Initiations à la physique/Chapitre X
CHAPITRE X
LA CAUSALITÉ DANS LA NATURE
Les brillants succès obtenus par la physique en ce qui concerne l’approfondissement de notre connaissance de la nature ont suscité pendant un certain temps les plus légitimes espoirs. Mais ceux-ci ont dû être limités en des points essentiels en raison de la façon dont cette science n’évolué récemment.
Le principe de causalité, notamment, sous sa forme classique, n’a plus une portée absolument générale ; car son application au monde des atomes a été finalement un échec. Pour tous ceux qui s’intéressent à la valeur et au sens de la recherche scientifique, rien ne saurait donc être plus urgent que d’examiner à nouveau et de plus près ce qui constitue l’essence propre des lois naturelles.
Il n’est plus de saison aujourd’hui de ranger purement et simplement le principe de causalité au nombre des catégories ; de le considérer comme l’affirmation de l’existence de règles immuables s’étendant à tout le devenir et d’en faire une forme intuitive sans laquelle nous serions hors d’état d’expérimenter quoi que ce soit. Si la thèse de Kant, selon laquelle il y a des catégories conditionnant a priori toutes nos expériences, est une vérité sur laquelle le temps n’a pas de prise, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne nous dit rien sur le contenu de chacune des catégories prises à part. Souvenons-nous de la géométrie euclidienne dont les axiomes, considérés par Kant comme faisant partie des catégories, sont regardés aujourd’hui comme des propositions conditionnelles purement restrictives qu’il est non seulement possible, mais encore nécessaire, de rendre moins étroites, Nous comprendrons alors la prudence des physiciens à cet égard. Nous serons donc sans préventions et nous éviterons de nous lier à aucune hypothèse dangereuse ; aussi nous commencerons par rechercher une base sûre et durable pour édifier notre concept de la causalité.
Quand nous parlons d’une relation causale entre deux événements successifs, cette expression signifie évidemment qu’un lien à forme de loi relie ces deux événements dont le premier est appelé cause et le second, effet.
Maintenant, quelle est la nature de cette liaison ? Y a-t-il un critérium infaillible permettant de savoir si un événement naturel donné est conditionné causalement par un autre ? Cette question est vieille comme la science elle-même et le fait qu’elle est encore posée aujourd’hui suffit à montrer qu’une réponse définitive n’y a pas encore été apportée. C’est là une constatation dont il n’y a pas lieu d’être satisfait ; cependant l’idée qu’il ne peut pas en être autrement est de nature à nous apporter quelque apaisement compensateur. Certes, imaginer qu’on puisse jamais parvenir, d’abord à définir la causalité en une formule parfaitement nette et ensuite, en appliquant cette formule, à circonscrire dans la nature le domaine du principe de causalité, a toujours été considéré comme une naïveté ; mais, aujourd’hui, en raison du tour pris par l’évolution actuelle des sciences exactes, c’est une pure folie. Dans les sciences naturelles positives, comme dans toutes les autres, on ne part pas d’un principe dont on cherche ensuite la réalisation dans le monde qui nous entoure ; on procède d’une façon exactement inverse. Nous autres hommes, dès le jour de notre naissance, et sans y avoir été préparés, sans avoir été consultés, nous sommes implantés dans la vie et, de cette vie qui nous à ainsi été octroyée, il faut que nous nous accommodions, que nous nous y orientions et, pour cela, que nous ordonnions nos impressions en faisant usage de nos facultés intellectuelles innées. Nous le faisons en nous forgeant, vaille que vaille, certains concepts applicables aux événements qui nous ont concerné ou qui nous concerneront. Il va de soi qu’une forte dose d’arbitraire intervient dans l’élaboration de ces concepts : des faits innombrables pris dans toutes les branches de la science seraient là pour nous le confirmer s’il en était besoin. Je me contenterai de mentionner, pour mémoire, que, même en mathématiques, la plus exacte de toutes les sciences cependant, les questions concernant l’origine et la valeur des concepts fondamentaux soulèvent, encore aujourd’hui, des controverses plus violentes que jamais. Si donc il en est ainsi en mathématiques, qui donc pourrait s’attendre à ce qu’il soit facile de donner, de la causalité naturelle, une définition susceptible d’être acceptée par tous les peuples civilisés de tous les temps ?
Pourtant jamais le problème de l’essence et de la légitimité du principe de causalité n’a perdu de son intérêt et, de notre temps même, cet intérêt s’est fortement accru. Et cela nous amène à soupçonner, qu’avec la notion de causalité, nous touchons à quelque chose de fondamental, à une notion qui est, au fond indépendante des sens humains et de l’intelligence humaine ; qu’il s’agit là d’un principe dont les racines les plus profondes sont à chercher jusque dans le monde réel, dans ce monde qui échappe à l’emprise d’un contrôle scientifique direct. Il serait, en effet, difficile de trouver un esprit assez sceptique pour douter que, même si la terre et tous ses habitants venaient à être anéantis, les phénomènes physiques n’en continueraient pas moins à obéir à leurs lois causales ; alors que, cependant, il n’existe personne qui soit à même de justifier cette affirmation et d’en estimer la portée exacte.
Quoi qu’il en soit, l’unique moyen d’arriver à nous faire une idée de l’essence de la causalité sera d’abord de prendre notre point de départ dans le monde des faits tels qu’ils nous sont donnés, c’est-à-dire dans nos impressions individuelles. Nous élaborerons ensuite ces impressions de façon à les généraliser et à les débarrasser le plus possible de tous les éléments anthropomorphiques qui leur sont inhérents. C’est donc en tâtonnant que nous nous approcherons peu à peu du concept objectif de causalité.
Il résulte des nombreux essais qui ont été effectués jusqu’ici dans le but de résoudre le problème que le plus sûr moyen pour parvenir à se faire une idée approchée de ce qu’est la causalité, consiste à la mettre en rapport avec une faculté que nous avons acquise et fortifiée par un contact incessant avec ce que nous expérimentons tous les jours : la faculté de prévoir les événements futurs. Nous le savons en effet, la meilleure preuve de l’existence d’un lien de causalité entre deux phénomènes consiste à montrer que l’apparition de l’un de ces phénomènes permet toujours de prédire à l’avance l’apparition de l’autre. Ce genre de preuve était bien connu de l’agriculteur qui voulait démontrer à des paysans incrédules l’existence d’un lien causal entre les engrais chimiques et la fertilité du sol. Les paysans ne voulaient pas croire que la poussée luxuriante du trèfle dans le champ de l’agriculteur était causée par les engrais chimiques et ils cherchaient une explication à ce fait. Le propriétaire du champ eut alors l’idée d’y tracer des bandes étroites en forme de lettres sur lesquelles il répandit de l’engrais, alors que le reste du terrain n’en recevait pas. Qu’arriva-t-il au printemps lorsque, la semence étant levée, chacun put lire, écrite en lettres de trèfle très nettes, la phrase suivante : « ces lettres ont été engraissées avec du gypse ».
