Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Seconde partie/19

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 104-109).


CHAPITRE XIX

DE LA SAINTE CONFESSION


Notre Sauveur a laissé à son Église le sacrement de pénitence et de confession afin qu’en icelui nous nous lavions de toutes nos iniquités, toutes fois et quantes que nous en serons souillés. Ne permettez donc jamais, Philothée, que votre cœur demeure longtemps infecté du péché, puisque vous avez un remède si présent et facile. La lionne qui a été accostée du léopard va vitement se laver pour ôter la puanteur que cette accointance lui a laissée, afin que le lion venant n’en soit point offensé et irrité : l’âme qui a consenti au péché doit avoir horreur de soi-même, et se nettoyer au plus tôt, pour le respect qu’elle doit porter aux yeux de sa divine Majesté qui la regarde. Mais pourquoi mourrons-nous de la mort spirituelle, puisque nous avons un remède si souverain ?

Confessez-vous humblement et dévotement tous les huit jours, et toujours s’il se peut quand vous communierez, encore que vous ne sentiez point en votre conscience aucun reproche de péché mortel ; car par la confession vous ne recevrez pas seulement l’absolution des péchés véniels que vous confesserez, mais aussi une grande force pour les éviter à l’avenir, une grande lumière pour les bien discerner, et une grâce abondante pour réparer toute la perte qu’ils vous avaient apportée. Vous pratiquerez la vertu d’humilité, d’obéissance, de simplicité et de charité ; et en cette seule action de confession, vous exercerez plus de vertu qu’en nulle autre.

Ayez toujours un vrai déplaisir des péchés que vous confesserez, pour petits qu’ils soient, avec une ferme résolution de vous en corriger à l’avenir. Plusieurs se confessant, par coutume, des péchés véniels et comme par manière d’agencement, sans penser nullement à s’en corriger, en demeurent toute leur vie chargés, et par ce moyen perdent beaucoup de biens et profits spirituels. Si donc vous vous confessez d’avoir menti, quoique sans nuisance, ou d’avoir dit quelque parole déréglée, ou d’avoir trop joué, repentez-vous-en et ayez ferme propos de vous en amender ; car c’est un abus de se confesser de quelque sorte de péché, soit mortel, soit véniel, sans vouloir s’en purger, puisque la confession n’est instituée que pour cela.

Ne faites pas seulement ces accusations superflues que plusieurs font par routine : je n’ai pas aimé Dieu tant que je devais ; je n’ai pas prié avec tant de dévotion que je devais ; je n’ai pas chéri le prochain comme je devais ; je n’ai pas reçu les sacrements avec la révérence que je devais, et telles semblables : la raison est, parce qu’en disant cela vous ne direz rien de particulier qui puisse faire entendre au confesseur l’état de votre conscience, d’autant que tous les saints de paradis et tous les hommes de la terre pourraient dire les même choses s’ils se confessaient. Regardez donc quel sujet particulier vous avez de faire ces accusations-là, et lorsque vous l’aurez découvert, accusez-vous du manquement que vous aurez commis, tout simplement et naïvement. Par exemple, vous vous accusez de n’avoir pas chéri le prochain comme vous deviez; c’est peut-être parce qu’ayant vu quelque pauvre fort nécessiteux, lequel vous pouviez secourir et consoler, vous n’en avez eu nul soin. Eh bien accusez-vous de cette particularité et dites:ayant vu un pauvre nécessiteux, je ne l’ai pas secouru comme je pouvais, par négligence, ou par dureté de cœur, ou par mépris selon que vous connaîtrez l’occasion de cette faute. De même, ne vous accusez pas de n’avoir pas prié Dieu avec telle dévotion comme vous devez; mais si vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous ayez négligé de prendre le lieu, le temps et la contenance requise pour avoir l’attention en la prière, accusez-vous-en tout simplement, selon que vous trouverez y avoir manqué, sans alléguer cette généralité, qui ne fait ni froid ni chaud en la confession.

Ne vous contentez pas de dire vos péchés véniels quant au fait, mais accusez-vous du motif qui vous a induite à les commettre. Par exemple, ne vous contentez pas de dire que vous avez menti sans intéresser personne ; mais dites si ç’a été ou par vaine gloire, afin de vous louer et excuser, ou par vaine joie, ou par opiniâtreté. Si vous avez péché à jouer, expliquez si ç’a été pour le plaisir de la conversation, et ainsi des autres. Dites si vous vous êtes longuement arrêtée en votre mal, d’autant que la longueur du temps accroît pour l’ordinaire de beaucoup le péché, y ayant bien de la différence entre une vanité passagère, qui se sera écoulée en notre esprit l’espace d’un quart d’heure, et celle en laquelle notre cœur aura trempé un jour, deux jours, trois jours. Il faut donc dire le fait, le motif et la durée de nos péchés ; car encore que communément on ne soit pas obligé d’être si pointilleux en la déclaration des péchés véniels, et que même on ne soit pas tenu absolument de les confesser, si est-ce que ceux qui veulent bien épurer leurs âmes pour mieux atteindre à la sainte dévotion, doivent être soigneux de bien faire connaître au médecin spirituel le mal, pour petit qu’il soit, duquel il veulent être guéris.

N’épargnez point de dire ce qui est requis pour bien faire entendre la qualité de votre offense, comme le sujet que vous avez eu de vous mettre en colère, ou de supporter quelqu’un en son vice. Par exemple, un homme lequel me déplaît, me dira quelque légère parole pour rire, je le prendrai en mauvaise part et me mettrai en colère ; que si un autre qui m’eût été agréable en eût dit une plus âpre, je l’eusse prise en bonne part. Je n’épargnerai donc point de dire : je me suis relâchée à dire des paroles de courroux contre une personne, ayant pris de lui en mauvaise part quelque chose qu’il m’a dit, non point pour la qualité des paroles, mais parce que celui-là m’était désagréable. Et s’il est encore besoin de particulariser les paroles pour vous bien déclarer, je pense qu’il serait bon de les dire ; car s’accusant ainsi naïvement, on ne découvre pas seulement les péchés qu’on a faits, mais aussi les mauvaises inclinations, coutumes, habitudes et autres racines du péché, au moyen de quoi le père spirituel prend une plus entière connaissance du cœur qu’il traite et des remèdes qui lui sont propres. Il faut néanmoins toujours tenir couvert le tiers qui aura coopéré à votre péché, tant qu’il sera possible.

Prenez garde à une quantité de péchés qui vivent et règnent bien souvent insensiblement dedans la conscience, afin que vous les confessiez et que vous puissiez vous en purger ; et à cet effet lisez attentivement les chapitres xxvii, xxviii, xxix, xxxv et xxxvi de la troisième Partie et le chapitre viii[1] de la quatrième Partie.

Ne changez pas aisément de confesseur, mais en ayant choisi un, continuez à lui rendre compte de votre conscience aux jours qui sont destinés pour cela, lui disant naïvement et franchement les péchés que vous aurez commis ; et de temps en temps, comme serait de mois en mois ou de deux mois en deux mois, dites-lui encore l’état de vos inclinations, quoique par icelles vous n’ayez pas péché, comme si vous étiez tourmentée de la tristesse, du chagrin, ou si vous êtes portée à la joie, aux désirs d’acquérir des biens, et semblables inclinations.

  1. Le texte porte : chapitre VII. Mais il semble bien qu’il y a eu ici méprise.