Illyrine/3/Chapitre 28

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appartement, où je trouvai un petit Carlin que mon ami m’avait laissé en partant. L’absence de ce tendre amant ne tarda pas à me faire retrouver dans une triple position. J’aimais sans jouir, je jouissais sans aimer ; mais bientôt je jouis et j’aimai ; ce que l’on peut appeller le bonheur par excellence. Car, mon amie, n’est-il pas vrai qu’un amant est plus qu’un homme ! c’est la divinité du cœur ! c’est une ame en activité ! Les plus beaux attributs de l’amour n’ont de valeur que par les ressorts qui les animent. Pour une amante tendre, les ressorts de cette méchanique, c’est l’ame ; c’est en elle seule que se trouve toute la source des délices de la volupté. J’ajouterai encore que voilà d’où dérive le goût des femmes sensibles pour les capitales ; c’est qu’étant plus nombreuses en individus, elles peuvent plus facilement satisfaire à tous leurs penchans ; elles peuvent donner plus d’énergie à leur passion et si elles se sont trompées sur un choix, la facilité de le renouveller, l’espérance d’un meilleur les console. Enfin, tous les goûts, même les plus matériels et les plus bisares, trouvent ici, dans le grand nombre, à s’assortir.

Je restai paisiblement chez moi jusqu’à ce que le printems venant embellir notre hémisphère, je me décidai à goûter les charmes de la promenade. Fatiguée d’une fort longue que je venais de faire, j’entre dans un lieu public pour me reposer, et porte mes réflexions sur des propos grotesques, et des figurés qui l’étaient encore plus. J’étais fort occupée à cet examen, lorsque ma lorgnette s’arrêta sur un être charmant. Aussi étonnés l’un que l’autre de nous trouver en un tel lieu, je regardai ma démarche comme une licence philosophique ; et lui, comme observateur du genre humain, c’était un instant de désœuvrement qui le conduisait en cet endroit.

Le désœuvré, le superbe St.-Martin ne tarda pas à devenir le conquérant de mon cœur, que je regardais alors comme libre. Vous jugerez de ma conquête au portrait que je vais vous esquisser.

Celui qui porte ma devise et mes couleurs, réunit à toutes les beautés d’Hercule les grâces d’Adonis, les charmes d’Alcibiade, l’ame d’Ovide, l’éloquence sentimentale du gentil Bernard, le favori des Neuf-Sœurs, l’Apollon moderne, marchant d’un pas aussi ferme dans le sacré valon que dans le boudoir de sa maîtresse.

Voilà, chère amie, le portrait non flatté de l’idole de mon cœur. Il me nomma son Illyrine. Que ce nom m’est cher ! Oh ! je crois que je ne le changerai, jamais !



CHAPITRE XXVIII.

Illyrine fait connaissance d’un Hermite ; sa retraite à l’hermitage.


Que vais-je vous apprendre, ma bonne amie ; ce St.-Martin, cet amant adoré qui possédait à lui seul toutes les qualités de mes autres amans, vient de repartir pour l’armée. J’en suis restée inconsolable jusqu’à ce que je fis rencontre d’un galant hermite dont les principes, les goûts et la manière de penser se trouvèrent si conformes aux miens, que je ne balançai pas à partager son hermitage.

Avant d’entrer avec vous dans aucun détail sur mon nouveau bonheur, je devrais vous gronder, si je n’étais indulgente envers mes amis, lors même qu’ils adoptent des opinions contraires à mes sentimens ; d’ailleurs vous savez que ce n’est pas de l’esprit qu’il faut pour faire fortune, mais de la délicatesse qu’il ne faut pas. Vous me reprochez de faire banqueroute à l’amitié en faveur de l’amour. L’amour, vous le savez, est un sentiment divinisé dans mon ame depuis l’aurore de ma raison ; l’amitié me plaît et me console ; mais j’adore l’amour… L’amitié charme l’homme dans ses peines, l’amour lui donne le bonheur dans ses plaisirs, ; l’amitié est l’enfant de l’estime, l’amour est un don de la divinité ; l’un et l’autre concourent également au bonheur de l’humanité : mais l’homme sensible préfère ce dernier ; c’est mon avis, c’est mon goût.