Je prendrai donc comme point de départ de toutes les considérations qui vont suivre, cette petite proposition très simple et très générale : « Un événement est conditionné causalement quand il peut être prédit avec certitude. » Remarquons, cependant, que nous entendons seulement dire par là que la possibilité d’une prédiction exacte de l’avenir est un critérium certain de l’existence d’un lien causal ; mais nullement qu’elle s’identifie, en quelque façon, avec ce lien lui-même. Reportons-nous, en effet, à l’exemple bien connu du jour et de la nuit ; quand il fait jour, on peut prédire avec certitude qu’il fera nuit ; on peut donc en conclure que la nuit est conditionnée causalement ; mais non pas que le jour est la cause de la nuit. D’autre part, il arrive fréquemment que nous admettions l’existence d’un lien causal, même quand il ne saurait être question de la possibilité d’une prédiction exacte. Tel est, entre autres, le cas de la prédiction du temps : la valeur douteuse des prédictions météorologiques est passée en proverbe ; et, cependant, aucun météorologiste ne se résoudra à renoncer à considérer les phénomènes atmosphériques comme déterminés causalement. Nous n’attribuerons donc, à notre point de départ, qu’un caractère provisoire. Pour serrer de plus près la notion de causalité un nouvel approfondissement très notable va donc être nécessaire.
Dans le cas de la météorologie, il y a une idée qui vient tout naturellement à l’esprit, c’est que le caractère douteux de la prévision provient de la complexité de l’objet sur lequel elle porte : l’atmosphère. Si nous isolions une petite partie de l’atmosphère, un litre d’air, par exemple, nous serions déjà beaucoup plus à même de faire des prédictions sur la façon dont celui-ci se comportera vis-à-vis des influences extérieures telles que la compression, l’échauffement, l’humidification, etc. Nous connaissons des lois physiques bien déterminées, nous permettant de prévoir, avec plus ou moins de certitude, le résultat des mesures que nous effectuerons : augmentation de la pression, de la température, condensations, etc.
Mais, à y regarder de plus près, nous aboutissons à une constatation fort intéressante : Quelque simples que soient les circonstances choisies, quelque précis que soient les instruments dont nous disposions, jamais il ne nous sera possible de calculer à l’avance le résultat d’une mesure avec une exactitude absolue, c’est-à-dire telle que les nombres trouvés par l’expérience et par le calcul coïncident dans toutes leur décimales, Il y a toujours une certaine marge d’incertitude, contrairement à ce qui se passe dans les calculs purement mathématiques où nous voyons qu’il est toujours possible de trouver par exemple √2 avec autant de décimales que l’on voudra. Ce qui est vrai dans le domaine de la mécanique et de la chaleur, l’est également dans toutes les autres branches de la physique, même quand il s’agit de phénomènes optiques ou électriques. L’ensemble de toutes nos expériences nous contraint donc d’énoncer la phrase suivante à titre de vérité de fait bien établie : « En aucun cas, il n’est possible de prédire exactement un phénomène physique. »
Si maintenant nous rapprochons ce fait de la proposition énoncée en premier lieu : un événement est conditionné causalement quand il peut être prédit avec certitude ; nous nous trouvons en présence d’un dilemme très désagréable, mais inévitable : Ou bien nous maintenons la lettre de notre proposition et alors il n’y a pas dans la nature un seul cas où l’on puisse affirmer l’existence d’un lien causal ; ou bien nous maintenons a priori l’existence d’une causalité stricte et il devient nécessaire de modifier d’une manière ou d’une autre, la proposition dont nous sommes partis.
Il y a, à l’heure actuelle, un bon nombre de physiciens et de philosophes qui se décident pour la première alternative, je les désignerai sous le nom d’indéterministes. Suivant leur opinion, il n’existe pas de causalité véritable dans la nature, pas de lois rigoureuses. Si nous avons l’illusion qu’il en est autrement, cela provient de ce que l’on peut quelquefois arriver à établir des règles qui s’appliquent avec une approximation très grande ; mais qui n’est cependant pas une exactitude absolue. Par principe, l’indéterministe recherchera une raison statistique à toute loi physique, même à la loi de gravitation, même à l’attraction électrique. Toutes ces lois sont pour lui des lois de probabilité qui se rapportent seulement à la moyenne d’un très grand nombre d’observations de même nature ; toutes ne possèdent qu’une valeur approximative en ce qui concerne chaque observation prise à part, et elles souffrent toujours des exceptions.
La relation entre la pression exercée par un gaz sur les parois du récipient qui le contient et la densité de ce gaz est un bon exemple de loi statistique. La pression exercée par un gaz a son origine dans le bombardement continuel de celle-ci par les molécules du gaz. Ces molécules sont en quantité innombrable, elles sont animées de grandes vitesses et leurs trajectoires sont irrégulièrement orientées dans toutes les directions. Si l’on calcule, sur ces bases, la force totale qui résulte de ce bombardement, on trouve que la pression exercée sur la paroi est sensiblement proportionnelle à la densité du gaz et aussi à la moyenne des carrés des vitesses. Ceci concorde d’une façon satisfaisante avec les résultats des mesures, à condition de regarder la température comme une mesure de la vitesse des molécules.
L’étude des variations de pression que l’on peut constater quand on considère une portion très petite de la paroi du récipient fournit une confirmation directe de cette théorie. Considérons, en effet, une surface très petite prise sur la paroi, par exemple la milliardième partie d’un millimètre carré, il peut s’écouler beaucoup de temps avant qu’une molécule vienne à la frapper ; mais par contre, il est possible que deux ou trois molécules se succèdent ensuite à des intervalles de temps très rapprochés. Dans ces conditions, il ne saurait évidemment être question d’une pression constante : la pression éprouvera, au contraire, des variations irrégulières. La loi simple ne vaut que pour les grandes surfaces de la paroi qui reçoivent le choc de nombreuses molécules, de telle sorte que les irrégularités se compensent.
Ces variations, provoquées par le choc irrégulier des molécules, peuvent être observées partout où des molécules animées d’un mouvement rapide entrent en contact avec des corps facilement mobiles. Leur principale manifestation est le mouvement brownien, du nom de celui qui l’observa pour la première fois sur des grains de poussière suspendus dans un liquide. Un autre phénomène analogue est le fait qu’une balance très sensible n’est jamais complètement en repos, mais qu’elle exécute sans jamais s’arrêter des oscillations irrégulières autour de sa position d’équilibre.
Les phénomènes de radioactivité sont un autre exemple de lois statistiques. Un corps radioactif émet continuellement une foule de particules chargées positivement ou négativement par suite de la destruction spontanée de ses atomes. Quand on n’envisage que de grands intervalles de temps on peut parler d’une émission continue ; mais s’il s’agit de petits intervalles c’est-à-dire de ceux dont la durée moyenne ne dépassé pas le temps moyen qui sépare l’émission de deux particules, la plus grande irrégularité règne.
En se basant sur ce qui a lieu pour les gaz et pour les corps radioactifs, les indéterministes ramènent, en dernière analyse, toutes lois de la physique à l’action du hasard. Pour eux, le domaine de la statistique enveloppe la nature tout entière et ils se donnent pour but d’édifier la physique sur le calcul des probabilités.
