Illyrine/3/Chapitre 27

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Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/378 Page:Giroust - Illyrine - t3.pdf/379 peu de tems je fus en état de me promener avec les autres. Mylord, qui ne pouvait quitter les lieux de ma sépulture, se trouvant par hasard à rêver dans l’endroit où j’exerçais mes faibles jambes, je crus le reconnaître, à quelques mots qu’il articulait, et je m’approchai de lui ; mais voyant qu’il ne me reconnaissait pas, je l’arrêtai par son manteau. — Mylord, lui dis-je, reconnaissez Hortense ; elle vit encore, et pour vous aimer. Après ce peu de mots, je m’évanouis dans les bras de Mylord, qui me fit reporter à mon lit. Il avait autant besoin de secours que moi ! Enfin, il me fallut encore rester six semaines dans ce lieu de douleur pour être en état d’en sortir. Pendant ce tems, Mylord me prodigua tous ses soins, et fit toutes ses dispositions pour me recevoir chez lui.




CHAPITRE XXVII

Résurrection d’Hortense, et visite qu’elle rend à son premier amant Q…te


Me voici donc arrivée chez le vertueux mylord P…. qui n’avait pu me venir chercher, parce qu’il s’était foulé le pied la veille. J’étais si faible et si fatiguée, qu’il me fit coucher en arrivant. La joie de me revoir dans le monde me fit bientôt reprendre mes forces : la vie sobre que nous menions, proportionnée à nos finances, acheva de me mettre sur pied. Nous passions des jours assez calmes, Mylord et moi, dans une honnête médiocrité ; la possession de mon cœur faisait toute sa félicité : moi-même je m’abusais au point de croire que ce serait là le terme de mes folies, lorsqu’une circonstance vint me prouver que ce cœur ne guérirait jamais et me maîtriserait toujours tyraniquement.

Je lisais les feuilles publiques ; par elles, j’apprends que M. Q…te ; mon premier amant, est de retour de l’Autriche ; qu’il est habitant de Paris. Mon premier mouvement fut d’aller le trouver. Je me dis : comment ! l’idole de mon cœur respire le même air que moi, pourait-il ne plus m’aimer, lui qui m’a tant adoré ? Les mouvemens que mon cœur éprouve ne me sont-ils pas les garans du sien ? D’après cette conjecture, j’oublies qu’il y avait à peu près trois ans qu’il ne m’avait vu ; que depuis ce tems, le burin du malheur avait gravé mes traits ; que j’étais à peine convalescente d’une longue maladie, et que ma mise ne me permettait pas de me présenter à lui, ni de l’engager à venir chez moi, puisque j’étais chez un Anglais ; que de considérations auraient dû m’arrêter ! mais mon cœur brûlant en a-t-il jamais pu connaître !… Non, non : je l’aimais encore ; et ne suivant que le premier élan de mon cœur, je gâtai tout.

J’écrivis à cet ingrat une lettre de feu : il me répondit par une de sentiment, et m’assigna un rendez-vous chez lui………

Trouvez bon, chère amie, que par des raisons de circonstance et de politique, je supprime ici ce que je pourai dire dans un tems plus reculé, et que je jette un voile épais sur deux années de mon existence.

Je coulais mes jours paisiblement avec Mylord, lorsqu’un soir nous promenant, je fus rencontrée par un individu qui me dit qu’une personne de S…. demandait à me parler ; qu’il me priait de passer avant onze heures du matin dans un hôtel garni voisin de la porte St.-Martin ; que je demanderais une personne de S… J’eus beau demander qui c’était, je n’eu pus savoir davantage. Je passai la nuit très-inquiète.

Le lendemain, je fis une toilette légère, mais agaçante, et me rendit au rendez-vous. Un domestique m’introduisit mystérieusement dans le fond d’un appartement ; j’apperçus un grand homme qui écrivait sur une table. Il ordonna au domestique de se retirer ; et d’un pas grave, plus gravement encore il me salua. J’ouvris mes grands yeux ; j’examinai l’homme ; ne nous étant pas vus depuis dix ans, notre silence et notre examen n’avaient rien d’étonnant. Enfin, il le rompit le premier ; il me demanda si je ne reconnaissais pas mon frère ! — Mon frère, dis-je, depuis si long-tems que je suis orpheline, je n’ai plus ni frère, ni sœur ; je n’ai qu’un ami qui me tient lieu de toute ma famille. Si vous êtes mon frère monsieur, êtes-vous trop grand seigneur pour ne pas venir chez moi ? Vous avez mon adresse. Que signifie cette tournure mystérieuse que vous prenez pour me voir ? — Madame, j’ignorais si la lettre de mon père, qui vous fut adressée, était bien à votre nom ; d’ailleurs, savais-je si vous eussiez voulu me voir. Au surplus, madame, je viens pour vous annoncer la mort de notre mère. Un ruisseau de larmes coule de mes yeux. Oh, monstre que vous êtes ! vous avez laissé descendre ma mère au tombeau sans que j’aye pu recueillir son dernier soupir ! Votre intérêt vous oblige maintenant à me voir ; sans cela, vous vous seriez peu inquietté de moi. Je suis donc maintenant une des cordes de l’harmonie à laquelle il était si dangereux que je touche il y a trois mois ? Il défendit de son mieux une cause aussi mauvaise, en prétendant qu’il avait toujours été mon ami.

