Initiation musicale (Widor)/ch16

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Librairie Hachette (p. 87-90).


CHAPITRE XVI

LE CONTREPOINT

LE CONTREPOINT, ART DU MOUVEMENT. ║ LA FUGUE.



Le contrepoint, art du mouvement. ↔ Rien de moins compliqué, on le voit, que le bilan de l’harmonie : deux accords consonants, trois septièmes et une neuvième avec leurs déductions. Quant à celui du contrepoint, la chose est plus embarrassante. Aussi bien que l’onde sonore, les combinaisons du contrepoint se perpétuent à l’infini. C’est l’art du mouvement : il s’agit de faire concourir à l’effet d’ensemble le soprano, l’alto, le ténor, la basse, en même temps que d’intéresser chacun d’eux en particulier à son rôle. Presque pas de règles. On ne procède que par consonances, en proscrivant même la quarte comme basse. Tout se passe entre quintes, octaves, tierces et sixtes.

En réalité, c’est un mécanisme de l’esprit, une souplesse d’écriture qu’il faut acquérir et conserver par une gymnastique de tous les jours.

Les dernières années de sa vie, après avoir écrit les Maîtres chanteurs, la Tétralogie, Parsifal, Wagner s’en allait chaque matin copier les vieux manuscrits du Palais des Doges. Il estimait qu’on ne lit attentivement que la plume à la main.

Par quelle méthode s’entrainer au contrepoint ? En commençant par opposer, à un chant donné (en rondes[1]), note contre note, puis deux blanches par mesure, puis quatre noires, enfin un mélange de ces quatre espèces appelé contrepoint fleuri.

On opère ensuite d’après le même programme, non plus à deux, mais a trois, quatre, cinq, jusqu’à huit voix, les combinaisons se multipliant en proportion du nombre des parties. Dans un choral a quatre voix, par exemple, la basse chantera des rondes, pendant que le ténor lui opposera des blanches, l’alto des noires et le soprano syncopes ou retards.

De même que pour émettre facilement les sons élevés le chanteur travaille les demi-tons et tons au-dessus, de même pour écrire élégamment à « quatre » faut-il s’exercer avec un plus grand nombre de voix. Et d’ailleurs, quel crescendo de richesse sonore dans un quintette, dans un sextuor ! Qui de nous a pu, sans un frisson, écouter l’attaque du « Sanctus » de la Messe en si mineur, ou l’entrée du double-chœur final de la Mattheus-Passion ?

La fugue. ↔ Quand on a fini ses études de contrepoint et qu’on sait écrire, tel l’architecte aux prises avec ses matériaux sur le chantier, on commence à construire. La fugue est un monument dont les proportions doivent être raisonnées et justement équilibrées ; c’est la type de la « forme » musicale adoptée et consacrée par les maîtres, depuis les débuts de la polyphonie instrumentale, jusqu’à Haendel et Bach. Et c’est le génie de Bach qui, se trouvant à l’étroit dans ces conventionnelles formes, a cherché autre chose et conçu d’autres projets. Philippe Emmanuel, son fils, s’en inspira et après lui Haydn, Mozart, Beethoven et tous ceux qui voulurent faire œuvre durable[2]

Quand, après avoir terminé ses études d’harmonie, l’élève a subi toutes les épreuves du contrepoint, quand il sait écrire, on l’initie à l’art de construire, de faire un plan, de « composer ».

L’échafaudage d’une fugue doit reposer sur quatre fortes assises, dont les deux principales sont l’exposition et la strette ; les deux autres, le relatif et la sous-dominante.

Dans l’exposition, le sujet passe successivement d’une voix à l’autre par une sorte de balancement entre tonique et dominante. S’il va d’ut en sol (supposons-le imposé par le soprano), l’alto le reprend de sol en ut ; repris d’ut en sol par le ténor, de sol en ut lui répond la basse.

C’est alors un premier épisode modulant et la transposition du sujet et de la réponse dans le ton relatif.

Puis un second épisode modulant du relatif à la sous-dominante, et la réapparition du sujet à cette sous-dominante.

Enfin un troisième épisode préparant le retour au ton initial, conduisant à la péroraison, la strette.

La strette est, en raccourci, la reprise de l’exposition. Si le sujet s’y prête, les entrées des voix qui s’y étaient réglées de quatre en quatre mesures[3] — ou à peu près, — se rapprochent de plus en plus. Certains sujets se prêtent à plusieurs entrées toujours plus serrées et en progression d’intérêt.

Après quoi, l’on conclut.

Tel est le plan classique que personne, d’ailleurs, ne vous force d’adopter. Quand on le propose aux étudiants, c’est pour leur épargner la peine d’en chercher un autre et de perdre leur temps dans cette recherche.

  1. L’indication de la mesure se fait, comme chacun sait, par un numérateur et un dénominateur. Une question d’examen de solfège : « Qu’est-ce qu’une mesure a sept cent cinquante 8 ? » Le candidat ahuri reste bouche bée. « — C’est, monsieur, une mesure dans laquelle il y aurait sept cent cinquante croches. » « — Vous n’en avez jamais vu et n’en verrez jamais, non plus qu’une mesure à un million de 16, c’est-à-dire à un million de doubles croches… Allez vous asseoir et vivez en paix. »
  2. Un fait à constater : tous les grands musiciens, vers la fin de leur vie, reviennent à la fugue ou au style fugué… Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Saint-Saëns, etc.
  3. Cette cadence de quatre en quatre n’est point obligatoire. Le rythme n’est point en fils de fer barbelés. Les sujets de Fugue, comme ceux d’une Sonate ou d’une Symphonie, dépendent de la fantaisie de l’auteur, caractère et mesure.