Vous ne me dites rien de votre séjour à Belle-Ville ; ce que l’on dit, ce que l’on pense, sont toujours bon à savoir. L’esprit inquiet est toujours exigeant. Avez-vous vu A… ? vous a-t-il parlé de moi ? Une autre fois, soyez moins laconique ; la complaisance rend aimable ; et, j’aime à trouver cette vertu dans mes amis. Pour vous en donner l’exemple, je vais vous détailler ma nouvelle position…

Illyrine, mon amie, est heureuse : une douce et paisible retraite, une retraite précoce, et plus honorable encore, a fixé tous ses vœux et comblé tous ses désirs. L’amitié a mis le terme à ma carrière orageuse, et l’amour encore embellit mes jours fortunés ; car l’honnête, le délicat et sensible M. B…, que j’appellerai désormais mon hermite, était comme moi fatigué de la variété et des sentimens trop ardens qui consument l’ame par leur excès, sans cependant, totalement la satisfaire : comme moi inconstant, jusques dans son inconstance, il était occupé depuis des années à chercher une amie qui eût ses mêmes goûts, sa manière de penser et de sentir pour se fixer à elle et se séquestrer dans un hermitage. Là, rire de la folie de ceux qui cherchent le bonheur loin de la nature, et qui croyent, en s’écartant d’elle, aiguilloner leur désir ; et aussi en philosophes, nous amuser réciproquement des extravagances qui ont servi à mûrir nos goûts et notre jugement ; enfin, qu’un même et parfait accord pût rendre durable et à toujours le charme de notre solitude.

C’est encore le hasard qui guida l’aimable hermite vers moi. Étant connaisseurs et observateurs, un regard, un seul mot nous eut bientôt fait apprécier notre juste valeur ; il me communiqua son goût pour la solitude, son projet de retraite et qu’il n’attendait plus qu’une compagne qui pût lui plaire pour l’exécuter.

Laissant échapper un soupir dont mon ame fut émue : — Je ne la trouverai jamais, s’écria-t-il ; toutes mes recherches seront vaines ; car quelle serait la femme jeune encore et qui aurait assez de philosophie pour avoir le courage de renoncer au tourbillon du monde, au charme de cette capitale. Non, non ; je renonce à ce chimérique bonheur.

— Arrêtez, lui dis-je en saisissant une de de ses mains: arrêtez, mon ami ; n’accusez plus le sort : vous avez trouvé cette compague dans Illyrine ; puissiez-vous lui trouver assez de charmes phisiqiies, elle répond du reste ; elle est toute à vous ; vos souhaits sont les siens. Hélas ! mon cher Hermite, quelle route le destin nous a fait prendre pour nous rencontrer ……… De ce moment, M. B… ne balança plus dans son projet, sûr d’avoir rencontré l’objet de toutes ses recherches, il ne s’occupa plus que des moyens de réaliser son plan de retraite.

Pendant un mois qu’il resta à la ville, nous nous vîmes tous les jours : nos goûts s’identifièrent davantage, et nos cœurs furent si parfaitement d’accord, que le plaisir vint y mettre le sceau.

Avant-hier, dimanche, le joquet de mon cher B… entra chez moi, me remit une lettre de lui ; où il m’invitait à me rendre chez lui de suite, pour me conduire de là à l’hermitage qu’il venait de se procurer à une lieue de Paris, afin de juger ensemble si nos goûts étaient bien remplis. Mon cœur tressaillit de joie. Je laissai ma femme de chambre gardienne de mon appartement, et volai dans les bras de l’amitié. J’y fus reçue avec les transports de l’amour. Tout, était prêt pour le départ.

Nous montâmes dans une voiture avec ses domestiques et ses chiens. Il faisait beau quoique très-froid. Nous sortîmes de Paris par le plus beau côté, notre hermitage étant situé à un quart de lieue du bois de Boulogne, par conséquent sur la route la plus agréable et la plus variée. Jamais je n’éprouvai un embarquement aussi délicieux, et ne quittai la capitale avec autant de joie.

Ma main tendrement contenue dans celles de mon hermite, semblait m’annoncer le pilote bienfaiteur qui venait m’arracher de mon vaisseau prêt à faire naufrage.

Sa figure douce et noble, dans laquelle était le sourire de la satisfaction ; semblait jouir d’avance du bonheur qu’il me préparait dans ma nouvelle translation.

Les chevaux s’arrêtent à la porte d’une petite maison d’un goût assez bisarre, mais jolie, ornée avec tout le luxe de la simplicité ; rien de ce qui peut contribuer aux commodités et aux agrémens de la vie n’y était oublié. L’appartement d’Illyrine y est