Introduction à la vie dévote (Brignon)/Première partie
PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
VOUS aspirez à la Dévotion, Philothée, parce que la Religion vous a fait connoitre que c’est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté. Mais puisque les petites fautes que l’on commet au commencement d’une affaire, deviennent grandes dans les progrès et sont presque irréparables à la fin, il faut absolument que vous commenciez par bien savoir ce que c’est que la dévotion, car il n’y en a qu’une bonne ; et
il en est plusieurs vaines et fausses ; et, sans ce discernement, vous pourriez vous y tromper, en vous amusant vous-même d’une dévotion imprudente et superstitieuse.
Un peintre nommé Arélius, peignoit dans ses figures les femmes pour qui il avoit conçu de l’estime : et c’est ainsi que chacun se peint la dévotion, sur l’idée que lui en forme sa passion ou son humeur. Tel qui s’est attaché à la pratique du jeûne, se croit dévot, pourvu qu’il jeûne souvent, quoiqu’il nourrisse dans son cœur une haine secrète : et tandis qu’il n’ose pas tramper le bout de la langue dans le vin ou même dans l’eau, de peur de blesser la perfection de la tempérance, il goûte avec plaisir tout ce que lui suggèrent la médisance et la calomnie, qui sont insatiables du sang du prochain. Telle s’estimera dévote, parce qu’elle a coutume de réciter tous les jours une longue suite de prières, quoique après cela elle s’échappe dans son domestique ou ailleurs, en toutes sortes de paroles fâcheuses, fières et injurieuses. Celui-là tient toujours sa bourse ouverte aux pauvres ; mais il a toujours le cœur fermé à l’amour de son prochain, à qui il ne veut pas pardonner, Celui-ci pardonne de bon cœur à ses ennemis ; mais payer ses créanciers, c’est ce qu’il ne fait jamais, s’il n’y est contraint. Toutes ces personnes se croient fort dévotes, et peut-être que le monde les croit telles ; cependant elles ne le sont nullement,
Les Officiers de Saül étant allés chez David avec ordre de l’arrêter, Micol, son épouse, les amusa pour leur cacher sa fuite : elle fit mettre dans un lit une statue qu’elle fit couvrir des habits de David, avec quelques peaux autour de la tête ; puis elle leur dit qu’il étoit malade, et qu’il dormoit. Voilà l’erreur de beaucoup de gens qui se couvrent de l’extérieur et de l’apparence de la sainte dévotion, et que l’on prend pour des hommes fort spirituels ; mais au fond, ce ne sont que des fantômes de piété.
La vraie dévotion, Philothée, présupposé l’amour de Dieu ; et pour parler plus juste, elle est elle-même le parfait amour de Dieu : cet amour s’appelle Grâce, parce qu’il est l’ornement de notre âme, et en fait une belle âme aux yeux de Dieu. Quand il nous donne la force de faire le bien, il s’appelle Charité ; et quand il nous fait opérer le bien avec soin, avec promptitude et fréquemment, il s’appelle Dévotion, et il a toute sa perfection. J’explique ceci par une comparaison fort simple, mais bien naturelle : les autruches ont des ailes, et ne s’élèvent jamais au-dessus de la terre ; les poules volent, mais pesamment, rarement et fort bas ; le vol des aigles, des colombes et des hirondelles est vif et élevé, presque continuel : ainsi les pécheurs ne sont que des hommes de terre ; et rampent toujours sur la terre ; les justes qui sont encore imparfaits, s’élèvent vers le Ciel par leurs bonnes œuvres, mais rarement, avec lenteur et une espèce de pesanteur d’âme ; il n’y a que les âmes solidement dévotes, qui, semblables aux aigles et aux colombes, s’élèvent en Dieu, d’une manière vive, sublime, et presque infatiguable. En un mot la dévotion n’est autre chose qu’une certaine agilité et vivacité spirituelle, par laquelle ou la charité opère en nous, ou nous-mêmes nous faisons avec la charité tout le bien dont nous sommes capables. C’est à la charité de nous faire observer universellement tous les Commandemens de Dieu ; et c’est à la dévotion de nous les faire observer avec toute la diligence et toute la ferveur possible. Celui donc qui n’observe pas tous les Commandemens de Dieu, n’est ni juste ni dévot ; car pour être juste, il faut avoir la charité, et pour être dévot, il faut avoir, avec la charité, une attention vive et prompte à faire tout le bien que l’on peut, — Et parce que la dévotion consiste essentiellement dans une excellente charité ; non-seulement elle nous rend prompts, actifs et diligens dans l’observation de tous les Commandemens de Dieu, mais encore dans les bonnes œuvres, qui, n’étant point commandées, ne sont que de conseil ou d’une inspiration particulière. Un homme qui ne fait que de relever d’une grande maladie, marche lentement et seulement par nécessité : de même un pécheur nouvellement converti ne marche dans la voie du salut, qu’avec une mauvaise lenteur et pesanteur d’âme, et par la seule nécessité qu’il y a d’obéir aux Commandemens de Dieu, jusqu’à ce qu’il ait bien pris l’esprit de piété. Alors, comme un homme sain et robuste, non-seulement il marche dans la voie des Commandemens de Dieu, mais il court avec joie, et même il entre avec un grand courage dans les chemins qui paroissent empraticables aux autres hommes, et où la voix de Dieu l’appelle, soit par les conseils, soit par les inspirations de sa grâce. Enfin, la charité et la dévotion ne sont pas plus différentes l’une de l’autre que le feu l’est de la flamme ; puisque, la charité, qui est le feu spirituel de l’âme, étant fort enflammée, s’appelle dévotion : de sorte que la dévotion n’ajoute rien, pour ainsi parler, au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente dans l’observation des Commandemens de Dieu, et dans la pratique des conseils et des inspiration célestes.
CHAPITRE II.
CEUX qui décourageoient les Israélites d’entreprendre la conquête de la Terre de promission, leur disoient que cette Terre consumoit ses habitans, c’est-à-dire, que l’air y étoit si méchant, que l’on ne pouvoit y vivre long-temps ; et que les naturels du pays étoient des hommes monstrueux, qui devoroient les autres hommes comme des sauterelles. C’est de cette sorte, Philothée, que le monde décrie tous les jours la sainte Dévotion, en publiant qu’elle rend l’esprit mélancolique et l’humeur insupportable ; et que pour en juger il n’y a qu’à voir l’air fâcheux, sombre et chagrin des personnes dévotes : mais comme Josué et Caleb, qui étoient allés reconnoitre la Terre promise, publioient partout que sa fertilité et sa beauté en rendoient le séjour heureux et délicieux, de même tous les Saints animés du Saint-Esprit et de la parole de Jésus-Christ, nous assurent que la vie dévote est douce, aimable et heureuse.
Le monde voit que les personnes dévotes jeûnent, prient, souffrent avec patience les injures qu’on leur fait, servent les malades, donnent l’aumône, veillent, répriment leur colère, font violence à leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font beaucoup d’autres choses, qui sont naturellement fort pénibles : mais le monde ne voit pas la dévotion du cœur, laquelle rend toutes ces actions agréables, douces et faciles. Considérez les abeilles sur le thym ; elles y trouvent un suc fort amer, et en le suçant même, elles le changent en miel : nous le confessons donc, âmes mondaines, les personnes dévotes trouvent d’abord beaucoup d’amertume dans l’exercice de la mortification ; mais bientôt elles la sentent toute, changée par l’usage, en une charmante suavité.
Les Martyrs au milieu des feux, et sur les roues, ont cru être couchés sur les fleurs, et parfumés des odeurs les plus délicieuses ; et si l’esprit de piété a pu ainsi, par sa douceur, charmer les tourmens les plus cruels, et la mort même ; que ne fait-il pas dans les exercices les plus laborieux de la vertu ? Ne peut-on point dire qu’il leur est ce que le sucre est aux fruits, dont il tempère la crudité lorsqu’ils ne sont pas mûrs, ou dont il corrige ce qui leur reste de malignité naturelle, quoiqu’ils soient en leur maturité ? Il est vrai que la dévotion assaisonne toute chose avec beaucoup d’agrément ; elle adoucit l’amertume des mortifications, et elle corrige la malignité des consolations humaines ; elle soulage le chagrin du pauvre, et elle réprime l’empressement du riche ; elle console un esprit désolé dans l’oppression, et elle humilie l’orgueil de la prospérité et de la faveur ; elle charme l’ennui de la solitude, et elle donne du recueillement à ceux qui sont dans le commerce du monde ; et elle est à nos âmes, tantôt ce que le feu est en hiver, et tantôt ce que la rosée est en été ; elle fait porter l’abondance, et souffrir la pauvreté ; elle rend également utile l’honneur et le mépris. elle reçoit avec une même dispositition le plaisir et la douleur, et elle nous remplit d’une admirable suavité.
Contemplez l’échelle de Jacob ; car c’est une fidèle peinture de la Vie Dévote. Les deux côtés de cette échelle nous représentent l’Oraison qui demande l’amour de Dieu, et l’usage des Sacremens qui nous le donne. Les échelons sont les diverses degrés de charité, par lesquels l’on va de vertu en vertu, soit en s’abaissant jusqu’à servir le prochain et souffrir ses foiblesses, soit en s’élevant par la contemplation jusqu’à l’union amoureuse de Dieu. Or, considérez, je vous prie, comme ces bienheureux Anges revêtus d’un corps humain, descendent et montent par cette échelle, et nous représentent bien les vrais dévots qui ont un esprit angélique. Ils nous paroissent jeunes, et cette jeunesse nous marque la force et l’activité spirituelle de la dévotion. Leurs ailes nous figurent le vol et l’élancement de l’âme en Dieu par la sainte Oraison ; mais en même-temps ils ont des pieds, et cela nous apprend que nous devons vivre sur la terre avec les autres hommes dans une sainte et paisible société. Leur beauté et la joie peinte sur leurs visages, nous marquent la douce tranquillité avec laquelle il faut recevoir tous les événemens de la vie : et leur tête nue aussi-bien que leurs bras et leurs pieds, nous font penser que l’on ne doit rien mêler dans ses intentions, et dans ses actions avec le motif de plaire à Dieu. Le reste de leur corps est couvert d’une robe fort légère, pour nous apprendre que dans la nécessité de se servir du monde et des biens du monde, il ne faut en prendre que ce qui est purement nécessaire.
Croyez-moi donc, Philothée, la Dévotion est la Reine des vertus, puisqu’elle est la perfection de la charité ; elle est à lacharité ce que la crème est au lait, la fleur à une plante, l’éclat à une pierre précieuse, et l’odeur au baume. Oui, la dévotion répand partout cette odeur de suavité, qui conforte l'esprit des hommes, et qui réjouit les Anges.
CHAPITRE III.