En fait, la physique, jusqu’à présent, s’est bâtie sur un fondement opposé. Elle a choisi la seconde des deux alternatives dont nous avons parlé plus haut, c’est-à-dire que, pour conserver au principe de causalité toute sa rigueur, elle a modifié quelque peu son point de départ : à savoir l’affirmation qu’un événement est considéré comme conditionné causalement, quand il peut être prédit avec certitude. Dans ce but elle a changé légèrement l’acception du mot « événement ». Pour la physique théorique, en effet, l’ « événement » n’est pas le processus de mesure, pris en lui-même ; car ce dernier contient toujours des éléments fortuits et accidentels ; c’est un certain phénomène purement imaginaire qui a lieu dans un monde qui tient la place du monde sensible tel que nous le font connaître directement les organes de nos sens, aidés, au besoin et perfectionnés par l’usage des instruments de mesure. Ce monde est une vue de l’esprit, arbitraire jusqu’à un certain point ; c’est un modèle idéalisé qui a été créé dans le but d’éliminer l’incertitude inhérente à toute mesure réelle et de n’opérer que sur des concepts définis avec une netteté absolue.
Par suite, en physique, toute grandeur mesurable, qu’il s’agisse d’un intervalle de temps, d’une longueur, d’une charge électrique à une double signification, selon qu’on la considère comme étant le résultat immédiat d’une mesure où qu’on la suppose se rapporter à ce modèle appelé par nous « image représentative physique de l’univers ». Dans la première acception, une grandeur doit toujours être considérée comme étant définie d’une manière imprécise ; c’est pourquoi elle ne saurait être représentée par aucun nombre déterminé ; dans la seconde acception, une grandeur est au contraire un symbole mathématique déterminé sur lequel on opère en observant des règles d’une rigueur absolue. Si nous parlons de la hauteur d’une tour calculable au moyen d’une formule trigonométrique, nous entendons qu’il s’agit d’une grandeur parfaitement déterminée. La mesure effective de la hauteur de la tour, par contre, ne nous donne aucun nombre déterminé. Sa hauteur idéale, susceptible d’être calculée exactement, est donc autre chose que sa hauteur mesurée. Il en va exactement de même pour la période d’oscillation d’un pendule, pour l’intensité lumineuse d’une lampe. De même, dans l’image représentative de l’univers, une constante universelle, comme la vitesse de la lumière dans le vide ou la charge d’un électron, sont autre chose que leur mesure réelle : suivant la première acception, il s’agit de quelque chose qui est défini d’une façon parfaitement nette ; suivant la seconde acception, il s’agit d’une grandeur qui n’est connue qu’avec une certaine imprécision. Cette distinction très nette, entre les grandeurs du monde sensible et les grandeurs de même nom appartenant à l’image physique représentative de l’univers, est indispensable pour l’élucidation de toutes les questions qui s’y rattachent. Toute discussion qui n’en tiendrait pas compte tournerait certainement à vide.
Il est donc absolument faux de dire, comme on le fait parfois, que l’image physique de l’univers ne doit contenir que des grandeurs directement observables. Celles-ci en sont au contraire totalement absentes. On n’y rencontre, en effet, que des symboles et il arrive même quelquefois que cette image représentative contienne des éléments qui n’ont qu’un rapport très indirect ou même pas de rapport du tout avec le monde sensible ; telles sont, par exemple, les ondes de l’éther, les vibrations partielles, les systèmes de référence, etc. Ces éléments apparaissent au premier abord comme des impédimenta ; mais ils sont le prix dont a été acheté l’avantage indiscutable qu’est l’introduction de l’image représentative physique de l’univers. Cet avantage consiste précisément en ce qu’un déterminisme strict a pu être maintenu.
Certes l’image représentative physique de l’univers n’a que la valeur d’un concept auxiliaire. Les faits de l’univers sensible et leur prédiction aussi exacte que possible restent toujours la seule chose qui importe en fin de compte. Dans la théorie classique les choses se passent de la manière suivante : l’objet à étudier commence d’abord par être choisi dans le monde sensible ; soit, par exemple un système de corps matériels, cet objet sera symbolisé par un système de grandeurs mesurées qui définiront son état ; autrement dit, le système matériel primitif sera transposé dans l’univers représentatif des physiciens et il en résultera un système physique dans un état initial donné. La même opération sera effectuée en ce qui concerne les influences extérieures subies ultérieurement par l’objet en question : ces influences seront donc, elles aussi, représentées par des symboles rentrant également dans le cadre de l’image représentative physique de l’univers.
Nous aurons donc finalement un système de forces extérieures et des liaisons. Grâce à ces données, le comportement du système se trouvera être défini pour tous les temps et il sera calculable avec une précision absolue au moyen des équations différentielles de la théorie. Le calcul effectué fera apparaître les coordonnées et les vitesses de tous les points matériels du système, comme étant des fonctions bien définies du temps. Si, maintenant, pour un instant ultérieur, par une opération exactement inverse, nous retraduisons, en termes de monde sensible, l’ensemble des symboles, empruntés à l’image représentative physique de l’univers, qui correspond à l’état du système à cet instant, nous nous trouverons, en fin de compte, avoir rattaché ensemble deux événements du monde sensible se trouvant dans un rapport de succession temporelle. Une prévision approximative de l’événement futur, faite en se basant sur la connaissance de l’événement présent, sera donc possible.
En résumé nous pouvons dire que la prévision des événements du monde sensible est toujours plus ou moins entachée d’incertitude, alors que les lois qui régissent l’image représentative physique de l’univers sont toujours déterminées par une causalité stricte. L’introduction de cette image représentative nous permet donc, et c’est ce qui fait son importance, de ramener l’incertitude de toutes les prédictions concernant le monde sensible, aux incertitudes inhérentes, d’une part à la traduction des événements du monde sensible en termes de l’univers représentatif et, d’autre part à l’opération inverse.
La physique classique s’est très peu préoccupée de ce genre d’incertitudes. Toute son attention a été occupée à l’établissement de relations causales entre les phénomènes ayant lieu dans l’univers représentatif des physiciens. Cette attitude lui a valu, il faut le reconnaître, de glorieux triomphes. Elle est parvenue notamment à donner une explication strictement causale des oscillations irrégulières de la pression d’un gaz dont nous avons parlé plus haut ; elle est parvenue aussi à expliquer le mouvement brownien.
Pour les indéterministes, tous ces problèmes sont de pseudo-problèmes. On doit chercher l’absence de régularité derrière toute régularité apparente et la loi à forme statistique est la seule qui soit pleinement satisfaisante par elle-même. Ils se tiennent donc pour satisfaits, en supposant que le choc de deux molécules, prises à part, et le bombardement des parois du récipient par une seule molécule prise isolément obéissent à des lois purement statistiques. Pourtant il n’y a pas plus de raison à admettre cela qu’il n’y en a à affirmer que la charge des électrons se trouve entièrement à leur surface parce que tous les électrons d’un conducteur se rassemblent à la surface de ce conducteur.
