Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Lettre de Monseigneur Baunard

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. v-vii).


Lettre de Mgr BAUNARD.



Mon cher ami

Je vous dois quelques lignes de remerciement et de félicitation pour la publication de cette édition, en même temps très ancienne et toute nouvelle, de l’Introduction à la vie dévote. Aussi bien c’est moi qui, après vous avoir entendu nous lire, du pied de l’autel, en la fête de Saint François de Sales, patron de notre Faculté des Lettres, l’histoire de la genèse de ce petit livre d’or, et celle de la pieuse chrétienne qui mérita l’honneur d’avoir la primeur de ces instructions, c’est moi qui, tout aussitôt, vous conseillai, vous priai, de publier cette Notice en tête de l’admirable chef d’œuvre de saine, haute, forte et douce spiritualité, duquel elle serait la plus intéressante comme la plus édifiante préface.

Ce n’est donc pas seulement parce que, comme tous vos auditeurs, j’avais été charmé de votre petit discours historique et littéraire, que je vous pressai d’en faire bénéficier le public. Ce n’est pas même parce qu’en cela j’obéissais à un secret sentiment de prédilection paternelle, qui n’a pas à craindre de s’égarer quand il s’adresse à vous. Je pensais encore au livre lui-même, que ces quelques pages vont expliquer, vont éclairer, vont vivifier, en le replaçant dans son milieu de temps, de lieu, de circonstances, et en face même de l’âme crucifiée, mais consolée et dirigée, pour laquelle il fut écrit, et que vous aurez fait revivre.

Je pensais aussi à Saint François de Sales, qui sera content de vous. Il vous pardonnera, bien sûr, d’avoir fait, discrètement, une figure concrète et vivante de ce type impersonnel que voilait le nom général de Philothée, puisque c’est pour nous montrer, à côté de ses leçons, l’exemple de la Femme Forte qui en profita la première. Il vous saura gré, sans doute, de vous être le plus possible rapproché de lui, recourant, à cette fin, au texte primitif, tout en dissimulant l’œuvre d’érudition derrière l’œuvre première d’édification : car François de Sales fut un des mieux disants, comme un des mieux pensants de son siècle. Mais en même temps, il vous bénira de la condescendance charitable que vous eûtes de moderniser ou de traduire, pour nous, certaines locutions que trois siècles ont vieillies, sans rien nous faire perdre toutefois de l’originelle beauté de cette langue unique, faite de grâce et d’énergie, qui a toutes les cordes, qui aborde tous les tons, qui prend toutes les nuances, et qui s’appelle d’un nom qui dit tout : la langue de saint François de Sales !

Tel est l’appât dont l’attirance gagnait au saint Docteur, et lui gagnera encore, tant d’âmes dont il fait, comme il avait fait de Madame de Charmoisy, de Philothées, c’est-à-dire des âmes éprises de Dieu, C’est l’amour suprême où, avec lui, il faut que l’on monte : « Ce qu’il y a de plus parfait dans l’univers, écrit-il, c’est l’homme ; dans l’homme, c’est l’âme ; dans l’âme, c’est l’amour et dans le genre d’amour, c’est l’amour de Dieu ! »

Or, mon ami, voilà l'œuvre, le ministère auquel je vous vois aujourd’hui associé ! Heureux associé de François de Sales ! Comment vous appellerai-je ? Son Diacre ? Modestement vous ne le souffririez point. Non, mais tout au moins le Lévite, qui précédant ses pas, porte devant lui le bougeoir de vermeil, pour en éclairer le livre de la doctrine et de la prière, Becevez-en mes compliments, mon cher Fils, avec ce trop faible témoignage de mon inaltérable affection.

Baunard.