Introduction à la vie dévote (Brignon)/Cinquième partie

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Texte établi par Jean BrignonCuret (p. 392-423).

INTRODUCTION
À LA
VIE DÉVOTE.

CINQUIÈME PARTIE.

Les Avis et les exercices nécessaires pour renouveler et confirmer l’Ame dans la dévotion.


CHAPITRE PREMIER.

De la nécessité de renouveler tous les ans ses bons propos.


LE premier point de cet exercice est d’en bien comprendre l’importance : la fragilité et les mauvaises dispositions de notre chair, qui appesantissent l’âme, et l’entraîne toujours vers les choses de la terre, nous font aisément déchoir de nos bonnes résolutions, à moins qu’à force de les soutenir, nous ne tâchions de nous élever souvent vers les biens célestes. Comme nous voyons que les oiseaux craignant de retomber à terre, battent toujours l’air de leurs ailes, avec de continuels élancemens de leurs corps pour entretenir leur vol, c’est par cette raison, Philothée, que vous avez besoin de renouveler souvent vos bons propos pour le service de Dieu, de peur qu’avec le temps vous ne retombiez en votre premier état, ou plutôt dans un état plus mauvais ; parce que les chûtes que l’on fait dans la vie spirituelle nous mettent toujours au-dessous du point d’où nous nous étions élevé à la dévotion. Il n’y a pas d’horloge, pour bonne qu’elle soit, dont il ne faille remonter les poids de temps en temps, et même démonter toutes les pièces, au moins une fois l’année, afin de redresser celles qui ont été forcées, de réparer celles qui sont usées, et de nettoyer les autres où il s’est amassé de la crasse et de la rouille : et vous savez encore que si l’on en frotte les roues et les ressorts avec un peu d’huile bien fine, les mouvemens s’en font plus doucement, et que la rouille ne s’y met pas sitôt. Il faut aussi que celui qui a un vrai soin de son cœur, le remonte soir et matin, pour ainsi parler ; et c’est à quoi les exercices que je vous ai marqués lui doivent servir ; et qu’après cela il en observe souvent les mouvemens, pour y entretenir la régularité : il faut qu’au moins une fois l’année il en examine, par le menu et en détail, toutes les dispositions, pour réparer les défauts qui auroient pu s’y glisser et pour les renouveler entièrement, et qu’il tâche d’y faire entrer le plus qu’il pourra de la sainte Onction de la grâce que l’on reçoit en la Confession et en la Communion. Cet exercice, Philothée, réparera vos forces affoiblies par le temps, ranimera la ferveur de votre âme, fera revivre vos bonnes résolutions, et refleurir en vous toutes les vertus.

C’étoit la pratique des anciens Chrétiens, que le jour qu’on célébroit dans l’Église la mémoire du baptême de Notre-Seigneur, on renouveloit, comme le rapporte saint Grégoire de Nazianze, la profession et les protestations de leur baptême. Prenez donc cette pratique, Philothée, avec beaucoup d’affection et d’application ; choisissez un temps convenable, selon l’avis de votre Père spirituel, pour une retraite de quelques jours : et là, dans, un grand recueillement, méditez sur les points suivans, selon la méthode que je vous ai donnée dans la seconde Partie.


CHAPITRE II.

Considération sur le bienfait de Dieu qui nous a appelés à son service, conformément à la protestation que l’on a faite en la première Partie.


1. CONSIDÉREZ les articles de votre protestation. Le premier, est d’avoir détesté, quitté et renoncé pour jamais à tout péché mortel. Le second, est d’avoir consacré votre âme et votre corps, avec toutes leurs puissances et leurs facultés, à l’amour et au service de Dieu. Et le troisième, est que si vous faisiez quelque chûte, vous vous en releveriez soudainement : toutes ces résolutions ne sont-elles pas louables, justes et généreuses ? Pensez donc combien cette protestation est raisonnable, sainte et aimable.

2. Considérez à qui vous avez fait cette protestation ; c’est à Dieu : si les paroles que nous donnons aux hommes avec une sage délibération, nous obligent indispensablement, combien plus celles que nous avons données à Dieu ? Ah, Seigneur, disoit David, c’est à vous que mon cœur l’a dit : mon cœur a formé une bonne résolution ; jamais je ne l’oublierai.

3. Considérez en présence de qui vous avez protesté de servir Dieu ; ç’a été devant toutes la Cour céleste. Hélas ! sainte Vierge, saint Joseph, votre bon Ange, saint Louis, saint Cyprien et sainte Clotilde, toute cette bénite troupe de Saints et Saintes vous regardoit avec un amour singulier aux pieds du Sauveur, à qui vous consacriez votre cœur. L’on fit alors pour vous une fête d’allégresse dans la Jérusalem céleste : et maintenant on en célébrera la mémoire, si vous voulez bien renouveler cette consécration.

4. Considérez les moyens que vous eûtes pour vous aider à prendre ce parti. Hélas ! que la conduite de Dieu sur vous fut douce et miséricordieuse en ce temps là ! Dites-le sincèrement : le Saint-Esprit ne fit-il pas sentir tous ses attraits à votre cœur ? Dieu ne vous attira-t-il pas à lui avec les liens de son amour, pour vous conduire, parmi les orages du siècle, au port du salut ? O combien vous faisoit-il goûter de délicieuses douceurs de sa grâce dans les Sacremens, dans la lecture, dans l’Oraison ! Hélas, Philothée, vous dormiez, et Dieu veilloit sur vous avec des pensées de paix et d’amour.