Pour les déterministes, il faut, au contraire, chercher la règle derrière le désordre apparent ; c’est pourquoi ils ont été amenés à fonder la théorie des gaz sur la supposition que le choc de deux molécules obéit à des lois strictement causales. L’établissement d’une théorie répondant à ces désidérata a été la grande œuvre du physicien Boltzmann et c’est une des plus belles réussites de la physique théorique. En effet, la théorie de Boltzmann, non seulement rend compte du fait, vérifié expérimentalement, que l’énergie moyenne des oscillations autour de la position d’équilibre est proportionnelle à la température absolue ; mais encore elle permet, en mesurant ces oscillations, par exemple au moyen d’une balance très sensible, de calculer à l’avance avec une exactitude surprenante, le nombre absolu et la masse des molécules incidentes.
Ce résultat et un grand nombre d’autres, tout aussi brillants, permettaient d’espérer légitimement, qu’avec le temps, l’image représentative physique de l’univers deviendrait complètement adéquate à sa fonction parce que les incertitudes résultant de la transposition de l’univers sensible à l’univers représentatif et, inversement, de l’univers représentatif à l’univers sensible iraient en s’atténuant de plus en plus, en raison du perfectionnement incessant apporté aux méthodes de mesure. Or, cet espoir a été anéanti d’un seul coup et pour toujours par suite de la découverte du quantum d’action.
Comme la théorie des quanta fait son apparition à propos de l’étude du rayonnement lumineux et thermique, nous débuterons par des considérations se rapportant aux phénomènes de rayonnement.
L’existence de faits nombreux permet d’affirmer qu’un rayon lumineux d’une couleur donnée ne transmet pas son énergie d’une manière continue ; mais que cette énergie, est partagée en particules distinctes appelées « photons » dont la grosseur ne dépend que de la couleur de la lumière. Ces photons sont émis dans toutes les directions, absolument comme dans l’ancienne théorie de l’émanation lumineuse de Newton. Lorsque l’intensité lumineuse est forte, les photons se suivent en rangs si serrés, qu’en pratique, le phénomène ne se différencie pas d’une émission continue, mais quand l’intensité de la source diminue ou quand la source s’éloigne, la densité du rayonnement devient de plus en plus faible et les photons se séparent les uns des autres. L’élément caractéristique du processus est que les gouttes d’énergie ou photons ne deviennent pas plus petites quand le rayonnement diminue, mais qu’elles se font seulement plus rares, leur grandeur demeurant constante.
On s’aperçoit alors que l’application du principe de causalité à un phénomène de ce genre ne va pas sans entraîner de sérieuses difficultés. Considérons, par exemple, un rayon lumineux d’une couleur donnée qui aborde, sous une incidence donnée, une plaque de verre bien plane et bien polie ; une partie de la lumière sera réfléchie et une autre partie, disons le triple pour fixer les idées, sera transmise. L’expérience nous apprend que ce rapport est tout à fait indépendant de l’intensité de la lumière, c’est-à-dire des photons incidents. S’il y a un grand nombre de ceux-ci, par exemple un million, il n’est pas difficile de calculer le nombre des photons réfléchis et des photons transmis. Nous aurons 1/4 de million pour les premiers et 3/4 de million pour les seconds, Mais s’il n’y a plus qu’un seul photon dirigé suivant un pinceau très étroit, nous sommes très embarrassés pour savoir ce qui va se passer ; car la division du photon en quatre, qui est la seule solution naturelle, nous est interdite.
Mais il y a encore bien pire. Dans l’exemple précédent, on pourrait se tirer d’affaire en disant : il existe des circonstances encore tout à fait inconnues de nous qui agissent sur le photon en question et qui permettent de lever l’indétermination quant au trajet que ce dernier va suivre. Mais l’exemple suivant ne permet plus, semble-t-il, aucune échappatoire de ce genre. C’est un fait que certaines couleurs sont réfléchies de préférence à d’autres qui sont surtout transmises. Car si de la lumière blanche tombe sur la plaque de verre, la lumière transmise et la lumière réfléchie sont colorées toutes les deux. Dans la théorie ondulatoire classique de la lumière, ceci s’explique d’une manière tout à fait satisfaisante en disant que la lumière réfléchie sur la face supérieure de la plaque interfère avec celle qui est réfléchie sur la face inférieure ; c’est-à-dire que ces deux rayons réfléchis se renforcent ou s’affaiblissent mutuellement, suivant que le sommet d’une onde d’un des rayons coïncide avec le sommet ou avec le creux de l’onde de l’autre rayon. La longueur d’onde change avec la couleur et il en résulte des différences dans les interférences des diverses couleurs, différences qui coïncident pleinement avec celles qui sont mesurées expérimentalement. L’expérience d’autre part montre aussi que le même phénomène a lieu pour les intensités lumineuses les plus faibles.
Qu’arrivera-t-il donc si un photon isolé arrive au contact de la plaque ? Ce photon doit nécessairement interférer avec lui-même ; car autrement sa longueur d’onde serait sans influence, or pour interférer avec lui-même, un photon devrait pouvoir se diviser, ce qui est impossible. On voit à quelle impasse nous aboutissons !
La théorie des quanta aboutit à un résultat tout à fait semblable en mécanique. Les particules matérielles les plus petites appelées électrons se comportent en effet, comme les photons ; elles interfèrent avec elles-mêmes. Un électron doué d’une certaine vitesse correspond exactement, à cet égard, à un photon, d’une certaine couleur ; quand il aborde une plaque cristalline, il sera de préférence réfléchi ou réfracté et l’explication complète du phénomène nous est fournie jusque dans les moindres détails par la considération de la longueur d’onde de cat électron qui correspond à son énergie. C’est pourquoi la question du chemin réellement parcouru par l’électron à partir du moment où il arrive sur la plaque, est un problème qui n’est pas seulement sans solution actuelle ; mais encore véritablement insoluble.
La difficulté principielle qu’il y a à déterminer le lieu d’un électron doué d’une vitesse déterminée, s’exprime d’une manière particulièrement caractéristique dans la physique des quanta au moyen de la relation d’incertitude formulée pour la première fois par Werner Heisenberg. De cette relation, il résulte, entre autres choses, que plus la position d’un électron est connue avec certitude et moins il est possible de mesurer exactement sa vitesse ; l’inverse est également vrai. Ceci peut s’expliquer de la façon suivante : pour mesurer la position d’un électron, il faut que nous le voyions et pour cela, il faut que nous l’éclairions, c’est-à-dire que nous projetions de la lumière sur cet électron. Or les rayons lumineux exercent une certaine poussée sur l’électron, ce qui a pour résultat d’en modifier la vitesse d’une manière incontrôlable. Pour augmenter la précision de la détermination de la position d’un électron, il faudrait diminuer la longueur d’onde de la lumière qui sert à l’éclairer, mais dans ces conditions, le choc dû à cette lumière sera d’autant plus fort et, par suite, la vitesse de l’électron connue avec d’autant moins de certitude.
