Ingres d’après une correspondance inédite/LXVII

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27 août 1851,
LXVII

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Tu vis avec les beaux-arts ; très bien. Ils sont le baume salutaire de la vie. Cette musique, cette peinture, l’honnête et belle littérature, voilà de quoi nous rendre bien heureux. Et tu n’y es pas si maladroite déjà. Je voudrais pouvoir apprécier tes progrès.

Oui, c’est avec bonheur que je vais réaliser le projet cher à mon cœur, de laisser à ma ville natale tout ce que je possède en art. Le si excellent Mr Combes veut bien me seconder. Mais faites-moi le plaisir de ne pas trop exalter l’envoi que je fais prématurément et pour engager seulement ma foi, car ce n’est qu’un échantillon et pour prendre possesso. Aussi, je vous prie de ne point rendre cela plus important que ce n’est. Je désire que ce soit en un bien privé, mais accessible aux personnes éclairées. Vous devez bien me comprendre et je me fie sur ce point à votre zèle éclairé et prudent.


À Monsieur Croshilhes, Maire de Montauban.

Paris, 18 juillet 1851.

Monsieur le Maire, le Conseil municipal de Montauban, après m’avoir déjà profondément honoré en daignant donner mon nom à une des plus belles rues de la ville, vient de mettre le comble à ses bontés pour moi, en me permettant de voir se réaliser un des plus heureux rêves de ma vie, celui de pouvoir transporter dans le lieu qui m’a vu naître, pour y être conservés, les objets d’art que je possède.

Le local que la Ville veut bien leur destiner sera comme un lieu sûr pour ces bons vieux compagnons, qui m’ont tant appris, qui m’apprennent encore chaque jour. J’ai vécu, je vis encore avec eux, et cependant pour donner à mes chers compatriotes un gage de ma foi et de ma vive gratitude, je n’hésite pas à leur envoyer une première partie de mon offrande, pour la placer dans le local qui doit, un jour, la contenir tout entière.

Il m’est doux de penser qu’après moi, j’aurai comme un dernier pied-à-terre dans ma belle patrie ; comme si je pouvais, un jour, revenir en esprit au milieu de ces chers objets d’art, tous rangés là comme ils étaient chez moi, et semblent toujours m’attendre. Enfin je suis heureux de penser que je serai toujours à Montauban, et que là où, par circonstance, je n’ai pu vivre, je resterai éternellement dans le généreux et touchant souvenir de mes compatriotes.

Veuillez donc bien, Monsieur le Maire, etc.

(Fonds Henry Lapauze).
Ingres.