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Ingres d’après une correspondance inédite/LXVIII

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LXVIII

À Pauline Gilibert.

2 octobre 1851.

Je suis malade d’ennui. Toujours une vie de contretemps qui contrecarre tous mes projets. Tout cela couronné d’une responsabilité glorieuse, si l’on veut, mais laborieuse et difficile…

Je te trouve heureuse de partager ces quelques jours avec une si aimable cousine. Je suis on ne peut plus flatté, d’être quelquefois l’objet de son sou419

venir et de l’assurer de tous mes vœux empressés pour son cher fils que j’aurais désiré connaître. Que vous êtes heureux de respirer l’air si pur du pays natal ! Que n’en puis-je jouir, moi aussi !… La Providence fera bien quelque miracle, pour que je cesse d’être traité en proscrit.


À Monsieur de Guisard, Directeur des Beaux-Arts
au Ministère de l’Intérieur.
Paris, ce lundi 20 octobre 1851.

Monsieur le Directeur, permettez-moi tout d’abord de vous exprimer tous mes remerciements, de vous dire combien je suis sensiblement touché des bontés du Ministre et de vous prier, Monsieur, de vouloir bien être auprès de lui l’interprète de ma plus vive gratitude.

Cependant, je dois en même temps l’instruire, ainsi que vous, Monsieur le Directeur, du parti que j’ai pris depuis longtemps avec moi-même de ne plus accepter aucune commande. On sait, en effet, que je me suis désisté de plusieurs grands travaux déjà commencés, avancés même, et cela pour ne plus prendre dorénavant mes inspirations que de moi-même et n’assumer d’avance, sur l’exécution et l’achèvement de mes œuvres, aucune espèce de responsabilité.

Toutefois, dans la situation présente, éprouvant une véritable répugnance à opposer un refus à d’aussi grandes bontés, je viens, Monsieur le Directeur, vous soumettre un terme moyen qui, tout en me laissant mon libre arbitre, me permettrait de répondre aux bienveillantes intentions de M. le Ministre.

J’ai en ce moment sur le chevalet deux tableaux, figures de grandeur naturelle, qui, terminés, pourront avoir quelque importance. C’est, d’une part, une répétition (avec variante) de ma Vierge à l’Hostie, répétition qui m’a été commandée il y a quelques aimées par le Ministère de l’Intérieur, au prix de 10.000 francs et qui est déjà à moitié faite. D’autre part, c’est une Jeanne d’Arc au Sacre de Charles VII dans l’église de Reims, en pied, dont la composition déjà gravée fait partie du Plutarque français et dont le prix serait de 10.000 francs.

Pensez-vous avec moi, Monsieur le Directeur, qu’en offrant ces deux ouvrages, cet arrangement puisse convenir à M. le Ministre et à vous ?

Daignez, je vous prie, le lui soumettre. Mais quelle que puisse être la décision, croyez-le bien, je serai toujours très heureux de l’honneur insigne que je viens de recevoir dans cette circonstance, où il y a plus qu’une commande pour moi, tant est grande la haute bienveillance dont je suis l’objet et dont j’aurai bientôt l’honneur de remercier M. le Ministre et vous, Monsieur le Directeur. J’ai l’honneur d’être, en attendant, avec la considération la plus distinguée, votre plus humble et plus reconnaissant serviteur.

J. Ingres.000
Membre de l’Institut.

À MM. les Professeurs de l’École des Beaux-Arts.
Paris, le 25 octobre 1851.

Messieurs et honorés Collègues, arrivé à l’âge de soixante et onze ans, après de longues années de service, je viens prier l’École de vouloir bien m’honorer du titre de recteur et de me permettre aussi de jouir des privilèges attachés à cette position

Les soins de santé qu’exige mon âge, m’éloignent d’un enseignement que je regrette. Mais dans vos mains, Messieurs, il ne saurait jamais fléchir et de loin je ne cesserai de prendre la plus vive part aux succès glorieux d’une École dont les intérêts me seront toujours chers.

Veuillez donc croire à l’assurance des regrets et du dévouement de votre très honoré collègue.

Ingres.

(Archives de l’Ecole des Beaux-Arts, communiquées à M. Henry Lapauze).