Ingres d’après une correspondance inédite/LXXXII

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LXXXII
4 juin 1862.

Mon cher Cambon, je suis si ébahi de ma nouvelle position, que je ne sais où donner de la tête. Je suis obligé de correspondre a tant de souhaits, à des empressements de félicitations si générales qu’elles s’étendent à presque tout Paris, départements et étranger. Si je n’avais dans Madame Ingres un parfait secrétaire, (c’est une femme si courageuse et si attachée à l’existence de son mari), je ne sais ce que je deviendrais au milieu de toute ma gloire, puisqu’il faut dire ainsi. Mais vous, qui me connaissez assez, vous jugez bien que, de tout cela, je ne prends que ce qui me convient et que je suis encore plus artiste que jamais.

Cependant je suis, comme vous devez bien le penser, bien reconnaissant de tout ce qu’on fait pour moi. L’Empereur a voulu, de lui-même, proclamer et prononcer mon nom ; il a bien voulu verser des fleurs honorables sur la vieillesse de mes derniers jours. Nous étions, ma femme et moi, bien loin de penser que, dans l’espace d’une semaine, je serais introduit à prêter serment et à recevoir, dans ce lieu suprême, la plus tendre et la plus honorable distinction.

Tout cela nous prouve cependant, mon ami, que, allant droit son chemin, avec des convictions d’art indispensables, courage et fermeté contre tant d’adversités de cette vie, on parvient au faîte et sans avoir rien demandé. Je ne vous parle pas de ceci avec le moindre orgueil, touchant ma personne ; vous connaissez mes goûts, ma philosophie. Mais, comme exemple aussi, cher ami, je pense que vous êtes d’accord avec moi ; et comme il en est encore temps pour vous, que cela vous serve d’émulation. Je verrai toujours avec bonheur que vous saurez, dans la belle voie, faire marcher droit votre beau talent et arriver enfin, non à une vie meilleure, mais à une place et une considération que vous pourrez noblement acquérir, je crois, cher ami, et je l’espère vivement.

Je ne puis, cette fois, que verbalement vous bien remercier de toute votre bonne amitié pour moi. En attendant, je vous remercie de tout cœur.

J’ai lu avec grand plaisir de compatriote tous vos détails sur ce qui se passe en ce moment, dans ce cher Montauban, et l’honorable part des soins que vous y avez donnés et dont on doit, certes, vous bien remercier. Quelle belle relation vous me faites de cette belle fête, où je suis si bien traité et aussi par vos bons soins ! Que de richesses d’art ! Combien je suis privé, de n’être pas là. Comme cela doit être beau et touchant ! J’espère qu’après les miens, vous avez aussi donné vos soins à vos propres ouvrages si distingués et que je voudrais savoir acquis et dans de bonnes mains. Je vous remercie des soins que vous prenez pour les œuvres de nos amis qui, lors même de non-réussite, vous en sont bien obligés. Il faut que je ferme ma lettre, contraint par mille demandes, résultat de ma position. Choses pas toujours amusantes, mais auxquelles je ne puis me soustraire.

Je viens de recevoir une lettre bien amicale de notre ami M. Debia. Je vous prie de l’en bien remercier, en attendant que je le puisse faire moi-même. M. et Mme Montet sont, sans doute, à la campagne ; sinon vous voudrez bien les saluer et les féliciter de tout notre cœur.

Chaque jour amène quelque chose de nouveau. Alors vous m’en instruirez et je recevrai toujours vos nouvelles avec bonheur. Ne m’oubliez pas auprès de vos chers parents, auxquels nous adressons tous nos vœux. Mon cher M. M…, j’espère de brillantes nouvelles de votre petit neveu.

Dans cette circonstance, je désire gratifier… Veuillez bien me dire si vous voulez bien m’en faire l’avance et par quel moyen je peux vous rembourser.

Je vous embrasse de tout cœur, cher ami, et je me dis pour toujours, etc.