Instruction sur l’ère de la République et sur la division de l’année

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INSTRUCTION

SUR

L’ÈRE DE LA RÉPUBLIQUE

ET

SUR LA DIVISION DE L’ANNÉE,

Décrétée par la Convention nationale pour être mise à la suite du Décret.
Séparateur

PREMIÈRE PARTIE.

Des motifs qui ont déterminé le décret.

La nation française, opprimée, avilie pendant un grand nombre de siècles par le despotisme le plus insolent, s’est enfin élevée au sentiment de ses droits et de la puissance à laquelle ses destinées l’appellent. Chaque jour, depuis cinq ans d’une révolution dont les fastes du monde n’offrent point d’exemple, elle s’épure de tout ce qui la souille ou l’entrave dans sa marche, qui doit être aussi majestueuse que rapide. Elle veut que sa régénération soit complète, afin que ses années de liberté et de gloire marquent encore plus par leur durée dans l’histoire des peuples, que ses années d’esclavage et d’humiliation dans l’histoire des rois.

Bientôt les arts vont être appelés à de nouveaux progrès par l’uniformité des poids et mesures, dont le type unique et invariable, pris dans la mesure même de la terre, fera disparoître la diversité ; l’incohérence, l’inexactitude, qui ont déjà existé jusqu’à présent dans cette partie de l’industrie nationale.

Les arts et l’histoire, pour qui le temps est un élément nécessaire, demandoient aussi une nouvelle mesure de la durée, dégagée de toutes les erreurs que la crédulité et une routine superstitieuse ont transmises des siècles d’ignorance jusqu’à nous.

C’est cette nouvelle mesure que la Convention nationale présente aujourd’hui au peuple français ; elle doit porter à-la-fois et l’empreinte des lumières de la nation et le caractère de notre révolution, par son exactitude, sa simplicité, et par son dégagement de toute opinion qui ne seroit point avouée par la raison et la philosophie.

§. PREMIER.
De l’Ère de la République.

L’ère, vulgaire, dont la France s’est servie jusqu’à présent, prit naissance au milieu des troubles précurseurs de la chûte prochaine de l’empire romain, et à une époque où la vertu fit quelques efforts pour triompher des faiblesses humaines. Mais pendant dix-huit siècles, elle n’a presque servi qu’à fixer dans la durée les progrès du fanatisme, l’avilissement des nations, le triomphe scandaleux de l’orgueil, du vice, de la sottise et les persécutions, les dégoûts qu’essuyèrent la vertu, le talent, la philosophie, sous des despotes cruels, où qui souffroient qu’on le fût en leur nom.

La postérité verroit-elle sur les mêmes tables gravées, tantôt par une main avilie et perfide, tantôt par une main fidèle et libre, les crimes honorés des rois et l’exécration à laquelle ils sont voués aujourd’hui ; les fourberies, l’imposture long-temps révérées de quelques hypocrites, et l’opprobre qui poursuit enfin ces infâmes et astucieux confidens de la corruption, et du brigandage des cours ? Non : l’ère vulgaire fut l’ère de la cruauté du mensonge, de la perfidie et de l’esclavage elle a fini avec la royauté source de tous nos maux.

La révolution a retrempé l’âme des Français ; chaque jour elle les forme aux vertus républicaines. Le temps ouvre un nouveau livre à l’histoire : et dans sa marche nouvelle, majestueuse et simple comme l’égalité, il doit graver d’un burin neuf et pur les annales de la France régénérée.

Tous les peuples qui ont occupé l’histoire, ont choisi dans leurs propres annales l’événement le plut saillant pour y rapporter tous les autres, comme à une époque fixe.

Les Tyriens datoient du recouvrement de leur liberté.

Les Romains, de la fondation de Rome.

Les Français datent de la fondation de la liberté et de l’égalité.

La révolution française, féconde, énergique dans ses moyens, vaste, sublime dans ses résultats, formera pour l’historien pour le philosophe, une de ces grandes époques qui sont placées comme autant de fanaux sur la route éternelle des siècles.

