Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Quatrième partie/08

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 299-301).


CHAPITRE VIII

QU’IL FAUT RÉSISTER AUX MENUES TENTATIONS


Quoiqu’il faille combattre les grandes tentations avec un courage invincible, et que la victoire que nous en rapportons nous soit extrêmement utile, si est-ce néanmoins qu’à l’aventure on fait plus de profit à bien combattre les petites ; car, comme les grandes surpassent en qualité, les petites aussi surpassent si démesurément en nombre, que la victoire d’icelles peut être comparable à celle des plus grandes. Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches, mais si nous ne font-ils pas tant d’importunité et d’ennui, ni n’exercent pas tant notre patience. C’est chose bien aisée que de s’empêcher du meurtre, mais c’est chose difficile d’éviter les menues colères, desquelles les occasions se présentent à tout moment. C’est chose bien aisée à un homme ou à une femme de s’empêcher de l’adultère, mais ce n’est pas chose si facile de s’empêcher des œillades, de donner ou recevoir de l’amour, de procurer des grâces et menues faveurs, de dire et recevoir des paroles de cajolerie. Il est bien aisé de ne point donner de corrival[1] au mari ni de corrivale à la femme, quant au corps, mais il n’est pas si aisé de n’en point donner quant au cœur ; bien aisé, de ne point souiller le lit du mariage, mais bien malaisé de ne point intéresser l’amour du mariage ; bien aisé, de ne point dérober le bien d’autrui, mais malaisé de ne point le mugueter et convoiter ; bien aisé, de ne point dire de faux témoignage en jugement, mais malaisé de ne point mentir en conversation ; bien aisé, de ne point s’enivrer, mais malaisé d’être sobre ; bien aisé, de ne point désirer la mort d’autrui, mais malaisé de ne point désirer son incommodité ; bien aisé, de ne le point diffamer, mais malaisé de ne le point mépriser.

Bref, ces menues tentations de colères, de soupçons, de jalousie, d’envie, d’amourettes, de folâtrerie, de vanités, de duplicités, d’afféterie, d’artifices, de cogitations déshonnêtes, ce sont les continuels exercices de ceux mêmes qui sont plus dévots et résolus : c’est pourquoi, ma chère Philothée, il faut qu’avec grand soin et diligence nous nous préparions à ce combat ; et soyez assurée qu’autant de victoires que nous rapportons contre ces petits ennemis, autant de pierres précieuses seront mises en la couronne de gloire, que Dieu nous prépare en son paradis. C’est pourquoi je dis, qu’attendant de bien et vaillamment combattre les grandes tentations, si elles viennent, il nous faut bien et dignement défendre de ces menues et faibles attaques.

  1. Rival.