Ce raisonnement montre qu’il est, par principe, impossible de déterminer à la fois avec une précision aussi grande qu’on le veut, la valeur des coordonnées et la valeur des vitesses des points matériels, qui sont les éléments fondamentaux de l’univers représentatif de la physique classique. L’établissement d’une physique strictement causale soulève donc des difficultés, en ce qui concerne cet univers. Aussi quelques indéterministes se sont-ils crus autorisés à éliminer définitivement le principe de causalité de la physique. Cependant, un examen plus approfondi, montre que cette conclusion, qui suppose une confusion entre l’univers représentatif des physiciens et l’univers sensible, est pour le moins prématurée. Il existe, en effet, un moyen beaucoup moins héroïque de tourner la difficulté : il consiste à admettre que le problème de la détermination simultanée des coordonnées et de la vitesse d’un point matériel n’a aucun sens physique ; tout de même que celui de la trajectoire d’un photon d’une couleur déterminée. Le principe de causalité ne saurait évidemment être rendu responsable de l’impossibilité qu’il y a de donner une réponse à une question qui n’a pas de sens ; car cette impossibilité doit être rapportée aux seules suppositions qui font que l’on a été amené à se poser la question ; en l’espèce, aux hypothèses concernant l’image représentative physique de l’univers. Puisque le schéma représentatif classique a échoué, la seule conclusion à en tirer, c’est qu’il faut le remplacer par un autre.
Or, c’est bien ce qui a eu lieu effectivement : la nouvelle image représentative de l’univers, celle qui est le fait de la physique quantique, est justement issue du besoin d’établir un déterminisme strict qui soit compatible avec l’existence du quantum d’action. Dans ce but, le point matériel, élément primordial de l’ancien univers, a été dépouillé de son caractère élémentaire, il s’est dissous, en quelque sorte, dans un système d’ondes matérielles et, seules, les ondes matérielles, sont les éléments du nouvel univers représentatif.
L’univers de la physique des quanta est à celui de la physique classique à peu près dans le même rapport que l’optique ondulatoire de Huyghens à l’optique corpusculaire de Newton. De même que cette dernière réussit dans un grand nombre de cas et échoue dans quelques autres ; de même la mécanique classique ou corpusculaire, n’est plus qu’un cas spécial de la mécanique ondulatoire, plus générale. À la place du point matériel classique, nous trouvons un paquet d’ondes, infiniment étroit, c’est-à-dire un système d’ondes très nombreuses, qui interfèrent entre elles, de telle sorte qu’elles s’annulent dans tout l’espace excepté au lieu où le point matériel se trouve.
Évidemment, les lois de la mécanique ondulatoire sont tout à fait différentes des lois de la mécanique classique du point matériel ; mais ce qui est essentiel, c’est que la grandeur caractéristique des ondes matérielles, la fonction ondulatoire, est complètement déterminée, pour tous les temps et pour tous les lieux par les conditions initiales et par les conditions aux limites. On peut en calculer la valeur en suivant des règles absolument précises, que ce calcul ait lieu en utilisant les opérateurs de Schrödinger, les matrices de Heisenberg ou les nombres de Dirac.
L’introduction de la fonction ondulatoire aplanit la difficulté à laquelle on se heurte, comme nous l’avons déjà dit, quand il s’agit de déterminer le comportement d’un électron qui arrive au contact d’une plaque cristalline. Cet électron se réfléchira-t-il ou bien se réfractera-t-il ? Certes, l’électron ne peut être divisé, mais les ondes, dont il est le substitut, le peuvent. Il en résulte donc la possibilité d’une interférence entre les ondes qui se réfléchissent à la face supérieure de la plaque et celles qui se réfléchissent sur la face inférieure. Cette interférence est même calculable suivant des lois énonçables d’une manière très précise ; alors que le phénomène était auparavant tout à fait incompréhensible.
Comme nous le voyons, le déterminisme qui règne dans la physique des quanta est tout aussi sévère que celui de la physique classique. La seule différence est que les symboles et les calculs sont différents. De plus, dans la physique des quanta, tout comme dans la physique classique, l’incertitude qui règne au sujet de la prédiction des événements ayant lieu dans le monde sensible est ramenée à l’impossibilité d’établir une correspondance rigoureusement précise entre l’image représentative de la physique et le monde sensible ; autrement dit, à l’incertitude, plus ou moins grande, avec laquelle les symboles propres à l’un des deux univers peuvent être transposés dans l’autre.
Le fait qu’on s’est résolument accommodé d’une telle incertitude est bien la meilleure preuve de l’importance qu’il y a à maintenir, envers et contre tout, le déterminisme dans la constitution de l’univers des physiciens. Pourtant le prix singulièrement élevé auquel a été acheté ce maintien d’une causalité rigoureuse ne saurait échapper à aucun esprit critique. Un examen, même superficiel, suffit déjà à faire apparaître que l’univers de la physique quantique est bien plus éloigné du monde sensible que celui de la physique classique et qu’il est incomparablement plus difficile, en physique quantique qu’en physique classique, de transposer dans le monde représentatif, un événement du monde sensible.
Dans l’ancienne physique, la signification de chaque symbole était évidente : la position, la vitesse, l’énergie d’un point matériel pouvaient être déterminées plus ou moins directement par des mesures, et on ne voyait aucune raison qui s’opposât à ce que l’on admît que la marge d’indétermination inhérente à toute mesure ne pût être réduite au delà de toute limite, par suite des perfectionnements continuels apportés à la technique des mesures. Par contre, la fonction ondulatoire de la physique quantique, n’offre aucun point d’appui pour une transposition immédiate dans le monde sensible. Le mot d’onde lui-même, qui paraît pourtant donner une prise si aisée à notre intuition, a une signification totalement différente de celui qu’il avait en physique classique. Jadis on entendait, sous le nom d’onde, un certain phénomène physique qui était, soit un mouvement perceptible à nos sens, soit un champ électrique alternatif pouvant être mesuré directement. Dans la physique moderne, ce même mot ne désigne plus, jusqu’à un certain point, que la probabilité d’existence d’un certain état. Ce qui se partage quand un électron ou un photon arrive sur une plaque cristalline et y provoque des phénomènes d’interférence, ce n’est pas l’électron ou le photon lui-même, c’est seulement la probabilité pour qu’un photon indivisible se trouve ici plutôt que là.
Dans le cas seulement où un très grand nombre de photons ou d’électrons sont arrivés au contact de la plaque, cette grandeur peut se traduire par un nombre déterminé de photons ou d’électrons.
Les indéterministes ont précisément trouvé dans ce fait, l’occasion d’une nouvelle attaque contre le principe de causalité et, cette fois, leur effort semblait avoir pour lui toutes les chances de succès ; car, de toutes les mesures que l’on peut effectuer, on ne peut jamais déduire qu’une fonction ondulatoire à signification purement statistique. Heureusement, cette fois encore, les défenseurs d’une causalité stricte ont encore trouvé le moyen de conjurer le péril et c’est un de ceux qui nous ont déjà servi plus haut. Nous voulons dire ceci : c’est qu’il est loisible d’affirmer qu’il est impossible d’essayer de définir un symbole de l’univers représentatif des physiciens, si l’on ne définit pas le procédé par lequel on parvient à cette définition, c’est-à-dire si l’on n’indique pas l’état spécial dans lequel se trouve l’instrument de mesure qui sert à transposer ce symbole dans le monde sensible. On parlera donc d’une influence causale exercée par l’instrument de mesure en question, ce qui signifiera que l’indétermination en présence de laquelle on se trouve provient, au moins pour une part, de ce que, entre la grandeur à mesurer et la façon de la mesurer, il y a une interdépendance réglée par des lois. Il est bien certain que toute mesure, quelle que soit la façon dont l’on s’y prenne pour l’effectuer, exerce toujours une influence plus ou moins perturbatrice sur le phénomène à mesurer. (Nous rappellerons seulement ici, pour mémoire, l’exemple de l’électron dont la trajectoire sera d’autant plus facilement perturbée que l’on cherchera à l’éclairer de façon à connaître sa position d’une manière plus précise.) Si donc une onde matérielle correspond tantôt à un phénomène, tantôt à un autre, existant dans le monde sensible, cela tient à ce que l’on ne saurait répondre à la question de savoir ce que signifie une onde matérielle en considérant uniquement cette onde, mais seulement en envisageant les actions et réactions mutuelles existant entre l’onde matérielle et l’instrument de mesure.