§. II.
Du commencement de l’Ère et de l’Année.

Le commencement de l’année a parcouru successivement toutes les saisons tant que sa longueur n’a pas été déterminée sur la connaissance exacte du mouvement de la terre autour du soleil.

Quelques peuples ont fixé le premier jour de leur année aux solstices, d’autres aux équinoxes ; plusieurs, au lieu de le fixer sur une époque de saison, ont préféré de prendre dans leurs fastes une époque historique.

La France jusqu’en 1564 a commencé l’année à Pâques. Un roi imbécille et féroce, le même qui ordonna le massacre de la Saint-Barthelemi, Charles IX, fixa le commencement de l’année au premier janvier sans autres motifs que de suivre l’exemple qui lui étoit donné. Cette époque ne s’accorde ni avec les saisons ni avec les signes, ni avec l’histoire du temps.

Le cours des événemens nombreux de la révolution française présente une époque frappante et peut-être unique dans l’histoire par son accord parfait avec les mouvemens célestes, les saisons et les traditions anciennes.

Le 21 septembre 1792, les représentans du peuple, réunis en Convention nationale, ont ouvert leur session et ont prononcé l’abolition de la royauté. Ce jour fut le dernier de la monarchie : il doit être le dernier de l’ère et de l’année.

Le 22 septembre ce décret fut proclamé dans Paris ; ce jour fut décrété le premier de la République ; et ce même jour, à neuf heures dix-huit minutes trente secondes du matin le soleil arriva à l’équinoxe vrai d’automne, en entrant dans le signe de la Balance.

Ainsi l’égalité des jours aux nuits étoit marquée dans le ciel, au moment même où l’égalité civile et morale étoit proclamée par les représentans du peuple français comme le fondement sacré de son nouveau gouvernement.

Ainsi le soleil a éclairé à-la-fois les deux poles et successivement le globe entier, le même jour où, pour la première fois, a brillé dans toute sa pureté, sur la nation française, le flambeau de la liberté qui doit un jour éclairer tout le genre humain.

Ainsi le soleil a passé d’un hémisphère à l’autre, le même jour où le peuple, triomphant de l’oppression des rois, a passé du gouvernement monarchique au gouvernement républicain.

C’est après quatre ans d’efforts que la révolution est arrivée à sa maturité en nous conduisant à la République, précisément dans la saison de la maturité des fruits dans cette saison heureuse où la terre, fécondée par le travail et les influences du ciel, prodigue ses dons et paye avec magnificence à l’homme laborieux ses soins ses fatigues et son industrie.

Les traditions sacrées de l’Égypte qui devinrent celles de tout l’Orient, faisoient sortir la terre du chaos sous le même signe que notre République, et y fixoient l’origine des choses et du temps.

Ce concours de tant de circonstances imprime un caractère religieux et sacré à cette époque, une des plus distinguées dans nos fastes révolutionnaires, et qui doit être une des plus célébrées dans les fêtes des générations futures.

La Convention nationale vient de décréter que l’ère des Français et la première année de leur régénération ont commencé le jour de l’équinoxe vrai d’automne, qui fut celui de la fondation de la République et elle a aboli l’ère vulgaire pour les usages civils.

L’ère de Séleucus commença aussi à l’équinoxe d’automne, 312 ans avant l’ère vulgaire. Elle fut suivie par les peuples de l’Orient de toutes les croyances les adorateurs du feu comme les descendans d’Abraham les chrétiens comme les mahométans ; les Juifs ne l’ont abandonnée qu’à l’époque de leur dispersion dans l’Occident, en 1040. L’année ecclésiastique des Russes, et l’année des Grecs modernes commence encore au mois de septembre.

La première table donne le jour et l’heure de l’équinoxe d’automne pour plusieurs années.

§. III.
De la longueur de l’année.