Sans trop ajouter foi à sa justification, l’aveu de ses torts rétablit bientôt entre nous une certaine confiance. Je déjeûnai chez lui, et il revint chez moi.

Je me déterminai à aller moi-même régler mes droits dans la succession de ma mère ; mon ami n’étant pas à Paris, je ne pouvais y envoyer, personne j’étais bien aise aussi de voir la figure de toutes ces bonnes gens qui trois mois auparavant, m’écrivait avec arrogance de ne pas souiller leur domicile ni troubler leur harmonie. Je disposai tout pour mon départ, et laissai partir mon frère le premier. En approchant de mes lieux pénates, j’éprouvai un saisissement involontaire, : le lieu de la sépulture de ma respectable mère me saisit d’un saint respect. Mon père vint à moi, je l’embrassai et j’éprouvai le doux sentiment de la nature : tous ses torts furent, bientôt oubliés ; mon cœur avait ressenti la commotion filiale, et je fis tout ce qu’il voulut.

Le premier jour, de ma réception fut froid de la part de mes frère et sœurs, de mon père lui-même ; tout le monde usa de politique avec moi ; mais comme je n’entrai dans aucun détail, et que l’on ne m’en demanda pas, nous vécûmes ensemble de même que si nous ne nous étions jamais séparés. Ce fut encore ! moi qui rompit la glace.

Je passai quelques jours dans la douce intimité de sentimens si nouveaux pour mon cœur ; et je les croyais tous épuisés entre ceux filiale et fraternelles. Déjà je me disposais à mon retour à la capitale ; depuis quelques mois je croyais ma fille morte, et depuis si long-tems que je ne l’avais vue, les doux sentimens de la nature avaient tournés au profit de l’amour.

Le soir de la veille de mon départ, nous fûmes dans une maison voisine et amie de celle de mon père. J’y trouvai cinq à six petits personnages de huit à dix ans ; de ce nombre, une petite fille m’intéressa davantage que les autres. De grands yeux : beaucoup de finesse dans les traits, une physionomie spirituelle, bien faite, des grâces naissantes, un son de voix charmant, des cheveux blonds cendrés et en quantité. Ce joli enfant attira tous mes regards ; personne n’eut l’air de s’appercevoir de l’attention que je portais à cette petite fille. On joua tranquillement ; mais moi qui ne joue jamais, je fus toujours de la partie des enfans. Mon choux, dis-je à la petite personne, vous êtes bien jolie ; comment vous nommez-vous ? en même-tems je la pressais sur mon cœur, et en me rendant mes carresses, elle me dit : — madame, vous êtes bien bonne, je me nomme Clarisse. — Clarisse ! se peut-il ? — Avez-vous une maman, mon enfant ? — Non, madame ; maman est morte il y a longtems. — L’avez-vous connu ? — Bien peu. — Où est-elle morte ? — À Paris. — Et votre papa, comment se nomme-t-il ? — Q…et Oh, ma fille ! oui, tu es, ma fille ! Je m’évanouis, et les joueurs vinrent à mon secours. Il n’y a que vous, mon amie, et ceux qui ont bien connu la sensibilité de mon cœur, qui peuvent juger de la situation où Î1 se trouva.

Je ne pouvais plus me séparer de ma chère Clarisse, et je ne pensais plus à partir. De l’héritage qu’il me revenait de manière, je partageai avec ma fille ; et je fus assez généreuse pour préférer qu’elle retourne à une pension où elle était bien, élevée, où elle avait des maîtres, qu’à la garder avec moi. Je ne voulais pas non plus que l’on pût m’accuser d’avoir influencé son caractère naissant. Ma fille est sensible, elle sera belle, elle a de l’esprit ; mais elle ressemble plus à son père qu’à moi ; cependant je lui présume mon cœur et mon ame. Quelle douce sensation de se voir reproduite !

Il fallut me séparer de ma chère fille, l’aimant plus pour elle que pour moi. Ce sensible enfant m’était déjà très-attaché. Elle mé dit des choses si touchantes en faveur de son trop aimable père. Hélas ! que ne paraissait-il Cet aimable enfant me demanda si je n’en avais pas d’autre qu’elle, et me fit tant de questions ingénieuses, que je ne pouvais plus me séparer d’elle. Il fallut appeller là raison et la dissipation à mon secours pour me déterminer à cette cruelle séparation.

De tous les miens, un seul de mes beaux-frères m’avait proposé d’améliorer mon sort, si je voulais me fixer dans mon pays ; Mais ce beau-frère, auquel je suppose un excellent cœur, joint à une mauvaise tête l’avarice et la jalousie : parlant toujours vertu ; ce qui me ferait croire qu’il n’en a pas ; car je regarde toujours comme douteuse celle que l’on affiche. Au surplus, mes très-chers parens, vos vertus ne sont que locales ; car retirés dans le fond d’un désert, si vous n’aviez pas celles domestiques, que vous resterait-il donc ?

Je fis mes adieux et partit. En approchant de la capitale, je sentis mon cœur se dilater. Je revis avec joie mon petit