Grâce à ce détour, nos efforts pour résoudre le problème se trouvent aiguillés sar une tout autre voie : où aboutira-t-elle ? C’est ce qui est, à l’heure actuelle, tout à fait incertain. En tout cas, les indéterministes sont en droit de se demander si l’hypothèse d’une action causale de l’instrument de mesure inclut un sens raisonnable, car nous ne connaissons un phénomène qu’autant que nous le mesurons et toute nouvelle mesure est donc, par là même, une nouvelle action causale, c’est-à-dire une nouvelle perturbation. Il est donc tout à fait impossible par principe, d’isoler un « phénomène en soi » de l’appareil avec lequel on le mesure.
Et pourtant cette objection ne semble pas sans réplique. Tout physicien expérimentateur sait, qu’à côté des méthodes de contrôle directes, il y a les méthodes indirectes et que les cas où les secondes se montrent très utiles, tandis que les premières échouent, sont nombreux. De plus, je voudrais, avant tout, m’inscrire en faux contre une opinion très répandue à l’heure actuelle. Cette opinion, très plausible au premier abord, c’est qu’une question de physique ne mérite d’être examinée, que si l’on sait, a priori, qu’elle comporte une réponse déterminée. Si les physiciens s’étaient toujours conformés à ce précepte, jamais la célèbre expérience de Michelson et Morley, n’aurait été entreprise et la théorie de la relativité n’aurait pas vu le jour. Nous savons tous, combien extraordinairement féconde a été, pour la science, la recherche de la vitesse absolue de la terre, recherche pourtant assez généralement considérée aujourd’hui comme dépourvue de sens. Dès lors, n’est-il pas permis de penser que la recherche d’une causalité stricte, s’appliquant à tout l’univers mérite encore bien davantage d’être poursuivie ? Il n’est nullement exclus, même de nos jours, qu’elle ait une signification profonde et nous savons, d’autre part, qu’elle est prégnante d’une riche moisson de succès pour la recherche scientifique.
Comment parvenir, maintenant à trancher la question. Pour nous, il n’est pas d’autre moyen que le suivant : faire sien un des deux points de vue opposés et voir si, en se basant sur lui, on aboutira à des conclusions heureuses ou inacceptables. C’est pourquoi nous trouvons heureux que les physiciens, s’intéressant à la question, se soient partagés en deux camps, dont l’un penche vers le déterminisme et l’autre vers l’indéterminisme. Autant que je puis m’en rendre compte, à l’heure actuelle, les indéterministes sont les plus nombreux ; mais c’est là un fait bien difficile à constater et un état de chose susceptible de se modifier avec le temps. Il y aurait d’ailleurs bien place pour un tiers parti occupant, en un sens, une position intermédiaire. Cette opinion consisterait à admettre que certaines notions, comme l’attraction électrique ou la gravitation ont un sens immédiat et que les lois où elles interviennent sont des lois strictes. D’autres notions, au contraire, n’auraient qu’une signification purement statistique à l’égard du monde sensible. Je dois dire que ce point de vue me semble peu satisfaisant parce qu’il manque d’unité, aussi ne m’y attarderai-je pas et je me bornerai à considérer les deux partis extrêmes.
L’indéterministe est pleinement satisfait et juge qu’il n’a plus rien à se demander quand il sait que la fonction ondulatoire de la physique quantique est une fonction de probabilités. De même, à propos du phénomène de radioactivité, il lui suffit de savoir que, par exemple, dans tel composé du radium, il y a, en moyenne, par seconde, un nombre connu d’atomes subissant une dissociation. Il ne se demande pas pourquoi tel atome explose précisément maintenant, alors que son voisin restera intact, peut-être pendant mille ans. Par contre, une loi naturelle bien définie, comme la loi de Coulomb qui régit l’attraction électrique posera à ses yeux un problème non résolu. Il ne pourra en effet, se tenir pour pleinement satisfait qu’à partir du moment où il sera parvenu à déterminer quelle est la probabilité pour que la valeur de la force électrique diffère d’une quantité donnée de celle qui est calculée en s’appuyant sur la loi de Coulomb.
L’attitude intellectuelle du déterministe est, à tous égards, inverse. Pour lui, la loi de Coulomb possède un caractère de perfection, tel qu’il n’y a définitivement rien à chercher au-delà. La fonction ondulatoire n’est, au contraire, reconnue par lui, comme fournissant la valeur d’une probabilité, qu’à la condition de faire abstraction de l’appareil spécial au moyen duquel l’onde est produite ou analysée. Son effort tendra donc à découvrir des relations à forme de lois strictes entre la fonction ondulatoire et les phénomènes ayant lieu dans les corps auxquels cette fonction se rapporte ou qui réagissent sur elle. Pour y arriver, il lui faut évidemment considérer comme objet de son étude, tous ces corps et la fonction ondulatoire elle-même. Son image représentative de l’univers comprendra donc, non pas seulement le dispositif expérimental tout entier qui sert à produire les ondes matérielles (par exemple une batterie à haute tension, un fil incandescent, une préparation radioactive), mais encore les instruments de mesure qui seront une plaque photographique, une chambre d’ionisation, etc. et tous les phénomènes dont ces appareils sont le siège.
Il ne faudrait pas se figurer que, par là même, le problème se trouve résolu comme par enchantement ; il s’est au contraire compliqué. En effet, isoler une partie quelconque du domaine ainsi considéré, ou la soumettre à une influence externe quelconque, sont choses absolument interdites de par la façon même dont celui-ci a été défini. Aussi ne peut-il exister aucune méthode d’exploration. Il reste cependant possible, aujourd’hui, d’émettre des hypothèses nouvelles d’un genre spécial se rapportant au déroulement des phénomènes internes dont le domaine en question est le siège, quitte à vérifier ensuite les conséquences de ces hypothèses, mais l’avenir seul pourra nous apprendre jusqu’où il sera possible d’aller dans cette voie. Pour le moment, on ne sait pas quel est le chemin du progrès. La seule chose certaine, résulte de tout ce qui vient d’être dit plus haut ; c’est que le quantum d’action est un terme mis par la nature des choses à l’efficacité des instruments de mesure physiques dont nous disposons actuellement, une barrière infranchissable qui nous empêche et qui nous empêchera toujours de donner une explication causale complète de la nature intime des phénomènes les plus délicats, c’est-à-dire indépendamment de l’origine et des suites de ces phénomènes.