La longueur de l’année a suivi chez les differens peuples les progrès de leurs lumières long-temps on l’a faite de 12 mois lunaires, c’est-à-dire de 354 jours, tandis que la révolution de la terre autour du soleil qui seule règle les saisons et le rapport des jours aux nuits, est de 365 jours, 5 heures, 48 minutes, 49 secondes.

Ce n’est qu’en intercalant, tantôt des jours tantôt des mois à des intervalles irréguliers, qu’on ramenoit pour quelque temps la coïncidence de l’année civile avec les mouvemens célestes et les saisons. Toutes ces intercalations, faites sans règles fixes, reparoient momentanément les effets d’une computation vicieuse, et en laissoient subsister la première cause.

Les Égyptiens, quinze cents ans, et les Babyloniens, sept cent quarante-six ans avant l’ère vulgaire, se rapprochèrent des vrais principes, en faisant leur année de trois cent soixante-cinq jours.

Jules-César, en sa qualité de dictateur et de pontife, appela auprès de lui, deux ans après la bataille de Pharsale, Sosigènes, astronome célèbre d’Alexandrie, et entreprit avec lui la réforme de l’année. Il proscrivit l’année lunaire introduite par Romulus ; et mal corrigée par Numa. L’erreur cumulée qu’il attaquoit avoit produit, après plusieurs siècles, un tel derangement dans les mois que ceux d’hiver répondoient à l’automne, et que les mois consacrés aux cérémonies religieuses du printemps répondoient à l’hiver.

Cette discordance fut détruite par Jules-César, qui intercala quatre-vingt-dix jours entre novembre et décembre ; Cette année qui fut en conséquence de quatre cent quarante-cinq jours, fut appelée l’année de la confusion. Il ordonna de plus que tous les quatre ans on intercalerait un jour après le sixième des calendes de mars. Ce jour fut appelé le second sixième ou bissextus ; de là le nom de bissextile, donné à l’année qui reçoit ce jour intercalaire. Ce nom ne convient plus depuis qu’on ne se sert plus des calendes[1].

Cette réforme supposait l’année cent soixante-cinq jours et six heures, de onze minutes onze secondes plus longue qu’elle n’est réellement.

En 1582, cette erreur avoit produit par sa cumulation un nouveau dérangement dans l’année. Grégoire XIII, alors pontife, entreprit avec des astronomes une nouvelle réforme ; il ôta dix jours au mois d’octobre de cette année et ordonna que sur quatre années séculaires une seule seroit bissextile. L’erreur de la computation julienne avoit réellement produit un dérangement de plus de douze jours ; mais les astronomes qui dirigèrent cette réforme supposoient l’année plus longue de vingt-trois secondes qu’elle n’est réellement.[2]

Cette réforme de Grégoire a été cependant adoptée successivement par toute l’Europe, excepté la Russie et la Turquie. Les Grisons ne voulaient que cinq jours de correction ; ils craignoient de compromettre l’honneur du protestantisme en condescendant à adopter la correction toute entière proposée par la cour de Rome.

Aujourd’hui beaucoup plus éclairé on sent l’inutilité de ces réformes préparées à l’avance pour plusieurs siècles, et qui ont fait le désespoir des chronologistes, des historiens et des astronomes. En suivant le cours naturel des choses, et cherchant un point fixe dans les mouvements célestes bien connus aujourd’hui, il sera toujours facile de faire coïncider l’année civile avec l’année solaire, par des corrections qui se feront successivement, aussitôt que les petites différences cumulées auront produit un jour. C’est dans cet esprit qu’a été rédigé l’article X du décret.

§. IV.
De la Franciade.

C’est après quatre ans de révolution et dans l’année bisextile que la nation, renversant le trône qui l’opprimoit, s’est établie en république. La première année de l’ère nouvelle commencerait une nouvelle période de quatre ans, si Jules-César et Grégoire XI, en plaçant la bissextile, avoient moins consulté leur orgueil que la rigueur de la concordance astronomique, et si jusqu’à présent nous n’avions été les serviles imitateurs des Romains[3]. La raison veut que nous suivions la nature plutôt que de nous traîner servilement sur les traces erronées de nos prédécesseurs. Nous devons donc fixer invariablement notre jour intercalaire dans l’année que la position de l’équinoxe d’automne comportera. Après une première disposition que la concordance avec les observations astronomiques rend nécessaire, la période sera de quatre ans. Ce n’est qu’après cent vingt-neuf ans environ, qu’on devra retrancher le jour intercalaire à l’une de ces périodes.