5. Considérez en quel temps Dieu vous attira à lui ; ce fut à la fleur de votre âge : Ah ! quel bonheur d’apprendre sitôt ce que nous ne pouvons savoir que trop tard ! Saint Augustin ne s’étant converti qu’à trente ans, s’écrioit : O ancienne beauté ! comment vous ai-je connue si tard ? Hélas ! vous étiez présente à mes yeux, et je ne vous regardois pas. Or vous pourriez dire : Ô douceur ancienne, pourquoi ne vous ai-je pas goûtée plutôt ! Hélas, Philothée, vous ne le méritiez pas en ces : premiers temps ; ainsi reconnoissant la bonté et la grâce de Dieu, qui vous a attiré à lui dès votre jeunesse, dites avec David : O mon Dieu ! vous avez éclaire mon esprit et touché mon cœur dès ma jeunesse ; je le publierai éternellement à la louange de votre miséricorde. Que si vous n’ayez eu ce bonheur que dans votre vieillesse, hélas, Philothée ! quelle grâce, qu’après un si méchant usage des années précédentes, Dieu ait arrêté le cours de votre misère avant la mort, qui l’eût rendue éternelle !

6. Considérez les effets de cette vocation : vous trouverez, ce me semble, d’heureux changemens en vous, si vous comparez ce que vous êtes avec ce que vous étiez. Ne comptez-vous pas pour beaucoup de savoir parler à Dieu par l’Oraison, d’avoir de l’inclination à l’aimer, d’avoir calmé beaucoup de passions qui vous inquiétoient, d’avoir évité plusieurs péchés et embarras de conscience, et d’avoir tant de fois uni votre âme par la Communion à la source inépuisable des biens éternels ? Ah, que ces grâces sont grandes ! il faut, Philothée, les peser au poids du Sanctuaire : c’est la main droite de Dieu qui a fait tout cela. La main de Dieu, infiniment bonne, disoit David, a opéré ce prodige ; sa main droite m’a relevé de ma chûte. Ah ! je ne mourrai pas, je vivrai, je raconterai de bouche et de cœur, et par toutes mes œuvres, les merveilles de sa bonté.

Après ces considérations qui sont pleines de bonnes affections, il faut simplement conclure par une action de grâce, et par une fervente prière, pour en demander à Dieu l’effet tout entier : et puis, vous retirant avec beaucoup d’humilité et de confiance, vous remettrez les fortes résolutions que vous avez à prendre, après le second point de cet exercice.


CHAPITRE III.

Examen de l’Ame sur son avancement dans la Vie dévote.


LE second point de cet exercice est un peu long, et je vous conseille de ne le prendre que par parties, selon l’ordre que je leur ai donné ici. Il n’est pas nécessaire d’être à genoux, sinon au commencement, pour vous présenter à Dieu, et à la fin, qui en comprend les affections ; vous pouvez même, dans les autres parties de cet examen, le faire utilement en vous promenant, et encore plus utilement au lit, si vous pouvez y être quelque temps sans vous assoupir ; mais il faut pour cela les avoir bien lues auparavant : il faut néanmoins faire tout ce qui est de ce second point, en trois jours et deux nuits pour le plus, prenant de chaque jour et de chaque nuit quelques heures, je veux dire quelque temps, selon que vous le pourrez ; car si cet exercice ne se faisoit qu’en des temps fort éloignés les uns des autres, il perdroit sa force, et ne feroit sur vous que de foibles impressions. Après chaque partie de l’examen, vous remarquerez bien vos défauts, soit pour vous en confesser et pour prendre conseil, soit pour former vos résolutions, et fortifier votre esprit ; bien qu’il ne faille pas absolument vous dégager tout-à-fait des conversations ordinaires, durant ces jours-là, ni les autres, retirez-vous cependant un peu plutôt le soir, afin que vous couchant de meilleure heure, vous puissiez prendre tout le repos du corps et de l’esprit, qui est nécessaire à la considération : et durant le jour, faites de fréquentes aspirations à Dieu, à Notre-Dame, aux Anges, à toute la Jérusalem céleste ; mais faites-les d’un bon cœur plein de l’amour de Dieu, et du désir de votre perfection.

Pour commencer donc cet Examen, 1.° mettez-vous en la présence de Dieu.

2.° Demandez les lumières du St.-Esprit, comme St. Augustin, qui s’écrioit devant Dieu en esprit d’humilité : O Seigneur ! que je vous connoisse, et que je me connoisse. Dites avec St.-François, qui êtes-vous, ô mon Dieu, et qui suis-je ? Protestez que vous ne voulez pas remarquer votre avancement, pour vous en réjouir en vous-même, et pour vous en glorifier ; mais pour vous réjouir en Dieu, l’en glorifier et l’en remercier : protestez encore, que si, comme vous le croyez, vous trouvez que vous ayiez peu avancé, ou même reculé, vous ne voulez nullement vous laisser abattre ni décourager, et qu’au contraire, vous prétendez-vous animer à mieux faire, en tâchant de réparer vos défauts, avec la grâce de Dieu.

