Imitation de Jésus-Christ/Livre 4/Chapitre 17
CHAPITRE XVII.
du desir ardent de recevoir jésus-christ.
Avec tous les transports dont est capable une âme,
avec toute l’ardeur d’une céleste flamme,
avec tous les élans d’un zèle affectueux,
et les humbles devoirs d’un cœur respectueux,
je souhaite approcher de ta divine table,
j’y souhaite porter cet amour véritable,
cette ferveur sincère et ces fermes propos
qu’y portèrent jadis tant d’illustres dévots,
tant d’élus, tant de saints, dont la vie exemplaire
sut le mieux pratiquer le grand art de te plaire.
Oui, mon Dieu, mon seul bien, mon amour éternel,
tout chétif que je suis, tout lâche et criminel,
je veux te recevoir avec autant de zèle
que jamais de tes saints ait eu le plus fidèle,
et je souhaiterois qu’il fût en mon pouvoir
d’en avoir encor plus qu’il n’en put concevoir.
Je sais qu’à ces desirs en vain mon cœur s’excite :
ils passent de trop loin sa force et son mérite ;
mais tu vois sa portée, il va jusques au bout :
il t’offre ce qu’il a, comme s’il avoit tout,
comme s’il avoit seul en sa pleine puissance
ces grands efforts d’amour et de reconnoissance,
comme s’il avoit seul tous les pieux desirs
qui d’une âme épurée enflamment les soupirs,
comme s’il avoit seul toute l’ardeur secrète,
tous les profonds respects d’une vertu parfaite.
Si ce qu’il t’offre est peu, du moins c’est tout son bien :
c’est te donner beaucoup que ne réserver rien.
Qui de tout ce qu’il a te fait un plein hommage
t’offriroit beaucoup plus, s’il pouvoit davantage.
Je m’offre donc entier, et tout ce que je puis,
sans rien garder pour moi de tout ce que je suis :
je m’immole moi-même, et pour toute ma vie,
au pied de tes autels, en volontaire hostie.
Que ne puis-je, ô mon Dieu, suppléer mon défaut
par tout ce qu’après toi le ciel a de plus haut !
Et pour mieux exprimer tout ce que je desire
(mais, ô mon rédempteur, t’oserai-je le dire ?
Si je te fais l’aveu de ma témérité,
lui pardonneras-tu d’avoir tant souhaité ?),
je souhaite aujourd’hui recevoir ce mystère
ainsi que te reçut ta glorieuse mère,
lorsqu’aux avis qu’un ange exprès lui vint donner
du choix que faisoit d’elle un Dieu pour s’incarner,
elle lui répondit et confuse et constante :
" Je ne suis du Seigneur que l’indigne servante ;
qu’il fasse agir sur moi son pouvoir absolu,
comme tu me le dis et qu’il l’a résolu. "
Tout ce qu’elle eut alors pour toi de révérence,
de louanges, d’amour, et de reconnoissance,
tout ce qu’elle eut de foi, d’espoir, de pureté,
durant ce digne effort de son humilité,
je voudrois tout porter à cette sainte table
où tu repais les tiens de ton corps adorable.
Que ne puis-je du moins par un céleste feu
à ton grand précurseur ressembler tant soit peu,
à cet illustre saint, dont la haute excellence
semble sur tout le reste emporter la balance !
Que n’ai-je les élans dont il fut animé
lorsqu’aux flancs maternels encor tout enfermé,
impatient déjà de préparer ta voie,
il sentit ta présence, et tressaillit de joie,
mais d’une sainte joie et d’un tressaillement
dont le Saint-Esprit seul formoit le mouvement !
Lorsqu’il te vit ensuite être ce que nous sommes,
converser, enseigner, vivre parmi les hommes,
tout enflammé d’ardeur : " Quiconque aime l’époux,
cria-t-il, de sa voix trouve l’accent si doux,
que de ses tons charmeurs l’amoureuse tendresse,
sitôt qu’il les entend, le comble d’allégresse. "
Que n’ai-je ainsi que lui ces hauts ravissements,
ces desirs embrasés, et ces grands sentiments,
afin que tout mon cœur dans un transport sublime
t’offre une plus entière et plus noble victime ?
J’ajoute donc au peu qu’il m’est permis d’avoir
tout ce que tes dévots en peuvent concevoir,
ces entretiens ardents, ces ferveurs extatiques
où seul à seul toi-même avec eux tu t’expliques,
ces lumières d’en haut qui leur ouvrent les cieux,
ces claires visions pour qui l’âme a des yeux,
ces amas de vertus, ces concerts de louanges,
que les hommes sur terre et qu’au ciel tous les anges,
que toute créature enfin pour tes bienfaits
et te rend chaque jour, et te rendra jamais.
J’offre tous ces desirs, ces ardeurs, ces lumières,
pour moi, pour les pécheurs commis à mes prières,
pour nous unir ensemble et nous sacrifier
à te louer sans cesse et te glorifier.
Reçois de moi ces vœux d’allégresse infinie,
ces desirs que partout ta bonté soit bénie,
ces vœux justement dus à ton infinité,
ces desirs que tout doit à ton immensité :
je te les rends, Seigneur, et je te les veux rendre,
tant que de mon exil le cours pourra s’étendre,
chaque jour, chaque instant, devant tous, en tous lieux.
Puisse tout ce qu’il est d’esprits saints dans les cieux,
puisse tout ce qu’il est en terre de fidèles,
te rendre ainsi que moi des grâces éternelles,
te bénir avec moi de l’excès de tes biens,
et joindre avec ferveur tous leurs encens aux miens !
Que des peuples divers les différents langages
ne fassent qu’une voix pour t’offrir leurs hommages !
Que tous mettent leur gloire et leur ambition
à louer à l’envi les grandeurs de ton nom !
Fais, Seigneur, que tous ceux qu’un zèle véritable
anime à célébrer ton mystère adorable,
que tous ceux dont l’amour te reçoit avec foi
obtiennent pour eux grâce et t’invoquent pour moi.
Quand la sainte union où leurs souhaits aspirent
les aura tous remplis des douceurs qu’ils desirent,
qu’ils sentiront en eux ces consolations
que versent à grands flots tes bénédictions,
qu’ils sortiront ravis de ta céleste table,
fais qu’ils prennent souci d’aider un misérable,
et que leurs saints transports, avant que de finir,
d’un pécheur comme moi daignent se souvenir.