En mémoire de la révolution, la période de quatre ans est appelé la Franciade, et le jour intercalaire qui la termine, Jour de la Révolution. C’est le sixième des Sanculotides, de-là le nom de Sextile donné à l’année qui le reçoit. Le décret consacre ce jour à des fêtes républicaines, qui rappelleront les principaux événemens de la révolution. Les belles actions y seront proclamées et récompensées d’une manière digne de la pairie quelles honorent.

La seconde table fait connoître l’ordre des Franciades ; on y voit que nous sommes à la troisième année de la première Franciade.

§. V.
De la division et de la sous-division de l’année.

Du mois. — La succession de la nuit et du jour, les phases de la lune et les saisons, présentent à l’homme des divisions naturelles du temps. Le retour d’une même phase de la lune marque une lunaison ou un mois lunaire ; le retour d’une même saison marque l’année naturelle.

La route de la terre autour du soleil est divisée par les deux équinoxes et les deux solstices en quatre parties qu’elle ne parcourt pas dans des temps égaux ; de même les quatre saisons que cette division détermine, n’ont pas une durée égale.

De l’équinoxe d’automne au solstice d’hiver on compte 
90 jours.
Du solstice d’hiver à l’équinoxe du printemps 
89 jours.
De l’équinoxe du printemps au solstice d’été 
93 jours.
De là à l’équinoxe d’automne 
93 jours.

Les quatre saisons considérées comme divisions de l’année présenteroient trop d’inconvénients pour les usages domestiques et civils, à raison de leur inégalité et de leur longueur : l’esprit, pour s’élever de la petite unité du jour à la grande unité de l’année, a besoin de plusieurs unités intermédiaires et croissantes qui lui servent à la fois d’échelle et de repos.

La lune se meut autour de la terre et dans ses différentes positions, elle reçoit et réfléchit la lumière du soleil ; c’est ce qui détermine ses phases. Le retour de la même phase se répète douze fois dans l’année et forme douze lunaisons ; chacune est à peu-près de ving-neuf jours douze heures et demie ou, en compte rond, trente jours.

Les douze lunaisons font trois cent cinquante-quatre jours, c’est-à-dire onze jours de moins que l’année ordinaire. La lune ne nous offre donc pas par ses mouvemens, une division exacte de l’année ; mais elle est trop utile au marin dont elle dirige souvent la marche, au voyageur, à l’homme laborieux des champs, et sur-tout à l’habitant du nord, pour qui elle supplée au jour dans les longues nuits d’hiver, pour ne pas appeler toute leur attention par ses mouvemens.

Le mois est donc une division utile : aussi tous les peuples connus l’ont-ils adoptée ; mais pour être commode, elle doit être toujours la même, et se rapprocher d’une lunaison autant que le permet l’unité du jour, qui est la plus petite qu’on puisse employer ; or, vingt-neuf jours douze heures et demie est plus près de trente que de vingt-neuf, et le nombre décimal trente promet beaucoup plus de facilité dans les calculs.

Jusqu’à présent nos mois ont été inégaux entre eux et discordans avec les mouvemens de la lune. L'esprit se fatigue à chercher si un mois est de trente ou trente-un jours. Cette inégalité a pris naissance chez les peuples qui, faisant leur année trop courte, et ne trouvant pas dans la ressource des intercalations un moyen suffisant de correction, ajoutèrent un jour ou deux à quelques-uns de leurs mois.

Les Égyptiens, les plus éclairés des peuples de la haute antiquité, faisoient leurs mois égaux, chacun de trente jours, et complétoient l’année en la terminant par cinq jours épagomènes[4], qui n’appartenoient à aucun mois. Cette division est simple : c’est celle que la Convention a décrétée pour l’annuaire des Français.