Nous pourrions, semble-t-il, arrêter ici ces considérations. Nous avons, en effet, montré que, le mot « causal » étant pris avec les modifications d’acception reconnues nécessaires, une attitude strictement causaliste n’a aucunement lieu d’être exclue de la physique moderne, bien que d’autre part, on ne puisse pas davantage démontrer a priori, que cette attitude est nécessaire.
Toutefois, il y a une objection qui surgit, d’autant plus forte que l’on est un déterministe plus convaincu, qui empêche de tenir pour pleinement satisfaisante une causalité du genre de celle dont il vient d’être question. À supposer, en effet, que la physique puisse continuer à se développer normalement en adoptant le point de vue nouveau sur la causalité, ce dernier n’en est pas moins, par principe, entaché d’une défectuosité capitale. Pour pouvoir continuer à être déterministes, nous avons dû substituer au monde sensible, le seul qui nous soit immédiatement donné, une image représentative qui n’est qu’une création de l’imagination humaine, création dont le caractère est essentiellement changeant et provisoire. C’est là évidemment, un expédient qui s’accorde mal avec le caractère de notion fondamentale qu’il convient d’attribuer au principe de causalité. Il est alors impossible d’éluder la question, de prévoir s’il n’existerait pas un moyen de donner à ce principe une signification plus immédiate et plus profonde, grâce à laquelle il deviendrait indépendant de l’introduction d’une construction artificielle et s’appliquerait, non plus à l’univers purement représentatif des physiciens ; mais aux événements du monde sensible lui-même,
Notre point de départ — à savoir la proposition d’après laquelle un événement n’est conditionné causalement que s’il peut être prédit avec certitude — doit, il est vrai, être maintenu ; car, sans ce point de départ, nous ne saurions rester fidèle à notre principe de nous appuyer sur des faits réels ; et, d’autre part, il nous faut aussi, pour la même raison, reconnaître qu’en aucun cas, il n’est possible de prédire un événement quel qu’il soit. Nous devrons donc comme nous l’avons fait plus haut, apporter une modification à la première proposition ; mais ce pourra être une modification tout à fait différente de celle que nous avions déjà apportée et même, peut-être, en un certain sens, opposée.
Ce que nous avions changé la première fois, c’était l’objet de la prédiction à savoir l’événement. Les événements ont été considérés comme concernant, non point le monde sensible directement connu de nous, mais un monde fictif artificiel. Grâce à cet expédient, nous avons acquis la possibilité de prédictions exactes ; mais nous pouvons aussi, modifier le sujet de la prédiction, c’est-à-dire l’esprit de celui qui prédit au lieu de modifier son objet. Toute prédiction suppose, en effet ces deux termes : objet et sujet. Nous allons donc reporter, dans ce qui va suivre, notre attention sur le sujet dans son acte de prédiction et nous laisserons, d’autre part, à l’objet de la prédiction, son caractère d’être constitué par les événements du monde sensible et non plus par une image artificielle de l’univers.
Tout d’abord, nous constatons que la certitude de la prédiction dépend dans une large mesure de l’individualité de celui qui l’a fait. Reportons-nous, encore cette fois, à l’exemple de la prédiction du temps. Une prédiction faite par un ignorant, ne sachant rien de la pression barométrique, à l’instant actuel, rien de la température, de l’humidité de l’air, sera tout à fait différente d’une prédiction faite par un cultivateur intelligent en possession des données ci-dessus et qui est à même de puiser au trésor d’une riche expérience. Autre sera encore la prédiction d’un météorologiste qui, en plus des données locales, dispose de nombreuses cartes soigneusement annotées et intéressant de vastes régions. Voici donc une série de prédictions dont le caractère de certitude va en croissant quand on passe de l’une à l’autre. Dans ces conditions, il est donc tout naturel de penser qu’un esprit idéal qui connaîtrait tous les phénomènes physiques d’aujourd’hui, jusque dans leurs moindres détails, pourrait prophétiser avec une certitude absolument parfaite, toutes les particularités du temps qu’il fera demain. Et il en irait de même pour tout autre sorte de phénomène.
Cette hypothèse est, en quelque sorte, une extrapolation, une généralisation ; il est impossible d’en démontrer le bien-fondé par voie de déduction logique ; mais il est tout aussi impossible de la réfuter a priori. Il ne faut donc pas la juger selon son contenu de vérité, mais selon sa valeur d’utilité. En se plaçant à ce point de vue, l’impossibilité où nous sommes de pouvoir formuler aucune prédiction exacte, aussi bien en adoptant les idées de la physique classique que celles de la physique quantique, nous apparaîtra comme une conséquence naturelle de ce fait que l’homme, avec ses organes sensoriels et ses instruments de mesure, est lui-même une partie de la nature, soumise, par conséquent à ses lois. Il est impossible de se placer en dehors d’elle ; alors que pour un esprit idéal, il n’existe aucune limitation de cette sorte.
On pourrait, certes, nous opposer que cet esprit n’est qu’une construction mentale et qu’en fin de compte, notre cerveau lui-même se compose d’atomes obéissant aux lois physiques ; mais un peu de réflexion nous montre que cette objection ne tient pas debout. Il est, en effet, indubitable que nos pensées peuvent nous mener très loin des lois naturelles connues de nous et que nous pouvons concevoir des phénomènes qui n’ont rien à voir avec la physique réelle. On ne saurait pas davantage affirmer que l’esprit idéal dont nous parlons ne peut exister que dans la pensée humaine et qu’il a son existence liée à celle de l’esprit pensant, car pour être logique il faudrait admettre aussi que le soleil, que le monde extérieur tout entier, ne peuvent exister que dans nos sens et, pourtant tout homme raisonnable est convaincu que le soleil ne perdrait pas la moindre fraction de son éclat, même si le genre humain tout entier venait à être exterminé. Nous croyons à l’existence d’un monde extérieur réel, bien que ce monde se dérobe à toute emprise directe de notre part. De même, rien ne saurait nous empêcher de croire à l’existence d’un esprit idéal, alors que nous savons néanmoins que cet esprit ne pourra jamais être un objet faisant partie du domaine de la recherche scientifique.
D’ailleurs nous devons bien nous garder de considérer cet esprit comme analogue en quelque façon à notre propre esprit ; nous ne lui demanderons pas comment il se procure les connaissances grâce auxquelles, il peut prédire exactement les événements futurs. Au questionneur trop curieux, il pourrait bien arriver de s’entendre répondre : « Tu ressembles à l’esprit que tu es capable de comprendre et non pas à moi » et si, malgré cette réponse, cet homme s’obstinait à repousser l’idée d’un esprit idéal, non plus comme illogique, mais comme insignifiante et superflue, on pourrait toujours lui opposer que les propositions se dérobant à toute logique ne sont pas pour cela toutes inutiles à la science. Un formalisme aussi peu clairvoyant serait bien propre à faire tarir la source où les grands physiciens, les Kepler, les Galilée, les Newton ont puisé leur ardeur dans la recherche. Pour tous ces hommes, le dévouement à la science a été, consciemment ou non, la conséquence d’une croyance inébranlable à l’existence d’un ordre raisonnable dans le monde.