LE Seigneur Créateur commanda aux arbres de porter du fruit, chacun selon son espèce ; et il commande encore de tous les fidèles, qui sont les plantes vivantes de son Église, de faire de dignes fruits de piété, selon leur état et leur vocation ; car les règles n’en sont pas les mêmes pour les gens de qualité, pour les artisans, pour les princes et pour le peuple, pour les maitres et pour les domestiques, pour une femme mariée et pour une fille, ou pour une veuve : et il faut même accomoder toute la pratique de la dévotion à la santé, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. En vérité, Philothée, seroit-ce une chose louable, qu’un Évêque fut solitaire comme un Chartreux ; que les personnes mariées ne pensassent pas davantage d’amasser du bien que des Capucins ; qu’un artisan fut assidu à l’office de l’Église, comme un Religieux l’est au chœur ; et qu’un Religieux fut autant exposé à tous les exercices de la charité envers le prochain, qu’un Évêque ? cette dévotion ne seroit-elle pas ridicule, déréglée et insupportable ? Cependant, c’est ce que l’on voit souvent ; et le monde qui ne sait pas faire, ou qui ne veut pas faire ce discernement entre la dévotion et l’indiscrétion des personnes qui la prennent de travers, la blâme avec beaucoup d’injustice.
Non, Philothée, la véritable dévotion ne gâte rien, et même elle perfectionne tout ; de sorte que si elle répugne aux devoirs légitimes de la vocation, elle n’est qu’une fausse vertu. L’abeille, dit Aristote, laisse les fleurs, dont elle tire son miel, aussi fraiches et aussi entières, qu’elle les a trouvées : mais la véritable dévotion fait encore mieux ; non-seulement elle ne blesse en rien les devoirs des différens états de la vie, elle leur donne même un nouveau mérite, et elle en fait le plus bel ornement. L’on dit que si on jette dans le miel quelques pierreries que ce soit, elles y prennent toutes plus d’éclat qu’elles n’en ont, sans qu’aucune y perde rien de sa couleur naturelle : c’est ainsi que la piété étant bien établie dans les familles, tout en devient meilleur, et plus agréable ; l’économie en est plus paisible, l’amour conjugal plus sincère, le service du Prince plus fidèle, et l’application aux affaires plus douce et plus efficace.
C’est une erreur, et même une hérésie, que de vouloir bannir la vie dévote de la Cour des Princes et des armées, de la boutique des artisans et de la maison des personnes mariées. Il est bien vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique ou religieuse, ne peut subsister dans ces états ; mais il est des dévotions d’un autre caractère, et très-propres à prefectionner ceux qui y vivent. Abraham, Isaac et Jacob, David, Job, Tobie, Sara ; Rebecca, Judith, nous en sont d’illustres exemples dans l’ancien Testament : et depuis ce temps-là, saint Joseph, Lydia et saint Crépin, ne se sont-ils pas sanctifiés dans leurs boutiques ; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila et Prisca dans leurs ménages ; le Centenier Cornélius, s. Sébastien et s. Maurice dans les armées ; le grand Constantin, sainte Hélène, s. Louis, s. Amé et s. Edouard sur le trône ? il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection dans la solitude, toute favorable qu’elle est à la sainteté : et l’on en a vu d’autres qui l'ont conservée dans le monde, dont le commerce lui est fatal. Loth, dit s. Grégoire, perdit dans la solitude cette admirable chasteté, qu’il avait conservée au milieu d’une ville corrompue : enfin, quelque place que nous occupions, nous pouvons et devons toujours aspirer à la perfection…
CHAPITRE IV.
ALLEZ, dit Tobie à son fils, lorsqu’il voulut l’envoyer dans un pays inconnu à ce jeune homme ; allez, cherchez quelque homme sage qui vous conduise. Je vous le dis, aussi, Philothée ; voulez-vous sincèrement entrer dans les voies de la dévotion ? cherchez un bon guide qui vous y conduise. C’est là de tous las avertissemens, le plus nécessaire et le plus important : quelque chose que l’on fasse, dit le dévot Avila, on n’est jamais sûr d’y, faire la volonté de Dieu, qu’autant que l’on a cette humble obéissance, que les Saints, et les Saintes nous ont si fort recommandée, et qu’ils ont eux-mêmes pratiquée si fidèlement. La Bienheureuse Mère Thérèse, sachant les grandes austérités de Catherine de Cordoue, fut touchée d’une sainte émulation, et fort tentée de ne pas croire son Confesseur, qui lui en défendoit l’imitation : cependant elle se soumit, et après cela, Dieu lui dit : ma fille, tu marches par une voie qui est bonne et sure ; tu estimois beaucoup cette pénitence, et moi j’estime davantage ton obéissance. C’est de là qu’elle s’attacha si fort à cette vertu, qu’outre l’obéissance qu’elle devoit à ses supérieurs, elle s’engagea par un vœu particulier à suivre la direction d’un grand homme de bien, et elle en reçut toujours beaucoup d’édification et de consolation : c’est ainsi que devant elle et après elle tant de saintes âmes, pour se tenir mieux dans la dépendance de Dieu, ont assujéti leur volonté à celle de ses serviteurs. C’est cette humble sujétion, dont sainte Catherine de Sienne fait l’éloge dans ses Dialogues : ce fut la pratique de la dévote Princesse sainte Elisabeth, qui se soumit avec une parfaite obéissance à la conduite du savant Conrad ; et voici le conseil que saint Louis donna à son fils, avant de mourir : Confessez-vous souvent, et choisissez un Confesseur qui ait assez de science et de sagesse pour vous aider de ses lumières, et dans les choses nécessaires à votre conduite spirituelle.
Un ami fidèle, dit la sainte Écriture, est une puissante protection : quiconque en a trouvé un, a trouvé un trésor ; la sûreté de la vie et l’immortalité y sont attachées, et on le trouve quand on a la crainte de Dieu. Il s’agit ici principalement de l’immortalité, en vue de laquelle il faut tâcher d’avoir ce fidèle ami, qui nous conduise dans toutes nos actions par ses conseils, et qui vous fasse marcher avec sûreté à travers les pièges du malin esprit : nous aurons en lui un trésor de sagesse pour éviter le mal, et pour faire le bien d’une manière plus parfaite : plus de consolation pour nous soulager dans nos afflictions, plus de force pour nous relever de nos chutes, et tous les remèdes les plus nécessaires à la parfaite guérison de nos infirmités spirituelles.
Mais qui trouvera un tel ami ? le Sage répond que ce sera celui qui craint Dieu ; c’est-à-dire, l’humble qui désire ardemment son avancement spirituel. Puisqu’il est donc si important, Philothée, d’avoir un bon guide dans les voies de la dévotion, priez Dieu avec ferveur qu’il vous en donne un qui soit selon son cœur ; et ne doutez pas que quand il devroit vous envoyer un Ange, comme au jeune Tobie, il ne vous donne un sage et fidèle conducteur.
En effet, ce doit être un Ange pour vous ; c’est-à-dire, quand Dieu vous l’aura donné, vous ne devez plus le considérer comme un homme simple ; ne mettez votre confiance en lui que par rapport à Dieu qui vous conduira et vous instruira par son ministère, en lui mettant dans le cœur et dans la bouche les sentimens et les paroles nécessaires à votre conduite ; ainsi vous le devez écouter comme un Ange descendu du Ciel, pour vous y conduire. Ajoutez à la confiance une fidèle sincérité, traitant avec lui à cœur ouvert, et lui découvrant fidèlement le bien et le mal qui est en vous ; le bien en sera plus sûr, et le mal plus court ; votre âme en sera plus forte dans ses peines, et plus modérée dans ses consolations. Joignez un religieux respect à la confiance, et dans un si juste tempérament, que la vénération ne diminue point la confiance, et que la confiance ne fasse rien perdre du respect : confiez-vous en lui avec le respect d’une fille envers son père, et respectez-le avec la confiance d’un fils envers sa mère. En un mot, cette amitié qui doit avoir de la force et de la douceur, doit être toute spirituelle, toute sainte, toute sacrée, toute divine.
Choisissez-en un entre mille, dit Avila ; et moi je dis entre dix mille ; car il s’en trouve bien moins qu’on ne pense, qui soient capables de ce ministère. Il y faut de la charité, de la science, de la prudence ; et si l’une de ces trois qualités manque, le choix que l’on fera ne sera pas sans danger. Je vous le dis encore : demandez un Directeur à Dieu ; et quand vous l’aurez trouvé, bénissez-en sa divine Majesté, tenez-vous à votre choix, sans en chercher un autre : allez à Dieu en toute simplicité, avec humilité et confiance, car indubitablement vous ferez un très-heureux voyage.
CHAPITRE V.
LES fleurs, dit l’Époux sacré, commencenť à paroître dans notre Terre : il est temps d’émonder les arbres et de les tailler. Quelles sont ces fleurs pour nous, ô Philothée, sinon les bons désirs ? Or, dès qu’ils se font sentir à notre cœur, il faut s’appliquer promptement à le purifier de toutes les œuvres mortes et superflues. Dans la loi de Moïse, une fille étrangère qui vouloit épouser un Israëlite, devoit quitter la robe de sa captivité, et se faire raser les cheveux et couper les ongles : et cela nous apprend, que quand une âme aspire à l’honneur d’être l’épouse de Jésus-Christ, elle doit se dépouiller du vieil homme, se revêtir du nouveau, en quittant le péché, et puis retrancher de sa vie toutes les superfluités qui peuvent la détourner de l’amour de Dieu.
Pour guérir l’âme, ainsi que pour guérir le corps, il faut commencer par se décharger d’un mauvais amas de corruption ; et c’est ce que j’appelle purifier le cœur : cela se fit en un instant, et parfaitement, dans saint Paul ; et cela s’est encore fait dans sainte Magdeleine, sainte Pélagie, sainte Catherine de Sienne, et quelques autres Saints ou Saintes ; mais un tel avantage est un aussi grand miracle dans l’ordre de la grâce, que la résurrection d’un mort dans celui de la nature, et nous ne devons pas y prétendre. La guérison de l’âme, Philothée, comme celle du corps, est lente, ne s’avance que par degrés, peu à peu, avec peine et à loisir, et l’on croit même qu’elle n’en est que plus sûre ; car vous savez ce que dit le vieux proverbe, que les maladies viennent à cheval et en poste, et qu’elles s’en vont à pied et au petit pas : jugez ainsi des autres infirmités spirituelles.
Il faut donc ici, ô Philothée, beaucoup de patience et de courage : hélas ! que je plains ces personnes qui, se voyant sujettes à plusieurs imperfections, commencent après quelques mois de dévotion à s’inquiéter et à se troubler, prêtes qu’elles sont de succomber à la tentation, de tout quitter pour retourner sur leurs pas. Mais une autre extrémité aussi dangereuse, est celle de certaines âmes, qui, par une tentation contraire, se croient, dès les premiers jours, affranchies de leurs mauvaises inclinations ; qui pensent être parfaites sans avoir presque rien fait, et qui prenant le grand vol sans avoir d’ailes, s’élèvent à ce qu’il y a de plus sublime dans la dévotion. O Philothée, que la rechute est à craindre, pour avoir voulu se tirer trop tôt des mains du Médecin ! elles devroient bien considérer les Anges de l’échelle de Jacob, qui ayant des ailes, y montoient cependant par ordre, d’échelon en échelon, Ah ! dit le Prophète royal, il vous est bien inutile de vous lever avant que le jour soit venu. L’âme qui remonte du péché à la dévotion, est comparée à l’aube du jour ; laquelle en s’élevant, ne dissipe pas les ténèbres en un instant, mais peu à peu, et d’une manière imperceptible.