Après cela, examinez tranquillement quelle a été votre conduite envers Dieu, envers le prochain, et à l’égard de vous-même.


CHAPITRE IV.

Examen de l’état de l’âme à l’égard de Dieu.


1. QUEL est votre cour touchant le péché mortel ? Avez-vous une forte résolution de n’en commettre jamais aucun, pour quelque chose qui puisse arriver ? et cette résolution a-t-elle subsisté jusqu’à présent ? en elle consiste le fondement de la vie spirituelle.

2. Quel est votre cœur sur les commandemens de Dieu ? les trouvez-vous bons, doux, agréables ? Ah ! Philothée, qui a le goût bon et l’estomac sain, aime les bonnes viandes, et rejète les mauvaises.

3. Quel est votre cœur à l’égard des péchés véniels ? on ne peut s’observer si bien que l’on n’en commette quelqu’un ; mais n’y en a-t-il point auquel vous ayez une spéciale inclination, et ce qui seroit bien pis, auquel vous ayez de l’affection ?

4. Quel est votre cœur pour les exercices spirituels ? Les aimez-vous ? les estimez-vous ? ne vous déplaisent-ils point ? n’en avez-vous point de dégoût ? auquel sentez-vous plus ou moins d’affection ? entendre la parole de Dieu, la lire, en parler, la méditer, s’en servir dans les aspirations, se confesser, prendre des avis spirituels, se préparer à la communion, communier, modérer ses inclinations ; qu’y a-t-il en cela qui répugne a votre cœur ? et si vous trouvez quelque chose à quoi il ait moins d’attrait, examinez d’où vient ce dégoût.

5. Quel est votre cœur pour Dieu même ? votre cœur se plait-il à se ressouvenir de Dieu ? y trouve-t-il de la douceur ? Ah ! dit David : je me suis souvenu de Dieu, et j’y ai pris plaisir. Sentez-vous en votre cœur une certaine facilité à aimer, et un goût particulier à savourer cet amour ? votre cœur a-t-il de la joie de penser à l’immensité de Dieu, à sa bonté, à sa douceur ? Si le souvenir de Dieu se présente à votre cœur, parmi les occupations et les vanités du monde, y trouve-t-il place ? votre âme en demeure-t-elle saisie ? se tourne-t-elle de ce côté-là, et va-t-elle au-devant, pour ainsi parler ? certainement il y a des âmes de ce caractère. N’est-il pas vrai qu’une femme, dès qu’elle s’aperçoit du retour de son mari, après une longue absence, ou qu’elle croit entendre sa voix, part à l’instant même pour aller à lui, toute occupée qu’elle est des affaires les plus importantes ; que rien ne retient plus son cœur, et qu’elle abandonne toutes les autres pensées pour ne penser qu’à lui ? Il en est de même des âmes qui aiment bien Dieu ; quelqu’occupées qu’elles soient d’ailleurs, aussitôt que le souvenir de Dieu se présente, elles perdent presque toute l’attention aux autres choses, pour le plaisir qu’elles prennent en ce cher souvenir : et c’est un très-bon signe.

6. Quel est votre cœur pour Jésus-Christ, Dieu et homme ? prenez-vous plaisir d’être Dieu et homme ? prenez-vous plaisir d’être avec lui ? Les abeilles se plaisent autour de leur miel, et les guêpes sur les puanteurs : ainsi les bonnes âmes se plaisent d’être avec Jésus-Christ, et ont une grande tendresse d’amour pour lui ; mais les âmes déréglées se plaisent aux vanités du monde.

9. Quel est votre cœur pour Notre-Dame, pour les Saints et pour votre bon Ange ? les aimez-vous fort ? avez-vous une spéciale confiance en leur protection ? leurs images, leurs vies, leurs louanges vous plaisent-elles ?

8. Pour ce qui est de votre langue, comment parlez-vous de Dieu ? vous plaisez-vous à en parler selon votre état et votre capacité ? aimez-vous à chanter les Cantiques spirituels de son amour ?

9. Quant aux œuvres, pensez si vous avez du zèle pour la gloire extérieure de Dieu, et de l’affection à faire quelque chose pour son honneur ; car ceux qui aiment Dieu, aiment avec Dieu l’ornement de sa maison : pouvez-vous dire que vous avez renoncé à quelque affection ou à quelque chose pour Dieu ; parce que c’est un signe bien sûr d’amour, que de se priver de ce que l’on aime pour celui que l’on aime ? Qu’avez-vous donc jusqu’ici quitté pour l’amour de Dieu.


CHAPITRE V.

Examen de l’état de l’Ame par rapport à elle-même.


1. QUEL amour avez-vous pour vous-même ? ne vous aimez-vous point trop pour ce monde ? Si cela est, vous désirerez d’y demeurer toujours, et vous aurez un grand soin de vous y établir ; mais si vous vous aimez pour le Ciel, vous désirerez de quitter la terre ; du moins vous acquiescerez aisément à la quitter, quand il plaira à Notre-Seigneur.

