Images de la vie/21

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Chez l'auteur (p. 64-65).

DÉPART EN MUSIQUE


Le petit-fils de la vieille Hogue est mort.

L’enfant était né très faible et il avait toujours été chétif, malingre, souffreteux, mal en point. Il s’est rendu à cinq mois puis un matin, sa mère l’a trouvé sans vie dans son berceau.

Alors, la grand-mère Hogue qui fait des journées à droite et à gauche comme femme de peine, est allée voir le curé pour s’entendre au sujet du service religieux.

Dès les premiers mots, le curé, paternel et brave homme, lui a dit :

— Ne vous tracassez pas, Mme Hogue. Si vous voulez l’amener à l’église je lui chanterai un Libéra et ça ne vous coûtera rien.

La figure de la femme prit une expression offensée.

— Mais, monsieur le curé, nous ne voulons pas l’enterrer comme un chien. Nous voulons avoir un service, insiste la grand-mère.

— Oui, oui, amenez-le à l’église. Il y aura une petite cérémonie et vous n’aurez pas un sou à débourser, assure le curé qui sait que la vieille femme gagne sa pitance à laver des planchers chez les autres et à faire des ménages.

— Mais, monsieur le curé, vous nous prenez pour des quêteux. Je veux un service, un vrai service, pas des simagrées.

— Écoutez, Mme Hogue, l’enfant n’a pas besoin de ça pour aller au ciel. C’est déjà un petit ange au paradis. Néanmoins, je peux dire la messe si vous le désirez, mais il n’y aura pas de chantres, car ils sont occupés et je ne saurais les réunir. D’ailleurs, pour un enfant de cinq mois, ce serait une extravagance.

— Je veux un service avec des chantres. Je paierai ce qu’il faudra. Si vous ne voulez pas chanter un service, j’irai me plaindre à l’évêque. Vous êtes ici pour donner à vos paroissiens ce qu’ils vous demandent dans ces choses-là.

— Madame, je voulais vous obliger, vous épargner des dépenses onéreuses. Je sais que vous n’êtes pas des quêteux, mais je sais aussi que vous gagnez péniblement votre vie. Vous voulez un service, vous en aurez un, mais ce ne sont pas vos menaces qui me font agir ainsi. La cérémonie vous voûtera quarante piastres.

Le petit ne pouvait pas s’en aller sans un tangible témoignage d’affection. Alors, la vieille a fait venir une couronne de roses blanches avec l’inscription :

  À mon petit-fils chéri

   sa grand-mère

Elle l’a déposée au pied du minuscule cercueil où parents et visiteurs pourront l’admirer.

La question du service et de la couronne réglée, il s’agissait d’avoir un corbillard blanc. Au village, il n’y en avait pas. Alors, on en a demandé un à la ville voisine. Là non plus, il n’y en avait pas. Pour finir, on s’est adressé à un entrepreneur de pompes funèbres de Montréal qui est venu avec la voiture demandée.

Alors, après un service religieux à l’église avec chant et musique, le petit-fils de la femme de peine s’en est allé au cimetière avec une couronne de roses blanches dans un coquet corbillard blanc, tout comme un enfants de riches.