Jamais personne n’a mieux pratiqué ce conseil de bien purifier le cœur que ce saint pénitent, qui ayant été déjà lavé de son iniquité, demanda néanmoins durant toute sa vie d’en être toujours lavé de plus en plus ; ainsi cet exercice ne devant et ne pouvant finir qu’avec notre vie, ne nous troublons point à la vue de nos imperfections. Notre perfection consiste à les combattre, et d’ailleurs nous ne saurions ni les combattre ni les vaincre, sans les sentir et, sans les connoître ; la victoire même que nous en espérons ne consiste pas à ne les point sentir, mais à n’y point consentir.
Au reste, ce n’est pas y consentir que d’en ressentir les impressions ; il faut bien dans ce combat spirituel que, pour l’exercice de notre humilité, nous nous attendions à en recevoir quelques fâcheuses atteintes. Cependant nous ne sommes jamais vaincus, que quand nous avons perdu la vie ou le courage ; or, les imperfections et les fautes vénielles ne peuvent nous faire perdre cette vie spirituelle de la grâce que le seul péché mortel nous ravit, et il n’y a rien à craindre, sinon de perdre le courage ; mais disons à Dieu comme David : Seigneur, délivrez-moi de l’esprit de lâcheté et de découragement. C’est donc pour nous une douce et heureuse condition dans cette milice spirituelle, que de pouvoir toujours vaincre, pourvu que nous voulions toujours combattre.
CHAPITRE VI.
LE dégagement du péché doit être le premier soin de celui qui veut purifier son cœur ; et c’est ce que l’on fait, dans le Sacrement de pénitence. Cherchez le plus digne Confesseur que vous pourrez trouver ; ayez un de ces petits Livres, qui ont été faits pour aider à la conscience, dans l’examen qu’on doit faire de sa vie, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger, ou autres semblables ; lisez-les attentivement, et remarquez de point en point en quoi vous avez offensé Dieu depuis l’usage de raison : et si vous vous défiez de votre mémoire, écrivez ce que vous avez remarqué. Après cette recherche de vos péchés, détestez-les avec la contrition la plus vive et la plus parfaite que vous pourrez concevoir par la considération de ces quatre grands motifs : Que par le péché vous avez perdu la grâce de Dieu, abandonné votre droit sur le Paradis, mérité tes peines éternelles de l’Enfer, et renoncé à tout l’amour de Dieu.
Vous voyez bien, Philothée, que je vous parle d’une confession générale de toute la vie, et je vous avoue en même-temps que je ne la crois pas toujours absolument nécessaire ; mais considérant l’utilité qu’elle porte pour ces commencemens, je vous la conseille extrêmement. Il arrive souvent que les confessions ordinaires des personnes qui ont un certain train de vie commune, sont pleines de grands défauts : on ne s’y prépare point, ou fort peu ; l’on n’a pas la contritition requise ; l’on va se confesser avec une secrète volonté de pécher, soit parce que l’on ne veut pas éviter les occasions du péché ; soit parce que l’on n’est pas disposé à prendre tous les moyens nécessaires à l’amendement de la vie : et en tous ces cas-là, une confession générale est nécessaire pour assurer le salut : mais outre cela elle nous donne une parfaite connoissance de nous-mêmes ; elle nous remplit d’une confusion salutaire à la vue de tous nos péchés ; elle soulage l’esprit de beaucoup d’inquiétudes ; elle tranquillise la conscience ; elle excite en nous plusieurs bonnes résolutions ; elle nous fait admirer la miséricorde de Dieu, qui nous a attendu avec tant de patience ; elle met notre Père spirituel en état de nous donner des avis plus convenables ; elle nous ouvre le cœur pour confesser nos péchés à l’avenir avec plus de confiance.
Ainsi, Philothée, puisqu’il s’agit du renouvellement entier de votre vie et de la parfaite conversion de votre âme à Dieu, c’est avec raison, ce me semble que je vous conseille de faire une confession générale.
CHAPITRE VII.
TOUS les Israélites sortirent d’Égypte ; mais plusieurs y laissèrent leur cœur ; et c’est ce qui leur fit désirer dans le désert les oignons et les viandes d’Égypte. De même il est beaucoup de pénitens qui sortent de l’état du péché, et qui n’en quittent pas pour cela l’affection ; je m’explique : ils se proposent de ne plus pécher, mais c’est avec une certaine répugnance à se priver des plaisirs du péché : leur cœur y renoncé et s’en éloigne ; mais il leur échappe toujours de certains retours qui les portent de ce côté-là, à peu près comme il arriva à la femme de Loth, qui tourna la tête vers Sodome. Ils s’abstiennent du péché comme les malades font des melons ; vous le savez, ils n’en mangent pas, parce qu’ils craignent la mort dont le Médecin les menace ; mais ils s’inquiètent de cette abstinence ; ils en parlent avec chagrin, et doutent de ce qu’ils ont à faire, du moins ils veulent en sentir souvent l’odeur, et ils estiment heureux ceux qui peuvent en manger. Voilà le caractère de ces foibles et lâches pénitens ; ils s’abstiennent pour quelque temps du péché, mais c’est à regret ; ils voudroient bien pouvoir pécher sans être damnés ; ils parlent du péché avec je ne sais quel goût qui en fait sentir le faux plaisir, et ils veulent toujours croire que les autres y trouvent de quoi se satisfaire. Un homme quitte dans la confession le dessein qu’il avoit de se venger ; mais aussitôt après on le trouvera dans une conversation libre de ses amis avec qui il prendra plaisir de parler de sa querelle ; il dira, que sans la crainte de Dieu, il auroit fait ceci et cela, que la Loi divine, sur cet article du pardon, est bien difficile ; que plût à Dieu qu’il fût permis de se venger. Ah ! que ce pauvre homme, tout hors de péché qu’il est, a le cœur embarrassé de l’affection au péché, et qu’il est semblable aux Israélites dont j’ai parlé ! Il faut dire la même chose de cette femme, qui ayant détesté ses mauvaises amours, prend un reste de plaisir à de vaines assiduités, et à des démonstrations trop vives d’estime et d’amitié. Hélas ! que ces pénitens et ces pénitentes sont dans un grand danger de leur salut !
Or, Philothée, puisque vous aspirez sincèrement à la dévotion, non-seulement vous devez quitter le péché, mais vous devez encore purifier votre cœur de toutes les affections qui en ont été les causes, ou qui en sont les effets ; car outre le danger de la rechute, il vous en resteroit une langueur d’âme et une pesanteur d’esprit, qui sont, comme je vous l’ai dit, incompatibles avec la Vie Dévote. Je compare ces âmes qui, après avoir quitté le péché, sont si languissantes et si pesantes dans le service de Dieu, aux personnes qui ont les pâles couleurs ; elles ne sont pas absolument malades, mais l’on peut dire que leur air, leurs manières et toutes leurs actions sont bien malades ; eļles mangent sans goût, elles rient sans joie, elles dorment sans repos, et elles se traînent plutôt qu’elles ne marchent. C’est de cette sorte que ces âmes, dans leurs exercices qui ne sont pas fort à compter, ni pour le nombre, ni pour le mérite, font le bien avec tant de dégoût et de lassitude d’esprit, qu’elles lui font perdre tout le lustre et toute la grâce que la ferveur donne aux actions de piété.
CHAPITRE VIII.
IL faut pour cela se former une vive et forte idée de tout le mal que porte le péché ; afin que par la componction du cœur, elle nous excite à une forte et profonde contrition. Quelque foible que soit la contrition, pourvu qu’elle soit véritable, elle suffit pour purifier notre âme du péché, surtout quand elle est soutenue de la vertu des Sacremens ; mais si elle est véhémente et pénétrante, elle va jusqu’à purifier le cœur de toutes les mauvaises affections qui dépendent du péché. Remarquez ces exemples : si nous ne haïssons un homme que foiblement, il n’y a guère que sa · présence qui nous fasse de la peine, et nous nous contentons de la fuir ; mais si nous le haïssons mortellement et violemment, nous ne nous en tenons pas à cette répugnance de cour, et à cette fuite, l’horreur que nous en avons se répand jusques sur ses alliés, ses parens et ses amis, dont nous ne pouvous souffrir la conversation ; son portrait même nous blesse les yeux et le cœur, et généralement tout ce qui a quelque rapport à lui nous déplait : ainsi quand le pénitent n’est que légèrement touché de la haine de ses péchés, et n’en a qu’une qu’une foible contrition, mais très-réelle, il ne laisse pas de se déterminer de bonne foi à ne plus pécher ; mais quand sa haine est bien vive, et sa douleur bien profonde, il déteste tout ensemble et efficacement le péché, toutes les habitudes, et tout ce qui peut lui servir d’attrait et d’occasion. Il faut donc, Philothée, donner à la douleur de vos péchés toute la force et l’étendue que vous pourrez, afin qu’elle s’étende aux moindres circonstances du péché : c’est ainsi que la Magdelaine, dès le premier moment de sa conversion, perdit tellement le goût de ses plaisirs, qu’elle n’en retint pas même l’idée ; c’est ainsi que David protestoit, qu’il haïssoit le péché, les voies et les sentiers du péché : c’est en cela que consiste ce renouvellement de l’âme, comparé par le même Prophète au renouvellement de l’aigle.
Mais pour prendre vivement cette idée de la malice du péché, et en concevoir une vraie douleur, il faut vous appliquer à bien faire les Méditations suivantes, dont l’usage détruira dans votre cœur, par la grâce de Dieu, tout le péché jusqu’à ses racines ; c’est à ce dessein que je vous les ai préparées, selon la méthode que j’ai jugée la meilleure ; vous les ferez : l’une après l’autre, en suivant l’ordre que je leur ai donné, et n’en prenant qu’une pour chaque jour. Je vous conseille, si cela est faisable, que ce soit le matin, parce que c’est le temps le plus propre aux fonctions de l’esprit ; après cela, vous en repasserez ce que vous pourrez en vous-même durant le jour ; et si votre esprit n’est pas encore fait à la Méditation, ayez recours, pour vous la faciliter, à la seconde partie de cet ouvrage.
CHAPITRE IX.
1.° Mettez-vous en la présence de Dieu.
2.° Suppliez-le qu’il vous inspire.
1. CONSIDÉREZ qu’il n’y a que tant d’années que vous n’étiez pas au monde, et que votre être n’étoit qu’un vrai néant. Où étions-nous, ô mon âme, en ce temps-là ! le monde avoit déjà subsisté durant une longue suite de siècles, et il n’étoit rien de tout ce que nous sommes.
2. Pensez que Dieu vous a tiré de ce néant pour vous faire ce que vous êtes, sans que vous lui fussiez nécessaire, et par la seule raison de sa bonté.
3. Formez-vous une noble idée de l’être que Dieu vous a donné ; car il est le premier et le plus parfait de tous les êtres de ce monde visible ; il est créé pour une vie et une félicité éternelle, et capable de s’unir parfaitement à la divine Majesté.
1. Humiliez-vous profondément devant Dieu, et dites comme le Psalmiste : O mon âme, sache que le Seigneur est ton Dieu, et que c’est lui qui t’a faite, et que tu ne t’es pas faite toi-même ! ô Dieu, je suis l’ouvrage de vos mains ! ô Seigneur, toute ma substance n’est en votre présence qu’un vrai néant ! et qui suis-je, moi, pour que vous ayez voulu me faire ce bien ? Hélas ! mon âme ! tu étois abimée dans cet ancien néant, et tu y serois encore, si Dieu ne t’en avoit tiré.