De la décade. Les quatre phases de la lune présentent une division naturelle de la lunaison en quatre parties ; mais comme on ne pouvoit diviser ni trente ni vingt-neuf par quatre sans fraction, on a divisé vingt-huit ; et le nombre sept, qui en est résulté, a été pris pour la sous-division du mois, on en a fait la semaine, à laquelle les astrologues et les mages de l’Égypte ont attaché toutes les erreurs, toutes les combinaisons cabalistiques dont elle étoit susceptible.

La superstition a transmis jusqu’à nous, au grand scandale des siècles éclairés, cette fausse division du temps qui ne mesure exactement ni les lunaisons, ni les mois, ni les saisons, ni l’année, et qui n’a pas peu servi dans tous les temps les vues ambitieuses de toutes les sectes. La fête du septième jour avoit lieu chez les Païens comme chez les Juifs ; c’étoit un jour de prosélytisme et d’initiation.

L’annuaire d’un peuple qui reconnoît la liberté des cultes, doit être indépendant de toute opinion, de toute pratique religieuse, et doit présenter ce caractère de simplicité qui n’appartient qu’aux productions d’une raison éclairée.

La numération décimale, adoptée pour les poids et mesures, ainsi que pour les monnoies de la République, à raison de ses grands avantages pour le commerce et les arts, vient s’appliquer naturellement à la division du mois. Les trente jours qui se composent, divisés en trois parties égales, forment trois divisions de 10 jours, que nous appelons pour cette raison décade.

Ainsi l’année ordinaire est de 365 jours,
Ainsi l’année ordinaire   ou de 312 mois et cinq j.
Ainsi l’année ordinaire   ou de 336 décades et dem.
Ainsi l’année ordinaire   ou de 373 demi-décades.

Dans les usages familiers, les cinq doigts de la main peuvent être affectés à désigner ordinalement les cinq jours de la demi-décade.

Du jour. Les limites du jour et de la nuit, et le milieu de l’un et de l’autre, divisent naturellement le jour en quatre. Le chant du coq a servi longtemps aux Perses, et sert encore à quelques peuples des bords de la mer glaciale et de la mer blanche, à diviser le jour. Les Romains le partageoient, du lever au coucher, en quatre parties de trois heures chacune, qu’ils nommoient prime, tierce, sexte et none. Quelques peuples de l’Orient divisoient le jour et la nuit séparément, chacun en douze parties, qui croissoient et décroissoient, suivant l’état du jour ou de la nuit ; de sorte que les parties du jour n’étoient égales à celles de la nuit qu’aux équinoxes. On abandonna cet usage, et l’on fit toutes les heures égales. La division du jour en douze heures a aussi eu lieu, mais celle en vingt-quatre a prévalu : les uns les comptent de suite, depuis un jusqu’à vingt-quatre ; les autres comptent deux fois douze heures : c’est ce que font les Français.

On n’a pas toujours été d’accord sur la position du commencement du jour. Dans l’Orient on le plaçoit au lever du soleil ; les astronomes le placent à midi : les Juifs et les Athéniens le plaçoient au coucher du soleil ; les Italiens commencent demi-heure après le coucher. La plupart des peuples de l’Europe comptent le jour de minuit à minuit. À Basle, on commence le jour une heure plus tôt qu’ailleurs, en mémoire du service que rendit à cette ville celui qui rompit un complot de ses ennemis, en faisant sonner à l’horloge minuit pour onze heures.

La division de l’heure en soixante minutes, et de la minute en soixante secondes, est incommode dans les calculs, et ne correspond plus à la nouvelle division des instrumens d’astronomie si utiles pour la marine et la géographie ; division décimale qui donne au travail plus de célérité, plus de facilité et de précision.