2. Réglez-vous bien cet amour de vous-même ; car il n’y a que l’amour désordonné de nous-même qui nous ruine : or l’amour réglé veut que nous aimions plus l’âme que le corps, que nous ayons plus de soin d’acquérir les vertus que toute autre chose, et que nous estimions beaucoup plus, la gloire éternelle que l’honneur mondain et périssable. Un cœur réglé dit plus souvent en soi-même : que diront les Anges, si je pense à telle chose ? qu’il ne dit : que diront les hommes ?

3. Quel amour avez-vous pour votre propre cœur ? ne vous fâchez-vous point de le servir en ses maladies ? Hélas ! vous : lui devez ce soin, quand ces passions le tourmentent ; il faut laisser toutes choses pour cela, et lui procurer encore les charités des autres.

4. Que vous estimez-vous devant Dieu ? rien sans doute : or, vous ne devez pas vous en croire plus humble, que si vous jugiez qu’une mouche n’est rien au prix d’une montagne, ou une goutte d’eau en comparaison de la mer, ou une étincelle de feu en la présence du Soleil ; mais l’humilité consiste à ne pas vous préférer aux autres, et ne pas vouloir qu’on vous donne cette préférence. Où en êtes-vous sur cela ?

5. A l’égard de votre langue, ne vous vantez-vous point, ou d’une manière ou d’une autre ? ne vous flattez-vous point en parlant de vous ?

6. Quant aux œuvres, ne prenez-vous point de plaisir contraire à votre santé ? je veux dire, de plaisirs vains, inutiles, poussés trop avant dans la nuit, etc.


CHAPITRE VI.

Examen de l’état de l’Ame à l’égard du Prochain.


IL faut bien aimer un mari et une femme, d’un amour doux et tranquille, ferme et continuel, et que ce soit parce que Dieu l’ordonne ainsi ; j’en dis de même des enfans, des proches parens et des amis, selon le degré de liaison que l’on a avec eux.

Mais pour parler en général, quel est votre cœur à l’endroit du Prochain ? l’aimez-vous bien sincèrement et pour l’amour de Dieu ? Pour en juger, représentez-vous quelques gens déplaisans, ennuyeux et d’une malpropreté dégoûtante, d’autant que c’est là où se trouve l’amour de Dieu pour le prochain ; et beaucoup plus, quand on traite bien ceux qui nous ont offensés par leurs actions ou par leurs paroles. Examinez si votre cœur n’a rien contr’eux, et s’il ne sent pas une grande répugnance à les aimer. · N’êtes-vous point facile à parler du prochain désavantageusement, et surtout de ceux qui ne vous aiment pas ? Ne nuisez-vous à personne, ou directement ou indirectement ? pour peu que vous soyez raisonnable, vous vous en apercevrez facilement.


CHAPITRE VII.

Examen de l’état de l’âme sur ses passions.


J’AI étendu les point de cet examen qui ne consiste qu’à connoître le progrès qu’on a fait dans la vie spirituelle ; car l’examen des péchés regarde la confession de ceux qui ne pensent point à s’y avancer. Il ne faut cependant s’observer sur chacun de ces articles, qu’avec une douce application à considérer l’état du cœur, et les fautes notables qu’on a pu commettre.

Mais, pour abréger le tout, réduisons cet exercice à l’examen de nos passions, et considérons seulement ce que nous avons été, et comment nous nous sommes conduits sur les articles suivans.

Dans notre amour envers Dieu, envers le prochain, envers nous-mêmes.

En notre haine à l’égard de nos péchés et ceux des autres ; car nous devons désirer leur amendement comme le nôtre.

En nos désirs à l’égard des richesses, des plaisirs et des honneurs.

Dans la crainte des dangers de pécher et de perdre les biens de cette vie, si on craint trop l’un et trop peu l’autre.

Dans l’espérance trop établie peut-être sur le monde et sur les créatures, trop peu sur Dieu et sur les choses éternelles.

Dans la tristesse, si elle est excessive, et pour des choses vaines et frivoles.

Dans la joie, si elle est excessive, et pour des choses qui ne le méritent pas.

Enfin, observons quelles affections embarrassent notre cœur, quelles passions le possèdent, et en quoi principalement il s’est déréglé. Par les passions de l’âme, on en reconnoît l’état : car comme un joueur de luth en pince toutes les cordes, pour tâcher d’accorder celles qu’il trouve dissonantes, ou en les tirant, ou en les lâchant ; de même si après avoir observé toutes nos passions, nous les trouvons peu conformes aux désirs que nous avons de glorifier Dieu, nous pourrons les y ajuster avec la grâce de Dieu et le secours de notre Père spirituel.


CHAPITRE VIII.

Affections qui doivent suivre cet examen.


APRÈS avoir reconnu où vous en êtes, excitez votre âme à ces affections.

Si vous avez fait quelque progrès, quelque petit qu’il soit, remerciez-en Dieu, et reconnoissez que vous en êtes uniquement redevable à sa miséricorde.

Humiliez-vous fort devant Dieu, protestant que si vous n’avez pas beaucoup avancé, ç’a été votre faute ; parce que vous n’avez pas correspondu avec une fidélité courageuse et constante à ce qu’il vous donne d’inspirations, de lumières et de bons mouvemens, soit en l’oraison, soit ailleurs.