2. Rendez grâce à Dieu. O mon Créateur, vous dont la bonté égale l’infinie grandeur, que je vous suis redevable, pour m’avoir fait par votre miséricorde tout ce que je suis ! que ferai-je pour bénir dignement votre saint Nom, et pour remercier votre immense bonté ?
3. Confondez-vous. Mais hélas, mon Créateur ! au lieu de m’unir à vous par amour et par mes services, mes passions ont révolté mon cœur contre vous, ont éloigné et séparé mon âme de vous, et elle s’est livrée au péché, et dévouée à l’injustice ; je n’ai non plus respecté ni aimé votre bonté, que si vous n’eussiez pas été mon Créateur.
Voici donc les bonnes résolutions que votre grâce me fait prendre. Je renonce à ces vaines complaisances, qui depuis si long-temps n’ont occupé mon esprit et mon cœur que de moi-même, c’est-à-dire, de rien. De quoi te glorifies-tu, poussière et cendre ? Ou plutôt véritable et méprisable néant ; qu’as-tu en toi qui puisse te plaire ! Je veux m’humilier, et pour cela je ferai telle et telle chose, je souffrirai tel et tel mépris ; je veux absolument changer de vie ; je suivrai désormais ce mouvement d’inclination, que mon Créateur m’a donné pour lui ; j’honorerai en moi cette qualité de créature de Dieu, par laquelle je me considérerai uniquement, et je consacrerai l’être tout entier que j’ai reçu de lui, à l’obéissance que je lui dois, selon les moyens que j’en aurai, et dont je me ferai instruire par mon Père spirituel,
1. Remerciez Dieu. Bénis ton Dieu, o mon âme ! et que tout mon intérieur soit occupé des louanges de son saint Nom, et de la reconnoissance que je dois à sa bonté pour le bienfait de ma création.
2. Offrez-vous à Dieu. O mon Dieu ! je vous offre tout l’être que vous m’avez donné, avec tout mon cœur, je vous le consacre.
3. Faites une humble prière à Dieu. O mon Dieu ! je vous supplie de me soutenir par la force de votre esprit dans ces résolutions et ces affections. Sainte Vierge, je vous prie de les recommander à votre adorable Fils, avec toutes les personnes pour qui je dois prier, etc. Pater, Ave.
Après la Méditation, recueillez-en le fruit, vous formant une idée de ce qui vous a le plus frappé l’esprit et plus touché le cœur ; vous la repasserez en vous-même de temps en temps dans le cours de la journée, pour vous soutenir dans vos bonnes résolutions ; c’est ce que j’ai coutume d’appeler le Bouquet spirituel. Et je compare cette pratique à l’usage de ces personnes qui prennent le matin un bouquet sur elles, et le sentent souvent durant le jour, pour réjouir et fortifier le cœur par la bonne odeur des fleurs.
Je vous en avertis ici pour toutes les Méditations suivantes.
CHAPITRE X.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Priez-le qu’il vous inspire.
1. CE n’est pas par aucune raison d’intérêt que Dieu nous a créés, puisque nous lui sommes absolument inutiles ; ce n’a été précisément que pour nous faire ce bien, en nous élevant par sa grâce à la participation de sa gloire : c’est en cette vue, Philothée, qu’il vous a donné tout ce que vous avez, l’entendement pour le connoître et pour l’adorer, la mémoire pour vous souvenir de lui, la volonté pour l’aimer, l’imagination pour vous représenter ses bienfaits, les yeux pour vous faire admirer ses œuvres, la langue pour le louer, et ainsi des autres puissances et facultés.
2. Puisque c’est là l’intention que Dieu a eue en vous créant, certainement vous devez condamner et éviter toutes les actions qui sont contraires à cette fin ; et à l’égard de celles qui ne peuvent pas vous y servir, vous devez les mépriser comme vaines et superflues.
3. Voyez donc quel est le malheur du monde qui ne pense point à cela, le malheur, dis-je, des hommes qui vivent comme s’ils étoient convaincus qu’ils ne sont au monde que pour bâtir des maisons, se faire d’agréables jardins, accumuler richesses sur richesses, et s’occuper de frivoles amusemens.
1. Confondez-vous en reprochant à votre âme sa misère et l’oubli de ces vérités. Hélas ! de quoi mon esprit étoit-il occupé, Ô mon Dieu, quand je ne pensois pas à vous ! de quoi me ressouvenois-je, quand je vous oubliois ? qu’aimois-je, quand je ne vous aimois pas ? Hélas ! je devois me nourrir de la vérité, et je me remplissois de la vanité : esclave que j’étois du monde, je le servois, lui qui n’a été fait que pour me servir à vous connoître et à vous glorifier.
2. Détestez la vie passée. Je vous renonce donc, et je vous abhorre, fausses maximes, vaines pensées, inutiles réflexions, souvenir détestable ; je vous déteste amitiés infidèles et criminelles, vains attachemens du monde, services perdus, misérables complaisances, fausse générosité, qui, pour faire du bien aux autres, ne m’avez rien produit qu’une grande ingratitude envers Dieu : je vous déteste de toute mon âme.
3. Convertissez-vous à Dieu. Et vous, ô mon Dieu ! ô mon Sauveur ! vous serez dorénavant l’unique objet de mes pensées ; je n’aurai jamais d’attention à rien qui puisse vous déplaire ; ma mémoire se remplira tous les jours de la grandeur et de la douceur de votre bonté envers moi ; vous serez les délices de mon cœur et la suavité de tout mon intérieur.
Ah ! c’en est fait : tels et tels amusemens auxquels je m’appliquois, tels et tels vains exercices qui occupoient tout mon temps, telles et telles effections qui engageoient mon cœur, tout cela ne sera plus qu’un objet d’horreur pour moi ; et pour me conserver dans cette disposition, je me servirai de tels et tels moyens.
1. Remerciez, etc. Je vous rends grâces, ô mon Dieu, de m’avoir donné une fin aussi excellente et aussi utile que celle de vous aimer en cette vie, et de jouir éternellement en l’autre de l’immensité de votre gloire : quand sera-ce que j’en serai digne ? quand vous bénirai-je comme je le dois ?
2. Offrez, etc. Je vous offre, ô mon aimable Créateur, toutes ces résolutions et ces affections, avec tout mon cœur et toute mon âme !
3. Priez, etc. Je vous supplie, ô mon Dieu, d’agréer mes souhaits et mes vœux, de donner votre sainte bénédiction à mon âme, afin qu’elle en puisse voir l’accomplissement, par les mérites de votre Fils, qui a répandu son sang pour moi sur la Croix ! Pater, Ave.
CHAPITRE XI.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Priez-le qu’il vous inspire.
1. CONSIDÉREZ, à l’égard du corps, tous les avantages que vous avez reçus de votre Créateur ; ce corps d’une conformation si parfaite, et cette santé, ces commodités nécessaires à l’entretien de la vie ; ces plaisirs naturellement attachés à votre état ; ce secours et cette assistance de vos inférieurs : cette agréable et douce société de vos amis : mais en tout cela comparez-vous un peu à tant de personnes qui valent peut-être mieux que vous, et sont dépourvues de tous ces avantages ; car combien en voyez-vous d’une figure ridicule, d’un corps difforme, d’une mauvaise santé ? Combien y en a-t-il qui gémissent, abandonnés de leurs amis et de leurs parens, dans le mépris, dans l’opprobre, dans de longues maladies, et dans l’accablement de la pauvreté ? Dieu l’a voulu ainsi, d’une manière pour vous, et d’une autre pour eux…
2. Considérez tout ce qu’on peut appeler les avantages de l’esprit. Pensez combien il y a d’hommes hébétés et insensés, furieux, emportés, élevés grossièrement, et dans une extrême ignorance : pourquoi n’êtes-vous pas du nombre ? N’est-ce pas Dieu qui a spécialement veillé sur vous, pour vous donner un heureux naturel et une bonne éducation ?
3. Considérez beaucoup plus, Philothée, les grâces surnaturelles, la naissance dans le sein de l’Église, la connoissance si parfaite que vous avez eue de Dieu dès votre jeunesse, l’usage de ses Sacremens, si fréquent et si salutaire. Combien d’inspirations de la grâce, de lumières intérieures, de reproches de votre conscience sur votre vie déréglée. Combien de fois Dieu vous a-t-il pardonné vos péchés, et a-t-il veillé sur vous pour vous délivrer des occasions où vous étiez de perdre éternellement votre âme ? Tant d’années que Dieu vous a laissé vivre, ne vous ont-elles pas donné tout le loisir d’avancer le salut de votre âme ? Examinez ces grâces en détail, et voyez combien Dieu vous a été bon et miséricordieux !
1. Admirez la bonté de Dieu. O que mon Dieu a été bon pour moi ! ô qu’il est bon, 0 Seigneur, que vous êtes riche en miséricorde, magnifique en bonté ! ô mon âme ! prends plaisir à publier combien il t’a fait de grâces !
2. Repentez-vous de votre ingratitude. Mais que suis-je, Seigneur, pour vous être ainsi souvenu de moi ? O que mon indignité est grande ! Hélas ! j’ai foulé aux pieds vos grâces par l’abus que j’en ai fait, j’ai déshonoré votre bonté par le mépris que j’en ai eu, j’ai opposé un abime d’ingratitude à l’abîme de votre miséricorde.
3. Excitez en vous une grande reconnoissance. O mon cœur ! ne sois plus envers ce grand bienfaiteur un infidèle, un ingrat, un rebelle. Et comment est-ce que mon âme ne seroit pas désormais soumise à mon Dieu, qui a opéré tant de merveilles et de grâces en moi et pour moi ?
Ah, Philothée ! commencez donc par dégager ce corps de telles et telles voluptés, pour l’accoutumer à porter le joug du service de Dieu : ensuite appliquez votre âme à le connoître de plus en plus par tels et tels exercices qui peuvent vous y servir. Servez-vous enfin des moyens de salut, que Dieu vous présente par son église : oui, je le ferai, j’entrerai dans la pratique de la Prière et de l’Oraison, je fréquenterai les Sacremens, j’écouterai la sainte parole de Dieu, j’obéirai à sa voix, en suivant les conseils de l’Évangile et de ses inspirations.
1. Remerciez Dieu de ce qu’il vous a si bien fait connoître ses grâces et vos devoirs.
2. Offrez-lui votre cour avec toutes vos résolutions.
3. Priez-le qu’il vous y soutienne, en vous y donnant la fidélité nécessaire ; demandez-la par les mérites de la mort de Jésus-Christ ; implorez l’intercession de la Sainte Vierge et des Saints. Pater, Aye.
CHAPITRE XII.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Priez-le qu’il vous inspire.
1. RETRACEZ en vous-même l’idée du temps que vous avez commencé de pécher : faites réflexion combien vous avez augmenté et multiplié vos péchés de jour en jour, soit contre Dieu, soit contre vous, soit contre le prochain, par vos œuvres, par vos paroles, par vos pensées et par vos désirs.
2. Considérez vos mauvaises inclinations, et tout l’emportement que vous avez eu à les suivre : ces deux vues vous feront juger que le nombre de vos péchés passe de beaucoup celui de vos cheveux, et même du sable de la mer.
