Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Seconde partie/20

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 109-113).


CHAPITRE XX

DE LA FRÉQUENTE COMMUNION


On dit que Mithridate, roi du Pont, ayant inventé le tnithridat renforça tellement son corps par icelui, que s’essayant par après de s’empoisonner pour éviter la servitude des Romains, jamais il ne lui fut possible. Le Sauveur a institué ce sacrement très auguste de l’Eucharistie qui contient réellement sa chair et son sang, afin que qui le mange vive éternellement ; c’est pourquoi, quiconque en use souvent avec dévotion affermit tellement la santé et la vie de son âme, qu’il est presque impossible qu’il soit empoisonné d’aucune sorte de mauvaise affection. On ne peut être nourri de cette chair et vivre des affections de mort ; si que, comme les hommes demeurant au paradis terrestre pouvaient ne mourir point selon le corps, par la force de ce fruit vital que Dieu y avait mis, ainsi peuvent-ils ne point mourir spirituellement, par la vertu de ce sacrement de vie. Que si les fruits les plus tendres et sujets à corruption, comme sont les cerises, les abricots et les fraises, se conservent aisément toute l’année étant confits au sucre et au miel, ce n’est pas merveille si nos cœurs, quoique frêles et imbéciles, sont préservés de la corruption du péché lorsqu’ils sont sucrés et emmiellés de la chair et du sang incorruptible du Fils de Dieu. O Philothée ! les chrétiens qui seront damnés demeureront sans réplique lorsque le juste Juge leur fera voir le tort qu’ils ont eu de mourir spirituellement, puisqu’il leur était si aisé de se maintenir en vie et en santé par la manducation de son Corps qu’il leur avait laissé à cette intention « Misérables, dira-t-il, pourquoi êtes-vous mort, ayant à commandement le fruit et la viande de la vie ? »

« De recevoir la communion de l’Eucharistie tous les jours, ni je ne le loue ni je ne le vitupère ; mais de communier tous les jours de dimanche, je le suade et en exhorte un chacun, pourvu que l’esprit soit sans aucune affection de pécher ». Ce sont les propres paroles de saint Augustin, avec lequel je ne vitupère ni loue absolument que l’on communie tous les jours, mais laisse cela à la discrétion du père spirituel de celui qui se voudra résoudre sur ce point ; car la disposition requise pour une si fréquente communion devant être fort exquise, il n’est pas bon de le conseiller généralement ; et parce que cette disposition-là, quoiqu’exquise, se peut trouver en plusieurs bonnes âmes, il n’est pas bon non plus d’en divertir et dissuader généralement un chacun, ains cela se doit traiter par la considération de l’état intérieur d’un chacun en particulier. Ce serait imprudence de conseiller indistinctement à tous cet usage si fréquent ; mais ce serait aussi imprudence de blâmer aucun pour icelui, et surtout quand il suivrait l’avis de quelque digne directeur. La réponse de sainte Catherine de Sienne fut gracieuse, quand lui étant opposé, à raison de sa fréquente communion, que saint Augustin ne louait ni ne vitupérait de communier tous les jours : « Eh bien ! dit-elle, puisque saint Augustin ne le vitupère pas, je vous prie que vous ne le vitupériez pas non plus, et je me contenterai ».

Mais, Philothée, vous voyez que saint Augustin exhorte et conseille bien fort que l’on communie tous les dimanches ; faites le donc, tant qu’il vous sera possible. Puisque, comme je présuppose, vous n’avez nulle sorte d’affection du péché mortel, ni aucune affection au péché véniel, vous êtes en la vraie disposition que saint Augustin requiert, et encore plus excellente, parce que non seulement vous n’avez pas même l’affection du péché ; si que, quand votre père spirituel le trouverait bon, vous pourriez utilement communier encore plus souvent que tous les dimanches.

Plusieurs légitimes empêchements peuvent néanmoins vous arriver, non point de votre côté mais de la part de ceux avec lesquels vous vivez, qui donneraient occasion au sage conducteur de vous dire que vous ne communiiez pas si souvent. Par exemple, si vous êtes en quelque sorte de sujétion, et que ceux à qui vous devez de l’obéissance ou de la révérence soient si mal instruits ou si bizarres qu’ils s’inquiètent et troublent de vous voir si souvent communier, à l’aventure, toutes choses considérées, sera-t-il bon de condescendre en quelque sorte à leur infirmité, et ne communier que de quinze jours en quinze jours ; mais cela s’entend en cas qu’on ne puisse aucunement vaincre la difficulté. On ne peut pas bien arrêter ceci en général, il faut faire ce que le père spirituel dira ; bien que je puisse dire assurément que la plus grande distance des communions est celle de mois à mois, entre ceux qui veulent servir Dieu dévotement.

Si vous êtes bien prudente, il n’y a ni mère, ni femme, ni mari, ni père qui vous empêche de communier souvent : car, puisque le jour de votre communion, vous ne laisserez pas d’avoir le soin qui est convenable à votre condition, que vous en serez plus douce et plus gracieuse en leur endroit et que vous ne leur refuserez nulle sorte de devoirs, il n’y a pas de l’apparence qu’ils veuillent vous détourner de cet excercice, qui ne leur apportera aucune incommodité, sinon qu’ils fussent d’un esprit extrêmement coquilleux et déraisonnable ; en ce cas, comme j’ai dit, à l’aventure que votre directeur voudra que vous usiez de condescendance.

Il faut que je dise ce mot pour les gens mariés : Dieu trouvait mauvais en l’ancienne Loi que les créanciers fissent exaction de ce qu’on leur devait ès jours des fêtes, mais il ne trouva jamais mauvais que les débiteurs payassent et rendissent leurs devoirs à ceux qui les exigeaient. C’est chose indécente, bien que non pas grand péché, de solliciter le paiement du devoir nuptial le jour que l’on s’est communié, mais ce n’est pas chose malséante, ains plutôt méritoire de le payer. C’est pourquoi, pour la reddition de ce devoir-là, aucun ne doit être privé de la communion, si d’ailleurs sa dévotion le provoque à la désirer. Certes, en la primitive Église, les chrétiens communiaient tous les jours, quoiqu’ils fussent mariés et bénis de la génération des enfants ; c’est pourquoi j’ai dit que la fréquente communion ne donnait nulle sorte d’incommodité ni aux pères, ni aux femmes, ni aux maris, pourvu que l’âme qui communie soit prudente et discrète. Quant aux maladies corporelles, il n’y en a point qui soit empêchement légitime à cette sainte participation, si ce n’est celle qui provoquerait fréquemment au vomissement.

Pour communier tous les huit jours, il est requis de n’avoir ni péché mortel ni aucune affection au péché véniel, et d’avoir un grand désir de se communier ; mais pour communier tous les jours, il faut, outre cela, avoir surmonté la plupart des mauvaises inclinations, et que ce soit par avis du père spirituel.