La Convention, pour rendre complet le systême de numération décimale, à décrété, en conséquence, que le jour seroit divisé en dix parties, chaque partie en dix autres, et ainsi de suite, jusqu’à la plus petite portion commensurable de la durée.

Cependant, comme les changemens que cette division demande dans l’horlogerie ne peuvent se faire que successivement, elle ne sera obligatoire qu’à compter du premier jour, premier mois de la troisième année de la République.

SECONDE PARTIE.

Exécution et usage de l’annuaire des Français, ou du calendrier républicain.
§ I.

La rigueur des principes développés dans la première partie demande que le calendrier de la République soit dégagé de tout ce qui n’appartient pas strictement à la division de l’année, ou à la position des astres, qui, par leur lumière, intéressent le plus les premiers besoins de l’homme, soit en secondant son travail, soit en en réglant les époques.

On voit, à la suite de cette instruction, l’annuaire, dans toute sa simplicité : les douze mois de l’année, à compter du 22 septembre 1793, les jours qui les composent depuis 1 jusqu’à 30[5].

Toutes les indications relatives aux mouvemens célestes qui peuvent le plus nous intéresser, sont marquées en divisions décimales du temps, ou en parties décimales du cercle[6]. Une table servira à faire la concordance entre les heures décimales et les anciennes.

§ II.
De l’usage du nouveau calendrier.

Lorsqu’on a une date à exprimer, on n’a pas plus besoin de parler de décade que dans l’ancienne computation on ne parloit de semaine. Quelquefois à la date on ajoutoit le nom du jour de la semaine. Dans cette nouvelle division, le quantième seul du mois indique en même-tems et le rang de la décade dans le mois, et le rang du jour dans la décade.

Si une date est exprimée par un seul chiffre comme 7e. vendémiaire, il est évident qu’on indique aussi le 7e. jour de la 1re . décade.

Mais si le quantième du mois est exprimé par deux chiffres, comme 13, 25, il est aussi évident que le chiffre du rang des dizaines apprend dans le premier nombre 13 que la première décade est écoulée, et qu’on indique le 3e. jour de la seconde décade ; et dans le second nombre 25, les dixaines 2 apprennent que les deux premières décades sont écoulées, et qu’on indique le cinquième de la troisième décade.

La manière la plus simple et la plus courte d’écrire une date est celle-ci ; 21e. Vendémiaire, l’an 2e. de la République.

La date pour les Sanculotides est encore plus simple, puisqu’il n’appartiennent à aucun mois : 4e. des Sanculotides, 2e. an. de la Rép.

Au lieu de ces expressions, dans deux semaines, trois semaines, ou dans quinze jours, vingt jours, on dira ; dans une décade et demie, dans deux décades[7], etc.

§ III.
De l’épacte.

Au commencement de l’année, c’est-à-dire au 22 septembre dernier, vieux style, l’épacte ou l’âge de la lune étoit 17.

Veut-on savoir l’âge de la lune pour le 23 du 9e. mois de la 2e. an. ?

À l’épacte 
117
Ajoutez le quantième 
123
Et autant de demi-jours qu’il s’est écoulé de mois ; ce qui fait 
114

Vous aurez 
144
Retranchez-en, pour une lunaison 
129

Il restera, pour l’âge de la lune 
114
Quel sera l’âge de la lune au troisième des Sanculotides ?
Épacte 
117 jours
Date 
113
Pour douze mois 
116

Réponse 
126

Cette méthode est facile et suffisante pour les usages domestiques.

§ IV.
De la concordance de la nouvelle computation avec l’ancienne.

Pour faciliter la transition de l’ancienne computation à la nouvelle, on annexe à cette instruction une table de concordance à l’aide de laquelle on pourra sans peine traduire une ancienne date dans la nouvelle, et réciproquement. On peut aussi trouver cette correspondance en sachant à quel jour d’un mois ancien répond le premier de chaque mois nouveau. C’est ce qu’on voit dans le calendrier, à la tête de chaque mois.

Si l’on n’a pas sous les yeux la table dont on vient de parler, on peut par de simples additions résoudre toutes les difficultés qui se présenteront.