3. Faites principalement attention à votre ingratitude envers Dieu ; car c’est un péché universel qui se répand sur les autres, et en augmente infiniment l’énormité. Comptez, si vous le pouvez, tous les bienfaits de Dieu que la malice de votre cœur a tournés contre lui, pour le déshonorer, toutes les inspirations méprisées, tous les bons mouvemens de la grâce rendus inutiles, et tous les différens abus des Sacremens. Où sont du moins les fruits que Dieu en attendoit ? que sont devenues toutes ces richesses dont votre divin époux avoit orné votre âme ? tout cela a été dépravé et profané par vos iniquités. Pensez que votre ingratitude a été jusqu’à ce point-là ; que Dieu vous ayant toujours suivi pas à pas pour vous sauver, vous avez toujours fui devant lui pour vous perdre.
1. Que votre misère vous serve ici à vous confondre. O mon Dieu ! comment est-ce que j’ose me présenter à vous ? Hélas ! je me trouve dans un état déplorable de corruption, de pourriture, d’ingratitude et d’iniquité ? est-il possible que j’aie porté ma folie et mon ingratitude jusques-là ; qu’il n’y ait pas un de mes sens, que mes iniquités n’aient dépravé ; une puissance de mon âme, que mes péchés n’aient profanée et corrompue ; et qu’il ne se soit pas écoulé un seul jour de ma vie, qui n’ait produit de si mauvais effets ?
Est-ce là le fruit des bienfaits de mon Créateur, et le prix du sang de mon Rédempteur ?
2. Demandez pardon de vos péchés, et jetez-vous aux pieds du Seigneur, comme l’Enfant prodigue aux pieds de son Père, comme sainte Magdeleine aux pieds de son aimable Sauveur, comme la Femme adultère aux pieds de Jésus son Juge. O Seigneur, faites miséricorde sur cette âme pécheresse ! ô divin cœur de Jésus, source de compassion et de débonnaireté, ayez pitié de cette misérable !
3. Proposez-vous de mieux vivre. Mon Seigneur, je ne m’abandonnerai jamais au péché, non jamais, avec le secours de votre grâce. Hélas ! je ne l’ai que trop aimé ; mais je le déteste de toute mon âme, et je vous embrasse, ô Père de miséricorde ! je veux vivre et mourir en vous.
Je m’accuserai donc au Prêtre de Jésus-Christ, avec humilité et d’un bon cœur, de tous mes péchés, sans aucune sorte de réserve ni de dissimulation. Je ferai tout ce que je pourrai pour les détruire en moi jusqu’à la racine, particulièrement tel et tel qui me pèse le plus sur le cœur. A cet effet je prendrai généreusement tous les moyens que l’on me conseillera, et je ne croirai jamais avoir assez fait, pour réparer de si grandes fautes.
1. Remerciez Dieu qui a attendu votre conversion jusqu’à cette heure, et qui vous a donné ces bonnes dispositions.
2. Offrez-lui la volonté que vous avez de vous en bien servir.
3. Priez-le qu’il vous en donne la grâce et la force, etc. Pater, Ave.
CHAPITRE XIII.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Demandez-lui sa grâce.
3. Imaginez-vous que vous êtes dans l’état d’un malade, au lit de la mort, et sans aucune espérance de vie.
1. CONSIDÈRE, ô mon âme, l’incertitude du jour de la mort : tu sortiras un jour de ce corps. Quand sera-ce ? sera-ce l’hiver ou l’été, ou dans une autre saison, à la campagne ou dans la ville ? la nuit ou le jour ? sera-ce d’une manière toute subite, ou avec quelque préparation ? sera-ce par quelque accident violent, ou dans une maladie ? le temps, ou le Prêtre ne manquera-t-il point pour la Confession ? Tout cela nous est inconnu, et nous ne savons rien, sinon que nous mourrons indubitablement, et toujours plutôt que nous ne pensons.
2. Mettez-vous bien dans l’esprit, qu’à votre égard la fin du monde sera venue : non, il n’y aura plus de monde pour vous, et vous le verrez périr à vos yeux : car alors, plaisirs, vanités, richesses, honneurs, vaines amitiés, tout cela ne vous paroîtra que comme un fantôme qui se dérobera à votre vue. Ah ! direz-vous, pour quelles bagatelles, et pour quelles chimères ai-je offensé mon Dieu, c’est-à-dire, perdu tout pour rien ? Au contraire, dévotion, pénitence, bonnes œuvres, tout cela vous paroîtra grand, doux et aimable, et vous direz : Eh ! pourquoi n’ai-je pas marché par cette heureuse voie ? Alors vos péchés que vous ne regardiez que comme des atômes, vous paroîtront comme des montagnes ; et tout ce que vous pensiez avoir de grand en dévotion, vous paroîtra réduit à bien peu de chose.
3. Méditez ce grand et languissant adieu, que votre âme dira à ce monde, aux richesses et aux vanités, à vos amis, à vos parens, à vos enfans, à un mari, à une femme, à son corps même, qu’elle abandonnera desséché, hideux à voir, et tout corrompu par l’altération des humeurs.
4. Représentez-vous bien l’empressement que l’on aura à enlever ce misérable corps pour le jeter dans la terre ; et considérez qu’après cette lugubre cérémonie, l’on ne pensera plus guère à vous, ou même point du tout, comme vous n’avez plus pensé aux autres. Dieu lui fasse miséricorde, dira-t-on, et voilà tout fini dans le monde pour vous. O mort, que tu es impitoyable ! tu n’épargnes personne.
5. Découvrez, si vous le pouvez, quel chemin prendra votre âme en sortant de votre corps. Hélas ! de quel côté tournera-t-elle ? quelle sera la voie par laquelle elle entrera dans l’Eternité ? celle-là même qu’elle aura prise dès cette vie.
1. Faites vos prières au Père des miséricordes, et jetez-vous entre ses bras.
Ah ! prenez-moi, Seigneur, sous votre protection en cet effroyable jour ; attachez toute votre bonté pour moi à cette dernière heure de ma vie, pour la rendre heureuse : et que plutôt les autres me deviennent tristes et affligeantes.
2. Méprisez le monde. Puisque je ne sais pas l’heure qu’il faudra te quitter, ô monde qui n’as rien de sûr, je ne veux plus m’attacher à toi. O mes chers amis ! permettez-moi de ne vous plus aimer que d’une amitié sainte, et qui puisse durer éternellement ; car pourquoi nous unir d’une manière de liaison qu’il faut absolument rompre ?
Je veux donc me préparer à cette dernière heure, bien assurer l’état de ma conscience, mettre ordre à telle et telle chose, et me bien précautionner sur ce qui me sera le plus nécessaire pour faire heureusement mon passage.
Remerciez Dieu de ces bonnes résolutions qu’il vous a fait prendre, et les offrez à sa divine majesté : suppliez-le, par les mérites de la mort de son Fils, qu’il vous prépare à une bonne mort ; implorez la protection de la sainte Vierge et des Saints, etc. Pater, Ave.
CHAPITRE XIV.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Priez-le qu’il vous inspire.
1. ENFIN, après que le temps. fixé par la sagesse de Dieu, pour la durée du monde, sera expiré, après cette multitude et variété de prodiges et de passages horribles, qui feront sécher les hommes tout vivans de crainte et d’effroi, un déluge de feu se répandra sur toute la terre, et la consumera entièrement, sans que rien de toutes les choses qui y sont échappe à ses flammes dévorantes.
2. Après cet incendie universel, tous les hommes ressusciteront au son de la trompette fatale de l’Archange, et se trouveront en présence les uns des autres dans la Vallée de Josaphat : mais hélas ! dans une situation bien différente : car les uns y auront leurs corps revêtus de gloire et de lumière, et les autres seront à eux-mêmes un objet d’horreur.
3. Considérez la majesté avec laquelle le souverain Juge paroîtra sur son tribunal, environné de ses Anges et de ses Saints, et ayant devant soi la Croix plus éclatante que le Soleil, signe de grâce pour les bons et de vengeance pour les méchans.
4. Ce sera à la vue de ce signe, et par un secret commandement de Jésus-Christ, que tous les hommes se partageront comme en deux parties ; les uns se trouveront à sa droite, et ce seront les prédestinés ; les autres à sa gauche, et ce seront les réprouvés. : éternelle séparation, puisque jamais ils ne se trouveront ensemble.
5. Alors les Livres mystérieux des consciences seront ouverts, il n’y aura plus rien de caché : on verra clairement dans les cours des uns et des autres tout ce qu’ils auront porté de mal ou de bien, de mépris de Dieu ou de fidélité à sa grâce ; de péchés ou de pénitence. O Dieu, quelle confusion d’une part, et quelle consolation de l’autre !
6. Écoutez avec attention la sentence formidable que le souverain Juge prononcera contre les méchans : Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au Diable et aux Anges ses sectateurs. Pesez bien ces paroles, dont le poids les accablera tous. Allez ; ce seul mot nous marque l’abandonnement universel que Dieu fera de sa créature, en la chassant de sa présence et ne la comptant plus au nombre de celles qui lui appartiennent. Allez, maudits. O mon âme, quelle malédiction que celle-ci ! elle est universelle, car elle comprend tous les maux ; elle est irrévocable, car elle comprend tout les temps et toute l’éternité. Allez, maudits, au feu éternel : représente-toi, ô mon âme, cette funeste Éternité. O Éternité de peines éternelles, que tu es effroyable !
7. Écoutez aussi la sentence qui décidera de l’heureux sort des bons : Venez dira le Juge : Ah ! c’est la douce parole du salut, par laquelle notre Sauveur nous appellera à lui, pour nous recevoir avec bonté entre ses bras. Venez, les bénis de mon père : ô aimable et précieuse bénédiction, qui comprend universellement toutes les bénédictions ! Possédez le Royaume qui vous est préparé dès là création du monde : Ô Dieu, quelle grâce ! car ce Royaume n’aura jamais de fin.
1. Laisse-toi, mon âme, pénétrer de crainte par le seul souvenir de cette fatale journée : Ô Dieu ! quelle sûreté y aura-t-il pour toi, puisque les colonnes même du Ciel trembleront de frayeur ?
2. Déteste tes péchés ; il n’y a que cela qui puisse alors te perdre. Ah ! juge-toi maintenant toi-même, pour n’être pas jugé en ce temps-là. Oui, je veux faire comme il faut la discussion de toute ma conscience, m’accuser, me condamner, me juger, me corriger, afin que le Juge ne me condamne pas en ce redoutable jour, Je me confesserai donc, j’accepterai les avis nécessaires, etc,
1. Remerciez Dieu qui vous a donné le temps et les moyens de prendre vos sûretés par l’usage de la pénitence.
2. Offrez-lui votre cœur pour en faire de dignes fruits
3. Demandez-lui-en la grâce. Pater, Ave.
CHAPITRE XV.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Humiliez-vous, en lui demandant sa grâce.
3. Représentez-vous une Ville couverte de ténèbres, toute ardente d’un feu de soufre et de poix, qui exhalent une horrible vapeur, et pleine d’habitans désespérés, qui ne peuvent ni en sortir, ni y mourir.
1. LES damnés sont dans l’abime infernal, comme ces Citoyens infortunés dans cette affreuse Ville ; ils y souffrent des tourmens qu’on ne peut expliquer, dans tous leurs sens, et en tout leur corps ; car comme ils ont employé à pécher tout ce qui étoit en eux, ils endureront aussi dans tout ce qu’ils sont, les peines dues au péché : ainsi les yeux souffriront pour leurs regards criminels, la vue des démons en mille formes hideuses et la vue de l’enfer. L’on n’entendra que pleurs, lamentations, désespoirs, blasphèmes et discours diaboliques : ce qui sera un tourment spécial pour punir les péchés commis par le sens de l’ouïe ; et il faut dire la même chose des autres sens.
