirées — violacent.

Subit il*** les retire : l’ahanement l’harasse.

Ses lèvres — courageuses se baisent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il*** a créé une sensation neuve. Cuit le nouveau baiser : LE BAISER TUMÉFIÉ.

Mais il*** regrette le commun, réduit au rare. Sur ses yeux perlent des pleurs gourds comme larmes de vie.

Paresseux — pour sécher les pleurs perlés sur ses yeux — Il*** se mi-tourne vers une échauffante cheminée.

Et tout-à-coup il*** peut…

Revives après dix ans : grossies : durcies : les chairs qu’il*** ne régit vers le foyer s’avancent.

Ô douloureux plaisir ! grossies — durcies — ses chairs s’avancent.

[Dis ! Bible obscène ! le serpent de Moïse : la verge de Moïse.]

Brûlé il*** a hurlé mais esclave des chairs qu’il*** ne régit — il*** se laisse sans effort…

Les soleils fascinent les corps.

… Il*** se laisse couler.