Promettez-lui de le louer à jamais des grâces par lesquelles il a opéré en vous ce petit amendement.

Demandez-lui pardon de votre infidélité, offrez-lui votre cœur, le priant de s’en rendre maître, et de le rendre plus fidèle.

Invoquez la sainte Vierge, votre bon Ange, les Saints, et principalement votre Patron, saint Joseph, et les autres.


CHAPITRE IX.

Des Considérations propres à renouveler les bons propos.


APRÈS avoir conféré avec votre Directeur sur vos défauts et sur les moyens d’y remédier, vous prendrez chaque jour une des considérations suivantes, pour en faire le sujet de votre oraison, selon la méthode des méditations de la première partie, soit pour la préparation, soit pour les affections ; vous mettant, avant toutes choses, en la présence de Dieu, et lui demandant la grâce de vous bien établir dans son amour et dans son saint service.


CHAPITRE X.

Première Considération.
Sur l’excellence de notre Ame.


CONSIDÉREZ la noblesse et l’excellence de votre âme dans la connoissance qu’elle a de ce monde visible, des Anges, de Dieu le maître souverain et infiniment bon, de l’éternité, et universellement de tout ce qui est nécessaire pour bien vivre en ce monde, pour s’associer aux Anges dans le Paradis, et pour y jouir éternellement de Dieu.

Votre âme à de plus une volonté capable d’aimer Dieu, et incapable de le haïr en lui-même. Sentez bien la noblesse de votre cœur, qui, ne trouvant rien parmi les créatures d’assez bon pour le satisfaire pleinement, ne peut trouver son repos qu’en Dieu seul. Rappelez hardiment les amusemens les plus chers et les plus violens qui ont autrefois occupé ce cœur ; et jugez de sang-froid, s’ils n’étoient pas si mêlés d’inquiétude, de chagrin, d’ennui et d’amertume, que votre pauvre cœur n’y trouvoit que de la misère.

Hélas ! notre cœur se porte avec beaucoup d’empressement aux biens créés, persuadé qu’il est d’y trouver de quoi satisfaire ses désirs. Mais aussitôt qu’il les a goûtés, il en voit l’impossibilité. C’est que Dieu ne veut pas qu’il trouve son repos en aucun lieu, non plus que la colombe sortie de l’arche de Noé, afin qu’il retourné à son Dieu, de qui il s’est éloigné. Ah que l’excellence de notre cœur est grande ! Et pourquoi donc le retiendrons-nous contre son gré dans l’esclavage des créatures ?

O mon âme, devez-vous dire, vous pouvez parfaitement connoitre et aimer Dieu ! pourquoi donc vous amuser à ce qui est infiniment au-dessous ? Vous pouvez prétendre à l’éternité : pourquoi donc vous fixer à des momens passagers ? Ce fut l’un des regrets de l’enfant prodigue : n’ayant pu vivre délicieusement à la table de son père, il se voyoit réduit à manger le reste des bêtes. O mon âme ! tu es capable de posséder Dieu : malheur à toi, si tu te contentes de moins que ce que Dieu est.

Élevez donc et excitez votre âme, qui est éternelle, à la contemplation et à la recherche de l’éternité, puisqu’elle en est digne.


CHAPITRE XI.

Seconde Considération.
Sur l’excellence des Vertus.


CONSIDÉREZ que les vertus attachées à la dévotion peuvent seules rendre votre cœur content en ce monde. Admirez-en les beautés, et les comparez aux vices contraires. Quelle suavité dans la patience, dans la douceur, dans l’humilité, en comparaison de la vengeance, de la colère et du chagrin, de l’ambition et de l’arrogance ! dans la libéralité, dans la charité, dans la sobriété, en comparaison de l’avarice, de l’envie et des désordres de l’intempérance ! Les vertus ont cela d’admirable, que la pratique en laisse à l’âme une consolation infiniment douce ; au lieu que les vices la jètent dans un abattement et une désolation tout-à-fait déplorable. Pourquoi donc ne tâcherons-nous pas de nous procurer toute cette joie ?

Qui n’a qu’un vice, n’est pas content ; et qui en a plusieurs, est mécontent. Mais qui a peu de vertus, en reçoit déjà de la joie, et son contentement croit à proportiou qu’il devient plus vertueux. O vie dévote ! que tu es belle, douce, agréable ! tu adoucis les afflictions, et tu donnes de la suavité aux consolations : sans toi, le bien, le mal et les plaisirs ne causent que de l’inquiétude, du trouble et de l’abattement. Ah ! qui te connoîtroit assez, pourroit bien dire avec la Samaritaine : Seigneur, donnez-moi cette eau : Domine, da mihi hanc aquam ! Aspiration fort ordinaire à la bienheureuse Mère Thérèse, et à sainte Catherine de Gènes, quoique pour d’autres sujets.


CHAPITRE XII.

Troisième Considération.
Sur l’exemple des Saints.