2. Outre tous ces tourmens, il y en a un beaucoup plus grand : c’est la privation et la perte de la gloire de Dieu qu’ils ne verront jamais. Quelque douce que fût la vie d’Absalon dans Jérusalem ; il protesta que le malheur de ne pas voir son cher Père, depuis deux ans, lui étoit plus intolérable, que ne lui avoient été toutes les peines de son exil. O mon Dieu ! quelle peine sera-ce donc, et quel regret d’être éternellement privé de votre vue et de votre amour !
3. Considérez surtout l’Éternité, laquelle toute seule rend l’Enfer insupportable. Hélas ! si la chaleur d’une petite fièvre nous rend une courte nuit fort longue et ennuyeuse, que sera donc l’épouvantable nuit de l’Enfer, où l’éternité est jointe à l’excès de la douleur ? Et de cette Éternité naissent le désespoir éternel, des blasphêmes exécrables et des rages infinies.
1. Tâchez de jeter la frayeur dans votre âme, en lui faisant cette question du Prophète Isaïe. O mon âme ! pourrois-tu vivre éternellement au milieu de ce feu dévorant, et habiter avec les ardeurs éternelles ? veux-tu bien quitter ton Dieu pour jamais ?
2. Confessez que vous avez mérité ces horribles châtimens ; mais combien de fois ? Oh ! désormais je veux prendre le bon parti, et marcher par une autre voie que je n’ai fait : pourquoi me précipiter dans cet abime de misère ?
3. Je ferai donc tel et tel effort pour éviter le péché, qui seul peut me causer la mort éternelle.
Remerciez, etc, Offrez, etc. Priez, etc. Pater, Ave.
CHAPITRE XVI.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Faites l’invocation ordinaire.
1. REPRÉSENTEZ-VOUS une nuit sereine et tranquille, et pensez combien il est doux à l’âme de voir le Ciel tout brillant de la lumière de tant d’étoiles : ajoutez à cette charmante beauté les délices d’un agréable jour, où la lumière la plus vive du Soleil ne vous déroberoit point la vue de la Lune ni des Étoiles ; et puis dites-vous à vous-même, que, tout cela mis ensemble n’est rien absolument en comparaison de la beauté et de la gloire du Paradis. O que ce séjour si charmant mérite bien nos désirs ! Ô sainte Cité de Dieu, que vous êtes glorieuse et aimable !
2. Considérez la noblesse, la beauté, les richesses et toute l’excellence de la sainte Société de ceux qui y vivent ; ces millions d’Anges, de Chérubins et de Séraphins, ces troupes innombrables d’Apôtres et de Martyrs, de Confesseurs et de Vierges, de tant d’autres Saints et Saintes. O la bienheureuse union que celle des Saints dans la gloire de Dieu ! Le moindre de tous est mille fois plus beau à voir que le monde tout entier ; que sera-ce de les voir tous ? Mon Dieu ! qu’ils sont heureux ! Ils chantent perpétuellement le doux Cantique de l’amour éternel ; ils jouissent d’une constante alégresse ; ils se donnent les uns aux autres mille sujets de joie, et ils vivent dans les consolations ineffables d’une heureuse et indissoluble société.
3. Mais considérez beaucoup plus l’excellence de leur béatitude dans leur bonheur de voir Dieu, qui les honore, et les gratifie pour jamais de ce regard aimable et fécond en mille biens, par lequel il répand en même-temps toutes les lumières de sa sagesse dans leur esprit, et toutes les délices de son amour dans leur volonté. Quel bien que celui d’être intimement et éternellement uni à Dieu par de si précieux liens ! C’est là qu’environnés et pénétrés de la Divinité, comme les oiseaux le sont de l’air, ils sont toujours et uniquement occupés de leur Créateur, par un exercice perpétuel d’adoration, d’amour et de louange ; sans ennui et avec un plaisir ineffable. Soyez donc, disent-ils, éternellement béni, ô notre Souverain et infiniment aimable Créateur, qui vous glorifiez en nous avec tant de bonté par la communication de votre gloire ; et en même-temps Dieu leur fait toujours entendre en eux-mêmes cette parole béatifique : soyez bénites d’une bénédiction éternelle, mes chères créatures, qui m’avez servi avec fidélité, et qui louerez à jamais votre Seigneur dans l’union de son amour.
1. Abandonnez votre esprit à l’admiration de votre céleste patrie. O que vous êtes belle, riche et magnifique, ma chère Jérusalem, et que bienheureux sont vos habitans !
2. Reprochez à votre cœur la lâcheté qui l’a détourné des voies du Ciel. Pourquoi donc ai-je fui de la sorte mon souverain bonheur ? Ah ! misérable que je suis ! j’ai mille fois renoncé à ces infinies et éternelles délices, pour rechercher des plaisirs superficiels, passagers et mêlés de beaucoup d’amertumes. Où étoit mon esprit de mépriser ainsi des biens si solides et si souhaitables, pour des plaisirs si vains et si dignes de mépris ?
3. Ranimez cependant votre espérance, et aspirez de toute votre force à ce séjour si délicieux. O mon aimable souverain Seigneur ! puisqu’il vous a plu me faire rentrer dans les voies du Ciel, il ne m’arrivera jamais ni de m’en écarter, ni de m’y arrêter, ni de retourner sur mes pas, · Allons, ma chère âme, et quelque fatigue qu’il nous en coûte, allons à ce séjour du repos éternel ; marchons et avançons toujours vers cette bénite terre qui nous est promise ; que faisons-nous en Égypte ?
Je me priverai donc de telle et de telle chose, qui me détourne de mon chemin ou qui m’y arrête.
Je ferai donc celle-ci et celle-là qui peuvent servir à m’y conduire et à m’y avancer.
Remerciez, etc. Offrez, etc. Priez, etc, Pater, Ave.
CHAPITRE XVII.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Suppliez-le humblement qu’il vous inspire.
IMAGINEZ-VOUS, pour le commencement de votre Méditation, que vous êtes dans une vaste campagne avec votre Ange gardien, à peu près comme le jeune Tobie qui étoit dans son voyage avec le Saint Archange Raphaël ; que vous ouvrant le Ciel, il vous en fait voir la beauté et toute la gloire, et qu’en même-temps il vous a fait paroître l’Enfer ouvert à vos pieds.
1. Cette supposition étant ainsi faite, et vous tenant à genoux, comme en la présence de votre bon Ange, considérez que véritablement vous êtes en cette vie entre le Paradis et l’Enfer ; et que l’un et l’autre est ouvert pour vous recevoir, selon le choix que vous en ferez.
2. Mais considérez bien que le choix qui s’en peut faire présentement en cette vie, subsiste éternellement dans l’autre.
3. Quoique le choix que vous ferez, doive régler la conduite de Dieu sur vous, soit celle de sa miséricorde, pour vous recevoir dans le Ciel, soit celle de sa justice, pour vous laisser précipiter dans les Enfers ; cependant il est certain que du propre mouvement de sa bonté, il veut très – sincèrement que vous choisissiez l’Éternité bienheureuse, et que votre bon Ange vous y porte de tout son pouvoir, en vous présentant de la part de Dieu tous les moyens qui sont absolument nécessaires pour la mériter.
4. Écoutez sur cela, intérieurement et attentivement, toutes les voix qui vous viennent du Ciel pour vous y inviter. Venez, dit Jésus-Christ, ô chère âme que j’ai plus aimée que mon sang : je vous tends les bras pour vous recevoir dans le e séjour des délices immortelles de mon amour. Venez, vous dit la sainte Vierge ; ne méprisez pas la voix et le sang de mon Fils, ni les désirs que j’ai de votre salut, et les prières que je lui présente pour vous en obtenir les grâces. Venez, vous disent les Saints et les Saintes, qui ne désirent rien plus que l’union de votre cœur avec le leur, pour louer Dieu éternellement ; venez, le chemin du Ciel n’est pas si difficile que le monde pense ; nous l’avons fait, et vous nous voyez au terme ; entrez-y seulement avec courage, et vous verrez que par une voie incomparablement plus douce et plus heureuse que celle du monde, nous sommes parvenus au comble de la gloire et de la félicité.
O détestable Enfer ! je t’abhorre avec tous tes tourmens et avec ta funeste éternité, je détesté surtout ces blasphèmes horribles et ces malédictions diaboliques que tu vomis éternellement contre mon Dieu. Mon âme est créée pour le Ciel, et l’attrait de mon cœur l’y porte : oui, délicieux Paradis, séjour tout divin de la félicité et de la gloire éternelle, c’est au milieu de tes saints et aimables tabernacles, qu’aujourd’hui je choisis à jamais et irrévocablement ma demeure. Je vous bénis, ô mon Dieu, en acceptant l’offre qu’il vous plaît de m’en faire. O Jésus mon Sauveur ! j’accepte avec toute la reconnoissance dont je suis capable, l’honneur et la grâce que vous me faites de vouloir m’aimer éternellement : je reconnois que c’est vous qui m’avez acquis ce doit sur le Ciel ; oui, que c’est vous qui avez préparé une place dans la céleste Jérusalem ; et aucun des avantages que porte ce bonheur ne me le fait tant estimer que le plaisir de vous aimer, et de vous glorifier éternellement.
Acceptez la protection de la sainte Vierge et des Saints ; promettez-leur de vous en servir fermement, pour vous avancer au terme où ils vous attendent ; tendez la main à votre bon Ange, en le priant de vous y conduire ; excitez votre âme à bien soutenir son choix.
CHAPITRE XVIII.
Méditation d’une âme qui délibère entre la vie du monde et la vie dévote.
1. Mettez-vous en la présence de Dieu.
2. Implorez son secours avec humilité.
1. IMAGINEZ-VOUS encore une fois que vous êtes avec votre bon Ange dans une vaste campagne ; que vous voyez à votre main gauche le Prince des ténèbres sur un trône fort élevé, et environné de plusieurs démons, et qu’autour de sa Cour infernale, vous découvrez une multitude innombrable de pécheurs et de pécheresses, qui étant dominés par l’esprit du monde, lui rendent aussi leurs hommages. Observez attentivement tous les infortunés courtisans de cet abominable Roi. Considérez les uns transportés de l’esprit de colère, de haine et de vengeance, qui en fait des furieux ; et les autres amollis par l’esprit de paresse, qui ne les occupe que de frivoles vanités : ceux-là enivrés de l’esprit d’intempérance, qui en fait des fous et des brutaux ; ceux-ci enflés de l’esprit d’orgueil, qui en fait des hommes violens et insupportables ; quelques-uns possédés par l’esprit d’envie, qui les dessèche et les rend chagrins et rêveurs ; plusieurs, corrompus jusqu’à la pourriture par l’esprit de volupté, et plusieurs que l’esprit d’avarice inquiète et trouble par l’empressement d’avoir du bien. Voyez-les tous sans repos et sans ordre : regardez jusqu’à quel point ils se méprisent les uns les autres ; combien ils se haïssent, de quelle manière ils se persécutent, se déchirent, se détruisent et s’entretuent. Voilà donc cette République du monde tyrannisée par ce maudit Roi : qu’elle est malheureuse et digne de compassion !