Premier exemple. — On veut savoir à quoi répond le 17 décembre 1793 dans le nouveau calendrier :

Septembre donne au 1er . mois 9 jours.

Du 1er . octobre au 1er . décembre, 2 mois de 30 et 1 jours.

Décembre donne 17 jours.


Total. 2 mois 27 jours.


La date donnée répond donc au 27e. du 3e. mois.

Second exemple. — À quoi répond la date du 14 juin 1794 ?

Du 1er . octobre au 31 mai 8 mois,

dont 5 de 31 jours, et un de 28, faisant tous les mois de 30, il reste après la compensation 3 jours.

Septembre fournit 9 jours,

Juin 14 jours.


Total. 8 mois 26 jours.


La date donnée répond donc au 26e. du 9e. mois.

Troisième exemple. — Traduire en nouveau style la date du 19 décembre 1794.

Du 22 septembre au 1er  décembre 1793 ; 2 mois 10 jours.

Du 1er  décembre 1793 au 1er  décembre 1794 1 an.

Décembre 1794 12 jours.

Total 1 an 2 mois 22 jours.


La date donnée répond donc au 22 du 3e . mois de la 3e . année.

Quatrième exemple. À quelle date répond dans l’ancien calendrier cette date nouvelle : 19e . du 7e . mois de la 3e . année ?

La 3e . année de la République commence au 22 septembre 1794 ; c’est à partir de là qu’on doit compter 6 mois 19 jours ; ce qui conduit au 10 avril 1795.

§ V.
Des nouvelles montres et horloges.

Perfectionner l’horlogerie, et rendre les productions de cet art utiles et accessibles pour le prix, au plus grand nombre des citoyens, c’est ce qui doit résulter de la nouvelle division du jour.

Le problême consiste à diviser le jour de minuit à minuit en 10, en 100, en 1000, 10,000 ou 100,000 parties, selon les besoins.

C’est au génie des artistes à s’exercer pour obtenir ce résultat par les moyens les plus simples, les plus expéditifs, les plus exacts et les plus économiques.

Pour les usages les plus ordinaires on pourroit se contenter d’une montre à une seule aiguille. Pour ceux qui voudront des dix millièmes ou des cent millièmes de jour, suivant la nature des opérations dont ils chercheront à mesurer la durée, on pourra faire des montres à plusieurs aiguilles.

Jusqu’à présent on n’a pas assez tiré parti des ressources qu’offriroient, 1o  un bon système de division du cadran ; 2o  la forme de l’aiguille qui, au-lieu d’indiquer par son extrémité, pourroit indiquer à-la-fois sur plusieurs cercles concentriques par son côté aligné au centre du cadran ; 3o  le nombre des tours, qu’une aiguille qui seroit solitaire pourroit faire dans le jour entier, ce qui fourniroit un moyen de sous-diviser, sans multiplier les cadrans.

Il importe sur-tout que les horlogers cherchent le moyen de faire servir à la nouvelle division décimale, les anciens mouvemens de montre ou de pendule, en faisant le moins de changement possible.

Pour faciliter le passage de la division en 24 heures à la division nouvelle, on pourroit partager le cadran en deux parties, dont l’une porteroit la division en 12 heures et l’autre la division en 5 heures ; une même aiguille à deux branches diamétralement opposées, indiqueroit à-la-fois les deux divisions.

Les tables II et IV présentent une concordance des divisions du jour.

Dans les grandes pendules et dans les horloges on peut supprimer la minuterie, aggrandir de cadran, en laissant subsister l’ancienne division et sur l’enture, présenter la division nouvelle en cinq figures décimales pour correspondre aux douze heures anciennes. Chaque heure décimale seroit divisée en 100 minutes ; l’aiguille des heures étant droite, et posée sur sa tranche, marqueroit à-la-fois l’heure ancienne et l’heure nouvelle.

C’est aux grandes communes à donner l’exemple et l’on doit attendre de leur patriotisme qu’elles s’empresseront à faire construire des horloges décimales.