CONSIDÉREZ l’exemple des Saints de tout âge, de tout sexe et de tout état. Que n’ont-ils pas fait pour aimer Dieu avec un entier dévouement ! Regardez les Martyrs inébranlables en leurs résolutions : quels tourmens n’ont-ils pas soufferts, plutôt que d’un rien relâcher ? Voyez ces personnes si belles et si florissantes, l’ornement du sexe dévot, plus blanches que le lys par leur pureté, et plus vermeilles que la rose par leur charité ! les unes à douze, à treize, à quinze ans, les autres à vingt et à vingt-cinq, ont endurés plusieurs martyres, plutôt que de changer de résolutions, non-seulement sur la foi, mais même sur la dévotion, soit à l’égard de la virginité ou du service des pauvres affligés, soit à l’égard de la consolation de ceux qu’on conduisoit au supplice, ou de la sépulture des morts. 0 Dieu ! quelle constance a fait paroitre ce sexe fragile en ces occasions !

Regardez tant de saints Confesseurs ; avec quelle force d’esprit ont-ils méprisé le monde ? combien leur fermeté a-t-elle été invincible ? rien n’a jamais pu l’ébranler. Ils ont pris leur parti sans réserve, et l’ont soutenu sans exception. Mon Dieu ! que n’a pas dit saint Augustin de sa sainte Mère ? avec quelle constance suivit-elle son dessein de servir Dieu fidèlement dans le mariage et dans la viduité ? et combien de traverses, d’obstacles et d’accidens sainte Paule, la chère fille de saint Jérôme, n’ont-elle pas à soutenir et à combattre ; comme nous l’apprenons de lui ? Mais que ne devons-nous pas faire sur de si excellens modèles ? Les Saints étoient ce que nous sommes, ils faisoient tout pour le même Dieu que nous adorons, et ils travailloient pour acquérir les mêmes vertus. Pourquoi donc n’en ferons-nous pas autant dans notre condition,’et selon notre vocation, pour soutenir la sainte protestation que nous avons faite d’être à Dieu ?


CHAPITRE XIII.

Quatrième Considération.
Sur l’amour de Jésus-Christ pour nous.


CONSIDÉREZ l’amour avec lequel Jésus-Christ Notre-Seigneur a tant souffert en ce monde, particulièrement au jardin des Oliviers et sur le Calvaire. Cet amour nous regardoit, et obtenoit de Dieu le Père, par tant de peines et de travaux, les bonnes résolutions et protestations que votre cœur a faites, et de plus les grâces nécessaires pour les nourrir. pour les fortifier et pour les accomplir. O saintes résolutions ! que vous êtes précieuses, puisque vous êtes les fruits de la passion de mon Sauveur ! O combien mon âme vous doit-elle chérir, puisque vous avez coûté si cher à mon Jésus ! Hélas ! Seigneur de mon âme ! vous mourûtes pour me mériter la grâce de les faire ; faites-moi la grâce que je meure plutôt que de les perdre.

Pensez-y bien, Philothée ; il est certain que le cœur de notre Jésus attaché à la croix consideroit le vôtre qu’il aimoit, et que par cet amour il lui obtenoit tous les biens. que vous avez eu, et que vous n’aurez jamais. Qui, Philothée, nous pouvons dire comme Jérémie : O Seigneur ! avant que je fusse né, vous me regardiez et m’appeliez par mon nom. N’en doutons pas, le divin Jésus qui nous enfanta sur sa croix, nous portoit tous en son cœur comme une mère porte son enfant en ses entrailles. Sa divine bonté nous y prépara tous les moyens genéraux et particuliers de notre salut, tous les attraits et toutes les grâces dont elle se sert maintenant pour conduire nos âmes à la perfection. Semblable à une bonne mère qui prépare à l’enfant qu’elle porte, tout ce qui doit lui être nécessaire pour le conserver après sa naissance.

Ah, mon Dieu, que nous devrions graver ceci profondément en notre mémoire ! Est-il possible que j’aie été aimé, et si doucement aimé de mon Sauveur ? qu’il ait pensé à moi en particulier, et pour toutes les petites occasions dans lesquelles il m’a depuis attiré à lui ? hé ! combien donc devons-nous aimer, chérir et employer tout cela utilement ? Ceci est bien doux : le cœur si tendre de Jésus pensoit à Philothée, l’aimoit, et lui procuroit mille moyens de salut, comme s’il n’y eût pas eu d’autre âme au monde à qui il eût pensé ; de même que le Soleil éclairant un seul endroit de la terre, ne l’éclaire pas moins que s’il répandoit sa lumière partout ailleurs. Il m’a aimé, dit saint Paul : Il s’est donné pour moi, comme s’il disoit pour moi seul, et tout autant que s’il n’eût rien fait pour le reste des hommes. C’est, Philothée, ce qui doit être gravé en votre âme, pour bien chérir et nourrir votre résolution, qui a été si précieuse aux yeux du Sauveur,


CHAPITRE XIV.

Cinquième Considération.
Sur l’amour éternel de Dieu.


CONSIDÉREZ l’amour éternel que Dieu a eu pour vous. Avant l’incarnation et la mort de Jésus-Christ, la divine Majesté vous aimoit infiniment, et vous prédestinoit à son amour. Mais quand commença-t-il à vous aimer ? il commença quand il commença d’être Dieu ; et quand commença-t-il d’être Dieu ? jamais : car il a toujours été sans commencement et sans fin ; et son amour qui n’a jamais eu de commencement pour vous, vous a préparé de toute éternité les grâces et les faveurs qu’il vous a faites. Il le dit pour nous tous par le Prophète Jérémie : Je t’ai aimé d’une charité perpétuelle, et je t’ai attiré miséricordieusement à moi. Il parle à vous aussi-bien qu’à tout autre : vous devez donc à son amour les bonnes résolutions que vous aurez faites.