2. Considérez à votre main droite Jésus-Christ crucifié, qui, avec une tendresse inexplicable de compassion et d’amour, présente à Dieu son Père ses prières et son sang, pour obtenir la liberté de ces malheureux esclaves, et qui les invite à rompre leurs liens pour venir à lui.
Mais arrêtez-vous principalement à regarder cette nombreuse troupe de dévots et dévotes qui sont autour de lui avec leurs, Anges : contemplez la beauté du Royaume de la dévotion ; admirez tant de personnes de l’un et de l’autre sexe, dont les âmes sont pures et blanches comme le lys ; tant d’autres à qui la mort d’un mari ou d’une femme a rendu la liberté de leur cœur, et qui le consacrent à Dieu par la mortification, par la charité et par l’humilité ; tant d’autres qui élèvent leurs familles dans le culte du vrai Dieu, en accordant la possession du bien avec le détachement du cœur, les soins de la vie avec ceux de l’âme, l’amour qu’on s’est promis réciproquement avec l’amour de Dieu, et le respect qu’on se doit avec une douce familiarité. Considérez à loisir dans cette heureuse société de serviteurs et de servantes de Dieu, le bonheur de leur état, cette sainte tranquillité d’âme, cette suavité d’esprit, et cette égalité d’humeur : ils s’aiment d’un amour pur et saint, ils jouissent d’une joie inaltérable, mais également charitable et réglée ; ceux-là même, et celles qui ont des afflictions, ne s’en inquiètent point ou que très-peu, et ne perdent rien de la paix de leur cœur. Aussi tous ont les yeux attachés sur Jésus-Christ, qu’ils voudroient avoir dans leur cour, et qui porte lui-même ses yeux, pour ainsi parler, et son cœur jusqu’au fond de leur âme, pour les éclairer, les fortifier et les consoler.
3. Hé bien ! Philothée, il y a du temps que par les bonnes résolutions que la grâce vous a fait former, vous avez abandonné Satan avec sa damnable troupe ; mais vous n’avez pas encore eu le courage d’aller vous jeter aux pieds de Jésus, pour vous engager à son service dans la société de ses plus fidèles serviteurs : vous avez été comme entre les deux partis ; il faut aujourd’hui vous déterminer une bonne fois.
4. La sainte Vierge, saint Joseph, saint Louis, sainte Monique, et cent mille autres qui ont formé au milieu du monde le Royaume de Jésus-Christ, vous invitent à les suivre. Écoutez principalement Jésus qui vous appelle par votre propre nom, et qui vous dit : venez, ma chère âme, venez, et je vous couronnerai de gloire.
1. O monde trompeur ! j’abhorre toi et tes sectateurs, jamais on ne me reverra sous tes lois ; c’est pour toujours, que je me désabuse de tes folies, et que je me délivre de tes vanités. Et toi, Satan, esprit infernal, abominable Roi d’orgueil et de malheur, je te renonce avec toutes tes vaines pompes, et je déteste à jamais tes œuvres.
2. C’est vers vous, doux et aimable Jésus, Roi de la félicité et de la gloire immortelle, que je me tourne aujourd’hui ; je me jette à vos pieds, je les embrasse de toute mon âme, je vous adore de tout mon cœur ; je vous choisis pour mon Roi, et je me soumets à l’obéissance de vos saintes lois ; je vous fais de tout ce que je suis un hommage universel et irrévocable, que je prétends soutenir toute ma vie avec votre grâce, par une inviolable fidélité.
3. O sainte Vierge ! permettez-moi que je vous choisisse aujourd’hui pour me conduire ; je me range sous votre protection, en vous vouant un respect singulier, et une spéciale dévotion.
O mon saint Ange ! présentez-moi aux Saints et aux Saintes ; ne m’abandonnez pas que vous ne m’ayez fait entrer dans leur bienheureuse société ; c’est là qu’ayant renouvelé et confirmé de jour en jour le choix que je fais, je dirai éternellement, à leur exemple : Vive Jésus, vive Jésus,
CHAPITRE XIX.
VOILA, Philothée, les méditations les plus nécessaires à votre dessein ; quand vous les aurez faites, allez-vous-en avec beaucoup de courage, et en esprit d’humilité, faire votre confession générale ; mais ne permettez pas, je vous prie, qu’aucune vaine frayeur trouble votre âme. Vous savez que l’huile de scorpion est le meilleur remède contre le venin du scorpion mène : sachez aussi que la confession du péché est le souverain remède du péché même, dont elle détruit toute la confusion et toute la malignité. Oui, la pénitence a tant de charmes, et est d’une si bonne odeur pour le ciel et sur la terre, qu’elle efface toute la laideur du péché, et en dissipe toute l’infection. Simon, le lépreux, disoit que Magdeleine étoit une pécheresse ; mais Notre-Seigneur disoit que non, et ne parloit plus que du parfum qu’elle avoit répandu dans la salle de ce Pharisien, et de la grandeur de sa charité. Si nous sommes bien humbles, Philothée, nos péchés nous déplairont infiniment, parce que Dieu en a été offensé ; mais la confession de nos péchés nous sera douce et consolante, parce que Dieu en est honoré : c’est une manière de soulagement pour un malade, que de découvrir au Médecin tout le mal qu’il sent. Quand vous serez aux pieds de votre Père spirituel, imaginez-vous que vous êtes sur le Calvaire aux pieds de Jésus crucifié, et que son précieux sang distille de toutes ses plaies sur votre âme, pour vous laver de vos iniquités ; car véritablement c’est l’application des mérites de son sang répandu sur la Croix, qui sanctifie les pénitens de la confession. Ouvrez donc entièrement à votre Confesseur tout votre cœur pour le décharger de vos péchés, et vous le remplirez en même-temps de bénédictions, par les mérites de la passion de Jésus-Christ.
Accusez-vous avec beaucoup de simplicité et de sincérité ; et une bonne fois en votre vie, satisfaites si bien votre conscience sur cet article, qu’il ne vous en reste plus d’inquiétude. Après cela, écoutez avec douceur et avec docilité les avis salutaires du Ministre de Dieu, et la pénitence qu’il vous imposera ; oui, c’est assurément Dieu que vous écoutez alors, puisqu’il a dit à ses ministres : celui qui vous écoute m’écoute moi-même. Après avoir entendu tout ce qu’il aura à vous dire, prenez en main la protestation suivante, que vous aurez lue et méditée ayant la confession, et qui doit terminer cet exercice de la pénitence ; prononcez-la avec le plus d’attention et de componction de cour que vous pourrez.
CHAPITRE XX.
Je soussignée, très-indigne créature de Dieu, fais la protestation suivante, en la présence de sa divine Majesté, et de toute sa Cour céleste.
Après avoir bien considéré l’immense bonté de Dieu, qui m’a créée, conservée, soutenue, délivrée de tant de dangers, et comblée de tant de bienfaits ; après avoir vivement senti tous les effets de sa miséricorde incompréhensible, qui m’a tolérée dans mes péchés avec tant de douceur, qui m’a rappelée à elle tant de fois par ses aimables et fréquentes inspirations, qui a attendu ma conversion avec tant de patience, jusqu’à cette N… année de ma vie ; quelque opposition que j’y aie pu apporter par mon ingratitude, par mon infidélité, par le délai de ma pénitence, et par le mépris de ses saintes grâces ; après avoir bien considéré la profanation que j’ai faite si souvent de mon âme, et de toute la sainteté que j’avois reçue dans mon sacré baptême, et que j’avois vouée et consacrée à mon Dieu, par la promesse qu’on lui en fit alors pour moi. Enfin, revenant à moi-même, prosternée de cœur et d’esprit devant le tribunal de la justice de Dieu, je me reconnois et me confesse coupable, et entièrement convaincue du crime de lèse-majesté divine, et de la mort de Jésus-Christ, qui n’est mort sur la Croix que parce que j’ai péché ; ainsi j’avoue que j’ai justement mérité d’être éternellement damnée.
Cependant, après avoir détesté mes péchés de tout mon cœur, je me tourne aujourd’hui vers le trône du Père des miséricordes, et je lui crie : grâce, mon Dieu, grâce ; je vous la demande avec la rémission entière de mes péchés, au nom de Jésus-Christ votre Fils, qui est mort sur la Croix pour mon salut. C’est en lui qu’établissant toute mon espérance, je renouvelle aujourd’hui, ô mon Dieu, la profession de toute la fidélité que je vous avois promise dans mon Baptême. Ainsi, maintenant, comme alors, je renonce au diable, au monde et à la chair, en détestant pour le reste de mes jours toutes leurs œuvres, avec leurs pompes et leurs concupiscences, et m’engageant irrévocablement à vous servir et à vous aimer durant toute ma vie, ô mon Dieu, infiniment débonnaire et miséricordieux, Oui, mon Dieu, c’est en cette vue que je vous consacre mon âme avec toutes ses puissances, mon cœur avec toutes ses affections, et mon corps avec tous ses sens, en vous protestant que je ne veux plus me servir de rien de tout ce qui est en moi contre la volonté de votre divine Majesté, et me dévouant à vous avec toute l’obéissance que vous doit une fidèle créature, Mais, hélas ! si par la malice de mon ennemi, ou par quelque infirmité humaine, je manque de fidélité à vos grâces et à mes bonnes résolutions, je proteste que je ne négligerai rien, avec la grâce du Saint-Esprit, pour me relever au moment de ma chute.
Voilà ma résolution inviolable, et mon intention à jamais irrévocable, auxquelles je ne veux mettre ni aucune réserve ni aucune exception ; je fais cette protestation en la divine présence de mon Dieu, à la vue de l’Église triomphante, et à la face de l’Église militante ma mère, qui la reçoit ici par son Ministre, député à cet effet. Daignez, Ô Dieu éternel, tout bon et tout-puissant, Père, Fils, et Saint-Esprit, recevoir en odeur de suavité ce sacrifice que je vous fais de tout ce que je suis ; et comme il vous a plu me faire la grâce de vous le présenter, qu’il plaise aussi, à votre divine bonté, me faire encore la grâce d’en remplir les obligations. O mon Dieu ! vous êtes mon Dieu, le Dieu de mon cœur, le Dieu de mon esprit, le Dieu de toute mon âme ; je vous adore et je vous aime, comme je veux vous adorer et vous aimer durant toute l’éternité. Vive Jésus.
CHAPITRE XXI.
APRÈS avoir fait cette protestation, écoutez en esprit, et avec toute l’attention de votre cœur, la sentence que Jésus-Christ prononcera dans le ciel sur le trône de la miséricorde, en présence des Anges et des Saints, en même-temps que sur la terre le Prêtre vous donnera l’absolution de vos péchés. C’est alors que ce que Jésus-Christ nous a dit, s’accomplira pour vous dans le Ciel ; car on s’y réjouira de voir votre cœur rétabli en l’amour de Dieu, et rentré dans la société des Anges et des Saints qui s’uniront à votre âme en esprit d’amour et de paix, et qui chanteront en la présence de Dieu, le saint Cantique de l’alégresse spirituelle.
