Ingres d’après une correspondance inédite/LXXXI

La bibliothèque libre.
◄  LXXX.
LXXXII.  ►

LXXXI

À Armand Cambon.

27 avril 1862.

Cher et bon ami, c’est la fièvre et tous les longs embarras de mon Exposition, dont je remercie Dieu ; car elle est des plus honorables, pour ne pas dire aussi des plus brillantes, que j’aie jamais vues.

Que je vous remercie avant tout, cher ami, de tous les bons soins que vous prodiguez à notre Exposition de Montauban. Je vous prie d’être mon interprète auprès de mes chers et honorables compatriotes, pour le beau rôle qu’ils veulent m’y faire jouer. Enfin, vaincu par tant d’honorables désirs, je m’empresse, dès ce moment, car je viens de faire appeler M. Haro pour vous envoyer, emballé avec le plus grand soin, mon portait, celui de Mme Ingres, et le portrait de mon vénérable père que mes chers concitoyens veulent toujours honorer. Je suis heureux aussi d’y voir figurer enfin le meilleur de mes portraits, celui de notre cher Gilibert. M. de Monbrison, qui vient d’acquérir la tête brune de mon Condottiere, s’empresse de vous la prêter et vous la portera lui-même. Je ne peux vous dire quel homme aimable est M. de Monbrison et combien il m’est dévoué. Je vous prie de voir de ma part Mme Montet pour la remercier et, s’il le faut, de refaire le cadre du portrait qui en a peut-être besoin.

Quant à ma venue à Montauban, vous ne pouvez savoir, même vous, le vif désir que j’en ai, ainsi que M me Ingres. Mais les difficultés inextricables se sont encore aggravées depuis tout ce dont il a été question, touchant la jeune personne. …Il n’est pas moins vrai que ma sœur… qui désole ma vie sur ce point… Je ne puis donc malheureusement revoir cette chère patrie, et le cœur m’en saigne de douleur et de regret.

Mais parlons aussi de vous, cher ami. La preuve que vous apporterez là avec toutes vos forces, votre beau portrait en tête et vos délicieux tableaux ensuite, sera une preuve indiscutable de votre beau talent, et enfin vos compatriotes feront cesser ce malheureux idiome que « nul n’est prophète dans son pays ».

Je vous voudrais bien ici, mon cher ami ; mais je ne vous cache pas que je serais bien fâché, et pour vous et pour moi, que vous n’assistiez pas, que vous ne soyez pas présent à cette fête vraiment montalbanaise et que vous vous dérobiez, puisque vous avez d’ailleurs tout fait, à la gloire et aux avantages qu’elle doit vous procurer. Si c’est pour le Ier de mai que s’en fera l’ouverture, nous arriverons, j’espère, à temps. Je vais donc vous envoyer les trois toiles en bon état et dans les conditions que l’on veut bien m’offrir. Je vous remercie, ainsi que Mme Ingres, des offres généreuses et aimables que vous nous offrez, vous et Madame Montet ; mais nous en sommes cruellement privés. J’ai remis et recommandé ce que je compte encore faire par invitations aux artistes, mes amis. Je ne sais moi-même ce qu’il en sera.

Ce que je vous prie de faire pour moi, cher ami, c’est de vous porter l’interprète intime de mes sentiments de reconnaissance et de vive affection auprès du Conseil municipal, de M. votre digne père et de tous mes aimables et excellents concitoyens, avec mes excuses sur ce que, pour le moment, je ne peux mieux faire que de seconder leurs vœux et leurs désirs pour ce jour qui doit amener un nouvel intérêt à cette charmante et riche (illisible). Je m’arrange donc à vous expédier cette caisse à votre adresse, à Montauban, comme vous le voulez bien. Vous voudrez bien m’en accuser réception, en même temps que me donner le plaisir d’avoir de vos bonnes nouvelles.

Je vous embrasse, mon cher Cambon, bien digne de toute l’affection que je vous porte avec tout mon entier dévouement.