O Dieu ! quelles résolutions donc que celles-ci, que Dieu a eu présentes à sa divine sagesse et à sa bonté de toute éternité ! combien nous doivent-elles être chères et précieuses ? Que ne devrions-nous pas souffrir, plutôt que d’en rien perdre, quand même tout le monde devroit périr ? car tout le monde ensemble ne vaut pas une âme, et une âme ne vaut rien sans ees saintes résolutions.


CHAPITRE XV.

Affections générales sur les Considérations précédentes, pour conclure tout cet Exercice.


O CHÈRES résolutions ! je vous regarde comme le bel Arbre de vie que mon Dieu a planté au milieu de mon cœur, et que mon Sauveur veut arroser de son sang, pour lui faire porter de bons fruits. Plutôt mille morts que de permettre qu’il soit déraciné de mon cœur. Non, ni la vanité, ni les délices de la vie, ni les richesses, ni les afflictions ne me feront pas changer de dessein.

Hélas, Seigneur ! je dois cet avantage à votre paternelle bonté, qui a choisi mon cœur, toute méchante terre qu’il étoit, pour porter des fruits dignes de vous. Combien y a-t-il d’âmes qui n’ont pas eu ce bonheur ? Et puis-je jamais m’humilier assez sous la main de votre miséricorde ?

O délicieuses et saintes résolutions ! si je vous conserve, vous me conserverez ; si vous vivez en mon âme, mon âme vivra en vous. Subsistez donc à jamais dans mon cœur, aimable résolution, qui êtes éternelle en la miséricorde de mon Dieu ; soyez et vivez éternellement en moi, et que jamais je ne vous abandonne.

Après ces affections, il faut particulariser ici les moyens de bien soutenir vos chères résolutions. Ce sont principalement le fréquent usage de l’Oraison et des Sacremens, les bonnes œuvres, le soin de vous corriger des fautes que vous avez reconnues, la fuite des mauvaises occasions, et la fidélité à suivre les avis qu’on vous donnera.

Enfin, protestez vivement et mille fois, que vous persévérerez en vos résolutions, comme si vous teniez votre cœur entre vos mains ; présentez-le à Dieu pour le lui consacrer et sacrifier entièrement, lui disant que vous le laissez entre les siennes, que vous ne voulez jamais le reprendre, et que vous voulez suivre en tout et partout sa sainte volonté. Priez Dieu qu’il vous renouvelle entièrement, qu’il bénisse et qu’il soutienne par la force de son esprit cette rénovation : et invoquez sur cela la sainte Vierge, votre Ange, les Saints, saint Louis et les autres.

Allez dans cette disposition d’un cœur ému par la grâce, aux pieds de votre Père spirituel : accusez-vous des fautes principales que vous aurez remarquées dans votre confession générale : et ayant prononcé devant lui et signé la même protestation que vous fîtes alors, recevez-en l’absolution avec les mêmes sentimens. Enfin, allez unir votre cœur, ainsi renouvelé, à son principe et à son Sauveur, dans la participation du saint Sacrement de l’Eucharistie.


CHAPITRE XVI.

Sentiment qu’il faut conserver après cet Exercice.


LE jour que vous aurez fait cette rénovation, et les jours suivans, vous devez prononcer souvent de cœur et de bouche, ces ferventes paroles de saint Paul, de saint Augustin et de sainte Catherine de Gènes. Non, je ne suis plus à moi ; soit que je vive, soit que je meure, je suis à mon Sauveur ; je n’ai plus rien de moi, ni rien à moi ; c’est Jésus qui vit en moi, et tout ce que je puis appeler mon bien, c’est d’être à lui. O monde ! vous êtes toujours vous-même ; et moi j’ai toujours été aussi moi-même, mais dorénavant je ne serai plus moi-même. Non, nous ne serons plus nous-mêmes, car nous aurons le cœur changé : et le monde qui nous a trompé, sera trompé en nous ; car ne s’apercevant de notre changement que peu à peu, il nous croira toujours semblables à Esaü, et il nous trouvera enfin semblables à Jacob.

Il faut que notre cœur conserve bien l’impression de cet exercice, et que nous passions doucement de la méditation aux affaires et aux conversations, de peur que l’onction des bonnes résolutions ne se perde tout d’un coup ; parce qu’il faut que notre âme en soit bien pénétrée en toutes ses parties, mais sans qu’il nous en coûte aucun effort violent ni d’esprit ni de corps.


CHAPITRE XVII.

Réponse à deux objections qu’on peut faire sur cette Introduction.


LE monde vous dira, Philothée, que ces avis, ces exercices sont si multipliés, que qui voudroit les observer, ne pourroit vaquer à autre chose. Hélas, Philothée ! quand nous n’aurions fait autre chose, nous aurions assez fait, puisque nous aurions fait ce que nous devons faire en ce monde. Mais ne voyez-vous pas la ruse de l’ennemi ? s’il falloit chaque jour faire tous ces exercices, véritablement ils nous occuperoient entièrement. Or, Dieu ne vous le demande qu’en de certains temps, et en de certaines occasions. Combien y a-t-il de lois civiles dans le Digeste et dans le Code que l’on doit observer, et qu’on ne doit pas observer tous les jours, ni en tout temps ?