Un seul cadran divisé en 100 parties, marquées de 10 en 10, peut servir à donner 1o . la décade dans le tour entier, le jour dans le dixième du tour l’heure dans le centième du tour par la même aiguille ; 2o . une seconde aiguille indiqueroit la minute, et une troisième indiqueroit la seconde décimale sur le même cadran.

§ VI.
De la Décade.

La loi laisse à chaque individu à distribuer lui-même ses jours de travail et de repos, à raison de ses besoins, de ses forces, et selon la nature de l’objet qui l’occupe. Mais comme il importe que les fonctionnaires, les agens publics qui sont comme autant de sentinelles placées pour veiller aux intérêts du peuple, ne quittent leur poste que le moins possible, la loi ne tolère de vacances pour eux qu’au dernier jour de chaque décade.

Les caisses publiques, les postes et messageries, les établissemens publics d’enseignement, les spectacles, les rendez-vous de commerce, comme bourses, foires, marchés, les contrats et conventions ; tous les genres d’agence publique qui prenoient leurs époques dans la semaine, ou dans quelques usages qui ne concorderoient pas avec le nouveau calendrier, doivent désormais se régler sur la décade, sur le mois ou sur les sanculotides.

Le conseil exécutif, les corps administratifs, les municipalités, doivent s’empresser à prendre toutes les mesures que peut leur suggérer l’amour de l’ordre et du bien public, pour accélérer les changemens que demande la nouvelle division de l’année, dans leurs fonctions respectives.

C’est aux bons citoyens, aux sociétés populaires aux soldats de la patrie, qui se montrent les ennemis implacables de tous les préjugés, à donner l’exemple dans leurs correspondances publiques ou privées, et à répandre l’instruction qui peut faire sentir les avantages de cette loi salutaire.

C’est au peuple français tout entier à se montrer digne de lui-même, en comptant désormais ses travaux, ses plaisirs, ses fêtes civiques, sur une division du temps créée pour la liberté et l’égalité créée par la révolution même qui doit honorer la France dans tous les siècles.


Visé par les Inspecteurs,
Signé, Auger, Cordier.

Collationné à l’original, par nous, Président et Secrétaires de la Convention Nationale, à Paris, l’an 2 de la République française une & indivisible.

Signé, G. ROMME, Président ; Richard, Philippeaux, Merlin (de Thionville), Frécine, Roger-Ducos, Reverchon, Secrétaires.


  1. Le mot calendrier, qui vient de calendes, seroit aussi très-impropre, si un très-long usage ne l’avoit consacré au point de faire oublier son origine ; les mots almanach ou annuaire seroient plus exacts.
  2. Il faut une période de 86 400 ans, pour que la différence exacte de l’année solaire à l’année civile ordinaire fasse un nombre de jours sans fraction. Ce nombre est de 20 929 ; c’est celui des jours intercalaires où des années bissextiles qui doivent réellement avoir lieu pendant cette longue période. Or la réforme julienne donne 22 350 bissextiles et la réforme grégorienne en donne 21 679 ; toutes les deux s’écartent de la vérité ; la première de 1 421 jours, la seconde de 750.
  3. La IIe table fait connoître la discordance qui règne entre les années bissextiles et les mouvemens célestes.

    Cette discordance est corrigée dans la nouvelle computation décrétée, comme on le voit dans la même table.

  4. Ou surajoutés.
  5. Les noms des jours et des mois, les fêtes des Sanculotides y sont placés.
  6. Le quart de cercle est divisé en 100 degrés, chaque degré en 100 minutes, chaque minute en 100 secondes.
  7. Les noms des jours fournissent une nouvelle manière d’exprimer une date qui peut avoir son application : tous les Tridis, tous les Décadis du mois.

    Le 1er . Octidi du Brumaire, ou le 8 du mois.
    Le 2e . Tridi ....... ou le 13.
    Le 3e . Septidi ......ou le 27.
    Le 3e . etc. Septidi etc.