Certes, une telle croyance ne se commande pas, pas plus qu’on ne peut imposer la vérité et interdire l’erreur. Cependant le seul fait que nous soyons en état de soumettre les événements futurs à nos pensées ne serait-il pas, une énigme incompréhensible s’il ne nous permettait, au moins, de soupçonner l’existence d’une harmonie entre l’esprit humain et le monde extérieur ? La question de savoir si cette harmonie est plus ou moins profonde, si elle s’étend à un domaine plus ou moins vaste est, logiquement parlant, d’importance secondaire. En tout cas, l’harmonie la plus complète, et par là même, la causalité la plus stricte, trouvent leur couronnement dans l’hypothèse d’un esprit idéal pénétrant à fond les secrets des forces naturelles et aussi les phénomènes de la vie psychique, qu’il s’agisse en tout cela du passé, du présent ou de l’avenir.
Qu’advient-il alors du libre arbitre de l’homme ? Est-ce que cette hypothèse ne le supprime pas en dégradant l’homme au point d’en faire un automate exsangue ? Ceci est une question trop pressante et trop importante pour que je puisse me dispenser de prendre ici brièvement position à son égard. À mon avis, il n’y a pas la moindre contradiction à admettre simultanément l’existence d’une causalité stricte, entendue comme nous venons de le faire, et l’existence d’une volonté humaine libre. Le principe de causalité, d’une part, et le libre arbitre d’autre part, sont en effet des questions de nature essentiellement différente. L’hypothèse d’un esprit omniscient est, nous l’avons vu, nécessaire à la compréhension d’un devenir régi par une causalité stricte ; la question du libre arbitre est une question qui s’adresse à notre conscience personnelle ; notre propre témoignage est donc seul à pouvoir la trancher. Affirmer que l’homme est doué de libre arbitre, c’est, tout simplement, dire qu’il a le sentiment intime d’être libre. Lui seul est donc à même de dire s’il en est bien ainsi. Or rien de tout cela ne s’oppose à ce que les motifs qui le poussent à agir soient parfaitement connus d’un esprit idéal. Se sentir, pour cela, diminué dans sa dignité morale, c’est oublier le niveau suréminent où se situe l’esprit idéal dont il est question, si on le considère par rapport à l’intelligence humaine.
La preuve la plus frappante qui puisse être donnée de l’inapplicabilité du principe de causalité à notre propre volonté, consiste à essayer de prédire nos actes et leurs motifs en se basant sur ce même principe. Nous savons a priori, qu’une telle tentative est vouée à un échec total. En effet, toute application du principe de causalité à notre propre volonté, agit en raison des connaissances nouvelles qu’elle nous apporte, comme un motif d’action et, par suite, modifie le résultat cherché ; et ceci peut se poursuivre indéfiniment. Attribuer l’impossibilité où nous sommes de donner une explication purement causale de nos actes à un manque de pénétration intellectuelle, défaut que les progrès de la culture pourraient arriver à supprimer, est donc une grave erreur. Il y a en physique, une erreur tout à fait parallèle, c’est celle qui consisterait à expliquer l’impossibilité où nous sommes de déterminer simultanément la position et la vitesse d’un électron par l’imperfection de nos méthodes de mesure. De même, l’impossibilité de donner une explication causale de nos actes futurs, ne résulte pas d’un manque de pénétration ; mais simplement de ce que, pour étudier un objet, il ne convient pas de se servir d’une méthode par laquelle cet objet est modifié.
L’homme pensant ne pourra donc jamais trouver dans le principe de causalité un motif suffisant de décision pour son activité volontaire. Il devra faire appel à une autre loi : la loi morale ; mais, avec cette loi, nous sommes sur un tout autre terrain où il n’est pas possible d’accéder par la méthode scientifique.
La pensée scientifique requiert toujours que le sujet pensant et l’objet pensé soient distants l’un de l’autre. Or, cette distance, c’est dans l’hypothèse d’un esprit idéal, toujours sujet, jamais objet, qu’elle sera le mieux observée.
Mais, dira-t-on, cette interdiction de faire de l’esprit idéal un objet pour notre pensée, ne constituerait-elle pas un renoncement peu satisfaisant et ne serait-ce pas payer trop cher le maintien du déterminisme ? À cette objection, je répondrai que ce prix est bien moins élevé que le prix dont les indéterministes devraient payer l’application de leurs idées sur la constitution de l’univers. Les indéterministes sont, en effet, obligés de mettre encore beaucoup plus tôt, un terme à notre appétit de connaissance, car ils renoncent, a priori, à établir des lois même quand il s’agit de cas particuliers.
Une telle dose de résignation est si étonnante que l’on peut se demander pourquoi il y a aujourd’hui tant de physiciens dans le camp des indéterministes. Si je ne m’abuse, c’est sur le terrain psychologique qu’il faut chercher l’explication de ce fait. Toutes les fois qu’une idée nouvelle très importante apparaît dans la science, elle est soumise aux épreuves les plus diverses et, si elle s’est montrée féconde, on s’efforce d’en faire le fondement de tout un enchaînement systématique d’idées, aussi général et aussi parfaitement clos que possible. Ainsi en a-t-il été de la théorie de la relativité et c’est ce qui a également lieu, à l’heure actuelle pour la physique des quanta.
Les principales manifestations de cette physique se trouvent actuellement groupées autour de la fonction ondulatoire, on cherche à donner à cette fonction une importance prépondérante. Or, la fonction d’onde ne concerne que la valeur d’une probabilité, c’est pourquoi on est porté à considérer la recherche de la probabilité comme la tâche qui incombe, avant tout, au physicien. La notion de probabilité acquiert ainsi une importance primordiale ; elle devient le fondement de toute la physique.
Je ne crois pas qu’à l’avenir on se montre toujours aussi satisfait de cette manière d’envisager les choses. Les lois de l’esprit possèdent en effet un caractère de probabilité encore bien plus accentué que les lois physiques, et cependant, en psychologie, on ne considère aucun événement comme expliqué d’une façon tout à fait scientifique tant qu’on ne lui a pas trouvé une cause initiale. Il est donc à présumer qu’il sera encore bien plus difficile d’éliminer définitivement la causalité des sciences naturelles positives.
Le principe de causalité ne peut pas plus être prouvé qu’il ne peut être réfuté : il n’est donc, à proprement parler, ni vrai ni faux. C’est un principe heuristique, un guide, et à mon avis, le guide le plus précieux que nous ayons pour explorer le chaos si touffu des événements qui ont lieu dans la nature et pour nous indiquer la voie dans laquelle la recherche scientifique doit s’avancer pour arriver à des résultats féconds. Le principe de causalité s’empare de l’âme de l’enfant à son premier éveil et il lui met sur les lèvres son éternel « pourquoi ». C’est aussi ce principe qui accompagne toute la vie du savant et lui pose continuellement de nouveaux problèmes à résoudre.
Qui dit « science » ne dit pas, en effet, repos contemplatif dans la possession d’une connaissance certaine déjà acquise ; mais, bien plutôt, travail infatigable et marche incessante en avant vers un but dont nous avons bien le pressentiment, en quelque sorte divinatoire, mais à la possession complète duquel notre raison n’est jamais capable d’arriver complètement.