Au reste David, tout Roi qu’il étoit, et occupé d’affaires fort difficiles, pratiquoit bien plus d’exercices que je ne vous en ai marqués. Saint Louis, si grand Roi pour la guerre et pour la paix, et si appliqué à rendre la justice et à conduire les affaires du Royaume, entendoit chaque jour deux Messes, disoit Vêpres et Complies avec son Chapelain, faisoit la méditation, visitoit les Hôpitaux, se confessoit tous les vendredis, et portoit le cilice. Il entendoit fort souvent la prédication, outre les conférences spirituelles très-fréquentes ; et avec tout cela, il ne manqua jamais d’application et d’exactitude à une seule affaire qui fût du bien public ; et sa cour fut encore plus belle et plus florissante qu’elle n’avoit jamais été du temps de ses prédécesseurs. Pratiquez donc avec courage ces exercices selon que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera assez de temps et de forces pour toutes vos affaires : oui, quand il devroit arrêter le soleil, comme il fit du temps de Josué. Nous faisons toujours assez, quand Dieu travaille avec nous.

Le monde dira encore que je suppose presque partout que Philothée ait le don de l’oraison mentale ; et que, comme chacun ne l’a pas, cette Introduction ne peut pas servir à tous. Je l’avoue : j’ai présupposé cela, et il est encore vrai que chacun n’a pas le don de l’oraison.

Mais il est vrai aussi que presque chacun le peut avoir, même les plus grossiers, pourvu qu’ils aient de bons Directeurs, et que, pour l’acquérir, ils veuillent travailler autant que la chose le mérite ; et s’il s’en trouve qui n’aient pas ce don au plus petit degré que ce soit, (ce que je crois fort rare) un sage Directeur leur fera aisément suppléer à ce défaut, par l’attention à lire ou à entendre lire les mêmes considérations des méditations.


CHAPITRE XVIII.

Trois derniers et principaux Avis sur cette Introduction.


RENOUVELEZ tous les premiers jours du mois la protestation qui est dans la première partie après la méditation ; et dites ce jour là à tous momens, comme David : Non jamais, ô mon Dieu, je n’oublierai rien de toute votre loi : car c’est en elle que vous avez justifié et vivifié mon âme. Et quand vous sentirez en vous quelque altération considérable, prenez votre protestation en main, et proférez-la de tout votre cœur dans une profonde humiliation de vous-même : vous y trouverez un grand soulagement.

Faites une profession ouverte, non pas d’être dévot ou dévote, mais de vouloir l’être ; et n’ayez point de honte des actions communes et nécessaires qui nous conduisent à l’amour de Dieu. Avouez hardiment que vous tâchez de vous faire à la méditation ; que vous aimeriez mieux mourir que de pécher mortellement ; que vous voulez fréquenter les Sacremens et suivre les conseils de votre Directeur, qu’il n’est pas souvent nécessaire de nommer pour plusieurs raisons. Cette déclaration sincère de vouloir servir Dieu, et d’être consacré à son amour de bon cœur, est fort agréable à sa divine Majesté, qui ne veut point que l’on ait honte de son service, ni de la croix de son fils ; et d’ailleurs cela coupe chemin à beaucoup de mauvaises remontrances du monde, et nous oblige encore par honneur à la persévérance. Les Philosophes se déclaroient pour Philosophes, afin qu’on les laissât vivre philosophiquement ; et nous devons déclarer le désir que nous avons de la dévotion, afin qu’on nous laisse vivre dévotement. Si quelqu’un vous dit que la dévotion ne demande pas absolument toute cette pratique d’avis et d’exercices, ne le niez pas : mais répondez doucement que votre infirmité est si grande, qu’elle a besoin de plus d’aide et de secours qu’il n’en faut aux autres.

Enfin, je vous conjure, Philothée, par toute ce qui est sacré au Ciel et en la terre, par le baptême que vous avez reçu, par les mamelles que Jésus-Christ suça, par le cœur charitable dont il vous aima, et par les entrailles de la miséricorde en laquelle vous espérez : continuez et persévérez dans l’heureux dessein que vous avez de mener une vie sincèrement dévote. Nos jours s’écoulent et la mort est à la porte : la trompette, dit saint Grégoire de Nazianze, sonne la retraite : que chacun se prépare, car le jugement est proche. La mère de saint Symphorien voyant qu’on le conduisoit au martyre, crioit après lui : Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle, regarde le Ciel, et contemple celui qui y règne : te voilà au terme heureux de cette courte et misérable vie. Je vous le dis ainsi, Philothée : regardez le Ciel, et ne le perdez pas pour la terre. Regardez l’enfer, et ne vous y jetez pas pour le plaisir de quelques momens ; regardez Jésus-Christ, et ne le renoncez pas pour le monde, et quand la pratique de la vie dévote vous semblera dure, chantez avec saint François :

A cause des biens que j’attends,
Les travaux me sont passe-temps.

Vive Jésus, auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, soit honneur et gloire maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.