O Dieu, Philothée, l’admirable et l’heureux traité que celui-là, par lequel vous vous donnez à Dieu, et il se donne à vous, en vous rendant à vous-même pour vivre éternellement ! Il ne vous reste donc plus rien à faire, qu’à prendre la plume pour signer l’acte de votre protestation, et puis allez-vous-en à l’Autel où Jésus-Christ ratifiera l’absolution de son Ministre, et confirmera la promesse qu’il vous a faite de vous donner son Paradis, en se mettant lui-même, par son Sacrement, comme un sceau sacré sur votre cour, ainsi renouvelé en son amour.
Voilà donc votre âme à ce premier degré de pureté, lequel consiste dans l’exemption du péché mortel et de toutes les mauvaises affections qui peuvent vous y porter. Cependant, comme ces affections renaissent souvent et facilement en nous, soit par la raison de notre infirmité, soit à cause de notre concupiscence que nous pouvons bien modérer et régler, et que nous ne pouvons jamais éteindre ; il est nécessaire que je vous précautionne contre ce danger et contre ce malheur, par les avis qui me semblent les plus salutaires. Mais, parce que ces mêmes avis peuvent vous conduire à un second degré de la pureté d’âme, beaucoup plus excellent que le premier, il faut qu’avant de vous le donner, je vous parle de cette pureté d’âme plus parfaite, à laquelle je désire de vous conduire.
CHAPITRE XXII.
Il faut puriser l’Ame de toutes les affections aux péchés véniels.
A MESURE que le jour croît le matin, nous voyons mieux dans le miroir les taches et les souillures de notre visage : de même, à proportion que le Saint-Esprit nous communique plus de cette lumière intérieure qui éclaire notre conscience, nous découvrons plus distinctement et plus évidemment les péchés, les imperfections et les inclinations qui peuvent mettre en nous quelque opposition à la sainte dévotion ; et remarquez que cette même lumière qui éclaire notre esprit sur nos défauts, excite encore dans notre cour un ardent désir de nous en corriger :
C’est donc ainsi, Philothée, que votre âme ayant été purifiée des péchés mortels et de toutes les affections qui vous y portent, vous découvrirez encore dans vous un grand fonds de méchantes dispositions qui l’inclinent au péché véniel ; je ne dis pas que vous y découvrirez beaucoup de péchés véniels, mais que vous la trouverez remplie de beaucoup de mauvaises affections, qui sont les principes des péchés véniels. Or, l’un est bien différent de l’autre ; car, par exemple, se plaire habituellement au mensonge, est bien autre chose que de mentir une fois ou deux de gaieté de cœur ; nous ne pouvons pas nous préserver si universellement de tout péché véniel, que nous persévérions long-temps dans cette parfaite pureté d’âme ; mais détruire en nous toute l’affection au péché véniel, c’est ce que nous pouvons avec la grâce de Dieu : nous devons nous y appliquer.
Cela étant ainsi présupposé, je dis qu’il faut aspirer à ce second degré de pureté d’âme, lequel consiste à ne nourrir en nous volontairement aucune mauvaise inclination à quelque péché véniel que ce soit ; car en vérité, ce seroit une grande infidélité et une lâcheté bien coupable, que de conserver en nous habituellement et de dessein, une disposition aussi désagréable à Dieu, que celle de vouloir lui déplaire. En effet, le péché véniel, pour petit qu’il soit, déplaît à Dieu, bien qu’il ne lui déplaise pas au point de nous attirer sa malédiction éternelle ; si donc le péché véniel lui déplaît, certainement cette affection habituelle que l’on a au péché véniel, n’est autre chose qu’une disposition habituelle d’esprit et de cour à vouloir déplaire à sa divine Majesté : seroit-il donc possible qu’une âme bien réconciliée avec son Dieu, voulût non-seulement lui déplaire, mais s’affectionner à lui déplaire ?
Toutes ces affections déréglées, Philothée, sont directement opposées à la dévotion, comme l’affection au péché mortel l’est à la charité ; elles rendent l’esprit languissant, elles éloignent les consolations divines, elles ouvrent le cœur aux tentations ; et bien qu’elles ne donnent pas la mort à l’âme, elles lui causent de grandes et dangereuses maladies. Les mouches mourantes, dit le Sage, font perdre à un beaume précieux toute la bonté de son odeur et toute sa vertu. Il veut dire que les mouches ne s’y arrêtant que légèrement, et n’en prenant que tant soit peu de la superficie, elles ne le gâtent pas dans toute sa masse, mais que si elles y meurent, elles le corrompent entièrement. De même, la dévotion ne souffre qu’une légère atteinte des péchés véniels que l’on commet de temps en temps ; mais s’ils forment dans l’âme une vicieuse habitude, ils détruisent entièrement la sainte dévotion.
Les araignées ne tuent pas les mouches à miel, mais elles gâtent leur miel ; et quand elles s’attachent à la ruche, elles en embarrassent si fort les rayons avec leurs toiles, que les abeilles ne peuvent plus y travailler : ainsi les péchés véniels ne donnent pas la mort à notre âme, mais ils altèrent la dévotion ; et si on les commet par une mauvaise inclination habituelle, il se fait dans l’âme je ne sais quel embarras d’habitudes vicieuses et de mauvaises dispositions, qui l’empêchent d’agir avec cette ferveur de charité en laquelle consiste la vraie dévotion. C’est peu de chose, Philothée, que de faire un léger mensonge, de se dérégler tant soit peu en paroles ou en actions, de laisser échapper à ses yeux un regard trop naturel, ou seulement curieux, de se plaire un jour à la vanité des ajustemens, de s’engager une fois dans quelque assemblée de danse ou de jeu, dont le cœur puisse souffrir quelque légère atteinte ; toute cela, dis-je, est peu de chose, pourvu que nous soyons bien attentifs à défendre le cœur de l’inclination et de l’attachement qu’il pourroit y prendre, à peu près comme les abeilles s’efforcent de chasser les araignées qui gâtent leur miel ; mais si tout cela revient souvent, et si, comme il arrive toujours, le cœur y prend cette inclination et cet attachement, l’on perd bientôt la suavité de la dévotion, et toute la dévotion même. Encore une fois, seroit-il possible qu’une âme généreuse fasse son plaisir de déplaire à Dieu, et s’affectionne à vouloir toujours ce qu’elle sait qui lui déplaît beaucoup ?
CHAPITRE XXIII.
LE jeu, le bal, les festins, la comédie, et tout ce qu’on peut appeler les pompes du siècle ; tout cela, dis-je, n’est nullement mauvais de soi-même et de son fonds, mais indifférent, et se peut prendre bien ou mal ; l’usage néanmoins en est toujours dangereux, et l’affection qu’on y prendroit, en augmenteroit beaucoup le danger. C’est pourquoi je vous dis, Philothée, qu’encore que ce ne soit pas un péché qu’un jeu réglé, une danse modeste, une riche parure d’habits, sans aucun air de sensualité, une comédie honnête dans sa composition et dans sa représentation, un bon repas sans intempérance ; cependant l’affection qu’on y auroit, seroit entièrement contraire à la dévotion, extrêmement nuisible à l’âme, et dangereuse pour le salut, Ah ! quelle perte, que d’occuper son cœur de tant d’inclinations vaines et folles, qui le rendent insensible aux impressions de la grâce, et qui le consument tellement, qu’il ne lui reste plus ni force ni application pour les choses sérieuses et saintes !
Voilà justement la raison pour laquelle, dans l’ancien Testament, les Nazaréens s’abstenoient, non-seulement de tout ce qui peut enivrer, mais encore de manger du raisin, et même du verjus : ce n’est pas qu’ils crussent que ni l’un ni l’autre les pût enivrer ; mais ils appréhendoient le danger qu’il y avoit, qu’en mangeant du verjus, il ne leur prit envie de manger du raisin, et qu’en mangeant du raisin, ils ne fussent tentés de boire du vin. Je ne dis donc pas, que nous ne puissions jamais dans aucune occasion user des choses dangereuses, mais je dis que nous ne pouvons jamais y avoir le cœur porté, sans intéresser la dévotion. Les cerfs qui sont trop en venaison, se retirent dans leurs buissons, et y observent une manière d’abstinence, sentant bien que leur graisse leur feroit perdre l’avantage de leur agilité, s’ils étoient poursuivis par les chasseurs ; et c’est de cette sorte que l’homme chargeant son cœur de toutes ces affections inutiles, superflues et dangereuses, perd les bonnes dispositions qui lui sont nécessaires pour courir avec ferveur et avec facilité dans les voies de la dévotion. Tous les jours les enfans s’échauffent à courir après des papillons, sans que personne le trouve mauvais, parce que ce sont des enfans ; mais n’est-ce pas une chose ridicule ; et tout ensemble déplorable, de voir des hommes raisonnables s’attacher avec empressement à des bagatelles aussi inutiles que celles dont nous parlons, et qui, outre leur inutilité, les mettent en danger de se dérégler et de se perdre ? ainsi vous, Philothée, dont le salut m’est si cher, je vous déclare la nécessité qu’il y a de dégager votre cœur de toutes ces inclinations ; car bien que les actes particuliers n’en soient pas toujours contraires à la dévotion, néanmoins l’affection et l’attachement qu’on y prend, lui causent toujours un grand préjudice.
CHAPITRE XXIV.
Nous avons encore, Philothée, de certaines inclinations naturelles, lesquelles n’ayant pas tiré leur origine de nos péchés particuliers, ne sont ni péchés mortels, ni péchés véniels ; mais on les appelle imperfections, et on nomme leurs actes, des défauts et des manquemens. Par exemple, sainte Paule, comme le rapporte saint Jérôme, étoit naturellement si mélancolique, qu’elle pensa plusieurs fois mourir de tristesse à la mort de ses enfans et de son mari ; c’étoit en elle une grande imperfection, et non pas un péché, par la raison que sa volonté n’y avoit point de part. Il y en a qui sont d’un naturel léger, d’autres d’une humeur rébarbative, d’autres d’un esprit indocile et dur à la complaisance que l’on doit aux sentimens et aux conseils de ses amis ; plusieurs d’une bile facile à s’enflammer, et plusieurs d’une tendresse de cœurs trop susceptible des amitiés humaines ; en un mot, il n’est presque personne en qui l’on ne puisse remarquer une imperfection semblable. Or, quoique ces inclinations soient naturelles, on peut les corriger et les modérer, en tâchant d’acquérir les perfections contraires : l’on peut s’en défaire absolument ; et je vous dis, Philothée, que vous devez aller jusques-là. N’a-t-on pas trouvé l’art de donner de la douceur aux amandiers les plus amers, en les perçant seulement au pied, pour en faire sortir un suc âpre et rude ? Pourquoi donc ne pourrions-nous pas nous décharger de nos inclinations perverses, n’en retenant que ce qu’elles ont de bon, pour en faire des dispositions favorables à la pratique de la vertu ? Comme il n’y a point de si bon naturel que les habitudes vicieuses ne puissent corrompre, il n’y en a pas non plus de si méchant qu’on ne puisse dompter, et entièrement changer par une constante application, soutenue de la grâce de Dieu.
Je m’en vais donc vous donner les avis, et vous proposer les exercices que je juge les plus nécessaires pour dégager votre âme de toutes les mauvaises affections au péché véniel, de tous les attachemens aux choses inutiles et dangereuses, et de toutes les imperfections naturelles, et votre âme en sera encore mieux précautionnée contre le péché mortel ; Dieu vous fasse la grâce de les bien pratiquer.